Avril 2019
Le général Della Rovere (Roberto Rossellini, 1959)
Bertone, escroc faible et veule contraint par les évènements d’endosser un nouveau rôle, se voit soudain transfiguré en héros. D’abord aliéné par la guerre, la violence, la torture, il conquiert une autre conscience et choisit la dignité jusque dans la mort. Parce que l’écrivain catholique Diego Fabbri a participé à son scénario, on pouvait s’attendre à trouver dans ce film sur les faux-semblants d’un acteur-imposteur les résonances chrétiennes habituelles à l’œuvre chez Rossellini. Les thèmes du rachat et de la rédemption y sont en effet développés, et le protagoniste (superbement interprété par Vittorio De Sica) peut assurément faire penser à l’ouvrier de la onzième heure de l’Evangile. Mais le récit maintient jusqu’à sa fin une ambigüité humaine que valorisent la sobriété du style et la légèreté de l’écriture. 4/6
Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? (Luigi Comencini, 1974)
L’auteur a déclaré avoir réalisé cette parodie de roman-feuilleton pour ridiculiser le dannunzianisme et en souligner le cabotinage, l’hypocrisie, le poison subtil qui ensemença les racines du fascisme. Son couple noble et chaste y véhicule une satire de l’Eglise, de la sauvegarde des apparences, en même temps qu’il favorise une grivoiserie flirtant avec la caricature. Car pour que la chair exulte, il faudra que la Marquise, pieuse mais lascive et débordante de désir frustré, s’encanaille avec un robuste chauffeur, avatar prolétaire du garde-chasse lawrencien. On ressent toutefois comme une gêne de voir un cinéaste d’ordinaire si subtil flirter ainsi avec la vulgarité, quand bien même ses talents d’esthète affirment une belle tenue dans le décor, le cadre, la prise de vue (et la plastique fort avenante de Laura Antonelli). 3/6
Crazy Amy (Judd Apatow, 2015)
Après s’être intéressé aux états d’âme d’hommes trentenaires pressentant avec angoisse et désenchantement le coup de bambou du middle-age, Apatow change de corps et de cerveau en s’amusant cette fois du donjuanisme au féminin. L’idylle à multiples ressorts et ruptures de son héroïne trash et délurée répond ici à une sorte d’apprentissage moins d’une vie conjugale réglo que de la part d’orgueil que l’on consent à sacrifier pour ne pas perdre l’autre. Et si la pulsion familialiste qui plane sur la fin du film peut confirmer les reproches adressés au cinéaste quant à sa manière de glisser de l’insolence à la règle, de la singularité excentrique à la norme bien centrée, elle n’en découle pas moins d’un effort dialectique visant à se dépêtrer de ses névroses et à trouver un point d’accord épanouissant entre les individus. 4/6
Jacquot de Nantes (Agnès Varda, 1991)
C’est une preuve d’amour que de recréer, pour celui qui va partir, le temps béni où tout est déjà presque joué mais où tout reste encore possible : son enfance. Luttant avec la franchise en arabesque de la poésie contre la mort au travail, clamant son besoin de s’unir avec lui au-delà du temps hémorragique, Varda offre cette preuve à l’homme de sa vie, Jacques Demy. Voilà que surgissent les belles années à Nantes, le garage paternel, la mère dont le prénom est une chanson, la tante de Rio, le théâtre de marionnettes, Charles Trenet, les films avec Darrieux, et que naît une vocation éclairée par des phrases cailloux-blancs, de multiples jeux de correspondance. Une œuvre joyeuse, rêveuse, légère, minutieusement construite, mais qu’une calme image d’océan ou de peau abandonnée au gros plan peut affoler. 4/6
The mission (Johnnie To, 1999)
En danse, une "attitude" est un mouvement suspendu. Parce qu’il emprunte régulièrement de telles figures, avec ses cinq bodyguards immobilisés, semblables à des soldats stratégiquement disposés, figés et l’arme tendue, ce film noir au scénario sommaire et à la réalisation plus proche du ballet contemporain que de la pugnacité sanglante ne prétend ni au réalisme ni à l’étude psychologique mais à la beauté du geste, au lyrisme de la tension. Ce qui importe ici c’est le style, épuré, rigoureux, scandé par une musique easy-listening revenant en thème, la plénitude d’une mise en scène jouant sur les face-à-face, les reflets, les cachettes, et une morale de l’amitié, de la préservation solidaire du groupe, parcourue d’un humour à froid, stoïque et discrètement parodique, qui n’est pas sans rappeler celui de Kitano. 4/6
Le monde sur le fil (Rainer Werner Fassbinder, 1973)
Scrutateur féroce de son temps, l’auteur ne pouvait rester insensible à la science-fiction, genre qui permet d’explorer les angoisses contemporaines en dissimulant un surcroît de réalisme sous le voile de l’extraordinaire. Si le monde est dominé par les puissances morales et économiques du mensonge, si l’on vit aveugle dans les simulacres d’un univers objectal, cela doit s’exprimer pour lui en dénonciations politiques et en cris dépressifs. D’où la désolation progressive de son personnage, la névrose lancinante qui l’engloutit et la vitrification des apparences formalisée par de multiples effets plastiques (reflets et flous d’avant-champ, dominantes bleutées, design lisse et hi-tech). Le film atteint ainsi une complexité, un vertige et une inquiétude existentielle dont Matrix, vingt-cinq ans plus tard, ne pourra se prévaloir. 4/6
La taverne de la Jamaïque (Alfred Hitchcock, 1939)
L’enjeu structurel est ici conforme à la règle hitchcockienne du véritable suspense : quitte à révéler d’emblée l’identité du criminel, autant laisser au spectateur l’inquiétude non pas du qui, mais du comment la jeune héroïne y échappera. Adaptant pour la première fois Daphné du Maurier, le cinéaste puise dans le récit d’aventures historiques "côtières" cette loi du genre consistant à forcer parfois la sympathie envers le scélérat autour de qui pivote l’histoire : Charles Laughton, tantôt sadique, tantôt clownesque, tantôt quasi romantique sous son jeu savamment outré. Il constitue le principal intérêt d’un film où les entrées et sorties n’évitent pas toujours la mécanique théâtrale, et qui lutte contre la mièvrerie pour parvenir à se situer entre l’atmosphère lugubre de certains contes de fées et celle de Dickens. 3/6
Un amour pas comme les autres (John Schlesinger, 1962)
En ce début des années soixante, une poignée de cinéastes britanniques, souvent de gauche comme Lindsay Anderson ou Karel Reisz, se détournèrent des gens élégants qui se prélassaient dans les salons londoniens et portèrent leur attention sur la vie de la classe ouvrière, dans le Nord gris et industriel de l’Angleterre. Le premier long-métrage pour le cinéma de Schlesinger s’inscrit dans cette tradition et dénonce le conformisme suburbain en sympathisant avec son héros, un jeune homme piégé dans son mariage, luttant d’abord puis se résignant aux contraintes de la vie avec son épouse et son atroce belle-mère. Par delà son humilité et la discrétion de sa facture, le film frappe par la finesse de sa peinture sociale, l’acuité de son propos sur le couple, la sexualité, les conventions et les compromis de l’existence. 4/6
Sur la piste des Mohawks (John Ford, 1939)
De tous les films de l’auteur, ce premier ouvrage en couleurs est l’un de ceux qui exposent de la manière la plus nette la bipolarité qui inscrit si fortement son œuvre dans la culture américaine, entre esprit de conquête et insécurité. Son grand talent est d’humaniser le principe de la colonisation en dotant ses personnages d’une naïveté, d’une innocence venant équilibrer l’avancée du mécanisme : nulle expérience de l’ailleurs qui ne se fonde sur le jardin d’enfance, nulle aventure sans prix à payer (maisons incendiées, cultures dévastées, communauté décimée par les combats). De cette épure transcendant les stéréotypes, de cette évidence qui est forme de présentation et matière même du propos, naît la plus vibrante émotion et se formulent avec grandeur des bribes d’explication sur l’Amérique contemporaine. 5/6
Profils paysans : L’approche (Raymond Depardon, 2001)
Dès ce premier épisode, le réalisateur pose le rituel filmique d’un dispositif minimaliste et choisit d’entrer dans les fermes par les cuisines, où se croisent les différentes générations, où l’on marchande le prix d’un veau, où l’on négocie la vente de son exploitation. Il donne ainsi à voir une matière brute avant d’offrir à la disséquer, restitue de façon intuitive la dramaturgie du réel en se contentant de rendre reconnaissable le monde paysan, fruste, méfiant, au plus près du vieillissement et de la solitude, de l’être et de l’outil : cuir épais, peau burinée, mains forcies par les travaux des champs. Rien de spectaculaire ou de vraiment saillant n’en émane, et l’on éprouve même une certaine frustration au terme d’un prélude dont on devine qu’il ne prendra son sens qu’une fois la trilogie entièrement constituée. 4/6
Et aussi :
Listen to Britain (Humphrey Jenning, 1942)
(CM) -
4/6
Fantasia (Walt Disney, 1940) -
4/6
Synonymes (Nadav Lapid, 2019) -
4/6
Les oiseaux de passage (Cristina Gallego & Ciro Guerra, 2018) -
5/6
Le chat (Pierre Granier-Deferre, 1970) -
5/6
El reino (Rodrigo Sorogoyen, 2018) -
4/6
90's (Jonah Hill, 2018) -
4/6
Films des mois précédents :
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Mars 2019 - Le convoi (Sam Peckinpah, 1978)
Février 2019 – Les noces rouges (Claude Chabrol, 1973)
– Un jour dans la vie de Billy Lynn (Ang Lee, 2016)
[url= http://www.dvdclassik.com/forum/viewtopic.php?f=3&t=12792&p=2723639#p2723639]Décembre 2018 – Une affaire de famille (Hirokazu Kore-eda, 2018)
Novembre 2018 – High life (Claire Denis, 2018)
Octobre 2018 – Nos batailles (Guillaume Senez, 2018)
Septembre 2018 – Les frères Sisters (Jacques Audiard, 2018)
Août 2018 – Silent voice (Naoko Yamada, 2016)
Juillet 2018 – L'homme qui voulait savoir (George Sluizer, 1988)
Juin 2018 – Sans un bruit (John Krasinski, 2018)
Mai 2018 – Riches et célèbres (George Cukor, 1981)
Avril 2018 – Séduite et abandonnée (Pietro Germi, 1964)
Mars 2018 – Mektoub my love : canto uno (Abdellatif Kechiche, 2017)
Février 2018 – Phantom thread (Paul Thomas Anderson, 2017)
Janvier 2018 – Pentagon papers (Steven Spielberg, 2017)
Décembre 2017 – Lettre de Sibérie (Chris Marker, 1958)
Novembre 2017 – L’argent de la vieille (Luigi Comencini, 1972)
Octobre 2017 – Une vie difficile (Dino Risi, 1961)
Septembre 2017 – Casanova, un adolescent à Venise (Luigi Comencini, 1969)
Août 2017 – La bonne année (Claude Lelouch, 1973)
Juillet 2017 - La fille à la valise (Valerio Zurlini, 1961)
Juin 2017 – Désirs humains (Fritz Lang, 1954)
Mai 2017 – Les cloches de Sainte-Marie (Leo McCarey, 1945)
Avril 2017 – Maria’s lovers (Andreï Kontchalovski, 1984)
Mars 2017 – À la recherche de Mr Goodbar (Richard Brooks, 1977)
Février 2017 – Raphaël ou le débauché (Michel Deville, 1971)
Janvier 2017 – La la land (Damien Chazelle, 2016)
Décembre 2016 – Alice (Jan Švankmajer, 1987)
Novembre 2016 - Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli, 2016)
Octobre 2016 - Showgirls (Paul Verhoeven, 1995)
Septembre 2016 - Aquarius (Kleber Mendonça Filho, 2016)
Août 2016 - Le flambeur (Karel Reisz, 1974)
Juillet 2016 - A touch of zen (King Hu, 1971)
Juin 2016 - The witch (Robert Eggers, 2015)
Mai 2016 - Elle (Paul Verhoeven, 2016)
Avril 2016 - La pyramide humaine (Jean Rouch, 1961)
Mars 2016 - The assassin (Hou Hsiao-hsien, 2015)
Février 2016 – Le démon des femmes (Robert Aldrich, 1968)
Janvier 2016 – La Commune (Paris 1871) (Peter Watkins, 2000)
Décembre 2015 – Mia madre (Nanni Moretti, 2015)
Novembre 2015 – Avril ou le monde truqué (Franck Ekinci & Christian Desmares, 2015)
Octobre 2015 – Voyage à deux (Stanley Donen, 1967)
Septembre 2015 – Une histoire simple (Claude Sautet, 1978)
Août 2015 – La Marseillaise (Jean Renoir, 1938)
Juillet 2015 – Lumière silencieuse (Carlos Reygadas, 2007)
Juin 2015 – Vice-versa (Pete Docter & Ronaldo Del Carmen, 2015) Top 100
Mai 2015 – Deep end (Jerzy Skolimowski, 1970)
Avril 2015 – Blue collar (Paul Schrader, 1978)
Mars 2015 – Pandora (Albert Lewin, 1951)
Février 2015 – La femme modèle (Vincente Minnelli, 1957)
Janvier 2015 – Aventures en Birmanie (Raoul Walsh, 1945)
Décembre 2014 – Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Elio Petri, 1970)
Novembre 2014 – Lifeboat (Alfred Hitchcock, 1944)
Octobre 2014 – Zardoz (Sean Connery, 1974)
Septembre 2014 – Un, deux, trois (Billy Wilder, 1961)
Août 2014 – Le prix d’un homme (Lindsay Anderson, 1963)
Juillet 2014 – Le soleil brille pour tout le monde (John Ford, 1953)
Juin 2014 – Bird people (Pascale Ferran, 2014)
Mai 2014 – Léon Morin, prêtre (Jean-Pierre Melville, 1961) Top 100
Avril 2014 – L’homme d’Aran (Robert Flaherty, 1934)
Mars 2014 – Terre en transe (Glauber Rocha, 1967)
Février 2014 – Minnie et Moskowitz (John Cassavetes, 1971)
Janvier 2014 – 12 years a slave (Steve McQueen, 2013)
Décembre 2013 – La jalousie (Philippe Garrel, 2013)
Novembre 2013 – Elle et lui (Leo McCarey, 1957)
Octobre 2013 – L’arbre aux sabots (Ermanno Olmi, 1978)
Septembre 2013 – Blue Jasmine (Woody Allen, 2013)
Août 2013 – La randonnée (Nicolas Roeg, 1971)
Juillet 2013 – Le monde d’Apu (Satyajit Ray, 1959)
Juin 2013 – Choses secrètes (Jean-Claude Brisseau, 2002)
Mai 2013 – Mud (Jeff Nichols, 2012)
Avril 2013 – Les espions (Fritz Lang, 1928)
Mars 2013 – Chronique d’un été (Jean Rouch & Edgar Morin, 1961)
Février 2013 – Le salon de musique (Satyajit Ray, 1958)
Janvier 2013 – L’heure suprême (Frank Borzage, 1927) Top 100
Décembre 2012 – Tabou (Miguel Gomes, 2012)
Novembre 2012 – Mark Dixon, détective (Otto Preminger, 1950)
Octobre 2012 – Point limite (Sidney Lumet, 1964)
Septembre 2012 – Scènes de la vie conjugale (Ingmar Bergman, 1973)
Août 2012 – Barberousse (Akira Kurosawa, 1965) Top 100
Juillet 2012 – Que le spectacle commence ! (Bob Fosse, 1979)
Juin 2012 – Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir, 1975)
Mai 2012 – Moonrise kingdom (Wes Anderson, 2012)
Avril 2012 – Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks, 1939) Top 100
Mars 2012 – L'intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, 1954)
Février 2012 – L'ombre d'un doute (Alfred Hitchcock, 1943)
Janvier 2012 – Brève rencontre (David Lean, 1945)
Décembre 2011 – Je t'aime, je t'aime (Alain Resnais, 1968)
Novembre 2011 – L'homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) Top 100 & L'incompris (Luigi Comencini, 1967) Top 100
Octobre 2011 – Georgia (Arthur Penn, 1981)
Septembre 2011 – Voyage à Tokyo (Yasujiro Ozu, 1953)
Août 2011 – Super 8 (J.J. Abrams, 2011)
Juillet 2011 – L'ami de mon amie (Éric Rohmer, 1987)