Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Demi-Lune »

Image

Pour le lancement d'un film d'un vieux réalisateur, une version pour malvoyants est en préparation. Une jeune femme teste son commentaire écrit sur un groupe d'une dizaine d'aveugles, dont un photographe réputé, qui est encore à peine voyant. Objectivité, subjectivité, description, direction, suggestion, trahison : autant de questions que se posent les participants pour améliorer la force du commentaire sur quelques scènes. Dans la dernière scène du film à commenter, le vieil homme peine à gravir une petite dune, en haut de laquelle il s'arrête face au soleil couchant. Que dire de son visage impassible ?

C'est pour moi un petit Naomi Kawase, pourtant l'une des auteures les plus précieuses du cinéma contemporain.

L'exposition augure pourtant de belles choses grâce à un argument original : l'audiodescription des films destinée aux malvoyants. Je m'étonne que personne n'ait abordé le sujet dans le passé, car il y a quelque chose d'évident et de magnifique là-dedans, et en même temps viscéral car nous renvoyant à notre chance de contemplateurs. Pour la chargée de ce travail, Misako, cela renvoie à une nécessité interprétative de l'image qui est au fondement même du lien entre tout spectateur et la fiction cinématographique - ce qui fait du film une entreprise méta que la pudeur et la simplicité toutes japonaises de la cinéaste préservent de tout élan professoral, ou intellectualisation déplacée. Si l'image est vectrice de sens en fonction de chacun, elle est aussi dotée d'un pouvoir d'évocation tel que les mots sécrètent quand même un peu de sa magie dans l'inconscient, malgré la barrière de la cécité. Rarement le cinéma aura semblé aussi juste et authentique à l'égard des aveugles que dans ces scènes de débriefings d'enregistrement, lorsque l'imprécision d'une description apparaît un fossé supplémentaire vers la formalisation que permet le seul imaginaire, jusqu'à ses intuitions sensorielles. Aucun misérabilisme ni pathos dans cette exposition du thème mais au contraire, une élévation morale aussi humble que souveraine, qui rend le spectateur plus intelligent. Les esprits chagrins tiqueront sans doute lors des mêmes scènes de débriefings, qui explicitent par nature, au détour des échanges, les considérations de fond de Kawase. Mais, derrière les amabilités, il s'en dégage dans le même temps une tension assez imprévisible (ça commence sereinement et poliment et puis sans crier gare, on saute à pieds joints dans le clivage que crée le handicap, lorsque Misako est mise face à ses approximations) qui va loin psychologiquement tout en rappelant, de manière détournée, au spectateur quelques valeurs salutaires en matière de goût cinématographique (un film, c'est une porte vers un monde parallèle, ce n'est pas un truc de consommation, il faut l'honorer).

Problème : une bonne exposition ne suffit pas à racheter la love-story pas très inspirée entre Misako et le photographe malvoyant. Ce qui le film titille dans ses idées, il ne réussit malheureusement pas à les appliquer à sa propre recette. Le film exalte la lumière, les nuances, l'au-delà des choses, mais reste dans le même temps très illustratif ; le film loue la sensibilité, mais n'emporte pas dans ses développements dramatiques, convenus ou trop elliptiques pour intéresser (la mère malade). On flirte avec le roman-photo embarrassant lorsque le film dans le film, qui n'a pas l'air très fameux, semble contaminer, dans son esthétique de drame prise-de-tête toc, la pudeur dont avait fait montre la cinéaste dans l'entame. Maalouf surligne tout avec son piano triste et sa trompette et c'est assez déconcertant de voir quelqu'un d'aussi fine et suggestive que Naomi Kawase s'empêtrer durablement dans ce méli-mélo. Il y a un péché de littéralité qui est assez rédhibitoire, pour une artiste qui s'est justement distinguée par des univers pudiques, tiraillés par des forces sereines et indicibles.

Il faudrait que je me décide à voir ses premiers travaux, Shara et La forêt de Mogari - mais en l'état, c'est toujours Still the water qui a ma préférence, réussissant le prodige d'être un film aux exhalations miyazakiennes sans une once de fantastique.
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Alexandre Angel
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Alexandre Angel »

Tu as beau être réservé, ton compte-rendu me fait envie (ce sujet!!) mais je crois bien que je l'ai loupé :?
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Duke Red
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Duke Red »

Que c'était chiant, mon Dieu :?

Comme le dit Demi-Lune, le "thème" de l'audiodescription n'avait jamais été abordé et constitue une porte d'entrée détournée mais pertinente sur le médium du cinéma et toute sa subjectivité (comment mettre des mots sur des images ?). Les séquences de travail avec le groupe d'aveugles sont les seuls moments vraiment intéressants, bien que le film sur lequel ils planchent ressemble à une parodie des Nuls. Le reste est une bluette chichiteuse qui pourrait alimenter n'importe quel téléfilm larmoyant sur M6 en début d'après-midi.

Le tout servi par une mise en scène totalement aux fraises (gros plans étouffants et caméra tremblotante, l'horreur)

Je suis sorti en courant de la salle une fois le générique de fin entamé...
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Demi-Lune
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Demi-Lune »

Duke Red a écrit :Je suis sorti en courant de la salle une fois le générique de fin entamé...
C'est con, parce que c'est comme pour les Marvel : il y a une scène cachée à la fin du générique. :mrgreen:

Ceci n'est pas (totalement) une blague.
Duke Red a écrit :le film sur lequel ils planchent ressemble à une parodie des Nuls
Oui, bien curieux (et malheureux) choix que ce film dans le film, qu'on croirait parodique... pas sûr que la réalisatrice l'ait cherché.
Le vieux qui se roule dans le sable en chutant à chaque fois dans son escalade de la dune :o
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Duke Red »

C'était quoi, cette scène post-générique ? :o

(Tu parles pas trop de la mise en scène proprement dite dans ta critique. T'en as pensé quoi ?)
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Demi-Lune
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Demi-Lune »

Les spectateurs malvoyants (ou non) du film qui sourient tous au gré de différents gros plans, après avoir reçu l'illumination évocatrice du "Vers la lumière".

Quant à la mise en scène, sujet plus terre-à-terre oblige, elle ne peut pas prétendre avoir la plénitude impalpable de Still the water qui, comme je le disais, reste en l'état de mes découvertes son meilleur travail. Kawase est une cinéaste de la nature, donc le confinement et les décors aseptisés, on sent que ça ne l'inspire pas beaucoup - en ce sens, la facture du film est assez ingrate.
Mais pour peu qu'on laisse agir, la mise en scène recèle quand même de jolies choses, parce que Naomi Kawase est une cinéaste sensorielle qui crée, au fil de ses films, quelque chose d'indicible seulement grâce à un cadrage, un plan qui dure anormalement ou une atmosphère sonore. Ce n'est pas du cinéma de virtuosité technique mais un cinéma impressionniste. Je crois qu'il ne faut pas chercher chez Kawase une rigueur esthétique ou le perfectionnisme dont les grands créateurs japonais ont pu nous habituer dans le passé. Il y a quelque chose d'assez européen dans son regard à mon avis, conjugué à un rapport à la nature, aux ancêtres et aux croyances fondamentalement nippon. Ça en fait une auteure vraiment singulière, à la croisée des sensibilités. Raisons pour lesquelles je parviens à trouver ici malgré tout mon compte de façon ponctuelle - je sais que je continuerai à me souvenir de ces ambiances doucereuses de nuances de lumière au coucher du soleil, avec le prisme étincelant, de cette vue subjective malvoyante, de ces pieds pris dans une boue profonde au milieu d'une forêt humide (on sent presque l'odeur du bois mouillé), ou de cet espèce d'orage silencieux qui se joue, au-delà des politesses, lors des débriefings avec les aveugles (gros plans claustrophobes).
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Duke Red »

Tu as donc réussi à être sensible à ce qu'elle proposait, d'accord. Pour moi, ça a été un rejet quasiment en continu. Je n'arrêtais pas de penser "Mais recule la caméra, bon sang !" Il y a déjà des plans subjectifs où on fait l'expérience du handicap de Nakamori, pas besoin d'être collé au visage des comédiens 90% du temps...
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Flol »

Je n'ai plus beaucoup de souvenirs du film (découvert en mai dernier lors du festival Cannes à Paris), si ce n'est que :
- j'ai beaucoup aimé son atmosphère doucement ouatée, où l'ennui n'a jamais été aussi agréable
- j'ai lu et entendu un peu partout que la musique de Ibrahim Maalouf serait "larmoyante et omniprésente", quand pour ma part je l'ai trouvée joliment discrète et jamais appuyée
- il est strictement impossible de ne pas tomber amoureux de Ayame Misaki
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Demi-Lune »

Flol a écrit :il est strictement impossible de ne pas tomber amoureux de Ayame Misaki
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Certes, mais son décolleté n'apparaît à aucun moment du film. :mrgreen:
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Flol »

Mais même sans décolleté, ça marche aussi.
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Re: Vers la lumière (Naomi Kawase - 2017)

Message par Demi-Lune »

cinephage a écrit :Hikari / Vers la lumière, de Naomi Kawase (2017) 4/10 - Sur un postulat intéressant, Kawase nous fait un film articulé autour de motifs en répétition (on voit les mêmes séquences 10 fois, les espaces sont visités et revisités,même la musique de Maalouf est répétitive). Mais le manque de tension, et l'insistance sur le drame que vit le personnage de Masatoshi Nagase, un photographe qui perd la vue, achèvent de perdre le spectateur, qui ne finit pas, comme les aveugles du film, le film la larme à l'oeil, mais plutôt semi-endormi.
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