Notez les films d'aujourd'hui

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Message par Profondo Rosso »

Supersonic de Mat Whitecross (2016)

Sept ans après leur fracassante séparation (et peut être avant une reformation fantasmée par tous), le documentaire de Mat Whitecross se penche sur l'odyssée des frères Gallagher et du groupe Oasis. Le film se penche plus précisément sur les trois folles premières années qui virent à force de scandales et coup de génie musicaux le groupe réitérer une frénésie inédite depuis les Beatles en Angleterre. Le récit s'ouvre d'ailleurs sur l'apogée du phénomène Oasis, le mythique concert de Knebworth donné en juillet 1996 devant près de 250 000 personnes. Du survol du site gigantesque en hélicoptère à l'arrivée du groupe sur scène dans l'hystérie générale, toute la folie de l'Oasismania est saisie dans cet instantané. La narration passe alors du monumental à l'infiniment petit, la chanson Columbia scandée par des milliers de personnes reprenant dans un local anonyme quelques années plus tôt. Tout le parcours du groupe sera ainsi parcouru à travers des images rares et intimes autant que d'autres plus fameuse, accompagnées de la voix-off lucide de chacun des membres. Asif Kapadia réalisateur du magnifique Amy consacré à Amy Winehouse est ici producteur mais on retrouve sa patte pour capturer ce vertige entre l'intime et la notoriété. Le ton du documentaire s'adapte au tempérament rigolard et vachard des Gallagher tout en se montrant capable de capturer leur vulnérabilité. L'amour et l'attrait pour la musique dépeint comme une démarche intime et libératrice pour le taciturne Noel Gallagher devient une révélation mystique absurde pour le déluré Liam après s'être fait fendre le crâne d'un coup de bouteille face à un caïd local.

On retrouve par cette idée la dualité des frères Gallagher. Liam tête brûlée instinctive et talent naturel (on rira beaucoup de la stupéfaction de Noel face au chant de ce frère avec lequel il a si longtemps partagé une chambre, devant lequel il a tant de fois trituré sa guitare sans l'entendre ouvrir la bouche) s'oppose ainsi à un Noel plus laborieux qui aura longtemps rongé son frein en tant que roadie en rêvant du devant de la scène. Tous deux conjugue cependant une rage face au déterminisme social de leur existence moribonde à Manchester, et d'une enfance malheureuse auprès d'un père violent. On capture donc une énergie de tous les instants d'une formation qui joue son va-tout et exposée dans les images rarement des premiers concerts chaotiques. C'est évidemment quand cela se concrétise dans le processus musical que le documentaire fascine le plus, la vulnérabilité et le sens mélodique de Noel étant transcendé par la puissance désinvolte de Liam sur Live Forever, un des titre les plus touchant du groupe. De même l'emblématique Supersonic, instantané de la puissance d'Oasis, un en fait une chanson composé à la va vite alors que l'enregistrement d'un autre titre piétinait. C'est dans cette spontanéité, ces chansons à expulser comme exutoire que reposeront l'art et la réussite du groupe, dont l'allant se prolonge dans des textes s'éloignant du misérabilisme grunge. Comme le soulignera Noel Gallagher, aucun d'entre eux n'était le meilleur musicien qui soit mais animé de cette volonté commune d'en découdre, ils étaient intouchables. Le récit de l'enregistrement du premier album Definitly Maybe exprime bien cela, avec une première mouture ratée car les enfermant dans un carcan avant qu'une seconde tentative grave de manière live toute la puissance des membres du groupe - le réalisateur comparant judicieusement les deux enregistrements.

Cette fougue entraînera donc une Oasismania inattendue tant pour le groupe que la scène musicale d'alors (alors que des groupes comme Blur ou Suede montaient tranquillement en puissance, Oasis surgit littéralement de nulle part pour tout emporter sur son passage) et amène les premières failles. Si l'on rit des excès alcoolisés et opiacés en tout genre (une expulsion des Pays-Bas après une altercation avec les autorités, un concert américain donné sous acides) qui forgent leur réputation de bad boys, le succès fait des caractères antinomiques de Liam et Noel un obstacle. Là où les contradictions prêtaient à rire (le récit du recrutement de Noel très différent selon le frère interrogé est très drôle) c'est désormais une guerre d'égo qui amènera Noel à chanter à son tour, rompant la complémentarité parfaite du groupe. Malgré les soubresauts dont ils sauront faire une force (la composition de la magnifique Talk tonight composée par Noel dépressif après un départ précipité du groupe) Oasis file cependant tant bien que mal vers ce pic de génie, popularité et aura générationnelle que constituera donc le concert de Knebworth. De leur propre aveux ils admettent que ce fut leur plus grande ivresse, que la suite ne pouvait égaler et qui explique la carrière plus inégale (et l'impossible réconciliation après la baston de trop). Le fan sera heureux de retrouver l'humour ravageur (et encore plus spontané dans les archives inédites) qui caractérisait Oasis - des clients hors pairs en interview pour se moquer des collègues - tandis que le néophyte sera forcément touché par la fragilité que dissimulait ces airs bravache (le choc de voir leur père violent venir fanfaronner à un de leur concert, moment très fort du doc). Riches en intervenants, images et anecdotes un beau documentaire qui aurait mérité une sortie salle en France. 5/6
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Zelda Zonk
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Message par Zelda Zonk »

Nymphomaniac Vol 1 (version non censurée) : 5/10

Je ne suis pas particulièrement client du cinéma de Lars Von Trier (Melancholia reste de loin mon film préféré du réalisateur), mais j'ai décidé de tenter l'expérience avec ce diptyque.
On est ici à la limite du film d'auteur expérimental. Le cinéaste nous livre une œuvre très inégale, tantôt audacieuse et intéressante, mais souvent sinistre et prétentieuse (notamment dans ses digressions verbeuses parfois grotesques).
Charlotte Gainsbourg et Stacy Martin sont très bien, et je dirais que c'est un des rares points positifs de ce film. Ne vous fiez pas à l'affiche aguicheuse. Rien de sensuel ou d'érotique dans l'approche du réalisateur. On contraire, on est là dans une vision crue, glaciale, gynécologique de la sexualité, dans la lignée des mots de Mallarmé : « La chair est triste, hélas »

Nymphomaniac Vol 2 (version non censurée) : 3/10

Les mêmes critiques s'appliquent au volume 2, mais ce volet est encore plus cynique, plus provocateur, plus pervers, plus extrême, à l'image de son récit qui, non content d'avoir exploré la vie vaginale de son héroïne en long, en large et en travers (vol. 1), emprunte désormais la voie sado-maso et celle de l'auto-mutilation (la scène de « l'avortement fait maison », insoutenable pour moi).
Une pointe d'humour affleure parfois (la scène du restaurant, la scène de l'hôtel avec les deux blacks), mais l'ensemble est d'une tristesse et d'une noirceur sans fin. Si l'objectif du réalisateur était de faire dans la provocation, il n'a pas vraiment réussi en ce qui me concerne, et c'est l'écoeurement qui l'a emporté la plupart du temps.
Dans sa dernière partie, le film tourne au ridicule avec une pseudo histoire de chasseur de dettes et de revolvers, et au final, j'étais soulagé de mettre fin à ses heures pénibles de visionnage.
Résumer ces deux volumes en un mot ? : nihiliste, est l'adjectif qui me semble le mieux convenir.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

J'avais hâte de le découvrir mais tu viens de faire chuter mon envie. A te lire, ça pencherait plutôt du côté de Antichrist (que j'ai eu du mal à supporter) que du côté Melancholia. bref, ça attendra donc une occasion mais je ne vais pas me précipiter.
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Zelda Zonk
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Message par Zelda Zonk »

Jeremy Fox a écrit :J'avais hâte de le découvrir mais tu viens de faire chuter mon envie. A te lire, ça pencherait plutôt du côté de Antichrist (que j'ai eu du mal à supporter) que du côté Melancholia. bref, ça attendra donc une occasion mais je ne vais pas me précipiter.
Pas vu Antichrist, mais c'est fort possible.
Disons que dans Melancholia, il y avait une beauté formelle et plastique qui transcendait la vision désenchantée du monde (le credo du cinéaste), une dimension métaphysique qui m'a emporté littéralement.

Ici, rien de tel. C'est bavard, prétentieux et sordide.
Enfin, c'est mon avis. :wink:
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Message par bronski »

Carnage (Roman Polanski - 2011) Il m'aura fallu une deuxième vision pour apprécier à sa juste valeur le travail remarquable de Polanski. Une caméra qui filme un appartement au plus près des névroses, et appuie les possibles dédoublements de la personnalité des protagonistes (quatre acteurs épatants) par le truchement des miroirs, des angles savamment travaillés et d'un naturel confondant qui nous promènent et nous perdent dans de sombres confins. Tout sonne juste et résonne jusqu'à l'éclatement. Polanski, maître du huis-clos, sorcier de la caméra, propose et dispose.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

Au revoir l'été (Hotori no Sakuko) : Koji Fukada 2013

Chronique sur les derniers jours de l'été d'une adolescente venue passer quelques jours avec sa tante garder une maison au bord de la mer. Le genre de films japonais qui avait tout pour me plaire mais auquel j'ai eu du mal à m'intéresser, bien plus âpre et sans la poésie d'un Kore-Eda. Beaucoup de belles séquences (toutes celles en vélo ou les flâneries au bord de plage), une jeune actrice très convaincante mais aussi pas mal de trucs que j'ai trouvé pas à leur place (tout ce qui se déroule dans le Love Hotel) ou qui ne m'ont pas parlé ni touché. Petite déception.
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Message par bronski »

Cours sans te retourner (Lauf Junge lauf - Pepe Danquart - 2013) Un beau récit amer (en polonais la majorité du temps) sur la fuite d'un enfant juif chassé par les nazis durant la seconde guerre mondiale. Le petit est remarquable, la production (franco-germano-polonaise) solide, l'histoire est bien un peu longuette mais propose une réflexion assez puissante sur l'absurdité de la vie. Tout ça est bien académique mais l'ensemble, de qualité, vaut quand même le détour.
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Message par bronski »

Birdman (AG Iñàrritu - 2014) Iñàrritu convoque les grands auteurs du cinéma américain de la fin du XXe siècle, et grâce au magistral Michael Keaton, compose une partition débridée tout au long d'un plan-séquence magique, et l'exercice de style est brillant. Ça éructe, ça crie, ça pleure, Keaton postillonne, mais au final ce n'est pas vain : derrière ce personnage bigger than life, derrière cette farce grotesque aux multiples masques, défile une musique où le réel et l'imaginaire se mélangent et le rêve est au coin de la focale (à ce propos, le format 1.85 est très bien employé). Un film drôle et exigeant, amer et comique, aux accents shakespeariens sans doute un peu trop parfaits, mais c'est faire fine bouche tant on reste impressionné par l'ensemble des forces mises à disposition de l’œuvre.
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Message par 7swans »

bronski a écrit :Birdman (AG Iñàrritu - 2014) Iñàrritu convoque les grands auteurs du cinéma américain de la fin du XXe siècle
Tu penses à qui?
Comme les Notting Hillbillies : "Missing...Presumed Having a Good Time (on Letterboxd : https://letterboxd.com/ishenryfool/)"
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Message par bronski »

Kubrick principalement. Le fait qu'Iñàrritu a tourné les prises jusqu'à la quasi-perfection (la nausée?), aussi la scène du vendeur d'alcool me rappelle Eyes Wide Shut et le bar The Shining. Cronenberg aussi, par le biais de Norton.
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Jeremy Fox
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Message par Jeremy Fox »

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Mother and Child de Rodrigo Garcia 2009

Produit par Inarritu, trois histoires autour de la maternité (une mère de 14 ans ayant abandonnée son enfant et n'ayant depuis 35 ans de cesse de le regretter ; cette fille s'étant forgée seule, désormais avocate froide mais libre et déterminée ; un couple de noirs désirant adopter un enfant) pour trois protagonistes dont les destins vont se rejoindre. Un mélo assez âpre dans l'ensemble mais néanmoins grandement poignant interprété à la perfection par Naomi Watts et Annette Bening très bien entourées par Samuel Jackson ou Jimmy Smits (depuis The West Wing, j'ai un gros faible pour ce comédien). Parfois de grosses ficelles ou quelques séquences qui fonctionnent moins bien mais l'ensemble est vraiment très émouvant d'autant plus que la musique au piano de Ed Shearmur est magnifique. Petit coup de cœur.
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Message par Max Schreck »

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Lettre à Momo, Hiroyuki Okiura, 2012
Considérant Jin-roh, la précédente réalisation d'Okiura, comme rien de moins que l'un des plus beaux films d'animation japonais, c'est peu de dire que je l'attendais au tournant. Ne sachant absolument pas le genre de film qui allait se dérouler ici sous mes yeux, je me suis donc gentiment laissé embarqué par ce récit en apparence toute simple, qui prend son temps pour installer ses personnages, au cœur de cette île hors du monde, hors du temps, où il va s'agir de se retrouver, de se reconstruire. On retrouve d'emblée la patte du réalisateur, cette exigence incroyable dans sa technique (animation ultra-réaliste, finesse des décors), et la profonde subtilité dont il sait faire preuve lorsqu'il s'agit de restituer les émotions complexes de ses personnages. Sans doute ce qui justifie qu'il mette autant de temps à fabriquer ses films.

Et l'histoire parvient à se montrer à la fois grave (il est quand même question de deuil) et légère (avec cette irruption d'un fantastique qui n'a rien de lisse, tantôt grotesque, tantôt dérangeant). On rit donc souvent des facéties de ces yokaïs un peu irresponsables, du jeu de cache-cache imposé à Momo, et on est également ému par les enjeux qui se dévoilent petit à petit, l'absence totale de mièvrerie et la sincérité de l'auteur dans l'histoire qu'il raconte (Okiura est ici également scénariste). Le réalisateur a également le bon goût de ne pas céder aux facilités du spectaculaire, alors qu'il en aurait la possibilité, nous offrant néanmoins un climax assez dément au cœur d'un typhon. Jusqu'à un final qui réussi à surprendre encore et à faire monter les larmes. Bref, un bijou. Quelle tristesse que le gars n'ait apparemment rien sorti depuis.
« Vouloir le bonheur, c'est déjà un peu le bonheur. » (Roland Cassard)
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Message par Jeremy Fox »

Lumière, l'aventure commence : Thierry Fremaux 2017

Un film évidemment historiquement passionnant -et qu'il était impératif de mettre en boite notamment pour la préservation de ces bandes et leurs diffusions au plus grand nombre- composé de 114 films de 50 secondes réalisés par les inventeurs du cinéma. Les témoignages factuels rapportés par Frémaux le sont aussi mais son commentaire lyrique et passionné fait parfois sourire par son trop plein d'adjectifs dithyrambiques (tous y seront passés), comme si nous étions en train de voir une centaine de chefs d’œuvres inoubliables de l'histoire du cinéma en moins de 90 minutes. Trop, c'est trop ! Non seulement par ce bout à bout de 114 films différents qui finissent quand même sincèrement par lasser -me lasser tout du moins- mais aussi par cette analyse filmique qui a ces limites comme bien souvent, donnant parfois des intentions aux cinéastes qui à mon avis étaient quand même plus des artisans -sans que ce ne soit aucunement péjoratif- que des artistes ayant réfléchis à ces intentions qu'on leur prête ici. D'ailleurs le plus beau moment du film est son épilogue et ses extraits de 2 ou 3 secondes de chacun des plus beaux films présentés. En fait, ça m'aurait presque suffit :oops:

Attention, j'adore la passion communicative de Tavernier et Frémaux et je ne les jugerais jamais là-dessus - d'autant que j'aurais tendance à user moi aussi d'emphases lyriques quant il s'agit de films que j'adore. Mais parfois comme ici, ça semble sacrément exagéré et au final je ne sais pas si je n'aurais pas préféré voir ces films avec uniquement un fond musical.
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Message par Kevin95 »

CAUCHEMAR - Noël Simsolo (1980) découverte

Noël Simsolo est un chic type. Auteur de quelques bons ouvrages de cinéma et d'un livre d'entretiens avec Sergio Leone encore aujourd'hui de référence, rien à dire sur ce côté-ci du C.V. Mais faut plus qu'il filme Nono, vraiment, le médecin l'a recommandé. Abscons comme la lune, son premier (et unique) long métrage est un fourre-tout outrageusement chiant où se mêlent bande-dessinées, réalisme poétique, polar, David Goodis, musique classique casse bonbons et cinéma moderne (entre Jean-Luc Godard et Rainer Werner Fassbinder). Péteux comme ce n’est pas permis, le film a la préciosité tarte du cinéma de Paul Vecchiali mais en plus sinistre. Démerde-toi spectateur pour te glisser dans le film, admire l'artiste au travail, prend plaisir à ne rien capter des enjeux dramatiques et apprécie le jeu pourave des comédiens comme un retour au cinéma primitif. Pierre Clémenti passe pour le mec le plus pro de l'équipe, ça annonce la couleur, tout ce beau monde a beau débuter et pour la plupart se planter, ça ne les empêche pas de s'aimer profondément. Pendant que l’autre se repose, l'œil le plus curieux peut vaguement essayer de trouver un peu de charme devant les extérieurs, en entendant le bruit du vent ou devant quelques citations, on a vite fait de les fermer en couple passé une demi-heure. Crevant et parfois embarrassant, les producteurs ont visiblement méchamment cru au film et l'ont sorti un 24 décembre (vous êtes sûr qu’on ne va pas se faire remarquer ?) Cauchemar... comme son nom l'indique.
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
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Re: Notez les films d'aujourd'hui

Message par Profondo Rosso »

Departures de Yōjirō Takita (2008)

Dans une province rurale du nord du Japon, à Yamagata, où Daigo Kobayashi retourne avec son épouse, après l'éclatement de l'orchestre dans lequel il jouait depuis des années à Tokyo. Daigo répond à une annonce pour un emploi "d'aide aux départs", imaginant avoir affaire à une agence de voyages. L'ancien violoncelliste s'aperçoit qu'il s'agit en réalité d'une entreprise de pompes funèbres, mais accepte l'emploi par nécessité financière. Plongé dans ce monde peu connu, il va découvrir les rites funéraires, tout en cachant à sa femme sa nouvelle activité, en grande partie taboue au Japon.

Au premier abord Departures semble une nouvelle variation du cinéma japonais sur le thème du furusato (pays natal en japonais), ce courant de film traitant de citadins oppressés par la vie urbaine et se reconstruisant par un retour à la nature et leur origine rurale. Le film tout en ayant un postulat de ce type bien plus à proposer en nous faisant découvrir le monde des rites funéraires japonais. Le film s'inspire du roman Nōkanfu Nikki/ Coffinman: The Journal of a Buddhist Mortician de Aoki Shinmon mais doit surtout à la volonté de son acteur principal Masahiro Motoki. Témoin d'un rituel de mise en bière durant un voyage en Inde, Motoki éprouve une fascination pour le sujet et sollicite le producteur Toshiaki Nakazawa (avec lequel il avait collaboré pour le Gemini (1999) de Shinya Tsukamoto afin de produire un film qui en traite. Le défi était d'autant plus grand que la cérémonie mortuaire est un sujet tabou et pudique au Japon.

Lorsque le jeune violoncelliste Daigo (Masahiro Motoki) voit son orchestre dissous, c'est la déception de trop après des années d'effort et il décide de retourner vivre dans la maison de sa mère, dans la région dans le département de Yamagata. En quête d'emploi, une annonce nébuleuse l'amène à postuler malgré lui dans une entreprise de pompes funèbres. Le facétieux patron (Tsutomu Yamazaki) l'engage en dépit de son inexpérience. Nous découvrons donc ce monde à travers le regard de ce héros novice, et la singularité de ces rites se conjugue à un regard finalement assez universel sur notre regard face à la mort. Le scénario se montre didactique tout en faisant preuve d'humour avec un Daigo "figurant" d'une démonstration filmée de mise en bière puis quelque peu dégouté par un premier contact avec un cadavre décrépi. La distance ou le contact cru à la mort s'exprime par ces deux scènes et c'est lorsque le rituel se dévoilera en son entier que se comprendra la démarche du film. La première cérémonie voit donc Daigo et son patron exposé au corps d'une mère de famille défunte dont les traits marqués semblent dû à une longue maladie. Le regard à la photo de la disparue précédent le rite traduit sans un mot l'empathie et la volonté de lui faire honneur avant que la méticulosité des gestes, du soin du lavement, de la posture respectueuse et du maquillage délicat redonnant vie à ses traits l'expriment par le geste. L'émotion du veuf au départ hostile montre ainsi le mort sous le jour le plus lumineux avant les adieux et un possible voyage dans l'au-delà. Le schéma se répétera avec une problématique toujours différente (dont celle inattendue où le sexe du disparu n'est pas ce qu'il parait être) où à chaque fois la bienveillance et le soin des employés atténuent la douleur et les rapports conflictuels au disparu. L'erreur de formulation du nom de l'entreprise contenue dans l'annonce qui évoquait une "aide au départ" prend donc tout son sens dans la poignante illustration de cette ultime séparation

La dissimulation de son nouveau métier de Daigo à son épouse Mika (Ryōko Hirosue) puis son dégout quand elle l'apprendra ainsi que l'hostilité de son entourage témoigne de la dimension taboue de la mort au Japon. Le métier de violoncelliste originel de Daigo permet d'introduire sa gestuelle délicate qui son prolongera de son instrument aux mort et également de l'entourer du voile du souvenir. Daigo ravivent les souvenirs des endeuillés en redonnant vie et dignité aux traits des disparus, tandis que ce retour dans sa région et maison natale le ramène également à son passé. Les vues majestueuse de cette campagne du département de Yamagata, les réminiscences formelles associées à la maison d'enfance (ce panoramique nous faisant passer de l'âge adulte à l'enfance de Daigo) ainsi que la nostalgie apaisée qu'évoque le violoncelle forment un tout participant à la reconstruction de notre héros. Seul élément manquant, le visage de ce père qui l'a abandonné et que la rancœur empêche de reconstituer les contours. Daigo devra donc littéralement suivre le même cheminement que tous ceux qu'il a tant aidé. Le très touchant épilogue fait totalement oublier la relative facilité du rebondissement final par l'émotion sincère qu'il véhicule. En paix avec lui-même et serein dans son rapport aux autres, Daigo peut désormais suivre sa voie. Un bien beau film récompensé de l'Oscar du meilleur film étranger en 2009. 5/6
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