La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Anorya
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La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Anorya »

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À travers l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux, La Tortue rouge raconte les grandes étapes de la vie d’un être humain.

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wontolla a écrit :La tortue rouge (Michael Dudok de Wit) : 9/10
Anorya a écrit :La tortue rouge - 10/10.

"Nous pouvons modeler votre vision.... jusqu'à lui donner la clarté du cristal et même au delà". (Au delà du réel - générique)
La beauté, la pureté du cristal. Oui. Amplement.
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Michael Dudok de Wit est un artisan consciencieux.
Et pour qui a déjà vu ses magnifiques courts-métrages Le moine et le poisson (1994) et surtout le bouleversant Père et fille (2000), l'attente vaut amplement le coup. C'est que De Wit prend son temps : Pour soigner l'histoire, y faire émerger l'émotion sur de petits riens de la vie, pour mettre en scène presque tout seul ce qu'il porte en son coeur. Ce fut payant puisque Isao Takahata, voyant le second court, n'hésite pas à lui proposer, sous l'accord de Toshio Suzuki, de réaliser directement un long-métrage produit par le studio Ghibli. Pourtant, en nous racontant son anecdote lors de l'avant-première du film hier soir à l'UGC des Halles, difficile d'imaginer que celà prendra alors plus d'une décennie. Ayant carte blanche de Takahata tant sur l'histoire que le graphisme et la mise en scène, de Wit, aidé par la talentueuse et sensible Pascale Ferran va alors commencer à mettre en chantier La tortue rouge. Le film est finalement devenu une coproduction Franco-japonaise avec Ghibli d'un côté, Wild bunch et arte de l'autre. Mais De Wit conserve une totale liberté.


Et ça se sent à l'écran, ça se vit. Le graphisme, fluide, s'inspire d'une esthétique à la Hergé et Bob de Moor, donc très ligne clair, mais avec un souci du détail qui perce derrière l'apparente simplicité du trait. Ce sont ses décors, de forêt de bambou d'où perce la lumière du couchant, ces nuages délavés qu'on jurerait parfois issu des aquarelles de Turner, ces rochers dont on sent l'aspect complètement minéral. Et si l'on ne peut s'empêcher de penser à la série d'animation mythique tirée de Tintin dans les années 90, celà se limite uniquement aux visages, les vêtements, éléments de la nature et mouvements ayant presque leur vie propre.


Dans les faits, le réalisateur prend le pari d'illustrer une histoire simple, celle d'une vie, pleine et riche avec ses hauts et ses bas. Derrière les métaphores poétiques apparentes, la solitude du personnage perce allègrement, ses propres problèmes de survie, mais sans jamais que le trait ne soit forcé lourdement. Il n'y a aucune parole échangée du long, juste quelques onomatopées qui traduisent parfaitement les différents états d'esprit de notre Robinson Crusoé avant, pendant et après sa rencontre avec la fameuse tortue rouge. C'est de l'épure à l'extrême, lent, presque contemplatif et très proche dans le fond du superbe L'île nue de Kaneto Shindo. Inutile donc de dire qu'on pourra adhérer au voyage ou en être lassé devant le peu d'action sur un film qui choisit de mettre en valeur des choses simples. Et pourtant si on accroche à l'oeuvre, quel voyage ! Coup de coeur.
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wontolla
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par wontolla »

Un Ghibli à la sauce hollandaise

Etonnante rencontre des studios Ghibli avec l’Occident en en particulier les Pays-Bas dont le réalisateur Michael Dudok de Wit propose ici son premier long-métrage d’animation dont il est également le scénariste avec Pascale ferran. Le diaporama ci-après permet de découvrir quelques-uns des croquis préparatoires à ce qui deviendra le film qui a obtenu le Prix Spécial Un Certain Regard au Festival de Cannes de 2016. Un film qui fait droit à la nature, aux animaux jusque dans les plus petits détails.

Bien plus que Robinson !

Ce film est bien plus qu’une « robinsonnade » ! C’est un conte ou une fable philosophique et fantastique, une ode à la « Nature » que l’on peut ici majusculer, une réflexion sur l’humain et sa place au sein de celle-ci. La tortue rouge peut probablement être lu à plusieurs niveaux, à commencer par les enfants qui y découvriront une belle histoire qu’ils peuvent prendre au premier degré, celle d’un adolescent que les vagues déferlantes conduisent sur une île déserte. Comment il va grandir et murir avec les animaux, faire des rencontres surprenantes, dont l’une fantastique avec une tortue rouge, fonder une famille et puis mourir. Les adultes y verront bien sûr la Ghibli touch, qui apporte un surcroit de beauté aux dessins et scénario de Michael Dudok de Wit. Qu’il s’agisse du protagoniste principal (et plus tard des autres humains) très expressif(s) même si les yeux sont réduits à de simples ovales noirs, mais également des animaux, petits et grands, de l’île et aussi de l’eau, source de vie et de mort qui est quasiment un personnage à elle seule ! Celui ou celle qui a vu et apprécié les grands films des célèbres studios japonais ne sera pas dépaysé par cette conjonction de deux univers culturels.

Etre animal et humain...

Toutefois, le film nous invite à aller beaucoup plus loin et nous interroge sur notre humanité, notre place sur la planète, notre interaction avec la nature (voire la Nature). D’où venons-nous ? Pourquoi vivre ? Pourquoi mourir ? Que faire de notre existence ? Le tout se découvre dans un récit sans paroles. Seuls quelques cris, gutturaux, universels, prélangagiers jailliront pour exprimer une détresse, un désarroi, une colère. Les seuls sons que nous entendrons seront les bruits de la nature et des (autres) animaux. « Autres » entre parenthèses parce que les humains, ou probablement faudrait-il écrire « l’humain » (re)trouve son statut, sa place « animale ». Il n’est pas ici le seigneur et le maître de la « création ». Mais le film est aussi bercé et ponctué d’une bande musicale due à Laurent Perez del Mar. Si celle-ci est emphatique, au risque d’être trop présente, elle ne franchit pas le cap d’une démesure et aide à vibrer à l’histoire qui nous est contée. Singulièrement, malgré le titre, c’est celle d’un homme avant d’être celle d’une tortue (rouge).


Il s'agit d'unextrait de ma critique que je prolonge par une tentative de lecture plus personnelle :oops:
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nobody smith
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par nobody smith »

Anorya a écrit :Et pour qui a déjà vu ses magnifiques courts-métrages Le moine et le poisson (1994) et surtout le bouleversant Père et fille (2000)
Tiens je n'avais pas fait attention que le réalisateur de La Tortue Rouge était également celui de Le Moine Et Le Poisson. Je l'avais découvert il y a quelques mois lors de la première partie d'une séance dans un cinéma d'art et d'essai. Ce court m'avait fait une très belle impression par la personnalité de ses dessins et l'esprit dont il faisait preuve. Du coup, je viens de jeter un oeil sur Père Et Fille et c'est effectivement très beau aussi. Apparemment, La Tortue Rouge partage la même approche allégorique de la vie. La bande annonce m'avait intrigué mais là je suis plus qu'enthousiaste au vu de ces précédents travaux :D
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Anorya
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Anorya »

nobody smith a écrit :
Anorya a écrit :Et pour qui a déjà vu ses magnifiques courts-métrages Le moine et le poisson (1994) et surtout le bouleversant Père et fille (2000)
Tiens je n'avais pas fait attention que le réalisateur de La Tortue Rouge était également celui de Le Moine Et Le Poisson. Je l'avais découvert il y a quelques mois lors de la première partie d'une séance dans un cinéma d'art et d'essai. Ce court m'avait fait une très belle impression par la personnalité de ses dessins et l'esprit dont il faisait preuve. Du coup, je viens de jeter un oeil sur Père Et Fille et c'est effectivement très beau aussi. Apparemment, La Tortue Rouge partage la même approche allégorique de la vie. La bande annonce m'avait intrigué mais là je suis plus qu'enthousiaste au vu de ces précédents travaux :D
Ah oui si tu aimes ses précédents travaux, je pense que tu vas te régaler. :D
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Duke Red »

(Je remets mon avis tiré du sujet "Festival de Cannes 2016")

La Tortue Rouge est un beau film, oui, qui parvient à créer des images surprenantes (la forêt de bambous ou le naufrage du début où la mer déchaînée abolit les repères du personnage et du spectateur) ou juste adorables (c'est fou ce qu'un crabe peut être expressif), malgré des choix esthétiques discutables, comme les scènes de nuit toutes grises. Mais après un virage vers le fantastique, on comprend assez vite que le récit va être une allégorie des différents âges de la vie, et le pari d'une certaine aridité - aucun dialogue, juste des cris et les gazouillis du bébé - m'a empêché d'être ému par ce que je voyais, à l'exception d'un court moment où l'homme et la femme entament quelques pas de danse au crépuscule. Dudok de Wit réussit très bien les passages mignons, avec le pitchoune notamment, mais je n'ai pas été particulièrement touché par la dernière partie.




(Anorya, les images de ta signature proviennent de quel(s) film(s) ? :fiou: )
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Chdx »

Duke Red a écrit :(Anorya, les images de ta signature proviennent de quel(s) film(s) ? :fiou: )
Oui, elles sont...fascinantes!
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:mrgreen:
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Duke Red »

(Moi qui pensais que Jean Rollin, c'était du cinéma bis tendance Z mochetouille with boobs, je les trouve vraiment belles ces images, surtout la deuxième et la troisième… Après c'est peut-être les meilleurs plans du film ^^)

(Merci Chdx :) )
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Anorya »

Duke Red a écrit :(Moi qui pensais que Jean Rollin, c'était du cinéma bis tendance Z mochetouille with boobs, je les trouve vraiment belles ces images, surtout la deuxième et la troisième… Après c'est peut-être les meilleurs plans du film ^^)

(Merci Chdx :) )
Petite parenthèse. :o
Spoiler (cliquez pour afficher)
Ah mais c'est totalement du cinéma bis les films de Rollin. Et assumé comme tel d'ailleurs dans la majeure partie des cas. Mais Rollin avait néanmoins tout un univers qu'on retrouve aussi bien en livres (ci-dessous) qu'en films où l'innocence et une idée de la pureté rejoignent un monde fantasmagorique peuplé de vampires, jeunes filles et cimetières. Ce qu'il ne pouvait faire en film, il le faisait donc en livre et comme la majeure partie de ses films affichent clairement un manque d'argent évident (ce qui entraîne certaines considérations esthétiques :mrgreen: ), c'était donc généralement assez fauché. Et n'ayons pas peur de le dire on peut y ajouter une direction d'acteur assez proche du néant ou, si on est dans un bon mood, très Bressonien. Et un rythme lent, assez contemplatif. De là à dire que Rollin vire série Z en citant constamment son Lac des morts-vivants qui est une commande pour Eurociné à la base (faut bien manger) et en négligeant généralement tous ses films comme le font la majeure partie des cinéphiles sans trop chercher à aller plus loin, c'est un constat un peu dommage qui perdure encore (il suffit d'aller voir le topic du cinéaste).


Or Rollin a une profonde influence surréaliste (et pour avoir découvert Les raisins de la mort récemment en DVD, en cadrage, c'est pas un manchot non plus). Et dans ses films, on remarque toujours une certaine imagerie soignée et iconographique qui participe à la fascination étrange que peut avoir son univers. Après il faut pouvoir y entrer par la bonne porte, le bon film, ou avoir un passeur à vos côté. La porte d'entrée pour moi fut Lèvres de sang (avec une magnifique affiche signée Caza d'ailleurs - photo 2 en dessous). Le lac des morts-vivants (qui a ses adorateurs --coucou Gnome et Hellrick) ayant bien failli m'en dégoûter. Comme quoi. Enfin bon bref, on en reparlera peut-être en topic Jean Rollin, qui sait...


Sinon oui les images en signature proviennent de Fascination du sieur Rollin (et non, il y a plein d'autres plans étranges et attirants dans le film). Je vais essayer de consacrer des signatures de temps en temps sur des films ou des cinéastes qui disposent d'un fort univers visuel. Il y a quelques jours j'avais une signature Valérie au pays des merveilles...
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Ah tu voulais du boobs, hein... :fiou:
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Duke Red
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Duke Red »

Spoiler (cliquez pour afficher)
Vous me tentez, vous me tentez… :)

Mais j'imagine que c'est compliqué à trouver en DVD ?

(OK j'arrête le HS, je consulterai le sujet Jean Rollin… :fiou: )

(Merci :wink: )
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Thaddeus
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Thaddeus »

Un beau, et même très beau film, en effet, que ce conte allégorique qui évite avec une délicatesse de fée les écueils du symbolisme lourdaud auquel son projet risquait de le conduire à chaque instant. De fait, après une première demi-heure qui semble creuser le prosaïsme de Seul au Monde (le film de naufragé ultime, rappelons-le), Michaël Dudok de Wit privilégie une approche plus fantastique quoique tout aussi limpide, durant laquelle il parvient à équilibrer l'extrême ténuité de l'argument et des situations et le poids "signifiant" qu'il leur accorde. Une telle entreprise était périlleuse, mais tout semble relever de la plus grande évidence tant est beau le dessin, concret chaque détail, vivant le moindre frémissement de vague ou le moindre souffle de vent. Il y a dans cette Tortue Rouge une simplicité, une humilité, une aptitude à cerner l'essentiel, une poésie naturelle également qui m'ont touché. Les esprits chagrins pourront tiquer sur certains points non explicatifs (comment les personnages parviennent-ils à allumer à brasier ? comment peuvent-il passer toute une vie sans se construire un abri ?), mais ce serait à mon sens passer à côté d'une ligne pure qui trace un mouvement quasi cosmique sans jamais sortir les grandes orgues du lyrisme pompier. J'aurais avec grand plaisir passé plus de temps en compagnie de ces trois Robinson, mes frères et soeur, pour goûter encore un peu de l'émotion que suscite ce voyage.
Anorya
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Anorya »

Merci Thaddeus pour ce très bel avis ! :D
Puisse-t-il pousser Demi-Lune à voir ce film, qui sait...

Petit report de notes en plus :
Harkento a écrit :La tortue rouge (Michael Dudok de Wit) : 9 / 10

Beau, poétique et bouleversant ! Un film que se passe de mot et ou tout passe par l'image : du cinéma comme j'en aime et comme j'en veux ! :D
locktal a écrit :La tortue rouge (Michael Dudok de Wit) : 9/10.
Thaddeus a écrit :La tortue rouge (Michaël Dudok de Wit) - 8/10

Voilà. Ne manque plus que les notes ou avis contraires et peu enthousiastes de Mannhunter et AtCloseRange pour que ce topic soit complet. :mrgreen: :arrow:
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Demi-Lune »

Anorya a écrit :Puisse-t-il pousser Demi-Lune à voir ce film, qui sait...
J'en entends beaucoup de bien un peu partout, mais j'avouerais qu'il n'y a pas grand-chose qui m'attire en ce moment au cinéma.
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Max Schreck »

Je ne m'explique pas le choix du visuel de l'affiche, qui spoile quand même d'entrée de jeu le devenir du protagoniste, et a pas mal réduit à mes yeux une bonne partie du suspense du 1er acte. Ce sera ma seule réserve.

Y allant en famille, j'ai vécu la séance comme une authentique expérience qui m'a laissé bouleversé. Bouleversé par sa splendeur graphique exquise à tomber, et bouleversé par son propos. J'y ai non seulement projeté et ressenti mes propres angoisses et fiertés, mais je me suis aussi inévitablement mis à la place de mon gamin, en imaginant et anticipant ce que lui pouvait en saisir. Un peu comme si j'étais deux spectateurs en un, et que ça décuplait la puissance d'évocation du film. Dudok de Wit ne joue pas sur le voyage, l'exotisme ou les risques de la survie, mais compose une aventure intérieure poétique et métaphysique à l'équilibre assez parfait.

La grande force du film est vraiment que son discours a beau être porté par une forme épurée, il est d'une très grande richesse, et je pense que le spectateur en saisira quelque chose de différent et complémentaire selon son âge. Le film joue sur l'épure, mais est loin d'être austère. C'est dans sa maîtrise de la forme, sa façon d'associer images, rythme et musique que l'émotion est conviée, dirigée comme des vagues et touchant droit au cœur. La délicatesse de l'animation s'accorde en effet avec le score magnifique de Laurent Perez del Mar, et les séquences s'enchaînent, toutes plus émouvantes les unes que les autres. Parvenir à une telle alchime est clairement le résultat d'un travail et d'une exigence très poussés, et c'est tout le talent du réalisateur de ne justement jamais laisser transparaître le labeur de fou qui a permis ce qu'on a sur l'écran. J'ai beaucoup apprécié le choix de certains symboles, qui respirent l'évidence après coup (la bouteille de verre comme appel vers un autre horizon).

Dudok de Witt prolonge la veine qu'il avait déjà magistralement creusée sur son précédent court. Ce serait dommage de se priver de le (re)voir :
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par hansolo »

Autant j'ai beaucoup aimé Le moine et le poisson, autant Père et fille m'a laissé de marbre ...
Curieux néammoins de découvrir son premier long metrage.
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Re: La Tortue rouge (Michael Dudok de Wit - 2016)

Message par Jeremy Fox »

Un très joli film d'animation qui commence comme Seul au Monde avec la tentative pour un naufragé de s'extirper de son île déserte et qui, après un petit virage vers le fantastique, narre par immenses ellipses la vie d'une famille restée seule sur ce petit bout de terre. Le graphisme est superbe tout comme le travail sur les couleurs -dommage alors que le noir et blanc ait été privilégié pour les scènes nocturnes-, la ligne est claire et le minimalisme de l'ensemble fait beaucoup de bien. Un thème musical d'un lyrisme déchirant délivré avec parcimonie, quelques images d'une beauté à couper le souffle, pas mal de poésie... le seul problème me concernant -de taille quand même- étant le manque d'empathie ressenti envers des personnages assez inexpressifs. Du coup, comme Duke Red, même si j'ai trouvé le film très bon, je suis loin d'avoir été ému comme je m'y attendais.
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