Le Grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Le Grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Demi-Lune »

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L'histoire vraie de Molly Bloom, ancienne skieuse olympique devenue la reine de l'organisation des parties de poker clandestines.

Commençons d'emblée par le reproche d'un film bavard. Il ne l'est pas plus qu'un film de Mankiewicz. Bavard, pour moi ça voudrait dire qu'il y a un moment où l'écriture n'est plus seulement chiadée, mais complaisante et stérile en termes d'afflux d'informations. Sous cet angle, le film apparaît au contraire minutieusement charpenté et raconté, avec très peu de scènes sacrifiables. Quant à la voix-off de Chastain et les dialogues, s'ils sont effectivement ciselés et irréalistes dans le contexte, ils sont néanmoins précis dans ce qu'ils choisissent de soumettre au suivi du spectateur. On n'est pas face à un baratineur qui voudrait endormir et bluffer son monde alors qu'il n'a rien entre les mains : le mec sait où mener le public, c'est du storytelling d'école d'une certaine manière.

Le problème, c'est : est-ce que ça suffit à faire un film réussi ? Pas pour moi, en tout cas. Sorkin me semble appartenir à cette tradition très ancien Hollywood du maniement du mot et de la supériorité donnée au script sur l'image : cette approche très littéraire a sans doute quelque chose de démodé au sein du cinéma contemporain, et de schizophrène par rapport au monde du poker, et c'est justement cette schizophrénie qui rend le film intriguant. Mais en l'occurrence, c'est un travail d'horloger dénué de vision et de coffre : il y a quelque chose qui reste très appliqué et fade là-dedans et qui condamne le film à n'être qu'un produit juste bien emballé. L'espèce de frénésie scorsésienne du montage et sa déconstruction chronologique dynamisent mécaniquement une histoire qui manque en réalité d'enjeux forts, l'étude de caractère concernant Molly restant tributaire d'une forme sous-jacente de fascination très US pour des valeurs de gagne. Difficile ainsi de s'intéresser véritablement à ce personnage et à son évolution, parce qu'on comprend implicitement que cette gagne, qui lui permet de devenir une femme forte, aux termes du scénario, la sauvera en fait de tous les périls. Les échecs et les parts d'ombre restent par conséquent très accessoires dans ce récit de moraliste, Sorkin semblant vouloir préserver le personnage dans une forme de droiture qui sonne faux, au mieux. Ça ne fait pas forcément injure à la vraie Molly Bloom mais ça manque pour moi d'une réelle mise en perspective (autre que la lecture freudienne intervenant à la fin comme un cheveu sur la soupe grotesque), d'autant que ce monde interlope, eh bien il est plus représenté comme une pub Winamax enivrante qu'autre chose... Vouloir dépeindre ce que ce jeu, ses possibilités de gain et ses à-côtés ont de grisants est compréhensible, mais au bout d'un moment le décorum finit vraiment par sonner creux, à force de se cantonner à une imagerie tapageuse de flambeurs. Encore une fois, ça ne fait pas nécessairement injure à la réalité mais je trouve qu'il y a une inconséquence dans tout ce qu'on nous montre (même dans les liens avec la pègre russe) qui fait que les enjeux deviennent plus people qu'autre chose.

Bref, Sorkin sait indéniablement écrire mais son script bute sur des faiblesses d'approfondissement et me semble complètement vampirisé par cette espèce de philosophie triomphante (jusque dans la rédemption) qui rend le personnage de Molly et le film assez antipathiques.

Je ne sais plus quel papier parlait de l'avènement du Jessica Chastain movie (comme il y a le Tom Cruise movie) et j'imagine que c'était pour qualifier les histoires de femme forte dans un milieu hostile. Mais là, on flirte avec la caricature ou avec la formule, et le jeu globalement froid et hautain employé par la comédienne pour le rôle ne me semble pas être une direction très intéressante.
Dernière modification par Demi-Lune le 9 janv. 18, 19:49, modifié 1 fois.
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Demi-Lune
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Demi-Lune »

cinéphage a écrit :Le grand jeu, d'Aaron Sorkin (2018) 7/10 - Le film déploie ses inimitables dialogues comme autant de coups de mitraillettes et une intrigue assez passionnante... Peu importe que personne n'enchaine comme ça les répliques dans la vie, ici, ça marche (parfois). Mais la mise en scène n'apporte jamais grand chose au texte, une voix off désarme toujours ce qu'on voit, les dialogues sont autant de champs/contrechamps sympathique mais dont la fréquence limite les enjeux. Seuls quelques flashbacks semblent nous sortir de ces tirades et digressions incessantes, mais ils sont malheureusement le moins intéressant du film...
Supfiction a écrit :J’avais pas vu un film aussi bavard depuis.. The social Network.
(Et avec Jessica Chastain il n’est pas toujours évident de suivre les sous-titres).
zemat a écrit :Histoire assez intéressant mais trop long et trop classique dans son déroulement.
Et surtout 2 jours après l'avoir vu ça vieillit super mal dans mon esprit.
Flol a écrit :
Supfiction a écrit :J’avais pas vu un film aussi bavard depuis.. The social Network.
Tu découvres Aaron Sorkin ?
Supfiction a écrit :Non pas vraiment., j'avais fait le lien avec The social Network (mais on attribuait ça surtout à Jesse Eisenberg et au personnage) et une ou deux séries (The newsroom notamment et les tirades géniales de Jeff Daniels). Mais effectivement je réalise que c'est une manie de souler le spectateur depuis A Few Good Men (les tirades de Nicholson), les explications à ralonge de Moneyball et Charlie Wilson's War. Il devrait peut-être regarder quelques films muets pour apprendre à communiquer davantage avec la caméra..
Rockatansky a écrit :Scénariste et réalisateur c'est surtout pas le même métier. Mais j'attend de juger sur pièces :mrgreen:
Alexandre Angel a écrit :C'est terrible mais aucune envie de le voir :?
AtCloseRange a écrit :Y a Jessica Chastain donc c'est sans moi.
zemat a écrit :Sur le plan de la réalisation j'ai trouvé qu'il s'en tirait plutôt bien, c'est loin d'être plan-plan.
AtCloseRange a écrit :
Supfiction a écrit :Non pas vraiment., j'avais fait le lien avec The social Network (mais on attribuait ça surtout à Jesse Eisenberg et au personnage) et une ou deux séries (The newsroom notamment et les tirades géniales de Jeff Daniels). Mais effectivement je réalise que c'est une manie de souler le spectateur depuis A Few Good Men (les tirades de Nicholson), les explications à ralonge de Moneyball et Charlie Wilson's War. Il devrait peut-être regarder quelques films muets pour apprendre à communiquer davantage avec la caméra..
T'as jamais vu de Mankiewicz.
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Supfiction
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Supfiction »

Il y a bon truc dans le film, une mouche dans le lait verbeux de Sorkin, c’est Kevin Costner. Il doit dire une dizaine de mots dans le film, comme une anti-thèse au style excessivement bavard du scénariste dialoguiste réalisateur.
L’acteur n’a sans doute pas accepté le rôle par hasard, il aime ses rôles ou il peut donner l’image archétypale du père américain dans la grande tradition, solide, buté, conservateur, exigeant et protecteur (comme récemment en pere adoptif de Superman dans Man of steel).
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Watkinssien »

Supfiction a écrit :Il y a bon truc dans le film, une mouche dans le lait verbeux de Sorkin, c’est Kevin Costner. Il doit dire une dizaine de mots dans le film, comme une anti-thèse au style excessivement bavard du scénariste dialoguiste réalisateur.
L’acteur n’a sans doute pas accepté le rôle par hasard, il aime ses rôles ou il peut donner l’image archétypale du père américain dans la grande tradition, solide, buté, conservateur, exigeant et protecteur (comme récemment en pere adoptif de Superman dans Man of steel).
Je suis d'accord, c'est un des intérêts de ce film plaisant, mais manquant de mordant cinématographique.
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Jeremy Fox »

Supfiction a écrit : au style excessivement bavard du scénariste dialoguiste réalisateur.
.
Si c'est du bavardage du niveau de celui de son inoubliable série The West Wing, je veux bien m'en mettre dans les oreilles tous les jours.
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cinephage
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par cinephage »

Demi-Lune a écrit :Commençons d'emblée par le reproche d'un film bavard. Il ne l'est pas plus qu'un film de Mankiewicz. Bavard, pour moi ça voudrait dire qu'il y a un moment où l'écriture n'est plus seulement chiadée, mais complaisante et stérile en termes d'afflux d'informations. Sous cet angle, le film apparaît au contraire minutieusement charpenté et raconté, avec très peu de scènes sacrifiables.
Je rebondis juste là-dessus, parce que précisément, la comparaison avec Mankiewicz est un très bon exemple ce ce qui distingue un film qui parle beaucoup d'un film bavard. Pour moi, Le Sorkin est bavard, et c'est sans doute une (petite) faiblesse du film (à l'inverse, c'était une qualité de The Social Network que d'être, précisément, bavard). Ce qui ne retire rien à la virtuosité de ce bavardage (c'est une autre question)...

Par exemple, le long laius d'ouverture sur le sondage mondial pour savoir ce qui peut arriver de pire dans la vie pour, péniblement, en venir à l'accident d'enfance qu'a vécu le personnage, c'est bavard.
Les innombrables digressions ne sont pas des mots d'esprit, ou des ouvertures qui ouvrent les yeux sur le récit du film, comme dans un Mankiewicz. On peut avoir une digression sur l'odeur du centre de l'univers ou une pièce de Miller sans que rien ne soit dit, ni sur le sujet abordé (la pièce est géniale, ou on décline un fun-fact façon wikipedia), ni sur ce que raconte film. Ca crée un environnement sonore où la voix prédomine (alors que Mankiewicz sait précisément mettre en valeur la bande originale de ses films, par exemple dans Mme Muir, où de nombreux séquences marchent précisément grace au lyrisme du score de B.Herrmann).

Dans le film bavard, la parole est étirée pour le seul plaisir de la parole, pour remplir le vide, pour accompagner l'image de commentaires critiques ou droles à la façon d'un commentaire sportif, ou d'un youtubeur qui commente sa partie de jeu. Le blabla, au delà de sa pertinence dans l'action du film, est sa propre qualité. Tout dépend de l'usage qui est fait de ce "trop-plein" sonore et sémantique.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par la_vie_en_blueray »

Je n'ai pas encore vu le film, mais j'imagine que dans Social Network, y avait un grand chef d'orchestre pour contrôler son scénariste.

ici le réalisateur doit passer son temps à s'émerveiller du brio de son dialoguiste.
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Thaddeus
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Thaddeus »

la_vie_en_blueray a écrit :ici le réalisateur doit passer son temps à s'émerveiller du brio de son dialoguiste.
C'était déjà l'impression que me faisait The Social Network : celle du dialoguiste s'enivrant de ses propres répliques. L'une des raisons de mon désamour pour ce film réside dans le côté déplaisamment ostensible de ses joutes verbales et de ses mots d'esprit. Et c'est une des choses que j'ai encore fort peu goûté dans Le Stratège, scénarisé par ce même monsieur Sorkin. J'en conclus que je dois avoir un problème avec son style.
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la_vie_en_blueray
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Re: Le grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par la_vie_en_blueray »

Je suis fan de Sorkin, mais je ne suis pas sûr de son talent de directeur.

Après evidemment, c'est l'amour du mot.
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Coxwell
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Re: Le Grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Coxwell »

Déception.
Storytelling assez platement imaginé et exécuté, procédés répétitifs et pénibles (voix off qui surligne) plombant un film assez ennuyeux et linéaire. Le film souffre de ce côté verbeux, hyper démonstratif où le discours construit repose essentiellement sur le mot, bien plus que par l'image. Il manque clairement un metteur en scène ici.
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Re: Le Grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Phnom&Penh »

J'ai été voir le film sans en attendre grand chose, vu les critiques qui, bonnes ou mauvaises, parlait d'un sujet qui ne me séduisait pas plus que cela, la fortune et la chute de Molly Bloom dans le milieu du poker clandestin de grand luxe...J'ai été le voir quand même car Sorkin est le scénariste de Charlie Wilson's War et de The Social Network, deux films que j'aime beaucoup (sachant d'ailleurs que j'ai découvert le second parce que c'est un film de Fincher et que le sujet ne m'intéressait absolument pas).
Au final, j'ai été vraiment très séduit. Je ne parlerai pas trop de la mise en scène, car le film a un rythme si intense qu'il faudrait que je le revoie pour faire plus attention.

On parle beaucoup de Jessica Chastain, qui est effectivement excellente, mais je trouve que pour un premier film, Sorkin a une très bonne direction d'acteurs. Outre Costner qui est sobre et bien et Elba qui est bien mais nettement moins sobre, j'ai particulièrement apprécié Michael Cera en Mister X
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superbe salopard, surtout quand on compare au lourdaud Jeremy Strong / Dean Keith qui se fait bien avoir
et Bill Camp / Harlan Eustice
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celui qui se fait étriller jusqu'au trognon
Certes, on sent le scénariste / réalisateur qui s'écoute parler, mais je trouve que cela arrive aussi chez certains Scorsese (Les affranchis / Casino notamment) que j'aime d'ailleurs beaucoup. Ici, je trouve qu'il y a pas mal de fioritures, certes, mais pas vraiment de gras. Par exemple, le début avec l'histoire du sondage, il est bavard mais il introduit bien le personnage, qui justement, est moins une winneuse qu'une ancienne winneuse. Le sondage, en effet, ne s'adresse pas aux téléspectateurs moyens, mais aux très grands sportifs à qui on demande qu'elle est la forme d'échec le plus douloureux. Et les réponses sont du genre être le second et pas champion du monde, être quatrième et ne pas être sur le podium...A ce moment, Molly Bloom appartient à une élite mondiale. Elle se qualifie même de quasi superwoman puisqu'elle a une colonne vertébrale entourée de métal. Et avec son accident, elle découvre
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qu'on peut ne plus être définitivement champion du monde, ne plus avoir aucune chance de l'être. D'où son probable peu d’intérêt pour ses résultats universitaires brillants, elle est brillante et intelligente, mais elle ne sera plus dans l'élite
Et voilà que par hasard, elle découvre un milieu qu'elle ne connaît pas, mais avec la possibilité de fréquenter l'élite mondiale (élite du cinéma, de la finance, du fric). Son chef veut la virer, mais elle a compris toutes les ficelles et elle devient number one à sa place, number one à nouveau.
Elle est douée, comprend tout très vite, elle a déjà appris à bouffer tous ses rivaux et la cruauté ne lui fait pas peur,
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quand Mister X lui explique que s'il est le meilleur joueur de poker, ce n'est pas parce qu'il aime le poker mais détruire les autres, elle a un sourire complice sans comprendre que la destruction des adversaires sportifs, ça reste quand même autre chose que leur destruction matérielle
Au final, on a, à partir du poker, une description assez simpliste mais juste du monde de l'argent avec ceux qui vraiment ne craignent rien, ceux qui n'hésitent devant rien...et ceux qui s'imaginent ne plus avoir rien à craindre. C'est la leçon que reçoit Molly, et par deux fois de suite.
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Finalement, il et très touchant de voir que plutôt que de récupérer quelques millions, elle préfère que son nom reste intouchable, parce que son nom, c'est la reconnaissance possible d'appartenir à une élite. La "morale" de l'histoire qui dit en gros que gagner beaucoup d'argent très vite en s'imaginant être dure, mais rester intègre, est un peu simplette. Mais, venant d'un personnage qui a chuté à cause d'un hasard totalement improbable, et qui se dit alors que le hasard peut être plus fort que des années d'entraînement intense, ça raconte une plutôt belle histoire autour d'un personnage pas si simple.
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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Duke Red
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Re: Le Grand jeu (Aaron Sorkin - 2017)

Message par Duke Red »

OK le film est super prenant, grâce à son rythme à 200 à l'heure, mais au bout de 2h20 de dialogues en rafales, j'avais le cerveau qui criait grâce. Dans le monde d'Aaron Sorkin, même une conversation avec le vendeur de hot-dogs du coin devient le prétexte à une joute verbale enflammée. Au-delà de l'irréalisme de la chose (qui parle comme ça en vrai ?), qu'on peut certes balayer en disant qu'on est au cinéma, il manque à ce Grand Jeu un véritable regard de cinéaste, qui viendrait canaliser la logorrhée du scénariste. Cumulant les deux postes et se retrouvant sans garde-fou, Sorkin donne l'impression de s'écouter parler à mort et de ne pas savoir quand laisser l'image respirer d'elle-même (l'introduction, crâneuse à souhait avec son montage hyper cut, son flot de détails superflus, le débit ultra-rapide de Jessica Chastain, cristallise toutes les qualités et tous les défauts du film). Dans Social Network, certes on échangeait à toute allure, mais le film n'était pas que dialogues et bons mots, il y avait un tempo, des silences, et le savoir-faire indéniable de David Fincher. Idem, même si le résultat était moins éclatant, avec le Steve Jobs de Danny Boyle, qui comportait un époustouflant morceau de bravoure en termes de mise en scène et de montage avec la double conversation dans le temps entre Michael Fassbender et Jeff Daniels.

Au-delà du brio de ces dialogues surécrits, on peut s'agacer de la structure paresseuse du récit (le classique "ascension - gloire - chute - rédemption"), surtout qu'on retrouve à nouveau cette façon de lier les épreuves du personnage principal à une sorte de péché originel qui va le hanter tout le film (la rupture avec Rooney Mara pour David Zuckerberg, l'abandon de sa fille pour Steve Jobs, l'amour/haine entre Molly Bloom et son père). La conclusion fait d'ailleurs assez pitié avec cette apologie de la winner attitude et son psychologisme à deux balles, et c'est probablement la présence de Kevin Costner, charismatique à mort alors qu'il doit avoir dix répliques à tout casser, qui fait passer la pilule.

Chapeau bas quand même à Jessica Chastain, qui arrive à donner l'illusion que son personnage est passionnant, alors qu'il est dénué de toute vie intérieure (lorsque Molly évoque son spleen et le vide de son existence alors qu'elle est au faîte de sa réussite professionnelle, on ne croit pas une seconde à ses états d'âme). Je craignais un personnage glacé et antipathique, mais la belle reste attachante du début jusqu'à la fin.
"On est juste une bande de glands qui n'a rien trouvé de mieux à faire de sa vie." (Colqhoun)
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