Si on rentre dans le détail de l'histoire de Daniel Ellsberg, elle devient tout de suite beaucoup plus complexe et bizarre que ce qui est raconté dans le film, qui ressemble grosso-modo à ce que les gens ont en tête avant d'avoir vu le film: un analyste de la Rand, qui travaille avec d'autres experts pour McNamara et qui après sa rencontre avec le pacifiste Randy Kehler, décide de risquer la prison en divulguant à la presse son très long rapport qui prouve que les gouvernements successifs savaient que la guerre ne pouvait que mal se terminer et la continuait pourtant.
En réalité, McNamara a commandé ce rapport en 1967, il a été fini vers le milieu de 1968. Entre temps, il y a eu l'offensive du Têt en janvier 1968 et c'est principalement cet événement qui fait comprendre que la guerre ne pourra être gagnée. Bien sûr, le rapport dévoile plein d'autres secrets plus ou moins honteux sur les administrations Kennedy et Johnson. Mais en ce qui concerne la prévisible issue de la guerre c'est chronologiquement ce qui concerne la période Janvier-Mars 1968 qui indique cela.
McNamara démissionne en 1968 parce qu'il doute de l'issue de la guerre. Johnson décide en mars 1968 de ne pas se représenter. Les démocrates basculent du côté "la guerre doit s'arrêter". Nixon, lui, fait logiquement campagne pour la stabilité et "la victoire" parce que son électorat est de ce côté, et bien sûr, contre les pacifistes.
Une fois élu, les faits sont là, c'est mal barré au Vietnam. D'ailleurs, Ellsberg rencontrera plusieurs fois Kissinger entre 1968 et 1971.
Après avoir copié le rapport en 1969, Ellsberg ne le donne pas d'abord à la presse. Il en confie des pages à des sénateurs pour la paix (de mémoire, McGovern et d'autres). C'est seulement parce que cela ne donne rien, qu'il le donne au NY Times puis au Washington Post.
Quand j'insinue qu'Ellsberg a été manipulé par cette crapule de Nixon, je délire bien sûr un peu
Ce qui est certain, c'est qu'Ellsberg a très vite été vu comme la source possible, qu'il avait déjà fait circuler des feuilles du rapport à des sénateurs. Bien sûr, le gouvernement a tremblé, tempêté, poursuivi les journeaux et Ellsberg. Mais, au bout des choses, cela a surtout permis à Nixon d'aller contre son électorat de 1968 et de lancer le désengagement au Vietnam. Et Nixon a été confortablement réélu en 1972 tandis que les troupes rentraient.
Pour moi, les Pentagon Papers, vu comme un scoop, c'est un peu le petit côté de la lorgnette, puisque c'est surtout un incident qui a permis de débuter un désengagement qui de toute façon aurait eu lieu. Aujourd'hui, et contrairement au Watergate, tout le monde avait plus ou moins oublié cette histoire, avant qu'on en reparle avec ce film.
En revanche, dans l'histoire du Washington Post (finalement plus que dans celle du NY Times alors que c'est lui qui a sorti l'affaire), c'est un événement capital et ça fait une belle histoire. Logiquement, si le film s'était centré sur Ellsberg, il aurait du être centré sur la relation Ellsberg / Sheehan. C'est peut-être le côté bancal du scénario, donner comme sujet du film la sortie d'un gros scoop, alors que le film commence avec le concurrent qui sort un gros scoop