cinephage a écrit :ça m'aurait intrigué de savoir sur quoi tu t'appuies pour dire que "l'un n'empêche pas l'autre"
L'article du Guardian que tu cites toi-même indique pourtant un élément de réponse :
Atlantics began streaming last month, augmented by a limited (but not exclusive) theatrical run.
Il est vrai que l'article ne précise pas les conditions de cette exploitation limitée en salles (nombre de salles, durée de l'exploitation ?), mais elle existe.
L'article précise encore moins, en toute logique, quelles auraient été ces conditions s'il n'y avait eu l'exploitation Netflix en parallèle.
On peut néanmoins se faire quelques idées à partir de chiffres plus généraux.
1- Le nombre de salles de cinéma aux USA est passé depuis 15 ans sous la barre des 6 000 sites (
source), soit moins de trois fois le nombre de cinémas en France pour un territoire dix-sept fois plus important. La différence est un peu moins marquée si on compte en nombre d'écrans (respectivement dans les 40 000 et dans les 6 000, à la louche, d'après les chiffres
NATO côté States et
Ministère de l'économie côté français, soit quasi un rapport de 1 à 7, conséquence du fait que le secteur est essentiellement représenté par trois chaînes de grands multiplexes), mais la densité du maillage reste sans équivalent à ce qu'on connaît ici.
2- Ledit maillage est de surcroît réparti de façon extrêmement inégalitaire. Des villes comme New York ou Los Angeles ont chacune dans les 60 à 70 cinémas (des chiffres pas si éloignés de Paris, même si la population n'est pas la même), alors que les mêmes chiffres valent pour des États entiers comme le Montana (un territoire plus grand que l'Allemagne ou le Japon, pour comparer), l'Idaho ou le Nouveau Mexique. Dans le Wyoming (un État à la superficie comparable au Royaume-Uni), on tombe même à une quarantaine. En gros, le tiers Est du pays est à peu près bien doté, puis ça se raréfie, et la moitié Ouest c'est le désert en dehors de quelques grands centres urbains sur la côte.
3- Je ne trouve aucune statistique complète pour la part de marché des films d'importation en langue non-anglaise aux USA. Mais on est effectivement dans le domaine de la niche (occupée en priorité par les films asiatiques, d'ailleurs, même si la France ne se défend pas trop mal). En gros, ma compréhension est qu'un film de ce genre peut être considéré un succès exceptionnel s'il passe la barre des 10 millions de dollars de recettes sur le territoire ; ce qui, pour les films français a été le cas (source: IMDB) de
Intouchables (10,2 M$),
La Môme (10,3),
Le Pacte des loups (11,2) et surtout, bien sûr,
Amélie Poulain (33,2 M$). Des chiffres assez ridicules si on les compare aux hauteurs du classement du box office local, tout de même.
4- Enfin, considérer que
Les Misérables,
J'ai perdu mon corps,
Atlantique ou
Portrait de la jeune fille en feu sont les "films les plus attractifs" et les plus "fédérateurs" pour attirer le public en salles semble une vue singulièrement biaisée. Unifrance a révélé hier la liste des plus gros succès français à l'étranger (de façon générale) pour l'année écoulée et le top c'est plutôt
Qu'est-ce qu'on a (encore) fait au bon Dieu?,
Anna,
Mia et le lion blanc et
Astérix et le secret de la potion magique. Pas tout à fait la même catégorie. À quoi s'ajoute ce qu'on appellera pudiquement des "différences culturelles" qui peuvent entrer en ligne de compte :
Portrait de la jeune fille en feu a ainsi écopé aux U.S. d'une classification R (interdit aux mineurs non-accompagnés), et je connais plusieurs cas de films classés chez nous "interdits aux moins de 12 ans", ou même "tout public" (!), qui se sont retrouvés outre-Atlantique étiquetés NC-17, c'est-à-dire l'équivalent de notre classement X, et à peu près le baiser de la mort pour l'exploitation commerciale dans les principaux circuits de salles sur le territoire.
Dans ces conditions, penser que de tels films se voyaient promis à une grande carrière à travers le territoire américain, dont ils seraient privés par leur présence sur les plateformes de VOD, me semble assez illusoire, et la description par Supfiction d'un "ghetto des salles art et essai probablement limités à deux trois grandes villes" me semble sans doute plus près de la vérité. Leur mise à disposition via Amazon, Netflix ou Hulu me semble effectivement plutôt une opportunité supplémentaire pour eux... étant entendu que si l'on peut penser, en tant que cinéphiles, que voir un film en salle est une expérience préférable à le voir chez soi, il n'en reste pas moins que le voir, tout court, c'est mieux que ne pas le voir du tout...