Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Roy Neary
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Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Roy Neary »

Pour ne plus perturber le topic de la Cinémathèque française, j'ai créé ce nouveau topic où j'exprime mes réflexions sur un point précis abordé dans la discussion.

Ce que je voulais dire hier après le message de Karras, c'est qu'à force de tout mélanger et de tout simplifier on finit par proférer des énormités ou bien par les propager (même avec les meilleures intentions du monde). C'est pourquoi le discours plus ou moins repris par Ténia et Pol Gornek suite aux exemples de films utilisés pour démontrer au mieux le comportement misogyne et/ou phallocrate du "mâle" humain dominant, au pire un insidieux appel au viol qu'ils sont censés sous-entendre (James Bond, Star Wars, Indiana Jones... je n 'inclus pas Ratatouille car là on est dans une pathétique réaction pathologique), m'apparaît totalement à côté de la plaque. Mais alors d'une force... Certes, chaque création artistique est tributaire du contexte social et moral dans lequel elle est produite, et le cinéma en particulier bien sûr. Mais depuis quand le cinéma constitue-t-il un traité de morale appliqué à ses spectateurs ou, pire, un traité sociologique qui doit induire des comportements à adopter dans la réalité ? Car oui, si on se met à confondre "imaginaire" et "réalité", pour des visées moralisatrices qui plus est, chacun de ces deux termes finira par perdre toute signification dans une confusion de la pensée pouvant causer les dégâts que l'on souhaite justement éviter.

Le maître mot est fantasme, et Karras a eu mille fois raison de nous le rappeler. Le cinéma est le territoire des fantasmes par excellence puisque c'est dans son cadre que s'accomplissent nos projections les plus spectaculaires et vraisemblables en apparence. Entre autres fonctions, celle du cinéma est aussi d'exprimer nos fantasmes ou bien de les relayer avec tous les sens mis en éveil ; et nos fantasmes représentent un espace bienvenu de totale liberté qui peut et doit être analysé et critiqué, certes, mais pour ce qu'il est et non par rapport à des comportements de la vie réelle dont ils seraient des équivalents. Vivre nos fantasmes par procuration et savoir que l'on peut s'y abandonner le temps d'une projection par un processus d'identification, cela permet justement de ne pas être victime de ses fantasmes et aussi des tabous qui peuvent y être associés. Le cinéma nous permet pour un temps d'être un autre tout en restant soi-même. Et dans ce cadre-là, on peut oublier le contexte socio-économique de production si les œuvres concernées non seulement possèdent de réelles qualités cinématographiques mais surtout si elles sont marquées du sceau de l'intemporalité en raison de ce processus d'identification qui a recours à des mécanismes psychologiques bien connus.

Il y a un phrase simplificatrice qui pourtant recouvre une réalité : "Les femmes sont passionnées par les voyous mais finissent par épouser les gentils." On a l'équivalent chez les hommes qui sont écartelés entre leur attirance pour les femmes fatales (voire perverses et pernicieuses) et la douceur bienveillante de leur maman. C'est de la psychanalyse de base. On est encore et toujours dans le domaine du fantasme et ce fantasme est essentiel à une bonne vie psychique. Et l'homme comme la femme ont besoin de ces extrêmes et de ces contradictions pour se construire. La maturité dans les relations sentimentales et sexuelles ainsi que l'équilibre dans la vie psychique sont atteints quand la femme a pris conscience qu'elle peut s'abandonner en toute liberté à ses projections peut-être dangereuses à condition que dans sa vie réelle elle établisse un rapport sain avec un homme dont elle a conscience qu'il lui veut du bien, et quand l'homme accepte ses pulsions dangereuses et peut même en jouer tout en abandonnant l'alibi de l'amour fou maternel qu'il est impossible et malsain de projeter sur une future compagne de vie. Le cinéma permet consciemment et inconsciemment de jouer avec tout cela. Et même de jouer de façon malicieuse et ludique.

Ce serait vraiment faire injure aux femmes que de nier qu'il en existe énormément qui adorent James Bond. Quoi ? Seraient-elles alors des cagoles ou des masochistes ? Non, mais elles font logiquement la différence. Je connais beaucoup de femmes qui se disent féministes tout en étant des fans de la saga James Bond. La même femme se permet de se délecter de la rudesse et de la virilité dangereuse de Sean Connery (et elle en a bien le droit !) tout en sachant que si un type l'abordait dans la vie en lui faisant le quart de la moitié de ce que fait James Bond à Pussy Galore dans la grange elle lui latterait probablement les burnes. Pourquoi, quand on fait un sondage sur les différents interprètes de Bond, c'est quasiment toujours le sympathique et distingué Roger Moore qui finit dernier chez les femmes ? Ai-je vraiment besoin d'en donner la raison ? Et de plus, quel est ce déni de la part de ces quelques crypto-féministes allumés (hommes et femmes) concernant la nature du personnage de James Bond ? Faut-il rappeler qu'il s'agit d'un tueur méthodique (même s'il est au service de l'Etat et du "bon côté") qui abat sans scrupules et parfois avec férocité et même jubilation ses ennemis ? Donc pour ces personnes, cela ne pose absolument aucun problème si Bond tue régulièrement de sang-froid et sans aucune forme de procès les hommes et les femmes qui se trouvent sur son chemin A CONDITION qu'au moment de séduire il offre des fleurs à sa dulcinée en lui remettant des mots doux tout en apposant un baiser tendre sur la paume de sa main voire - mais vraiment subrepticement, hein, en lui demandant sa permission un genou à terre - sur la joue... Oui, je préfère en rire. Et je pourrais encore développer sur les héroïnes de l'univers Bond qui sont pour la majorité d'entre elles loin d'être des potiches ou des pauvres victimes sans défense. Déjà Pussy Galore était une aventurière et une combattante qui ne s'en laissait pas compter.

De même dans Star Wars, Han Solo tient le rôle du mauvais garçon. Devant Star Wars, la gent masculine (enfants et adultes) a une affection partagée entre Luke Skywalker et Han solo. Mais les adolescentes et les femmes lorgnent toutes vers Han Solo ! Ben ouais, c'est bête. Crétinerie et masochisme là encore ? Non, il faut garder raison. C'est le même processus qui se joue. Là encore, il est plus fascinant et sensuel de se laisser approcher et séduire par le contrebandier cynique Han Solo que par le gentil et rêveur fermier Luke. Cela n'a rien à voir avec la société patriarcale qui régit notre vie réelle, et encore moins avec un fantasme de viol diligenté par le "mâle" et accepté avec douleur par la "femelle" ! La société patriarcale existe depuis des millénaires et imprègne toutes nos civilisations, c'est un fait. Mais il ne s'agit pas ici de la part de George Lucas d'avaliser ou de défendre un tel système parce que Han Solo séduit sa princesse en se montrant un peu rentre-dedans. D'autant que les deux personnages ne cessent depuis le début de se provoquer l'un l'autre dans un jeu de séduction déguisé ! Et Leia elle-même est aussi une combattante qui par son esprit, son dévouement et sa force physique se hisse au niveau de ses partenaires masculins. Elle est même doublement vecteur de fantasme : pour les hommes quand elle est vêtue d'une petite tenue dans la cour de Jabba, pour les femmes quand elle succombe au charme viril et coquin de Solo. L'Empire contre-attaque n'est pas un traité d'anthropologie qui entend valider le patriarcat, on nage en plein délire...

Pareil pour Indiana Jones qui a également un côté voyou mais aussi et surtout un aspect d'ado capricieux qui entend jouir de toute sa liberté sans entraves. Dans La Dernière Croisade, non seulement il fait face à une nazie dont il est désolé de la voir s'abîmer dans cette idéologie, et leur joute verbale débouchant sur des rapprochements sensuels énergiques rappellent que la screwball comedy américaine - où les femmes aussi avaient leur mot à dire et n'avaient surtout pas un rôle de poupée ou de potiche dans les échanges verbaux - imprègne toute la saga. Est-il encore besoin de rappeler la nature du personnage de Marion Ravenwood des Aventuriers de l'Arche perdue, vraiment très loin d'être une pauvre petite femme sans défense subissant l'emprise de harceleurs sexuels ? Marion est une aventurière au même titre que Jones. Certes, le personnage de Willie Fox dans Le Temple maudit va un peu trop loin dans la caricature de la chouineuse superficielle qui hurle de peur toutes les cinq minutes. Mais est-ce à dire que lorsque Indiana la chope avec son fouet, il s'agit pour lui de démontrer son autorité perverse et sadique de l'homme de Cro-Magnon qui considère sa femelle comme sa proie ou son jouet ? Il suffit de faire un sondage autour de nous auprès des femmes que nous connaissons pour leur demander si elles se sentent indirectement agressées sexuellement par une telle séquence. Déjà leur première réaction serait de nous envoyer nous faire soigner... Les gens qui déclament ce discours embrouillé et farfelu (que je combats donc) me rétorqueront évidemment que les femmes depuis des siècles ont intégré cet état de fait au point d'en être inconscientes voire complices. Ô, merci à eux pour leurs lumières ! Bien sûr que non, les pauvres. Il se joue ici la même chose que pour James Bond : la spectatrice se mettrait bien à la place de Willie dans le fouet d'Indiana mais dans la vie réelle serait beaucoup moins partante. Nous sommes dans des stéréotypes qui flattent nos envies et nos fantasmes. Hommes et femmes se projettent dans ces personnages différents pour vivre mille autres vies (où les audaces les plus folles ont le droit d'exister). Absolument rien ou si peu dans ces films ne peuvent servir de support à une réflexion profonde sur le rapport hommes-femmes dans notre société, je n'en crois pas mes yeux de devoir préciser cela aujourd'hui.
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Jeremy Fox
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Jeremy Fox »

Roy Neary a écrit : je n'en crois pas mes yeux de devoir préciser cela aujourd'hui.
En effet, c'est ça le plus ahurissant dans l'histoire. Et évidemment je souscris à toute ta démonstration.
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Watkinssien
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Watkinssien »

Le texte de Roy Neary a été ma bouffée d'oxygène de la journée sur ce forum. Ces débats étouffaient tout.
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Alexandre Angel
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Alexandre Angel »

Roy Neary a écrit :Pourquoi, quand on fait un sondage sur les différents interprètes de Bond, c'est quasiment toujours le sympathique et distingué Roger Moore qui finit dernier chez les femmes ? Ai-je vraiment besoin d'en donner la raison ?
Non
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Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Commissaire Juve »

Roy Neary a écrit :"Les femmes sont passionnées par les voyous mais finissent par épouser les gentils."
C'est nouveau, ça ? J'ai souvent entendu l'inverse : "Les filles finissent toujours par craquer pour les sales types... et les gentils l'ont dans l'os."
la douceur bienveillante de leur maman
Ouh là ! Je connais aussi des mères cogneuses !
Mais il ne s'agit pas ici de la part de George Lucas d'avaliser ou de défendre un tel système... on nage en plein délire.
A une époque, Star Wars a aussi été accusé d'apologie du nazisme !

Bon sinon : je serais tenté de crier au "totalitarisme moralisateur" (voire "égalitariste"), mais on est probablement plus proche du dégueulis pour réseaux sociaux, d'un torrent de conneries montées en épingle par Google, Yahoo, Tweeter, Facebook et tous les médias en mal d'audience. Tout ça, c'est de l'écume marron à la surface des eaux boueuses d'une immense station d'épuration.

Il suffit de débrancher -- ou de n'avoir jamais été "branché" -- et ça va beaucoup mieux.
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Supfiction
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Supfiction »

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Major Tom
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Major Tom »

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A serious man
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par A serious man »

du coup je me permet de poster ici ma réponse a Ténia dans le topic de la cinémathèque, puisque ça touche quand même pas mal aux problématique du fantasme et de la morale
tenia a écrit :
Thaddeus a écrit :A partir de là, il n'y à qu'à dérouler, mais l'auteur le fait en ne cédant me semble-t-il à aucune facilité, restant toujours très rigoureux dans le développement de sa pensée.
Et qui pose des questions essentielles comme "Le spectateur, encore aujourd’hui, ne vibre-t-il pas réellement de peur et de fébrilité, devant la maison assaillie par les Noirs à la fin du film ? Ne tremble-t-il pas à l’idée que le Klux Klux Klan ne vienne sauver les héros à temps, comme on attend nerveux, dans un western, l’arrivée de la cavalerie ?"
Et là, je comprends mieux pourquoi j'étais tant à côté de la plaque : la réponse pour moi est non aux 2 questions. A la place, je roule les yeux devant les clichés racistes de l'époque et jamais n'attend que les suprématistes blancs sauvent la journée.
L'épiphanie.
Tout s'explique.
J'ai vu la lumière. :shock:
Tant mieux pour toi mais tu passe a côté de ce qui est sans doute la réflexion la plus intéressante de l'article.
Je ne vibre pas spécialement devant Naissance d'une nation non plus (pour tout dire j'ai regarder la deuxième partie du film, celle ou le racisme se déchaine sans limite, en accéléré tant je trouvais ça pénible). Néanmoins ce film à fasciné de nombreux spectateur a sa sortie et continue d'en gagner et ce ne sont pas juste des historiens du cinéma qui se forcent a regarder un film infâme mais important. Il y a des gens qui sincèrement apprécie Naissance du Nation et on n'apprécie jamais un film uniquement pour ses qualités formelle, il faut qu'a un moment son histoire, son discours nous touche d'une manière ou d'une autre, et donc oui le temps d'un film il y a des gens qui peuvent être emporter par cette mythologie du Ku Klux Klan, ressentir l'exaltation des chevauché nocturne et la peur et la haine de l'autre. Pour autant ces personnes ne sont pas forcément des suprémacistes blancs, ne sont pas forcément raciste, et ce n'est pas criminel de dire que l'on a aimé naissance d'une nation.
Alors sans doute l'exemple du Griffith pose problème parce que comme tu le dit cette imagerie raciste est bien trop franche et stéréotypé pour être accepté aujourd'hui par un spectateur lambda, et c'est d'ailleurs pour ça qu'il ne se limite pas a Naissance d'une nation. Tout ce qu'il dit sur Léni Riefenstahl est a mon avis très juste, ce ne sont pas des films qui ne sont qu'au sein de l'institution universitaire comme des documents historique ou sociologique, ce sont aussi des films qui ont une existence d’œuvre d'art qui malgré leur lien avec le régime nazi peuvent (au moins pour Olympia, et même Tiefland si l'on ignore les conditions de tournages...) être apprécié pour eux même parce que Riefenstahl ne s'y fait pas ouvertement la porte du racisme et des aspects les plus nauséabond du régime. Il n'en reste pas moins que ses images sont adéquation avec l'idéologie national-socialiste, véhicule un culte du corps, une forme de classicisme gréco-romain idéalisé et nostalgique d'une époque sans "souillure", une glorification du chef et de l'ordre (qui d'ailleurs trouve un écho dans le roi lion, et même si c'est associé au personnage du méchant il est significatif que cette reprise de l’esthétique nazi soit l'une des scènes les plus célèbres et souvent apprécié du dessin animé) qui fascine encore aujourd'hui, il y a là quelque chose d'exaltant qui peut toucher le spectateur. Alors on peut dire que c'est la forme qui nous touche, sauf qu'elle n'est pas séparable du fond, et que toute image véhicule quelques chose (mais ça pour le voir il faut se pencher un minimum dessus et l'étudier et pas simplement gloser sur les significations qu'ont veut bien y projeter que le font les rédacteurs et rédactrices du cinéma est politique). Comme le dit très bien l'auteur de l'article un film n'est pas aimé qu'au sens d'une admiration reptilienne, a un moment ou a un autre il vient toucher des émotions qui ne sont pas forcément consciente, que l'on assume pas forcément mais qui sont tout de même là, je lui laisse d'ailleurs la parole pour conclure:
"Et c’est parce que ces films relevaient de l’expression artistique (et non du didactique : ils parlaient à l’inconscient du public, pas à son intellect) qu’ils étaient dangereux."
tenia a écrit : Mais c'est difficile de ne pas lire un article qui a simplement décidé de s'en payer un autre et a déjà d'avance conclu que ce qui y est raconté est de la merde, quitte à le justifier pour Le roi Lion par "des millions de républicains convaincus ont vu le film sans en éprouver la moindre gêne, goûtant pleinement à ce tableau d’une royauté magnifiée".
Ah bah oui, je suis convaincu, là, du coup.

C'est si compliqué franchement de se dire que l'auteur de l'article a juste lu le cinéma est politique par intérêt et se rendant des limites évidentes de leur démarche critique il est simplement voulu répondre pour proposer une critique argumenté et cohérente, et une alternative a ce qui devient un modèle critique réellement influent, et qui encourage quand même a remplacer la réflexion par une grille de lecture simpliste et toute faite. Je veux dire que c'est quand même la nature même du débat, et a mon avis il est plus ouvert a la critique que les auteurs du cinéma est politique qui en général vont te répondre que si tu refuse de voir le sexisme dans les films, c'est parce que tu ne veux pas remettre en question tes privilèges
Alors effectivement il cite beaucoup d'exemple (c'est que certains appelleraient étayer son argumentation) cependant si il n'approfondis pas tout ses exemples (mais il le fait pour certains, je pense a La Leçon de piano) son article est quand même cohérent structuré autour d'idée fortes qui elles sont largement développé et ne se contente pas simplement de critiquer le cinéma est politique, il propose en creux une approche critique alternative qui revalorise la part de l'esthétique sans pour autant évacuer la problématique politique. Alors on a le droit de ne pas être convaincu, mais ça serait bien dans ce cas de ne pas le faire en réduisant une réflexion qui est quand même largement plus étoffé a une phrase isolé, non parce que c'est pas le seul argument qu'il avance pour le roi lion et d'ailleurs la phrase que tu cite (pas très fine certes parce que de l'ordre du clin d’œil, et puis c'est littéralement l'argumentation du cinéma est politique, le monde est sexiste et raciste parce que les œuvres culturelle nous conditionne dans ce cas une telle réponse se justifie) est accompagné d'une note aux considérations un peu plus élevés.
Et puis c'est pas comme si le vrai problème était l'affirmation débile qui sert de prétexte a cette phrase a savoir, le roi Lion est un film de propagande royaliste (tout ce qu'on peut dire c'est que c'est un film qui ne défend pas la démocratie, sans dec Sherlock? sauf que ça n'est pas le sujet d'un film qui ne prétend donner de recommandation sur le meilleur modèle de gouvernement)
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Major Tom
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Major Tom »

(...) Naissance d'une nation (The Birth of a Nation) fut cependant controversé pour son discours raciste et son apologie du Ku Klux Klan (...), ce qui lui vaudra d'être interdit dans plusieurs villes des États-Unis.
Le National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), fondé en 1909, proteste lors de la première du film dans de nombreuses villes. Le NAACP mène une campagne d'éducation du public, en publiant des articles pour protester contre les mensonges du film et ses inexactitudes, en réunissant des pétitions contre lui.

Le film est controversé en raison de son interprétation de l'histoire. Dans la deuxième partie, (...) une des scènes choquantes montrant le lynchage d'un Noir suscite à juste titre un débat passionné. Lorsque le film est projeté, des émeutes éclatent à Boston, Philadelphie.
Chicago, Denver, Kansas City, Pittsburgh et Saint-Louis refusent à leur tour d'autoriser la projection du film. Son caractère violent est un catalyseur dans l'agression d'afro-américains.

Cela pose la question de la censure, et donc, de la détermination du statut du film. Un Bureau national de la censure avait été mis en place dès 1909, mais 95 % des films soumis à son approbation étaient validés. Des bureaux de censure se mettent en place spontanément dans certaines villes et états : c'est ainsi que dans l'Ohio, Naissance d'une Nation est interdit.

Griffith décide de se placer sous le couvert du Ier amendement, garantissant la liberté d'expression. La question étant polémique, l'affaire remonte jusqu'à la Cour suprême, qui décide que le Ier amendement ne peut pas s'appliquer. Les bureaux de censure sont vus comme l'expression de la démocratie populaire. La Cour Suprême statue sur la nature du film lui-même et établit que le cinéma est une œuvre industrielle à caractère universel...
(source : wikipédia)

---

Naissance d’une nation n’a pas seulement changé l’histoire du cinéma ; ce film a inauguré un débat autour de l’art, de la race et de la liberté d’expression qui a façonné l’histoire des États-Unis.

(...) en février 1915, alors même que Naissance d’une nation arrive dans les cinémas, la Cour Suprême inflige un coup sévère aux auteurs de film. (...) la cour statue que les films ne doivent pas bénéficier des mêmes protections de la liberté d’expression que la presse écrite. Dans son jugement, le juge Joseph McKenna affirme que les films sont «capables de faire le mal, en ont le pouvoir en raison de leur caractère attractif et de la manière dont ils exposent les choses».

À Boston, l’activiste William Trotter mobilise la communauté noire pour organiser des piquets et des marches, ce qui débouche sur les plus grandes manifestations depuis la fin de la guerre de Sécession.
Mais les dirigeants de la NAACP craignent que les manifestations ne constituent une publicité gratuite pour le film, ce qui rend une fois encore l’idée de censure plus séduisante.

Si la NAACP n’avait jamais fait campagne, elle aurait manqué une occasion en or d’accroître le poids de son organisation naissante. Le nombre d’adhésion double pour atteindre 10.000 membres fin 1915 et atteint 80.000 à la fin de la décennie. (...) Simultanément, une suite de scandales, dont le procès du comédien Roscoe «Fatty» Arbuckle, accusé d’avoir violé et assassiné l’actrice Virginia Rappe en 1921, persuade les autorités qu’il est temps de contrôler plus sérieusement toute l’industrie du cinéma. Les studios, inquiets, s’adressent à l’ancien Postmaster general William H. Hays pour aider l’industrie du cinéma à se policer elle-même, ce qui aboutira, en 1930, à la naissance du Motion Pictures production Code, plus connu sous le nom de Code Hays.
(source : slate)
tenia a écrit :En même temps, à l'époque de sa sortie, on ne voyait pas le problème avec La naissance d'une nation.
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par pol gornek »

Je trouve, personnellement, trop facile de se cacher derrière le fantasme pour évincer d'éventuels problèmes dans la retranscription d'un comportement machiste systématique. Martin Winckler qualifiait les séries de « miroir de nos vies » et je pense que dans une autre mesure, cela s'accorde aussi au cinéma. Que le septième art puisse être un passeport pour une évasion, je ne le réfuterai jamais ; qu'il serve d'auto-thérapie pour certains artistes, pourquoi pas ; mais nier, sur le principe qu'une fiction tient forcément du fantasme, c'est nier une réalité.

A l'exception de James Bond que j'ai mentionné, je n'ai, personnellement, cité aucun des exemples. J'aurai pu citer Blade Runner, pour l'avoir revu dernièrement et dont la scène entre Deckard et Rachel (qui doit dire non, deux ou trois fois, je crois - je laisse aux spécialistes, le soin de vérifier) m'a gêné. Pas au point de crier au scandale mais suffisamment pour me dire que l'on voyait là, une nouvelle fois, l'expression compromettante d'un homme forçant la séduction sur une femme (aussi réplicante soit-elle) qui énonce clairement son refus. Alors, peut-être que, pour les besoins de la fiction, ce refus avait son importance (j'ai un doute) mais, au risque de me répéter, ce n'est pas individuellement qu'il faut recueillir la problématique de telles séquences, mais par leur récurrence.

Elles sont nombreuses ces séquences et si elles doivent exprimer un fantasme particulier, je trouve cela tout autant inquiétant. A titre personnelle, quand j'entends non, c'est l'expression clair d'un refus, je ne m'imagine pas un instant avoir à faire à de la psychologie inversée. Et, aussi étrange que cela semble paraître, non ne fait parti de mes fantasmes. Mais c'est moi, je ne peux parler pour les autres. Et je vais éviter toute psychologie de comptoir à coup de « les femmes aiment les mauvais garçons et quand elles résistent, c'est qu'elles le veulent en réalité » ou encore « ce film n'est pas misogynes, je connais une femme qui aime », parce que, en toute honnêteté, je ne maîtrise pas les notions de psychologie et encore moins celle des femmes.

Se cacher derrière le fantasme concernant de telles séquences, c'est refusé d'observer la réalité et combien cette réalité fut et est toujours discriminante. Je crois que l'art est capable d'être un support pédagogique. Même involontairement. Dire, aujourd'hui, que lorsque Deckard force Rachel, par une étreinte appuyé, à l'embrasser et à rester chez lui, il perpétue un schéma patriarcal, cela ne signifie pas que Blade Runner ou Ridley Scott sont misogynes, cela signifie qu'une scène que l'on trouvait inoffensive ou sans vice, ne l'était pas. Cela ne signifie pas qu'il faut tout polir et montrer des gens moralement acceptable dans leur comportement. Au contraire, que l'on continue à montrer des salauds notoires, anti-héros, êtres torturés... Mais il semble, pas inutile ou complètement à côté de la plaque de réviser un peu notre histoire pour comprendre pourquoi, en 2017, nous vivons toujours dans une société patriarcale. Il y a de nombreuses raisons, bien trop longues et complexes à lister dans un seul post et je n'aurai pas la prétention de maîtriser le sujet sur le bout de doigts pour vendre une expertise, mais on peut trouver des symptômes dans le cinéma. Un cinéma majoritairement masculin. Et, une nouvelle fois, le male gaze ne serait pas problématique s'il ne constituait pas une large majorité au point d'en faire un paradigme.

Ce que je trouve particulièrement inquiétant sur le forum en particulier, c'est que la défense du septième art, défense aussi noble soit elle, prenne des allures d'aveuglement. Je suis personnellement arrivé à une réflexion sur la question, qui ne renie aucun film en particulier mais aboutit à sortir de ma zone de confort pour effectuer un autre constat. Je ne vais pas brûler de films, je ne vais pas effectuer de censure à titre personnel et encore moins louer toute forme de censure. Cela n'aurait aucun sens. Mais je trouve salutaire de pointer certaines séquences comme perpétuation d'un schéma de penser, perpétuation volontaire ou non parce qu'elle s'incarne dans une réalité d'époque, de comportement, de genre. Et se servir de ces réflexions pour illustrer le manque d'équité de notre société. Se cacher derrière le principe du fantasme, c'est oblitérer toute possibilité d'illustration d'un art comme reflet de son époque. Comment qualifie-t-on le cinéma américain des années 70 ? Pas uniquement comme une terre de fantasme, mais aussi comme le reflet de son époque. Et bien servons-nous de cette capacité importante du septième art pour nourrir des réflexions sur notre monde, aujourd'hui, et essayer de comprendre. Pour combattre ce monde patriarcal, il faut en saisir les mécanismes. Il existe mille et une façon d'oeuvrer pour l'équité, à titre individuel comme à titre collectif. Le cinéma en fait parti. On ne va pas distribuer des bonnets d'ânes aux mauvais élèves parce qu'un film contiendrait une séquence problématique. On est au-delà de cela. Mais montrer de nombreuses séquences problématiques pour illustrer un machisme ordinaire, pour montrer comment, sans faire de propagande (ça n'a jamais été la question), on contribue à instaurer un paradigme patriarcal.

Maintenant, qu'il existe des formes de combat maladroite, je ne le nie pas. Que forcer une grille d'analyse n'est pas toujours pertinent, comme je ne m'amuse pas à appliquer le test de Bechdel systématiquement. Le féminisme, dans sa lutte, dans son militantisme, possède plusieurs visages, et même si c'est le plus souvent nourri des meilleures intentions, certaines positions me semblent contre-productives ou inappropriées. Mais ce n'est pas une raison pour balayer d'un revers de main des réflexions comme celles qui nous réunissent aujourd'hui, ou, sous le prétexte qu'une personne s'est trompée de cible (ou de film), renvoyer tout le monde chez soi avec un zéro pointé. Mais c'est vrai que pour cela, il faut parfois imaginer que le septième art que l'on vénère tant ici n'est pas un art parfait et qu'il a, malgré lui ou consciemment, permis à un mal de s'installer, de perdurer.
Le public qui grandit devant la télé affine son regard, acquiert une compétence critique, une capacité à lire des formes compliquées. Il anticipe mieux les stéréotypes et finit par les refuser car il ne jouit plus d'aucune surprise ni curiosité, les deux moteurs de l'écoute.Il faut donc lui proposer des programmes d'un niveau esthétique plus ambitieux. La série télé s'est ainsi hissée, avec ses formes propres, au niveau de la littérature et du cinéma.
(Vincent Colonna)
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Watkinssien
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Watkinssien »

On peut remplacer le mot "cinéma" par "théâtre", "littérature", "télévision" "dessin", et plus encore. On ne se cache pas derrière un fantasme, on vit avec comme on vit avec les horribles maux de nos comportements.

On peut se sentir insulté de savoir qu'on nie une réalité de la vraie vie, au profit d'un art de la représentation, d'une reproduction, d'une illusion, d'une tricherie, d'une manipulation technique et narrative.

Il y a là un insupportable sentiment de supériorité à affirmer que les gens peuvent être influencés de manière négative par cet ensemble artistique entre divertissement et élaboration thématique.

Je ne vois pas d'aveuglement (elle est cocasse celle-là :mrgreen: ), ni un besoin de se rassurer parce qu'on adore un médium qui pourrait s'avérer "dangereux". Dans le cas des arts majeurs en général, je trouverai toujours moins dangereux les œuvres (mêmes celles qui bousculent les principes) que la manière dont on peut parfois les recevoir.
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pol gornek
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par pol gornek »

Watkinssien a écrit :On peut remplacer le mot "cinéma" par "théâtre", "littérature", "télévision" "dessin", et plus encore. On ne se cache pas derrière un fantasme, on vit avec comme on vit avec les horribles maux de nos comportements.
Je n'ai jamais prétendu ou même sous-entendu que c'était quelque chose d'exclusif au cinéma. Lance-moi sur les séries (sujet que je maîtrise un peu) et je te porte le même discours. Après, comme on m'a appris à ne parler que de ce que je connais, j'évite volontairement les sujets théâtre ou littérature, tout simplement parce que je manque cruellement de connaissance.
On peut se sentir insulté de savoir qu'on nie une réalité de la vraie vie, au profit d'un art de la représentation, d'une reproduction, d'une illusion, d'une tricherie, d'une manipulation technique et narrative.
Tu me lis de travers. Je n'ai jamais dit que certains niaient « une réalité de la vraie vie », simplement que brandir l'idée du fantasme comme explication (voire comme excuse) posait comme problème. Et encore une fois, je ne prétends pas que les œuvres exploitent sciemment la perpétuation d'un schéma patriarcal, donc, elles ne trichent pas, ne manipulent pas (je n'ai pas d'exemple qui me vient en tête d'une oeuvre ouvertement machiste ou misogyne - ah si, un épisode de Desperate Housewives, vraiment dégueulasse), elles sont un symptôme, pas le mal.
Il y a là un insupportable sentiment de supériorité à affirmer que les gens peuvent être influencés de manière négative par cet ensemble artistique entre divertissement et élaboration thématique.
Il n'y a aucun sentiment de supériorité. J'ai longtemps été aveugle ou sourd des messages féministes sur la question de la représentation de la femme, de son corps et de sa sexualité dans la fiction. Puis, ma curiosité m'a poussé à aller un peu plus loin sur la question et, en recoupant pensées, réflexions et analyses, en discutant avec des gens dont c'est le travail on finit par s'enrichir, par évoluer. Et malheureusement, il suffit de faire un tour sur les commentaires d'articles sur la question pour relever qu'il existe, effectivement, encore aujourd'hui, des gens pour penser que la femme est inférieure à l'homme. Ce n'est pas la faute du cinéma, ni d'aucun art. Mais malheureusement, des séquences peuvent, malgré elles (j'insiste) perpétuer une idéologie patriarcale par leur redondance ou un aspect systématique.
Je ne vois pas d'aveuglement (elle est cocasse celle-là :mrgreen: ), ni un besoin de se rassurer parce qu'on adore un médium qui pourrait s'avérer "dangereux". Dans le cas des arts majeurs en général, je trouverai toujours moins dangereux les œuvres (mêmes celles qui bousculent les principes) que la manière dont on peut parfois les recevoir.
Et je n'ai jamais prétendu le contraire, relis-moi (bon, tu as certainement autre chose de plus constructif à faire). Ce que je déplore, quand je parle d'aveuglement, c'est le refus catégorique que le cinéma (tout comme les séries, etc...) a pu, malgré lui, se complaire dans une pensée dominante, par le biais de certaines séquences a priori anodines. C'est d'imaginer que le septième art (ou les autres) sont parfaitement inoffensifs et vertueux. Alors que ce n'est pas le cas, la faute à un male gaze dominant.

Les mentalités évoluent, oui. Je peux moins parler de cinéma, étant à la masse question actualité, mais dans les séries, des oeuvres comme Orange is the New Black, Transparent et surtout I Love Dick montrent un basculement vers un female gaze salvateur. Des séries créées par des femmes qui parlent de la sexualité des femmes et qui vont à l'encontre du modèle masculin dominateur. C'est comme ça que l'on fera évoluer les choses.
Le public qui grandit devant la télé affine son regard, acquiert une compétence critique, une capacité à lire des formes compliquées. Il anticipe mieux les stéréotypes et finit par les refuser car il ne jouit plus d'aucune surprise ni curiosité, les deux moteurs de l'écoute.Il faut donc lui proposer des programmes d'un niveau esthétique plus ambitieux. La série télé s'est ainsi hissée, avec ses formes propres, au niveau de la littérature et du cinéma.
(Vincent Colonna)
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Shin Cyberlapinou
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Shin Cyberlapinou »

Ayant loupé la discussion sur le topic Cinémathèque j'arrive un peu tard et n'espère pas trop taper à côté.

En matière d'art (pour faire large) je suis assez amoral. Il faut vraiment qu'un créateur soit à l'opposé complet de mes repères esthétiques ou éthiques pour susciter mon rejet (Michael Haneke est ainsi un rare exemple). Je déplore la mise à mort réelle d'animaux dans Cannibal Holocaust, mais faute de meilleur terme elles apportent quelque chose au propos du film, objet voyeuriste craspec dénonçant le voyeurisme craspec. Le passé pédophile de Victor Salva informe le propos de Jeepers Creepers et sa créature fan de slips de jeunes ados. Le vrai faux autoportrait qu'est la série Louie va sûrement devenir un drôle d'objet d'étude maintenant qu'on en sait plus sur les pratiques de son auteur. Bref, je ne suis pas impressionnable.

Donc quand je dis que Spielberg est pour moi un cinéaste misogyne, il n'y a -vraiment- aucun jugement de valeur là dedans. Sorti de Marion Ravenwood, personnage volontaire et charismatique (incarné par la compagne de Spielberg à l'époque), on trouve dans son cinéma une majorité de moumounes effacées, de mantes religieuses ou de pures caricatures: Willie Scott est vaniteuse, geignarde, superficielle, incompétente dans l'effort, on est pas comme chez mettons John Woo, qui laisse simplement ses persos féminins de côté, c'est de la caricature pro-active (même si les auteurs voulaient l'antithèse de l'Indy girl précédente ça y va), et encore aujourd'hui l'admirable Munich m'interroge de par le traitement de Marie José Croze et son final décidément très étiré au regard de la narration générale. Et ça ne me gêne pas. Je constate, et on parle d''un des cinéastes les plus populaires de ces 50 dernières années, sa vision du monde ne peut être *complètement* dénuée d'influence, fantasme ou pas.

J'ai une théorie personnelle sur James Bond sans doute déjà formulée ailleurs : c'est un personnage qui est arrivé dans les années 50/60, période charnière où les droits civiques et l'égalité des sexes devenaient des questions brûlantes, ce qui fait qu'il fonctionne à la fois comme héros un peu voyou selon la logique du "vieux monde" et comme un anti-héros quasi sociopathe (cf l'interprétation de Daniel Craig en particulier dans Casino royale) selon des critères plus modernes. C'est en tout cas mon explication pour sa longévité malgré les changements culturels et politiques, là où Tarzan a plus de mal à échapper à son héritage colonial, où OSS 117 est aujourd'hui une caricature visant sciemment des comportements d'un autre âge et où Fantomas ou The shadow disparaissent lentement de l'inconscient collectif faute de mise à jour. Et là aussi un archétype aussi fort dans l'esprit du public ne fonctionne pas en vase clos.

Dernier exemple m'ayant frappé: Wall-E. J'aime bien le film mais le héros loser réussit à emballer sa dulcinée bien plus performante que lui, non pas en se dépassant, non pas en révélant des qualités insoupçonnées, tout ce qu'il fait c'est s'accrocher. Il réussit à pécho littéralement à l'usure. Ce n'est pas du harcèlement, mais (en étant mal luné?) on peut y voir quelque chose d'insidieux, ou en tout cas bizarrement formulé.

Quand on doit faire des campagnes sur le harcèlement pour rappeler que "no means no", c'est que les rapports hommes/femmes fonctionnent selon une drôle de logique. Est-ce que Sean Connery et Harrison Ford sont responsables? Evidemment que non. Mais ils sont le reflet de quelque chose et ne sont eux-mêmes pas sans impact, si un machin comme 50 nuances de Grey peut influer même ponctuellement les goûts intimes de ses lectrices, une oeuvre de plus grande envergure ne peut que laisser des traces plus profondes. A chacun ensuite de prendre ses responsabilités, car ce sera tendu pour légiférer sur le sujet. Et pourtant on aura souvent essayé...
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Coxwell
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Coxwell »

pol gornek a écrit :le septième art que l'on vénère tant ici n'est pas un art parfait et qu'il a, malgré lui ou consciemment, permis à un mal de s'installer, de perdurer.
Une petite phrase qui en dit long sur la manière de considérer l'art. Cela me rappelle un tant soi peu les prémisses des plus "belles" dystopies. L'art, policé, puis instrument du "totalitarisme égalitariste" comme le soulignait le Commissaire au-dessus. Il n'y a rien à attendre de l'art si ce n'est d'offrir une vision intrinsèquement déformée de l'existence, et d'une réalité alternative du monde.
Comment considérer le cinéma autrement que comme une projection fantasmée, fantasmagorique, déformée, déformante car ontologiquement non représentative de ce qu'on appelle "réalité". Quatrième mur, cadence du cinéma (au point que les spectateurs souffrent de problèmes réels aux screentests du 48i/s), le cinéma n'a jamais été rien d'autre que la porte ouverte de tout un tas de projections mentales, et en tant que telles, les hommes et les femmes savent parfaitement s'en satisfaire/les comprendre pour parler d'Avatar, des Aliens, des sabres lasers ... mais ne le pourraient quand il s'agit des relations entre hommes et femmes ni même de l'alcool, de la drogue, des molestations de différentes natures qui abreuvent quotidiennement les écrans de toutes tailles ? Pour bien connaître la Corée du Sud, le cinéma est la plus belle des manières pour comprendre le contraste saisissant entre la représentation du monde projeté, et la réalité des rapports quotidiens au sein de la vie quotidienne. A côté de sa sécurité, sa quasi absence de vols, d'armes à feu, de violence physique et son aphasie presque caractéristique des rapports hommes-femmes (dont le contact physique est de plus en plus problématique).... son cinéma en est sa boîte de Pandore, son défouloir assez exutoire qui complète l'image angélique des Séries TV, bien complémentaires à tous ces polar-thrillers constitués essentiellement de rapports verbaux ultra tendus, de violences sèches, d'injures et de coups et blessures assénés aussi fréquemment qu'on y boit du Soju ou Makgeolli. Il ne faudrait peut-être pas sous-estimer la capacité (consciente ou non) des hommes et des femmes à considérer le cinéma pour ce qu'il a toujours été.
(Même si ces derniers pourraient être plus vulnérables aux documentaires militants faussement labellisés "exercice du réel", mais cela est un autre sujet. Le "suspension of disbelief" n'est pas de la même nature).
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Alexandre Angel
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Re: Déni du fantasme, moralisation douteuse et féminisme dévoyé

Message par Alexandre Angel »

Ce qui précède est un bon résumé, avec le texte inaugural de Roy Neary, de ce je pense, et surtout de ce que je ressens.
Je finis, saisi d'une espèce de vertige, par ne plus comprendre les enjeux de cette discussion. Comment en est-on arrivé là?
Ah oui : il y a eu l'"Affaire Weinstein", puis "La Cinémathèque Versus L'Affaire Polanski" et enfin l'"Affaire du Bal des Vampires" également dénommée "L'Affaire Blade Runner".
Ouf, ça y est, j'ai retrouvé mes petits!
Alors je demande aux forumeurs qui proposent, à juste titre, une réflexion sérieuse, sans qu'il soit question de censurer, je l'ai bien compris, sur les stigmates de sexisme, de phallocratie et de domination masculine et patriarcale décelables dans les films, je leur demande donc le plus simplement du monde : et maintenant, qu'est ce qu'on fait? Que proposez-vous?
Si vous me répondez qu'il faut se battre, s'armer d'une patience infinie, et s'investir selon ses moyens pour contribuer à ce que l'humanité progresse, que les mentalités changent, je suis des vôtres.
Si l'on me dit que les films doivent être disséqués, préventivement et non pas dans le cadre, à titre d'exemple, de travaux universitaires, pour mieux confondre ce que la société des hommes leur a instillé de toxique : ce sera sans moi.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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