Depuis quelques temps, je constate avec amusement l'intrusion de titres qui détonnent un peu dans les listes de films du mois, le genre de trucs qu'un spectateur adulte ne va normalement pas voir de sa propre initiative... à moins qu'il ait la charge d'un gamin. J'ouvre donc cet espace pour :
1. Accueillir des avis sur ces films qui sont clairement destinés aux très jeunes spectateurs, qui ne méritent donc pas forcément d'avoir un topic spécifique (les Disney et Ghibli ne sont donc pas concernés). Ça peut être des longs-métrages ou des compilations de courts, format dont je découvre qu'il est très souvent proposé en salle.
2. Évoquer ce que le fait de devenir parent, oncle, tante, parrain, marraine, bref, de vivre un peu entouré de marmaille, a pu modifier dans notre façon d'aborder les films. Et faire part de nos éventuelles observations sur l'évolution de ces graines de cinéphiles.
J'ai personnellement pleinement conscience que le fait d'être parent conditionne désormais beaucoup ma réception de certains films qui mettent en scène l'enfance. Très clairement, si certaines scènes de La Tortue rouge, Room, L'Enfant sauvage ou Boyhood m'ont à ce point fait monter les larmes aux yeux, c'est parce qu'elles trouvaient un puissant écho en moi par rapport à certaines craintes et émotions qui m'étaient autrefois inconnues. Ce n'est pas non plus une condition indispensable (le final de Running on empty me bouleversait déjà avant d'être père), mais ça décuple assez violemment sa force.
D'autre part, j'ai l'impression devant certains films de retrouver plus facilement mon âme d'enfant, et de les apprécier en imaginant comment ils m'aurait parlé si je les avais découverts gamin (j'ai trouvé Tomorrowland souvent grisant en adoptant justement ce point de vue-là). Et j'anticipe alors le moment où le mien (5ans 1/2 à cette date) sera en âge de découvrir ceux qui ont nourri ma cinéphilie, au point de considérer ma dvdthèque comme mon futur legs ! Et là, je sens qu'un drame est en vue...
Forcément fasciné de le voir grandir, je sais que je vais au-devant de cruelles désillusions et qu'un jour, tout excité que je serai à l'idée de lui faire découvrir King Kong ou Le Bon, la brute et le truand, je risque de voir son visage consterné se tourner vers moi et m'entendre dire qu'il est tout pourri mon vieux film. Toujours cette idée un peu tordue de vouloir que notre progéniture marche dans nos traces, manière de projeter en elle le souvenir de notre propre enfance. J'alterne pour l'instant entre des trucs choisis pour lui et que j'apprécie de (re)voir, et des daubes que lui kiffe et que je ne m'estime évidemment pas le droit de critiquer (« t'es sûr que tu veux revoir Madagascar au lieu des Puppetoons ? »). J'ai aussi le souci de lui épargner des traumatismes (les premiers Don Bluth attendront encore un peu), alors que l'expérience m'a montré qu'il est impossible de savoir à l'avance les trucs susceptibles d'impressionner : contre ma volonté, il a eu l'occasion de voir Le Roi lion, et non seulement c'est bien passé mais depuis il le redemande régulièrement (et j'ai fait l'erreur de lui refiler le CD des chansons du film).
Car il y a une donnée essentielle dont je ne suis pas sûr qu'on ait encore mesuré tous les effets : le rapport à l'image n'a plus rien à voir avec celui qu'on a connu. Filmés, photographiés dès leur naissance, ils sont confrontés à une multiplication des écrans qui a conduit à une radicale banalisation. Je passe en mode Abraham Simpson pour me rappeler que de mon temps, celui d'avant la démocratisation du magnétoscope, la seule possibilité de voir un film c'était sa sortie en salle (ou sa reprise) ou sa diffusion télévisée. Ce qui avait donc valeur d'événement. C'est ce qui fait que je garde le souvenir des premiers films vus, suffisamment marquant pour les lister (dans l'ordre chronologique de 1981 à 1985 : Condorman, E.T., Tron, La Petite bande, Superman III, Le Secret des Sélénites, Supergirl, Le Bébé schtroumpf, L'Histoire sans fin, She-ra le secret de l'épée, L'Aventure des Ewoks, Santa Claus, Les Bisounours le film).
Je sais déjà que notre gamin a déjà oublié sa première projection salle (Les Nouvelles aventures de Gros-point et Petit-pois, ou l'inverse j'ai jamais su, vu en sortie scolaire). Même si on s'efforce de modérer son exposition (limitée aux week-ends), je suis certain que regarder un film est pour lui un acte relativement banal, avec l'embarras du choix (videothèque parentale ou emprunts médiathèques). J'apprécie tout de même que l'école républicaine continue à jouer son rôle de passeur, puisqu'aujourd'hui encore on fait découvrir Chaplin en salle aux élèves de maternelles (ici-même on déplorait il y peu la méconnaissance des générations actuelles pour des figures comme Sinatra mais on se réjouira de savoir que Charlot est encore préservé).
Mais quand même, l'impression qu'on est passé de ça :
à ça :
Par contre, si l'image s'est effectivement banalisée, son pouvoir de fascination semble intact parce que même avec un usage limité, c'est assez dingue de voir à quel point ça le rend accro, et on l'entend très régulièrement demander pendant la semaine « c"'est quand le week-end, c'est quand le week-end ? »
