Amarcord a écrit :Mais je peux entendre aussi que la seule façon, pour un auteur, de montrer à un public qui soit le plus large possible, un film d'une vingtaine d'heures, c'est de le découper en plusieurs épisodes (j'entends par là qu'il rêverait peut-être de voir cette saison 3 de Twin Peaks diffusée en salle plutôt qu'à la télé, si les circonstances s'y prêtaient)
Episodes diffusés à raison d'un par semaine, sur une durée de trois mois. Mode de programmation qui a incité les spectateurs à en parler, l'évaluer, en débattre au fur et à mesure de la découverte. En d'autres termes, de le transformer en série. Par ailleurs, je doute qu'un seul auteur de série serait réticent à voir son oeuvre diffusée en salle si les circonstances s'y prêtaient. Sur ce point, nul doute que tout le monde partage cette "envie" : ce n'est pas parce qu'on s'appelle Lynch qu'on est le seul à l'éprouver.
j'ai eu l'impression sincère de me trouver devant un très long film (feuilletonnant, certes, mais film tout de même).
Tout comme on peut avoir l'impression devant un film de se trouver devant un roman ou une peinture, ou à entendre une chanson d'écouter un poème... Les ponts entre les disciplines artistiques ne dénaturent pas pour autant le format dont relève une oeuvre.
Thaddeus a écrit :Justement : le cas de Mulholland Drive est éclairant. Voilà le pilote d'une série qui devient (quasiment tel quel) un film par la force des choses (ce sont juste les aléas qui l'ont empêché d'être une série). Le contenu est le même (complété pour les besoins du film), mais il passe d'une forme à l'autre, indifféremment. Le cas inverse se reproduit avec INLAND EMPIRE, qui inclut (tel quel) le format série (Rabbits) à l'intérieur du format film...
He bien si, tu parles encore et toujours de contenu. Que le contenu de
Mulholland Drive ait originellement été prévu pour être diffusé sous le format d'une série n'a jamais fait de cette oeuvre une série. Dans sa forme finale et définitive, MD est un film, c'est à dire un objet destiné à être découvert en une seule traite, sans découpage en épisodes. De même pour
Inland Empire, qui a beau prélever des extraits de série (il pourrait tout aussi bien être constitué d'extraits de retransmissions sportives, de clips, de jeux vidéos, ça ne changerait rien au problème) mais n'en reste pas moins un film, et rien d'autre. Parce qu'il relève du
format du film : expérience audiovisuelle autonome, destinée à être appréhendée par le spectateur en "
one shot".
Qu'une œuvre originellement destinée à la télé devienne (pour moi, et pour l'instant) le plus grand film du 20e siècle
Du 21è siècle. Et on s'en fiche que l'oeuvre ait été originellement destinée à la télé, la question n'est pas là (plus de détails dans ma réponse à Major Tom).
Tout ça pour dire que, malgré des codes très spécifiques aux formats série et cinéma, je me range du côté de ceux qui jugent d'abord le fond d'une œuvre audio-visuelle, avant son format.
Il n'a jamais été question dans ce débat de juger le format avant le fond sur un plan purement qualitatif. Seulement (et puisque l'origine de cette discussion porte là-dessus), il s'agit de ne pas faire figurer une série dans un top films, de la même manière qu'on ne ferait pas figurer un roman dans un top musical. Ce sont deux arts différents qui ne se jugent pas sur les mêmes critères, du fait même de leur format. Comme je le disais par MP hier à ACR, je ne juge pas un film en regardant une scène (puis je viens en parler sur ce forum, faire part de mes impressions, extrapoler sur la suite), puis en regardant la scène suivante une semaine plus tard (je reviens en parler ici, échanger avec les autres) puis encore la scène suivante (rebelote), et comme cela pendant trois mois. Un film n'est pas conçu pour être découvert ainsi. Le principe d'immersion constitutif à l'expérience du film est contre-nature à ce type de visionnage et de jugement. Au contraire de la série qui appelle à être découverte ainsi, et dont la nature même repose là-dessus. Et c'est la
seule différence entre film et série, le seul critère de dissociation. A moins qu'on vienne me démontrer le contraire,
Twin Peaks Saison 3 a été diffusé à raison d'une heure par semaine pendant trois mois, et les gens en ont discuté, l'ont évalué, ont extrapolé, ont débattu au cours de toute cette période. Lorsque j'entends des gens parler avec enthousiasme de leur plaisir à avoir découvert ce "film" par petits bouts, en jouissant de l'attente générée, en fantasmant chaque semaine sur le morceau suivant, c'est pour moi totalement contradictoire. Par cette seule affirmation, ils valident le fait que TP est une série et non un film.
Ensuite, que certains préfèrent la découvrir d'une traite, tout comme d'autres peuvent choisir de voir un film par segments, relève d'un autre débat. Les habitudes d'un spectateur ne modifient pas la nature d'une oeuvre (mais je crois l'avoir déjà dit plus d'une fois).
Major Tom a écrit :Je pense que personne ne pesterait si on mettait Duel en "film du mois", même les plus conservateurs des Classikiens. Pourtant c'est un pur et vrai téléfilm, correspondant aux critères du format évoqués. Le film a été produit par la télé, fait par un cinéaste qui avait conscience de réaliser pour la télé, il a été diffusé à la télé, sur IMDB il est inscrit "téléfilm" et il n'apparaît pas dans la partie cinéma de la filmo de Spielberg sur wikipedia, mais dans la partie téléfilms.
Quel rapport avec cette discussion ? On ne débat pas depuis le début de la différence entre film en téléfilm mais entre film et série. Qu'un film ait été produit pour être diffusé en salle ou produit pour être diffusé à la télévision (
télé-
film, donc) ne change absolument rien à sa nature de
film, qui est (je le répète pour la cinquantième fois environ) une expérience autonome destinée à être découverte, appréhendée et jugée en une seule fois. Contrairement à une série comme
Twin Peaks.
Non, ce n'est pas un film de cinéma, ce n'est pas parce qu'il a été réalisé par un (futur) grand cinéaste que ça en fait un, et ceux le mettent en "film du mois" n'auraient donc rien compris à la question du format.
Sauf que tu ne parles pas de format mais de support de diffusion. Alors certes, comme le disait ed fort justement plus tôt, les deux questions ne sont pas imperméables dans la mesure où l'un influence l'autre. Mais qu'un film soit diffusé sur grand écran, sur TV, sur tablette ou sur smartphone, il reste un film (la question du "cinéma" est différente). Et qu'un film soit diffusé sur grand écran, sur TV, sur tablette ou sur smartphone, elle reste une série. Pour le dire autrement, si la saison 3 de
Twin Peaks serait projetée à raison d'un épisode d'une heure par semaine pendant trois mois en salles qu'elle resterait une série et n'aurait absolument rien d'un film. Tout comme un match de foot retransmis en direct en salles n'a rien d'un film non plus.
Un film tourné en DV qui n'a coûté que 100 € et qui, faute de distributeurs, serait découvert par hasard (TV, festivals, Viméo, DVD sous le manteau, donc pas du tout dans les règles et critères du format ciné traditionnel) mais qui s'avère excellent, meilleur que la daube à 70 millions de dollars qui cartonne avec des acteurs de cinéma, un réalisateur de cinéma, des producteurs de cinéma, sans hésiter je préfère élire "film du mois" le premier que le second.
Et je n'aurais rien à y redire, parce que ce seraient tous les deux des films.
Le fait d'être touché et d'y trouver ce qu'on ne retrouve pas en salles obscures peut transcender le format pour gagner sa place dans nos films du mois. (...) soit élire en "film du mois" une série comme True Detective ou Twin Peaks en se disant qu'il n'a pas vu mieux en salles.
On en revient encore à des questions de qualité, de contenu. C'est quand même étonnant de s'appuyer sur de tels arguments pour justifier ce genre de choix.
Donc si un jour je trouve dans un roman ce que je ne retrouve pas en salles obscures, je peux le mettre en film du mois alors ? La question n'est pas de savoir si l'on a aimé/adoré/été ému ou que sais-je, mais de ne pas prendre une série pour un film, une chanson pour une peinture, une sculpture pour symphonie. Et dire cela, ce n'est absolument pas rester figé sur des critères de dissociation obsolètes. J'ai donné l'exemple maintes fois, mais ce n'est pas parce que
2001 est construit comme une création musicale, ce n'est pas parce qu'
Hiroshima mon Amour recourt à des procédés littéraires, ce n'est pas parce que les plans de
Barry Lyndon sont composés comme des tableaux, que je ne vais plus les considérer comme des films et que je vais les classer dans mes morceaux/romans/peintures du mois. Ce sont des films, et de très grands films, précisément parce qu'ils élargissent les possibilité du cinéma, qu'ils puisent dans d'autres arts leur inspiration créatrice pour rivaliser avec eux. Parce qu'il a été découpé, diffusé et découvert par ses spectateurs sur une durée longue, parce que chaque
shoot hebdomadaire n'a pas été proposé comme une expérience autosuffisante et indépendante, parce que son public a été invité à le vivre sur le long terme, en échangeant, discutant et débattant tout au long de sa programmation,
Twin Peaks 3 est une série - pas un film. Tout le reste (le support, les déclarations de l'auteur, les méthodes de fabrication, l'hégémonie du réalisateur sur les autres participants au projet, l'identité forte de l'objet final, l'esthétique, les procédés formels et narratifs...) n'entre pas en ligne de compte.
Moi j'ai un tantinet l'impression de me répéter.