Au nord de la Chine, une vaste ville post-industrielle et pourtant vide, plongée dans un brouillard perpétuel qui semble piéger ses habitants. Un matin, une simple altercation entre deux adolescents dans un lycée dégénère et va souder les destins de quatre individus brisés par l’égoïsme familial et la violence sociale. Une obsession commune les unit : fuir vers la ville de Manzhouli. On raconte que, là-bas, un éléphant de cirque reste assis toute la journée, immobile…
Cela jouera nécessairement sur ton appréciation, d'autant qu'à rebours, le destin du réalisateur paraît se nicher en permanence derrière les images, certains actes du film (qui s'ouvre et se clôt sur un suicide) et l'ambiance générale, qui donne corps à un sentiment aussi impalpable que le spleen en travaillant la notion-même de temps cinématographique. C'est bouleversant et terrible à la fois, sur le plan diégétique et extra-diégétique. Car le film devient investi d'une valeur testamentaire d'une glaçante lucidité, comme un long appel à l'aide d'un homme découragé par l'existence. C'est un film-fleuve totalement désespéré et pessimiste sur une certaine Chine déclassée, et sur la vie d'une manière générale (en tous cas, la vie de ces personnages). Mais, au risque de paraître contradictoire, je ne dirais pas pour autant que le film est misanthrope, nihiliste, misérabiliste, détestable de bile noire, sourd à tout sentiment ou que sais-je - on a plutôt affaire ici à une humanité rudoyée par la fatalité, la médiocrité et les injustices de l'existence. Alors qu'ils n'offrent extérieurement que peu de prises émotionnelles, murés dans une impavidité taiseuse comme seul rempart contre le monde, le film suit en effet ses personnages avec une égale empathie, il reste collé aux visages, les effleure presque tendrement alors même que la grisaille répand son poison, guette le petit frémissement qui en dira plus long que des discours. A cet égard (pas sûr que tous les spectateurs le ressentent de la même façon ceci dit), j'ai trouvé le film violemment, authentiquement humain, d'une sensibilité inouïe et inestimable. C'est comme un acte de foi au milieu d'un délabrement social et moral... en 4h, Hu Bo a touché du doigt quelque chose de vertigineux sur la condition humaine. Pour moi ça rejoint les grands accomplissements cinématographiques qui saisissent quelque chose de transcendantal, d'indicible sur l'âme. Mais c'est vraiment difficile d'en parler rationnellement, il faut se laisser porter, gravir la montagne que cela représente (nul ennui durant ces 4h, d'ailleurs). Les mots paraissent fades à côté. J'ai été bouleversé, transpercé, pour moi c'est un film majeur et inoubliable mais que je ne mettrais pas dans les mains de n'importe qui, car sa vision du monde très aride, sombre et a priori inextricable peut très bien plonger dans un abîme oppressant et métaphysique.Watkinssien a écrit :Bien évidemment, je ne l'ai pas vu mais ça me fait penser inévitablement au destin tragique de ce jeune réalisateur qui a mis fin à ses jours après avoir fini son film. Je ne sais pas si cela jouera sur ma propre découverte de ce seul long-métrage. J'insiste sur le conditionnel, son suicide, selon certains témoignages, aurait été une réponse aux gros conflits envers ses producteurs, dont il n'aurait pas supporté la pression, l'autorité et le manque d'humanité. Son expérience de tournage, selon ses propres dires, aurait été humiliante, désespérée et impuissante. Tout en sachant que la vérité se trouve sans doute ailleurs.Demi-Lune a écrit :AN ELEPHANT SITTING STILL (Hu Bo) : 8,5/10