Hérédité (Ari Aster - 2018)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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G.T.O
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Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par G.T.O »

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SPOILERS


Hérédité a, souvent et à tort, été comparé à Rosemary baby et à Ne vous retournez pas. Non pas que le film n'assume pas ses influences notoires, ou en assume d’autres, on pourrait au moins évoquer Drag me to Hell de Raimi, voire certains Bergman, notamment dans cet éclairage douloureux de la matière intime, mais toutes ces références réunies restent insuffisantes pour rendre justice à la singularité du geste d’Aster. A la particularité de son regard, son approche personnelle du fantastique ou bien encore sa maitrise confondante des outils du médium; tout ceci donnant l’impression d’assister à la naissance d’un talent - que certains évoquent Shyamalan n’est guère étonnant.

Hérédité se présente comme un film de deuil - d’ailleurs le film s’ouvre sur un deuil. Deuil d’autant plus douloureux, qu'il ne se réalise jamais vraiment; blessure qui se réouvre régulièrement jusqu’à explosion. Ambiance à la fois solaire et mortifère, doté d’un rythme calme indifférent aux changements, le film ressemble à un cri face à la mort. Un cri qui se traduit par des plans sur l’effroi confinant au statisme: yeux écarquillés, visages figés, bouches ouvertes, ruisselants…Un véritable esthétique de l’effroi qui, progressivement, se transforme en rumination sur la parentalité et la filiation, et d’où Aster tire toute l’horreur d’une famille fortuitement et étrangement composée ( pertinence de l’aspect hétérogène du casting). À ce doute sur l’origine, kyrielle de non-dits, regrets, culpabilités : Aster en fait une double matière horrifique. Horreur liée d'abord à l’exposition des secrets, aveux, rejets, rapports interdits, et horreur devant la logique sacrificatoire qui l’accable, étrange fatum qui détermine les personnages à des fonctions. Image de l’enfermement : poupée dans leur maison , image de fin du film. Hérédité est donc une charge dérangeante contre la famille traditionnelle, inconfortable, qui, détruite pièce par pièce, comme Kubrick l’avait fait avec Shining, sera recomposée selon un ordre mystérieux et sacré…Un saut quasi mythologique qui réoriente le sens du film, et sur laquelle beaucoup tiqueront. Mais une fin cohérente, envoutante, quasi magique, qui prouve la richesse de la palette d’Aster et sa foi dans le cinéma à enchanter le monde.

Meilleure film fantastique depuis le Oculus de Flanagan.
Dernière modification par G.T.O le 14 juin 18, 06:57, modifié 4 fois.
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Alexandre Angel
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Alexandre Angel »

Deux remarques sur le visage de cette petite fille avant que je ne voie le film :

1/ Je n'arrive pas à savoir si elle m'émeut ou si elle me fait peur mais la seconde option l'emporte, je crois.

2/ Je pense immédiatement à The Other, de Robert Mulligan.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Watkinssien
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Watkinssien »

Cet avis donne envie en tout cas! :)
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aelita
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par aelita »

Pareil. Comme Alexandre, avant d'avoir vu le film, la gamine me fiche plus les jetons qu'elle ne m'émeut.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (pensée shadok)
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reuno
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par reuno »

G.T.O a écrit :Meilleure film fantastique depuis le Oculus de Flanagan.
Pour moi depuis The Strangers de Na Hong-jin !
D'ailleurs film auquel il m'a parfois fait penser...

En tout cas sacré film ! Et quelle fin effectivement...
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G.T.O
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par G.T.O »

aelita a écrit :Pareil. Comme Alexandre, avant d'avoir vu le film, la gamine me fiche plus les jetons qu'elle ne m'émeut.
Comme à propos du film, notre ressenti oscille entre crainte et empathie. Faut dire qu'elle a un physique très particulier. L'un des meilleurs SFX du film. Et remarquable choix de casting...
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par MJ »

"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par G.T.O »

Confirmation qu’il aime -un peu- Bergman...
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Torrente »

C'est quoi ce "top 10" ? :?
En fait, il ne choisit jamais quoi. C'est dommage, comment le connaître vraiment à travers sont top, du coup ? Ou n'a t il pas compris le principe d'un top. Un top, c'est une affaire très sérieuse.
Et il ne choisit tellement pas que c'est un top 30, en plus... :(
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Jack Griffin
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Jack Griffin »

Torrente a écrit :C'est quoi ce "top 10" ? :?
En fait, il ne choisit jamais quoi. C'est dommage, comment le connaître vraiment à travers sont top, du coup ?
Bah il choisit 1O réals, quoi. Je pense que c'est suffisant pour connaitre ses goûts
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Torrente »

C'est trop facile. Ça m'en aurait dit plus sur lui s'il avait choisi entre Cul de Sac et Repulsion, par exemple.
Mais oui, au moins y a une ligne directrice, c'est déjà ça.

Le top d'Illeana Douglas est super sinon, avec de longues explications (du coup j'ai un peu fureté).
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par G.T.O »

Torrente a écrit :C'est trop facile. Ça m'en aurait dit plus sur lui s'il avait choisi entre Cul de Sac et Repulsion, par exemple.
Ah bon mais pourquoi ? En quoi Polanski serait plus éclairant sur le cinéaste Aster que Bergman ? Ayant vu Hérédité, le choix de Bergman est, au contraire, révélateur de son approche résolument dépouillée, théâtrale, et intimiste du genre. Il n y’a aucune trace du baroquisme de Polanski ni de son attrait pour la psychose, par exemple. C’est une terrifiante mise à plat, comme peuvent l'être certains films de Bergman.
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Torrente »

"Par exemple" ! "Par exemple" ! :wink:
J'aurais pu parler d'un des autres réal' du lot dans mon exemple.
Autant de différences entre Topsy-Turvy et Naked ou The Red Shoes et A Matter of Life and Death ou dans les films de Bergman qu'il a choisis :)

Je n'ai jamais écrit que Polanski était "plus éclairant" par rapport à un autre. C'est le fait de choisir un film d'un de ses réal' fétiches (quel qu'il soit) dans son top qui l'est et qui fait tout l'intérêt d'un top. Donner le top 10 de ses réal' préférés n'a rien à voir et c'est même selon moi, un chouïa plus simple (en plus de ne pas être la question qui lui a été posée).

Mais en effet, comme le disait Griffin, on en apprend quand même sur lui.
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Demi-Lune
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par Demi-Lune »

Merci à GTO d'avoir créé un topic sur le film car sinon, je serais passé à côté.
Faut dire que le poster fait vraiment grosse bouzasse.

SPOILERS

Bon j'ai bien flippé pendant la séance. Voir des films d'épouvante aussi souverains en termes de mise en scène n'est pas chose si commune ; qu'ils soient le baptême du feu d'un petit jeune l'est encore moins. En un plan d'ouverture panoramique d'une précision et d'une maîtrise folles, balayant des maquettes et s'achevant en leur sein pour faire vivre, telle une magie démiurgique, les petits résidents inertes, Ari Aster impose le respect. Poum. Le mec a le cinéma chevillé au corps et il ne faut que quelques minutes pour s'en convaincre : on dirait qu'il a filmé toute sa vie, qu'il sait instinctivement quoi filmer et comment le filmer. Chaque cadre, chaque déplacement de la caméra, chaque coupure a quelque chose de machiavéliquement brillant et obsessionnel, comme si la minutie extrême du modélisme, qui occupe à ses heures perdues l'héroïne du film, n'était au fond qu'une ironique déclinaison de l'art de la mise en scène - on pense du coup lointainement à ce champ/contrechamp mythique de Shining, lorsque Nicholson surplombe la maquette du labyrinthe. Le réal' connaît manifestement toutes les ficelles du cinéma d'épouvante et en honore les meilleurs aspects comme les passages attendus (la peur de l'obscurité, la montée d'angoisse, les lents panotements de caméra qui font craindre ce qui pourrait survenir dans le cadre, etc) grâce à une vraie gestion de l'espace et du tempo qui font de ce film de plus de 2h un bloc duquel rien ne saurait être sacrifié sur la table de montage. Quelques trucs habiles achèvent de remporter l'adhésion : ici et là, des pulsations cardiaques apeurées en arrière-plan sonore, le genre de coquetterie qui pourrait être rédhibitoire mais qui, dans leur contexte d'utilisation, se fondent dans le décor pour créer une ambiance irrespirable ; ailleurs, des effets de montage brusques de type "interrupteur" (lumière/nuit) qui participent de la brouille des repères qu'expérimentent les personnages.
En bon disciple classique, Aster a compris que c'est en s'adossant à un terreau psychologique que l'épouvante trouve ses meilleurs enjeux - ce qui accrédite totalement les filiations envers Rosemary's baby et Ne vous retournez pas. De mon côté, j'ai aussi beaucoup pensé à Audrey Rose, tiré d'un bouquin de Frank De Fellita auquel on doit aussi L'emprise (que je ne cite pas innocemment). Le thème du deuil d'un enfant renvoie à quelque chose de tellement viscéral que c'est un moteur dramatique imparable pour des histoires paranormales.
Aussi, après tout ce soin apporté à la mise en scène, à l'installation d'un climat de terreur "réaliste", je déplore sincèrement la tournure ouvertement grand-guignolesque de la dernière demi-heure - n'est pas Polanski qui veut. Tout ça s'achève comme un bon Conjuring des familles, avec une explicitation des phénomènes incompréhensible au regard du dispositif mené jusqu'alors. Un péché de littéralité, qui n'apporte rien que l'on n'ait déjà compris avec les rebondissements, et qui ramène le film dans un giron beaucoup plus balisé que tous ces moments d'angoisse suggestive sur de simples détails. En fait, je trouve qu'il y a matière à être déçu par les tenants et les aboutissants, qui imposent une bête histoire de satanisme sur les autres développements, autrement plus évocateurs et ouverts, que sont la culpabilité, le deuil impossible, la parentalité. Le film donne du coup le sentiment d'effacer sur le finish tout ce qui en faisait son prix, son indétermination à trancher d'une part, et son moteur psychologique/émotionnel d'autre part. Soit deux composantes essentielles à la fin de Rosemary's baby, à laquelle on pense forcément (et qui navigue à un tout autre niveau).

Au final, on est pour moi un petit cran au-dessous des meilleurs films de genre de ces dernières années, les It follows, The strangers, The witch ou Mise à mort du cerf sacré, mais le talent qui affleure de tout ça reste suffisamment précoce pour être soutenu et recommandé.

*claquement de langue*
mannhunter
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Re: Hérédité (Ari Aster - 2018)

Message par mannhunter »

Demi-Lune a écrit :Tout ça s'achève comme un bon Conjuring des familles, avec une explicitation des phénomènes incompréhensible au regard du dispositif mené jusqu'alors. Un péché de littéralité, qui n'apporte rien que l'on n'ait déjà compris avec les rebondissements, et qui ramène le film dans un giron beaucoup plus balisé que tous ces moments d'angoisse suggestive sur de simples détails. En fait, je trouve qu'il y a matière à être déçu par les tenants et les aboutissants, qui imposent une bête histoire de satanisme sur les autres développements, autrement plus évocateurs et ouverts, que sont la culpabilité, le deuil impossible, la parentalité. Le film donne du coup le sentiment d'effacer sur le finish tout ce qui en faisait son prix, son indétermination à trancher d'une part, et son moteur psychologique/émotionnel d'autre part.
C'est également mon ressenti, la dernière partie m'a laissé un peu perplexe, on pense parfois à Alexandre Baloud...pour le reste c'est plutôt efficace dans la construction de l'atmosphère, du cadre, et surtout bien joué par l'ensemble du casting, donc attendons avec curiosité le prochain film d'Ari Aster. Je n'ai pas pensé spécialement aux films de Polanski ou Roeg, peut-être plus au "Simetierre" de King/Mary Lambert avec effectivement un petit côté Shyamalan dans le style.
Demi-Lune a écrit :n'est pas Polanski qui veut.
heureusement...
Demi-Lune a écrit :De mon côté, j'ai aussi beaucoup pensé à Audrey Rose
Vu il y a longtemps, j'avais aimé, mais le traitement de Wise n'était pas comparable à celui d'Aster, dans mon souvenir...
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