Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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StateOfGrace
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Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par StateOfGrace »

J'ai trouvé Nocturnal animals passionnant ... Le film est très riche, ce qui suit traduit juste mes premières impressions avant d'aller revoir le film :)

ATTENTION SPOILERS

Le film est une satire acerbe des apparences, qui ne sont que le paravent d'un univers factice gangrené par la solitude, le vide existentiel. A l'image de ces femmes qui dansent au ralenti lors du générique de début, dans une exhibition obscène de chairs obèses censée être artistique, le film montre la vacuité de tout un univers résumé à des brushing parfaits, des costumes taillés sur-mesure, comme un microcosme de fatuité où Susan (Amy Adams) étouffe.

Nocturnal animals entrelace avec brio trois strates temporelles : la vie désespérément parfaite de Susan (Amy Adams), galeriste d'art de Los Angeles qui vit dans le luxe; le récit du roman de son ex-mari Edward Sheffield (Jack Gyllenhaal) que Susan est en train de lire, et les prémisses de sa rencontre avec ce dernier. Tom Ford entretient magistralement l'ambiguïté sur les motivations de ses personnages, immisce le doute dans l'esprit du spectateur sur la véracité de ce qui est montré à l'écran, suggère que la fiction est peut-être réelle. Ces différents niveaux de lectures potentielles font tout la richesse du film.

La mise en image du récit imaginé par Edward donne lieu à de redoutables séquences qu'on croirait issues d'un survival, menant inéluctablement à une justice personnelle vouée à l'échec, dans un désert plombé de rocaille et de poussière. L'émotion affleure avec le personnage du policier mutique, magistralement campé par un Michael Shannon d'une intense sobriété.

Le film est constamment intriguant, imprévisible, dérangeant parfois, toujours passionnant. Comme si sous les images glacées couvait un monde vicié de rancoeur et de solitude.
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tenia
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par tenia »

Sur la séquence de danse du générique alors que Ford lui-même s'en est expliqué de façon très claire :
I found them so beautiful, so joyful, and so happy to be there. They were so uninhibited, and I realized that actually, they were a microcosm of what the whole film was saying. They had let go of what our culture had said they’re supposed to be, and because of that, they were so totally free. This is what’s restricting Susan. She’s being who she thinks she needs to be: I need to live this way, I need to look like that. It certainly wasn’t fat-shaming — if anything, it’s a celebration of the beauty of their bodies, and a challenge to what we think of beauty.
Elles sont donc simplement en opposé au personnage de Adams, engoncé dans des carcans sociétaux alors que ces danseuses sont totalement libérées. Ce n’est aucunement censé être obscène, bien au contraire, donc.
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Mosin-Nagant »

tenia a écrit :Sur la séquence de danse du générique alors que Ford lui-même s'en est expliqué de façon très claire :
I found them so beautiful, so joyful, and so happy to be there. They were so uninhibited, and I realized that actually, they were a microcosm of what the whole film was saying. They had let go of what our culture had said they’re supposed to be, and because of that, they were so totally free. This is what’s restricting Susan. She’s being who she thinks she needs to be: I need to live this way, I need to look like that. It certainly wasn’t fat-shaming — if anything, it’s a celebration of the beauty of their bodies, and a challenge to what we think of beauty.
Elles sont donc simplement en opposé au personnage de Adams, engoncé dans des carcans sociétaux alors que ces danseuses sont totalement libérées. Ce n’est aucunement censé être obscène, bien au contraire, donc.
C'était pas censé être ridicule non plus et, pourtant, j'ai trouvé qu'on nageait en plein dedans. De la provocation facile...
Heureusement, ça s'arrange par la suite.
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tenia
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par tenia »

Je ne verrai le film que la semaine prochaine (il sort le 11 au Benelux) mais ne voient de la provocation facile que ceux qui peuvent être gênés par le visuel généré. :wink: D'autres y verront probablement au contraire une promotion positive (c'est ce que je le lis du réal').
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Mosin-Nagant »

Oh, moi, ça ne me choque pas ( en 2017, comment l'être encore ? avec tout ce qu'on peut voir comme représentation du corps féminin ).
Des femmes morbidement obèses, qui trémoussent leur graisse, dansant nues au ralenti... Facile comme accroche.

J'ai senti de la part du réalisateur cette volonté de provoquer du dégout chez le spectateur ( parce qu'il faut reconnaitre que ces corps sont objectivement monstrueux ) pour ensuite le faire culpabiliser et réfléchir sur l'idée même du diktat de la beauté féminine tel qu'on nous le refourgue à chaque nouvelle saison dans l'industrie de la mode.

J'ai juste trouvé ce générique peu subtile et, finalement, hors sujet. Mais j'ai apprécié le film, au-delà de ça, dans une certaine mesure.
Michael Shannon, par exemple ! 8)
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Demi-Lune
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Demi-Lune »

G.T.O a écrit :Nocturnal animals : 5/10

Un trois en un ambitieux mais aussi bancal et inabouti. Manifestement traumatisé par Lynch, le film de Tom Ford est un mélo étouffé par une propension à l'esthétique, dissimulé sous les traits d'un méta-film sans intérêt, petit cœur contrarié par une volonté de distinction; jamais très loin de la sophistication creuse d'un Tony Scott des débuts.
cinéphage a écrit :Nocturnal Animals, de Tom Ford (2016) 8/10 - Certains rejetteront le film pour son coté froid. Pour ma part, je reste frappé par une élégance formelle de premier plan, et un récit d'isolement assez bien fichu.
ed a écrit :Nocturnal Animals (Ford) 8/10
J'avais trouvé A single man un peu chichiteux, là, je suis séduit, presque malgré moi (j'y allais un peu à reculons), par les audaces esthétiques autant que par la complexité de l'imbrication narrative : chaque partie (la réalité avec Amy Adams / le récit avec Michael Shannon) serait, prise seule, plutôt faiblarde, leur association suggère énormément (la solitude conjugale, l'hérédité comportementale, la création artistique, le ressentiment et le pardon...) et a en plusieurs occasions provoqué chez moi des émotions ou une sidération assez rares.
Dernière modification par Demi-Lune le 31 août 17, 13:02, modifié 1 fois.
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par mannhunter »

Une construction entre passé, présent et fiction inégalement impliquante, on frôle l'artifice parfois et le récit étiré restent un casting solide et le visuel chic...mitigé, même si le film intrigue par intermittences.
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Demi-Lune
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Demi-Lune »

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- SPOILERS -

Intérieurement, je me lamente souvent de ne plus voir dans le cinéma américain contemporain ce que j'appellerai le style total - celui qui a par exemple mu Hitchcock et David Lynch au faite de leur inspiration, lorsque la création cinématographique est une conjonction d'intuitions et d'obsessions plastiques (vêtements, coupes de cheveux, intérieurs, agencement des couleurs, etc) qui ont toutes leur importance pour faire plus qu'un film au sens purement technique, mais un monde à part entière, évocateur, obéissant à ses propres lois. Avec The neon demon, Nocturnal animals marque le retour du style total cette année : moins radical et provocateur dans sa proposition que Refn, le film de Tom Ford semble pour autant agréger autour de lui le même scepticisme quant à la primeur d'une forme racée qui enluminerait une histoire conventionnelle, sinon faillible.

Racée, la forme l'est, indubitablement. Quiconque se passionnant pour des aspects aussi faussement secondaires que la manière dont telle ou telle couleur fonctionne (et pourquoi) dans l'harmonie d'un plan, pourra goûter à loisir au geste esthétique, glacé et d'une classe sans faille - la maîtrise princière d'un quasi novice en cinéma, qui appose ses goûts très sûrs à la fois dans sa zone de confort (la partie "réelle" avec Amy Adams dans le monde artistique, qui aurait pu faire un film à elle toute seule) et dans les détours du cinéma de genre (la partie "littéraire", crado et caniculaire). A lire certains papiers, j'ai du mal à comprendre comment on peut reprocher au film de rester classique lorsque celui-ci ne cesse d'intriguer par ses moyens de forme et de narration : si le montage désarçonne régulièrement et maintient un inconfort permanent, la manière dont on navigue d'une strate de narration à l'autre cesse vite d'obéir à un quelconque système (aller-retour entre la lecture du manuscrit et le trouble que cela provoque chez Adams) pour suivre quelque chose de plus ténu, de plus fuyant, lancinant, dérangeant, comme si les premières pages lues avaient brisé une fiole de poison qui se répandrait de façon lente et évanescente sur tout le film (pour tout dire, lors du premier rejet éprouvé par Amy Adams à la lecture, je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux mécanismes de vertige de L'antre de la folie). Si le film n'est pas à proprement parler ardu, je le trouve donc quand même retors et gonflé et typique de ces films vénéneux qui paraissent superficiellement accessibles mais qui distillent dans le même temps un piège indéfinissable.

Faillible, l'histoire ne me paraît pas l'être. L'écueil majeur de ces films qui ont une foi absolue dans leur expression artistique est de ne rester que des exercices de style, supérieurement conçus peut-être, mais en définitive n'allant pas chercher bien loin. Ce n'est pas le cas ici, pour moi. D'une part parce qu'on peut "vivre" la partie littéraire pour ce qu'elle est, un polar McCormackien poisseux et viscéral dans son épure, ce qui suffirait déjà à faire un bon film. Mais aussi parce que ce polar ne prend évidemment tout son sens que dans le dialogue fictionnel et méta qu'il entretient avec la partie "réelle", bien moins évidente à suivre et à cerner parce qu'elle ratiboise les prises saillantes auxquelles pourrait se raccrocher le spectateur. C'est ce dialogue qui fait passer pour moi l'expérience dans une autre catégorie, tout à fait étonnante dans la manière dont elle décale la ligne de fuite du film et extirpe de toute cette opacité un mélo plein de rancœur. Tom Ford orchestre en effet un double récit de vengeance et de sa corolaire, la destruction morale : avec ce manuscrit, Edward l'écrivain met en scène des figures inconscientes chez Susan au regard de leur histoire d'amour brisée (disparition de la femme - c'est-à-dire, Amy Adams "réelle" -, disparition de la fille - avortement -, sentiment de culpabilité et de refoulé), et assouvit sur elle la vengeance symbolique à laquelle parvient son avatar littéraire en se faisant justice. L'humiliation infligée à Susan de ne pas venir au dîner de rendez-vous (et ainsi de lui signifier tout ce qui est fini) est exactement la même catharsis que de supprimer littérairement l'assassin/violeur, celui qui a fait du mal, qui a tout détruit. C'est la chute sordide d'une histoire de haine tenace par narration interposée, je trouve ça fort... fort parce que le spectateur est dans la même position que Susan en tant que lectrice, troublé et subjugué par le brio de cette manière de raconter et désireux de connaître le fin mot de l'histoire, qui est alors une bombe qui explose à la gueule et ne laisse qu'un goût amer en bouche, celui d'une vie gâchée et celui d'une vengeance froide et inguérissable pour les deux reflets de l'histoire. Jake Gyllenhaal est arraché à double titre de son amour et de sa progéniture et son manuscrit comme le film agissent dès lors comme une maïeutique, qui implique une appropriation inconsciente des personnages et des situations par Susan. Tout cela, cet entremêlement narratif, ce trouble qui monte, est fait avec une finesse presque diabolique.

Certains papiers trouvent néanmoins trop lisible ou peu original ce thème de la vengeance, et considèrent que le film se dégonfle et déçoit en poursuivant ce lièvre du règlement de comptes lâche, contre les promesses soulevées au début. Mais je crois qu'il y a quelque chose d'intentionnellement déceptif dans cette construction, dans cette sophistication narrative qui fait effectivement monter la sauce tout en criant d'un autre côté lucidement sa nature d'artifice (la narration dans la narration, dont on sort par bruitages intempestifs). L'histoire est un trompe-l’œil luxueux dans lequel le plus intéressant se niche, par onde de choc, dans les interstices du segment le plus immédiatement captivant (celui du polar texan). En tout cas, je crois que l'on ne peut pas retenir à charge contre le film le fait que son véritable point de mire soit celui, vicieux, domestique, de la vengeance sentimentale parce que le film laisserait supposer une autre direction au début. Le film est simplement très habile pour préserver jusqu'à un certain point l'idée qui le meut, tout en n'étant pas pute et incohérent dans les effets qu'il met en œuvre pour ce faire (cette vengeance se laisse subodorer par touches successives). Le générique controversé sonne en effet presque comme une note d'intention en nous prenant dès le début à partie (de façon facile, hors-sujet, obscène, culottée, chacun se fera son opinion) sur ce qu'on veut bien voir face à l'incongruité. Le procédé inspire des sentiments complexes et contradictoires et ce trouble devrait précisément guider le spectateur dans son appréhension de ce qui va suivre... Bref, l'impression qu'on fait un mauvais procès contre ce point particulier du film, qui emmène ailleurs, échappe à la catégorisation lambda.

Cette œuvre opiacée, qui confirme l'exceptionnel talent d'actrice d'Amy Adams, et qui ressemble lointainement à un bad trip lynchien tout en traçant en réalité sa propre route singulière, honore le cinéma américain à l'heure où les espoirs sont au plus bas.
Dernière modification par Demi-Lune le 8 janv. 17, 18:34, modifié 1 fois.
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Demi-Lune »

StateOfGrace a écrit :Tom Ford entretient magistralement l'ambiguïté sur les motivations de ses personnages, immisce le doute dans l'esprit du spectateur sur la véracité de ce qui est montré à l'écran, suggère que la fiction est peut-être réelle. Ces différents niveaux de lectures potentielles font tout la richesse du film.
- SPOILERS -

Oui. Grande question par exemple de savoir si la fille de Susan (qu'elle appelle sur son portable et que l'on découvre dans la même position que les mortes nues) existe bel et bien ou si elle n'est que la manifestation d'un refoulé, d'un tourment qui ne passe pas.
J'en viens également à douter de certains flash-back qui ont étrangement un côté pas net, comme si celui (ou celle, en l'occurrence) qui y repense arrangeait certaines choses en sa faveur.
Très étonnant d'ailleurs, comme les acteurs paraissent effectivement plus jeunes à ce moment-là. Magie du maquillage.
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par cinéfile »

Demi-Lune a écrit : Hitchcock
Le thème principal est d'ailleurs très "herrmannien" :



Excellent !
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Demi-Lune »

Oui, la musique reste discrète et parcimonieuse, mais je l'ai trouvée très élégante, vénéneuse comme il faut.
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Les soupirs lascifs sur celui-là me font penser aux expérimentations de Morricone dans les années 70.



Un côté Philip Glass, sur celle-là.
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par cinéfile »

Demi-Lune a écrit :
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Un côté Philip Glass, sur celle-là.
Ouais ça sonne comme un des morceaux de Glassworks
Demi-Lune a écrit :
- SPOILERS -

D'une part parce qu'on peut "vivre" la partie littéraire pour ce qu'elle est, un polar McCormackien poisseux et viscéral dans son épure, ce qui suffirait déjà à faire un bon film. Mais aussi parce que ce polar ne prend évidemment tout son sens que dans le dialogue fictionnel et méta qu'il entretient avec la partie "réelle", bien moins évidente à suivre et à cerner parce qu'elle ratiboise les prises saillantes auxquelles pourrait se raccrocher le spectateur..
SPOILERS

J'avoue que je suis plus sévère que toi sur ce point. Malgré mon appréciation globalement positive du film, l'histoire fictive au Texas me semble assez peu convaicante prise indivuellement. Bien qu'on y trouve des liens méta (tu en parles bien d'ailleurs) avec l'histoire "réelle", son déroulement reste très conventionnel et attendu dans ses enjeux, on est pas bien loin de l'exercice de style pour moi. Je suis mille fois plus touché par les flash backs de Susan avec Edward ou sa mère (étonnante Laura Linney dans une scène clef !) : le poids des conventions, du matérialisme forcené puis des remords ...
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Demi-Lune »

cinéfile a écrit :SPOILERS

J'avoue que je suis plus sévère que toi sur ce point. Malgré mon appréciation globalement positive du film, l'histoire fictive au Texas me semble assez peu convaincante prise individuellement. Bien qu'on y trouve des liens méta (tu en parles bien d'ailleurs) avec l'histoire "réelle", son déroulement reste très conventionnel et attendu dans ses enjeux, on est pas bien loin de l'exercice de style pour moi. Je suis mille fois plus touché par les flash backs de Susan avec Edward ou sa mère (étonnante Laura Linney dans une scène clef !) : le poids des conventions, du matérialisme forcené puis des remords ...
- SPOILERS -

Oui mais encore une fois, même si je comprends l'argument, il me paraît injuste dans la mesure où un thriller plus dense, plus original, aurait fatalement tiré la couverture vers lui au détriment de la consistance globale du film, qui s'appréhende dans le dialogue fiction/réel. En gros, ça aurait donné trop d'"importance" au thriller... la concentration du spectateur aurait été sur-sollicitée sur cette partie par rapport à l'autre et cela aurait fait imploser la cohérence du film en tant que tout, parce que la partie "réelle" serait devenue le parent pauvre. Or, au vu des finalités du film, il faut que l'une et l'autre soient également traitées pour que justement, le pouvoir vénéneux du fictif sur le réel se fasse bien. Cela suppose par conséquent un travail d'équilibre que le film trouve dans l'épure.
Je suis d'accord sur le fait que l'histoire fictive au Texas est effectivement un polar linéaire et peu inventif en soi. Même prenant, son déroulement est attendu dans ses enjeux, comme tu dis. Ce qui fait son prix, c'est la manière dont ce récit stéréotypé finit par contaminer l'autre strate de narration, par pouvoir de suggestion (auprès de Susan comme auprès du spectateur). Ne serait-ce que sur le plan sensitif. Le contraste entre la chaleur écrasante et le froid glacial de ce monde artistique. Cela force l'inconfort. Cette contamination me rappelle cette réplique de Sam Neil dans L'antre de la folie qui disait, de mémoire, que les bouquins de Sutter Cane étaient mal écrits, que c'était toujours la même histoire qui revenait, mais qu'ils étaient quand même étrangement captivants. Ce qui est amusant, c'est que Susan, lorsqu'elle était en couple avec lui, sous-entendait qu'Edward n'était pas forcément un bon écrivain ; ironiquement, Tom Ford semble nous pousser à nous demander si ce manuscrit de Nocturnal animals est vraiment bon puisque c'est un thriller foncièrement simple au premier degré. Mais le brio du film, c'est que le thriller est transfiguré dans la déstabilisation qu'il provoque à sa lecture/vision. On n'est plus juste face à un thriller d'élève studieux, on est face à une histoire bicéphale qui semble réfléchir en permanence à son statut. Je ne sais pas si je suis très clair...
Jean René
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Jean René »

Susan, lorsqu'elle était en couple avec lui, sous-entendait qu'Edward n'était pas forcément un bon écrivain ; ironiquement, Tom Ford semble nous pousser à nous demander si ce manuscrit de Nocturnal animals est vraiment bon puisque c'est un thriller foncièrement simple au premier degré
J'ai ressenti la partie "Tony" comme très stéréotypée en effet (à dessein, je n'en doute pas). Le personnage incarné par Michael Shannon devrait suffire à en convenir. Si on me demandait d'imaginer Michael Shannon en flic rural du West Texas, il aurait les mêmes costume, accent, histoire personnelle
Spoiler (cliquez pour afficher)
Son cancer? Même Tony semble douter de la crédibilité d'une histoire pareille dans son You never told me you had cancer
La prépondérance progressive de ce segment sur les autres, son classicisme dans le genre, mais surtout le manque d'implication émotionnelle du au fait que ce n'est qu'un film dans le film (ou un livre dans le film) finalement, m'ont laissé froid. Comment s'intéresser en effet au sort de personnages de fiction dans la fiction, quand bien même Tony serait le double supposé de Edward (qu'on ne connait pas encore à ce moment).

Partager alors la détresse de Susan demande un effort qui nuit à l'émotion.
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Re: Nocturnal animals (Tom Ford - 2016)

Message par Demi-Lune »

Jean René a écrit :Comment s'intéresser en effet au sort de personnages de fiction dans la fiction, quand bien même Tony serait le double supposé de Edward (qu'on ne connait pas encore à ce moment).
- SPOILERS -

Là, je ne sais pas quoi rétorquer, j'avoue... Perso, je me suis intéressé aux personnages de fiction dans la fiction parce que le film entretient un malaise et aussi une forme d'ambiguïté sur le fait que ce soit quand même "réel", comme une expérience traumatique refoulée qu'on aurait habillée, maquillée par la littérature. J'ai ainsi cru un bon moment que ce manuscrit était adressé et dédié à Susan pour lui faire rappeler un viol qu'elle avait enfoui au plus profond. J'ai d'ailleurs cru que c'était le sens cinéphile du jump-scare (qui a fait sursauter toute la salle) très Twin Peaks: fire walk with me où cette figure maléfique de l'assassin-violeur surgit de l'inconscient de Susan lorsque son assistante lui montre son bébé en train de dormir dans le noir. Pourquoi serait-elle hantée par cette figure, si ce n'est parce qu'elle aurait été victime elle-même? Alors qu'en réalité, Susan le visualise précisément à ce moment parce que ça lui inspire son sentiment de culpabilité par rapport au fait qu'elle a "tué" son propre bébé.

Pour en revenir à la relation Tony/Edward, en fait, c'est très bizarre mais lorsque Edward (jeune, donc) nous est présenté dans le film, je n'ai pas immédiatement tilté sur le fait que c'était un flash-back. Amy Adams avait l'air différente et j'ai cru de façon indistincte et spontanée (à cause du montage) que cette rencontre dans la rue était tout aussi fictive que le roman Nocturnal animals, et que Susan, donc, plaquait sur ce type les traits qu'elle s'était imaginés pour le héros du roman, par fantasme, de la même façon qu'elle personnalise l'intrigue de thriller vis-à-vis des deux femmes (rousses et bourgeoises comme elle).
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