Oui, je concède totalement cet écart par rapport au réalisme, et au professionnalisme attendu d'une unité d'élite comme le GIGN. Je pourrais toujours essayer de faire une entorse par rapport à ce que je disais plus haut (dissocier le film des attentats djihadistes en France) et faire remarquer que dans tous les cas d'interventions des forces de l'ordre pour appréhender des terroristes identifiés et retranchés (Merah, Coulibaly, les frères Kouachi, la planque à Saint-Denis, etc), aucun terroriste n'a été pris vivant, cela ne change effectivement rien au fait que les configurations étaient différentes (prise d'otages, fusillade contre la police, menace directe...) et légitimaient l'élimination des terroristes.Thaddeus a écrit :Le final montre un commando GIGN qui massacre méthodiquement, un par un, une bande d'ados désarmés et clairement disposés, pour certains, à se rendre. La nuance sémantique d'"ennemis d'Etat", et non de "terroristes", nous explique à un moment qu'il n'y aura pas de négociations, mais n'explique en rien l'exécution pure et simple des responsables, surtout dans ces conditions. Aucune force d'intervention ne liquiderait ainsi des cibles sans défense.
Par ailleurs, je ne suis pas sûr de mesurer cette distinction sémantique et juridique (à laquelle, j'avoue, je n'avais pas forcément prêté beaucoup attention pendant le film) entre terroristes et ennemis d’État. Qu'est-ce que cela implique, concrètement, dans la mise en œuvre des prérogatives de puissance publique. Parce que j'ai l'impression que si les jeunes avaient été qualifiés de terroristes, ceux qui voient une violence d’État arbitraire à la fin auraient eu exactement le même sentiment, de toute façon. La distinction sémantique n'a donc pas vraiment d'importance.
Par contre, oui, je soutiens que cette entorse à la vraisemblance vise à faire passer un message non démagogique vis-à-vis de la police (même si la maladresse est incontestable) mais politique, qui s'inscrit dans le cheminement réflexif du film sur la rupture de la jeunesse avec l'offre de société (à cet égard, ce n'est donc pas une "pirouette rhétorique", comme le dit le critique cité plus haut, mais bien un aboutissement inévitable). Ce n'est pas le GIGN en tant que tel que Bonello veut se payer, mais la classe politique française de tous bords qui en est l'émanation, en la mettant implicitement face à ses responsabilités d'échec (au pouvoir comme dans ses projets). Je ne veux surtout pas faire de l'idéologie à coups de phrases-slogans, mais il me semble évident que l'élimination des jeunes du film a une fonction évocatrice, justement parce qu'elle est irréaliste. Cela veut dire quelque chose, nécessairement. Le problème, c'est que Bonello obscurcit son message avec sa recherche de l'empathie, qui tend à faire des terroristes des victimes. Mais en arriver à la conclusion que c'est un processus de martyr est pour moi un contresens, parce que la notion de martyr implique qu'il y ait de la noblesse dans le fait de mourir pour un combat incompris : or, 1/ ces jeunes ont manifestement peur de mourir pour ce qu'ils ont fait, et 2/ non, ces jeunes ne sont pas des innocents, et Bonello ne laisse à aucun moment planer cette ambiguïté, dieu merci. Le vigile de la Samaritaine a abattu ses collègues, ils ont planifié en toute connaissance de cause des attentats dont certains sont à visée meurtrière (le dirigeant de HSBC de façon indéniable, le Ministère de l'Intérieur de façon implicite - qui peut croire que mettre une bombe là-dedans ne fera aucune victime). Qu'il ne soit pas certain que leurs bombes aient fait réellement des victimes ne change rien au fait qu'il y a une intentionnalité et qu'ils ont donc du sang sur les mains collectivement, pour le projet qu'ils portent. On peut disserter sur le rôle moteur de Vincent Rottiers ou du vigile roux, qui tuent tous deux de sang froid, et en l'absence desquels le groupe se retrouve presque perdu, infantilisé. Mais je ne vois rien dans le film qui tendrait à faire croire que ces jeunes sont progressivement lavés de leurs actes - au contraire, les mettre face à ce microcosme de consommation, qu'il rejettent symboliquement en s'en prenant à des symboles financiers, les renvoie à leur conscience, à un trouble de culpabilisation qu'ils n'osent s'entre-avouer (car comment interpréter, sinon, cette image de Jeanne d'Arc qui revient en flash, la tentation de prendre la tangente, la sidération de se retrouver face à son double-mannequin?). Tout ça pour dire (et je radote, désolé) que s'il y a indubitablement quelque chose de dérangeant par nature dans cette élimination du GIGN, on peut y voir dans le même temps quelque chose de cohérent dans la démarche allégorique du film : ces jeunes tués par la République renvoie cette dernière, par son geste de "couper court au problème", à une impuissance politicienne profonde, à gauche comme à droite. Et de rappeler une fois encore la fameuse phrase-choc de Manuel Valls "chercher à comprendre, c'est déjà excuser." Il a reconnu son erreur après-coup, mais c'est intéressant de la mettre en relation avec cette fameuse fin. On est dans le déni du problème.