Dans cette histoire d’amour moderne, qui se déroule au Texas, sur la scène musicale d’Austin, deux couples - d'un côté Faye et le chanteur BV, et de l’autre un magnat de l’industrie musicale et une serveuse qu’il entretient - sont en quête de succès dans cet univers rock’n’roll fait de séduction et de trahison.
tenia a écrit :C’est pour l’instant encore en vrac, parce que je suis définitivement nul à écrire de façon fluide (ironie, compte tenu des reproches que je fais sur le film) mais je dois de toute manière faire une version plus propre pour Retro HD, qui devrait y apparaître d’ici quelques jours. Le film dure 2h04, 2h09 avec le générique de fin.
Après avoir changé 2 fois de titre (le film s’appelait d’abord Lawless puis Weightless), le nouveau film de Terrence Malick, Song to Song, commence à pointer le bout de son nez en salles, notamment en faisant le tour des festivals.
Style : continuité directe des procédés mis en place sur The Tree of Life et poussés sur To The Wonder et Knight of Cups : multiplicité des caméras de tournage (y compris les résolutions minimales vues sur les 2 derniers films), Steadicam ultra mobile, éclatement narratif poussé en flux d’idées. On retrouve même des plans rappelant directement ceux vus sur To The Wonder (ces gros plans légèrement en plongée sur l’actrice principale regardant par la fenêtre), voire des images qui semblent carrément avoir été originellement tournées pour ces précédents films. Sur ce point d’ailleurs, on se demande quand a été tourné quoi, tant les tournages et montages des 4 (5 avec Voyage of Time) derniers films de Malick semblent s’être fortement superposés chronologiquement.
Ceux qui avaient été happés par ces 2 derniers films devraient succomber à Song to Song, mais ceux qui n’avaient pas été particulièrement marqués par les élans émotionnels de ces 2 films risquent de retrouver ici exactement les mêmes soucis. D’un point de vue plus général, Song to Song est de toute façon dans la lignée technique des films post-The Thin Red Line, ce qui explique certainement que, malgré une salle comble pour la séance à laquelle nous avons assisté (séance de clôture du Luxembourg Film Festival), une bonne quinzaine de spectateurs sont partis en cours de séance...
Le sur-fractionnement du film et ses très nombreuses digressions, notamment, tendent à blesser la construction émotionnelle du film. Non pas que le montage éclaté soit un problème (il fonctionnait parfaitement sur The New World et The Tree of Life, et fonctionne toujours depuis, mais seulement par moments), mais il confère souvent à aller chercher des éléments hors-sujet qui alourdissent le film en donnant constamment l’impression d’être face à plusieurs films incomplets regroupés en un montage. Avait-on réellement besoin de ces 3 minutes de Gosling en foreur de pétrole en fin de film ? Probablement pas : ça sort de nulle part et ne va nulle part. Les digressions de The New World et The Tree of Life servaient le propos car elles restaient dans la continuité contextuelle des films. Là, comme pour TTW et KoC, ce n’est malheureusement pas le cas, et s’il y a définitivement quelque chose qu’on aimerait voir changer chez le style de Malick, c’est un retour à quelque chose de plus percutant.
L’autre souci, c’est que ces digressions gênent aussi la fluidité du film. La force des réussites de Malick est leur fluidité sidérante, chose que Malick espère probablement approfondir en poussant l’éclatement du montage vers un flux d’idées (« stream of consciousness »). Force est de constater que cette fluidité était parfaitement atteinte il y a 12 ans et que la pousser plus loin s’avère en fait contre-productif.
Autre élément évolutif chez Malick, c’est le recours de plus en plus poussé au numérique. Après le tournage partiel de The Tree of Life en 65mm, TTW et KoC avait vu l’entrée du numérique chez Malick (y compris à travers certains plans tournés carrément en Go Pro). Si cela offre probablement plus de latitude côté photographie lors de certaines scènes (on pense notamment aux fabuleuses séquences nocturnes en boîte de nuit), il faut avouer que l’aspect de nombreuses images y perd en beauté. Le numérique, c’est aussi un rendu visuel typé, lisse, avec une retranscription moins artistique des mouvements. Malheureusement, surtout avec des caméras de plus en plus mobiles, ce rendu semble inadéquat à la beauté visuelle à laquelle nous a habitué Malick jusqu’ici. Fini donc les longs mouvements d’appareil à la beauté exacerbée, et bonjour au rendu visuel ultra-numérique façon Danny Boyle. Pas sûr qu’on y a gagne au change…
Dernière évolution stylistique : la musique, élément primordial au montage des films de Malick, est ici logiquement différente de celle de ses précédents films. Song to Song, situé (vaguement…) dans la scène musicale d’Austin, Texas, s’appuie beaucoup sur des chansons « normales » là où les compositions étaient jusqu’ici quasi-exclusivement de la musique classique. On retrouve ces compositions classiques ici aussi (Debussy, Ravel, Preisner, Saint-Saëns principalement), ne vous inquiétez pas, mais elles sont très certainement minoritaires face aux chansons de Patti Smith, Iggy Pop, Sharon Van Etten, Lykke Li ou Julianna Barwick (pour ne citer qu’eux, mais la liste est beaucoup plus longue encore). Plus encore, probablement pour la première fois et autre signe que le montage du film laisse un peu à désirer, cette évolution musicale se fait parfois au détriment de l’efficacité qu’on attend d’elle : certains choix sont approximatifs (Thee Oh Sees comme catalyseur émotionnel chez Malick ? Hum non, mauvaise idée), tandis que d’autres sont juste carrément à la ramasse (c’est la première fois qu’on se surprend à trouver une composition classique inadéquate chez Malick). Là encore, le sur-éclatement parait contre-productif.
Il est intéressant de voir aussi Malick sortir de sa tanière : alors qu’il s’est toujours tenu très loin du public et des caméras, vivant quasiment en ermite, le voici qui enchaîne pour la promo de son dernier film 1 session de questions-réponses avec Werner Herzog et une table ronde avec Michael Fassbender et Richard Linklater. Du jamais vu depuis 1974.
Est-ce que Malick serait en train de changer, évoluer ? Ce qu’on sait déjà, c’est que son prochain film, Radegund (à moins qu’il ne change lui aussi de titre), reviendra à un tournage plus classique : 40 jours, et un script plus complet qui sera suivi de plus près. Plus qu’une évolution, ce serait donc plutôt une expérimentation non-définitive.
Thèmes : là encore, on retrouve les éléments discutés dans To The Wonder (volatilité des sentiments, interchangeabilité des partenaires) et Knight of Cups (ambition VS passion, une fluidité des sentiments qui répond à un vide intérieur). Ici, c’est une succession de triangles amoureux entre Gosling, Mara et Fassbender, puis Mara, Fassbender et Portman, puis Mara, Gosling et Marlohe, etc etc.
La continuité avec TTW et KoC se fait aussi dans l’importance toujours plus grande donnée par Malick au sexe. Comme dans KoC, le sexe est avant tout une affaire de domination et un élément perturbateur avant tout. Malick semble nous dire « tout va bien, tout est simple, jusqu’à ce que le sexe entre en compte ». De fait, le trio principal vit plutôt bien son triangle amoureux (pourtant précaire) tant que le sexe n’est pas particulièrement présent. Au contraire, notamment à travers un voyage au Mexique, le trio semble vivre une parenthèse enchantée, sorte de paradis avant de sombrer dans les difficultés. Ce point n’est pas forcément inintéressant en soi, mais Malick le traite avec un certain manichéisme superficiel. Si certains plans fonctionnent parfaitement, le propos général du film est somme toute très candide et trop peu nuancé pour convaincre.
Cependant, le trio principal convainc sans aucune difficulté : Mara est impeccable dans la nymphe innocente mais pas que, Fassbender excelle dans une tristesse et un vide existentiel sourd qui peine à percer derrière une carapace tandis que Gosling semble simplement parfait pour le rôle, sorte de monsieur tout le monde aspirant à plus de choses de la vie mais finalement cloué par la réalité. En ce sens, et dans la lignée des personnages masculins centraux à la filmographie de Malick, il faut probablement insister sur la qualité exceptionnelle des 2 acteurs principaux, probablement ce que le film a de mieux à proposer. Dès que le film les suit, ils le transcendent, portant parfaitement sur leurs épaules les thématiques chères au réalisateur. Difficile de ne pas penser à Martin Sheen dans Badlands, Jim Caviezel dans The Thin Red Line ou Colin Farrell dans The New World. En cela, le montage sur-éclaté est là aussi préjudiciable car il nous retire trop souvent ce trio d’acteurs de l’écran alors qu’il est ce qui en constitue le cœur le plus fascinant.
Ce qui est certain, par contre, c’est qu’on retrouve toujours ce qui a souvent été raillé comme composants du « Bingo Malick » : Malick filmant une libellule plutôt que les acteurs, musique classique, voix off, héroïne jouant dans des rideaux blancs, une certaine naïveté dans les dialogues, des références culturelles très spécifiques (ici, c’est carrément des gros plans sur des tentures antiques), un montage éclaté, des atermoiements spirituels, et évidemment des images d’une plage. On retrouve aussi, comme d’habitude avec Malick, des acteurs coupés au montage :Christian Bale est totalement absent du film, Cate Blanchett doit avoir environ 4 minutes de temps d’écran, même Natalie Portman est finalement relégué au 3e plan (allez Natalie, encore un 3e film avec Malick et tu auras eu autant de temps d’écran qu’avec un second rôle classique) tandis que Val Kilmer est parachuté 2 minutes, juste le temps de découper sur scène une enceinte à la tronçonneuse avant de se faire huer par le public.
Du coup, quand on fait la synthèse, que reste-il ?
Le sur-éclatement du montage vers des digressions hors-sujet nuit à la construction émotionnelle. The New World et The Tree Of Life réussissait à trouver l’équilibre. Ce n’était plus le cas sur To The Wonder et Knight of Cups, ce n’est malheureusement pas le cas ici non plus. On aimerait un retour à un cinéma plus fluide et plus direct thématiquement. Cependant, Song to Song est probablement le meilleur film de Malick depuis The Tree of Life… même si ça ne veut pas forcément dire grand-chose.
Le numérique nuit à la beauté de l’image mais n’empêche pas la patte Malick d’être de tous les plans. Cependant, un retour à la pellicule serait probablement bénéfique visuellement. La marche est d’autant plus grande que The New World et The Tree Of Life mettaient la barre extrêmement haut.
Les thématiques émotionnelles et psychologiques fonctionnent pourtant bien, même si certains développements paraissent manichéens et candides. Cependant, le trio d’acteurs principaux transcendent cela à travers une impeccable adéquation et des interactions convaincantes. Ils sont sans aucun doute le point fort du film.
7/10
Classement Malick :
1. The Tree of Life / The New World
3. The Thin Red Line
4. Badlands
5. Days of Heaven
6. Song to Song
7. To The Wonder
8. Knight of Cups