Sicario (Denis Villeneuve - 2015)

[Colqhoun]

Sicario. Gros programme. Une jeune bleue qui se retrouve embarquée par des mecs un peu louches qui semblent bosser pour le gouvernement. Des gros bras avec des gros fusils. Des trafiquants de drogues qui décapitent leurs victimes. Et Denis "Les Gros Sabots" Villeneuve aux commandes.

Avant même que le film ne démarre, on sent déjà que le mec va vouloir nous raconter l'Amérique, le Trafique de drogues, la Police, la Violence. Avec des majuscules et beaucoup, beaucoup de sérieux. En soit, je n'ai rien contre les réalisateurs qui s'attaquent à de grands sujets de société et cela peut effectivement demander une certaine application dans le traitement. Mais Denis Villeneuve aime bien donner des leçons. De grandes leçons à grand renfort de violence, de musique imposante et de complaisance sadique. Et Sicario ne se démarque pas de ce procédé.

Tout est mis en place pour nous faire ressentir l'horreur absolue et la violence démente qui plombe cette zone frontière entre les USA et le Mexique, avec en ligne de mire la néfaste Ciudad Juarez, connue pour être la "capitale mondiale du meurtre". Un décor que nous découvrons via les yeux de cette jeunes recrue manipulée à tout va, utilisée malgré elle pour légitimiser des actions illégales servant à déséquilibrer le cartel de drogues de la région. Cet idéalisme un peu naïf qui en prend cher se confronte au cynisme des gros bras (Josh Brolin et Benicio del Toro), lorsque ces derniers prennent les épaules de la fliquette, la regardent dans les yeux avec tout le sérieux du monde pour lui révéler les tenants et aboutissants de la situation. Ce qui correspond plus ou moins à ce que Villeneuve fait avec son spectateur sur un procédé répétitif: une scène d'action, un débordement de la part des gros bras, la recrue/le spectateur qui s'offusque et le réalisateur qui nous prend par les épaules pour nous exposer la Vérité. Ce n'est pas très finaud, assez agaçant sur la durée et ça parsème le film jusque dans ses dernières images.

Et si le film casse un peu les pieds avec ce ton pesant et professoral, il impressionne aussi à quelques reprises lorsque Villeneuve se concentre sur l'action pure. Cette séquence où la police américaine va récupérer l'un des bras droits du baron de la drogue dans Juarez ou encore la prise du tunnel sont probablement les deux plus grands moments de Sicario. Des moments où le réalisateur peut pleinement se concentrer sur des choses assez simples: des voitures qui roulent dans un sens, puis dans l'autre et des mecs qui entrent dans un tunnel et défoncent tout ce qui s'y trouve. Et Johann Johannson qui met plein d'infrabasses hyper vénères pour souligner jusqu'à l'écoeurement que tout cela est très dangereux. Bon, ça manque d'équilibre, ça joue aussi beaucoup sur la frustration (puisque la situation n'est pas prête de se résoudre), mais ça marche.

Je suis peut-être un peu mauvaise langue avec le film et son réalisateur, mais ce dernier a depuis toujours cette sale tendance à donner à ses films un ton de donneur de leçon un peu condescendant. Ici probablement moins qu'avant, mais comme avec Prisoners, on sent cette forte volonté d'appuyer une idée, un propos, que l'on comprend très rapidement et sans que l'on ait besoin de nous faire un dessin. Désormais, tout ce que j'attends c'est que le réalisateur continue de tourner les scripts d'autres scénaristes et se "contente" de faire de la réal. Parce que dans ses bons moments, il se démarque sans trop de difficultés de la masse de yes-man et autres réalisateurs de cinéma d'action (même si oui, d'accord, c'est réducteur de ramener ses films à du cinéma d'action). Bref.

[Colqhoun]

PS: cet extrait du soundtrack est bien démonstratif du problème Villeneuve, dans la mesure où il abuse de ce genre d'effets à tout bout de champ.

[Gounou]

C'est marrant, il me rappelle quelqu'un mais j'arrive pas à savoir qu.... ah, ça y est !

[Colqhoun]

Ah tiens, j'avais jamais vu la tronche du garçon.
Salopard.

[Johnny Doe]

Je serais plus indulgent, déjà parce que j'aime vraiment beaucoup la réalisation de Villeneuve (et la plupart de ses films précédents) et que rien que pour ça, j'y ai pris beaucoup de plaisir, ensuite parce que dans le genre polar burné le film a de belles qualités et de très belles séquences. Mais je retiendrai quand même de très gros problèmes d'enjeux, tant le personnage observateur d'Emily Blunt est, comme le spectateur, mis de côté, du coup les véritables enjeux du film, qu'on nous passe sous silence pour mieux nous les sermonner sur la fin, sont la plupart du temps très diffus. Il y a un sentiment de danger, parce que la mise en scène et la musique son suffisamment démonstrative pour qu'on le comprenne, mais au final pas de réel tension émotionnel.

Du coup d'un point de vue scénaristique, à trop jouer sur l'abstraction et l'absence d'informations dans un premier temps, le film peine sacrément à impliquer le spectateur, puisqu'au final on s'en fout un peu de ces personnages fantomatiques. Quand Villeneuve décide ensuite d'éclaircir tout ça, c'est fait au bulldozer à grand renfort de tunnels de dialogues. Le film fini par devenir un peu mécanique, à l'image de cette idée de représenter le quotidien d'un flic mexicain qui aura une incidence au final quasiment nulle, juste pour montrer la contamination de la violence jusque dans la plus banale des vies de famille (et ce final qui en rajoute pour être sûr qu'on a compris).

Sicario cache finalement pendant plus d'une heure un scénario et des intentions vues et revues. On en sort avec l'impression de beaucoup de bruit pour rien. Même si quand ça fait du bruit, c'est franchement brillant.

[shubby]

Moi je l'ai accompagnée, la bleue. Si l'on s'en tient au titre, Sicario, qui signifie donc "tueur", on a la thématique du film.
"Toi, spectateur, serais-tu un tueur ?"
Ca nous interpèle, c'est du 1er degré presque à la Haneke finalement. On se mange un gros plan sur la tête d'un cadavre dans un sac plastique pendant 10 bonnes secondes, quand même !
Sur une situation comme ça, nous-même cautionnons-nous les tueries en réaction au massacre ?
La fliquette n'est pas naïve, elle essaye de rester dans le bon couloir, de ne pas basculer du côté obscur. Ca n'est pas une tueuse, elle tient bon. Elle flingue dans le film pour se défendre contrairement au sicario del toro.
La question du choix est clairement posée, celle des limites d'un ciné de genre également à l'heure où le contexte géo-politique nous force à sortir de notre bulle oisive.
C'en devient presque du post Costa Gavras ; du ciné engagé. J'aime bien.

[Alphonse Tram]

C'est vrai que les tueurs ne sont pas forcement ceux qui font le plus de bruit. Un pays de plus "plombé" par les USA.
Graphiquement c'est superbe, avec une mise en scène posée qui permet d'en profiter. Ce coucher de soleil avec les soldats au premier plan qui descendent la plaine, mmh. La géographie des lieux est également bien posée (ce plan aérien qui suit les voitures au passage de la frontière, et d'une manière générale les plans aériens de Juarez)
Donc j'ai beaucoup aimé, et j'irai plus souvent au ciné si on me proposait un peu plus ce genre de film. et comme je suis un gros cynique, j'ai adoré la fin (fusillade + fin en queue de cochon incluse) Cool.
Après, mes réserves sont identiques aux précédentes : une grosse musique de relou totalement inutile. Concernant le personnage d'Emilie B je l'ai trouvée quand même très naïve dès le départ, de ne pas comprendre qu'elle servait uniquement de caution morale administrative...

[Alphonse Tram]

Une interview de Roger Deakins dans la dernière lettre de l'AFC en page 14-15 (suivi de celle de Darius Khondji pour Un homme irrationnel)
http://www.afcinema.com/IMG/pdf/lettre_257.pdf

[Duke Red]

Une interview de Roger Deakins dans la dernière lettre de l'AFC en page 14-15 (suivi de celle de Darius Khondji pour Un homme irrationnel)
http://www.afcinema.com/IMG/pdf/lettre_257.pdf

Ils ont mis un H à Coen, la lose... ^^

Sinon, Denis Villeneuve continue de me décevoir. J'ai pas vu Incendies (considéré comme son mini chef-d'oeuvre ?), mais que ce soit sur Prisoners, Enemy ou Sicario, je m'attendais à un gros truc, alléché par une presse souvent très enthousiaste, avant de sortir de la salle en me disant : "C'est tout ?"

Oui ce mec a un réel talent de metteur en scène, une fois encore magnifiquement servi par Roger Deakins (ces couchers de soleil...) même si je ne suis pas fan de ces dominantes jaune qu'on retrouve parfois. Mais bon on a juste l'impression d'avoir vu ça dix fois : la bleusaille qui découvre la réalité du terrain, combattre le mal par le mal, l'homme est un loup pour l'homme, gna gna gna... Et comme Villeneuve a la main leste (Prisoners et ses grôôôsses questions éthiques, avant que tout ne finisse au bout de 2h30 comme un vulgaire Seven bis), ben le résultat n'est pas très excitant. Je ne suis jamais senti collé à mon siège, même dans les phases supposées tendues. L'indécrottable esprit de sérieux du réal, couplé à une "musique" bien pesante (une sorte de caricature de Zimmer), empêche le film de prendre son envol. Et il y a un réel problème avec les personnages : les états d'âme et la naïveté d'Emily Blunt agacent, le Black ne sert à rien, les intermèdes avec le flic mexicain font plouf (on se croirait chez Inarritu...), Josh Brolin est un peu mieux loti mais semble défini uniquement par sa décontraction roublarde. Le scénario aurait peut-être dû se concentrer uniquement sur Benicio Del Toro, dont le charisme puissant et vénéneux est intact. On aurait pu suivre sa trajectoire morale

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après le meurtre de sa famille,

quitte à sacrifier le mystère entourant le personnage. (J'ai beaucoup apprécié que le film aille au bout de sa logique et

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qu'il tue la famille du chef du réseau.

Une autre fin m'aurait paru hyper faux-cul.)

J'ai pas revu le Traffic de Soderbergh depuis sa sortie, mais il me semblait à l'époque qu'il avait déjà parfaitement synthétisé tous les aspects de la lutte contre la drogue.

[Outerlimits]

Tu dévoiles quelque chose d'important au sujet du personnage de Benicio Del Toro, il faudrait mieux le mettre en spoiler.

[Duke Red]

Ouuuuups, corrigé

Tu avais déjà vu le film ?

[Outerlimits]

Oui oui ne t'inquiete pas.

[Commissaire Juve]

... les états d'âme et la naïveté d'Emily Blunt agacent...

C'est ce que je retiens de tous les avis mitigés exprimés dans le topic.

En la voyant à l'affiche, j'avais cru que son personnage allait "fighter le mal" comme dans "Edge of Tomorrow", mais, à vous lire, ça n'est visiblement pas le cas. Dommage !

[homerwell]

Je trouve d'une part : réducteurs les commentaires sur la soi-disant naïveté du personnage d’Émilie Blunt, il ne faut pas oublier qu'elle est recrutée juste après

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avoir subi un choc important lors de l'explosion près de la maison remplie de cadavres

, ce qui altère son jugement dans un premier temps et que durant cette même entrevue,

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son collègue est écarté car trop "avocat" dans son cv.

Elle est choisie car l'on ne doute pas qu'elle aura envie d'en découdre. Rien ne nous dit qu'elle a un profil de policier intègre à toutes épreuves.

D'autre part, ce sentiment d'impuissance et de naïveté que fait naître Denis Villeneuve chez le spectateur est bien légitime, Traffic qui a été cité à juste titre dans le fil de discussion date de 2000, tout a empiré depuis, alors ne pas nous faire simplement le coup du film d'action avec Wonder Girl en guest star est plutôt bien vu.

[Duke Red]

Oui oui ne t'inquiete pas.

Ouf

(Deux jours que je ne dormais plus...)