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G.T.O a écrit :Apparemment, tu sembles confondre "films à message" et idéologie. L'idéologie est le phénomène que tu décris plus haut. Le film à message c'est plutôt un film qui milite pour une position sur un sujet précis, en adoptant un discours intelligible.
Après concernant l'aspect lénifiant du film, j'ai envie de te dire qu'il est la conséquence aussi de tes préjugés, lesquels sont précisément ce que le film cherche à modifier. Notamment sur la représentation de l'homosexualité dans un milieu machiste et dur. Mais dire cela c'est déjà forcer le sens du film en lui faisant adopter une direction qu'il ne prend pas.
Je comprends mieux ton point de vue sur l'expression "film à message". Pour ma part, j'appelle cela "film à thèse". Je te rassures, je n'ai pas trouvé Moonlight mauvais à ce point !
Sinon, je ne crois pas avoir de préjugés sur la "représentation de l'homosexualité en milieu machiste et dur". Au contraire, cela m'aurait intéressé de voir quelque chose sur le sujet dans le film (comme je l'ai écrit plus haut, je n'ai pas vu The Wire, donc je n'ai vraiment aucun modèle préconçu sur le sujet).
Malheureusement, lorsque tu écris que le film cherche à modifier nos préjugés, tu as dit l'essentiel du projet du film, et la raison pour laquelle il échoue au final selon moi. En effet, il oublie ses personnages en route, parfois littéralement (le mentor dont on apprend la mort au détour d'une conversation dans la deuxième partie), parfois en omettant les moments où le drame du protagoniste se joue.
En définitive, je pense que Jenkins ne maîtrise pas encore l'art des ellipses (les trois parties sont disjointes et laissent la possibilité à des interprétations hasardeuses), et, surtout, je pense qu'il n'a pas assez confiance dans ses personnages : il cherche à leur faire porter une fonction de dynamitage des préjugés avant de capter leur drame intérieur ; il cherche à les rendre surprenants au lieu d'essayer de nous connecter à eux.
A l'exact opposé, je pourrais citer le film de Jeff Nichols, Loving, dont les protagonistes sont absolument rétifs à tout embrigadement, à toute récupération. Tout ce qu'ils veulent, c'est vivre leur amour sincère auprès de leurs proches. Nichols réussit un film sans aucun sentimentalisme, et sans cliché. Il y a une telle évidence dans les rapports entre les époux, dans la douleur qu'ils ont de devoir quitter leur foyer, que l'injustice qui leur est faite est immédiatement ressentie par le spectateur. C'est la simple attention du cinéaste envers ses personnages qui bat en brèche les préjugés de l'époque, et qui nous les rend insupportables.