Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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semmelweis
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Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par semmelweis »

Réalité, Quentin Dupieux (2014)

Genre : le vertige de la création

Après son dernier film Wrong Cops en 2013, Quentin Dupieux (alias mr Oizo) revient avec Réalité. Son avant-dernier ouvrage résultait plus du long-métrage à sketches qui nous montrait la vie et les actes à la fois désinvoltes et absurdes d’une bande de flics dans les rues de Los Angeles.

Nous sommes toujours dans la ville des Anges avec cet ultime opus. Le film nous présente Jason Tantra (Alain Chabat), un cameraman pour un show culinaire minable où on suit Dennis (John Heder) déguisé en lapin avoir des crises de prurit. Jason vient proposer à un producteur Bob Marshall (Jonathan Lambert) un projet de film d’horreur où des ondes envoyés par les postes de télévision crament le cerveau des gens. Bob est très intéressé par le pitch et accepte de financer le long-métrage à condition que Jason trouve le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma en 48 heures. Parallèlement, on suit une petite fille Réalité (Kyla Kennedy) qui trouve une VHS dans le ventre d’un sanglier tué à la chasse par son père. On plonge également dans le monde d’Henri (Eric Wareheim) qui est suivi par une psychiatre Alice Tantra (Elodie Bouchez), la femme de Jason.

Nul doute que déflorer le coeur du film serait retirer le plaisir que l’on peut ressentir à son visionnage. Réalité est sans doute le meilleur film de Dupieux, à la fois synthèse et aboutissement de ses oeuvres précédentes mais aussi le plus accessible et le plus ouvert aux autres.
En effet, depuis Rubber, le cinéaste avait construit une profession de foi cinématographique qui pouvait à la fois lasser et/ou amuser, celle de l’absurde.
L’histoire d’un pneu doué de télékinésie et légèrement psychopathe sur les bords permettait à Mr Oizo de se confronter à la mise en scène, au cadrage en toute liberté tout en donnant sa vision fantasmée, cinéphilique de l’Amérique. Wrong Cops, quant à lui, était clairement le travail le plus musical de Dupieux tentant de concilier à la fois sa musique et son cinéma. Le cinéaste avait fait cette pochade bête et méchante par moment pour en finir avec sa propre musique. Wong Cops souffrait de son caractère morcelé où le non sens le plus drôle côtoyait le mal-branlé.

La force de Réalité tient finalement dans une ligne de départ que le réalisateur va brouiller tout en revenant finalement à son point de départ, comme un cercle sans fin… C’est d’ailleurs bien dans cette vision d’un tonneau des danaïdes que le cinéaste utilise la musique de Philip Glass « Music With Changing Parts », vaste symphonie répétitive qui dure 1h30 où une même mélodie revient de façon entêtante avec des mutations mineures.
Le travail de Dupieux est construit de la même façon où certaines scènes vont revenir à de nombreuses reprises mais avec des angles, des points de vue différents éclatant la métaphysique du rêve et du réel pour mieux les diluer ensemble.
La séquence d’apparition d’Henri habillé en femme conduisant une jeep sur les voies rapides de Los Angeles font appel à la fois au non-sens cher à Dupieux mais participe aussi d’un état de rêve éveillé.

De la même façon, le choix d’une définition d’images poussée au maximum participe de ce phénomène de déréalisation de l’environnement sous un soleil blafard californien chimérique et profondément inquiétant. Alors que le spectateur construit son cheminement d’identification entre les différents personnages, en particulier la tentative d’obtenir l’ « Oscar du meilleur gémissement » pour Jason, Dupieux surprend et fait perdre pied à son public pour conduire à une dilatation du temps.

Cependant, Dupieux ne laisse pas l’humour sur le bord du chemin avec des échanges entre Bob et Marshall presque beckettien où un producteur complètement taré a des exigences invraisemblables et discourt sur ce que doit être le cinéma.
Le cinéaste arrive aussi à insuffler une plus grande proximité avec son spectateur en particulier grâce à Alain Chabat qui apporte un caractère lunaire à ce monde sans dessus dessous. Ici, les personnages ne sont pas que des figures de style ce que l’on pouvait reprocher aux précédents travaux du réalisateur.
Car derrière l’univers non-sensique presque cartoonesque de Mr Oizo se cachait toujours une espèce d’inquiétude latente… Rappelons-nous les meurtres particulièrement gores de Rubber. Ici, Dupieux illustre frontalement ce sentiment par le sentiment d’effondrement des frontières entre le réel, le rêve, le cinéma, la performance artistique conduisant à un mouvement d’angoisse perpétuel, cyclique à l’image de la musique de Glass.

Même si le sentiment de déjà vu peut poindre dans Réalite. En effet, le français fait appel au cinéma de Videodrome de Cronenberg, au Mulholland Drive de Lynch, au Donnie Darko de Richard Kelly. Il n’en reste qu’il s’extraie de ces hommages pour conduire son cinéma au sentiment qu’il recherchait depuis longtemps, le vertige métaphysique tétanisant de la création et de son rapport au monde. Elaboré comme un système de poupées gigognes où la vie est un mille feuille de cauchemars, d’onirisme angoissant et décalé, Dupieux livre son film le plus abouti comme témoignage de la peur et de la nécessité de créer. En quelque sorte, le cinéaste a réalisé son Mépris comme cassure et synthèse de sa foi cinématographique…Tout simplement un éternel retour qui nous happe !
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gnome
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2015)

Message par gnome »

:mrgreen:

Impatient de le voir en tout cas. Steak était pas mal. J'avais adoré Rubber. Pas encore vu les autres, mais celui-c-i s'annonce bien... :D
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Flol
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2015)

Message par Flol »

Le meilleur Dupieux. Également le plus complexe, le plus angoissant, mais aussi le plus doux et le plus tenu.
Ce film, c'est un peu comme une crise d'eczéma dans la tête : ça démange, ça triture et ça stimule. Sauf qu'ici, il y a du plaisir. Celui d'être baladé constamment entre rêve(s) et réalité(s), de se sentir perdu, mais d'adorer ça.
Avec un Chabat qui apporte un petit peu de douceur lunaire à l'univers de Dupieux, d'habitude plus porté sur des personnages antipathiques (il y en a quand même quelques-uns ici, hein).
Et en plus de Buñuel (auquel on pense depuis Steak), Dupieux cite cette fois 2 autres maîtres qui me sont particulièrement chers : De Palma (la recherche du cri parfait + la multiplicité des écrans et des points de vue) et Cronenberg (l'étrange VHS étrange au contenu mystérieux).
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2015)

Message par wontolla »

Les films de Quentin Dupieux, on aime ou on n’aime pas. Il devrait en être de même pour Réalité. Certains pourraient crier à l’imposture, d’autres au génie... sans cependant l’honorer de la note que je lui donne.

Ne vous fiez pas au synopsis : il ne vous aidera pas. Il est même impossible de résumer, de décrire cet OVNI filmique. Dupieux pousse une logique - d’une certaine manière, celle de l’absurde - jusqu’au bout de ses présupposés. Et ce qui peut apparaître insensé, et même du « non-sens » prend ici tout son sens dans un film qui est une ode à la mise en abîme mais également une critique de la télévision... mais aussi du cinéma.

Il y est question d’une vidéocassette dans le ventre d’un sanglier (mais ce ne sera pas l’univers de Videodrome !), d’une petite fille appelée Réalité mais qui rêve, de rêves et de cauchemars qui s’entrecroisent. Il est question d’un film dans le film dans le film dans le film...
Impossible de décrire les boucles insensées - et qui pourtant font sens, à la fin... même si la fin n’est pas la fin ! - qui rejoignent rêve, réalité et Réalité ; un film à faire mais déjà réalisé... ou qui se réalise au moment même où on le visionne. Un film où les écrans de cinéma court-circuitent ceux de la télévision...

Je ne puis traduire ce film qu’à travers une analogie. C’est un peu comme si l’univers d’Inception (sans les effets spéciaux) était revisité par les gravures de Maurits Cornelis Escher. Ces quelques reproductions (voir l'article source) peuvent donner un idée du vertige et de l’illusion que suscite le film qui interroge le spectateur en son sein même sur l’acte de création cinématographique.

Réalité est un exercice de style purement (et naïvement ?) inutile mais d’une très grande intelligence à côté duquel les boucles temporelles de Prédestination - qui me semblaient fabuleuses lors de la vision du film paraissent n’être qu’un exercice de classe maternelle. Ajoutons à cela, la bande son et le jeu des acteurs au service de ces histoires imbriquées au milieu de paysages à la fois beaux et sobres ! (source - 26/1/15)
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2015)

Message par Duke Red »

J'ai plutôt apprécié sur le coup, mais je suis pas sûr que le film supporte une 2ème vision, en ce qui me concerne. J'étais curieux de découvrir où Dupieux allait nous mener (notamment avec le contenu de la fameuse K7), mais après une mise en place impeccable et l'introduction des différents points de vue, le récit se perd dans un délire un peu vain, à base de rêve dans le rêve dans le rêve et d'espace-temps qui se croisent. Ça se traîne en longueur une fois que Chabat (excellent) perd les pédales et on a l'impression de voir un court-métrage étiré au maximum. Il y a un côté "tout ça pour ça…" à la fin.

Il y a quand même des moments super drôles (toute la première entrevue avec le producteur ; la séance de cinéma ; Chabat se rendant à l'asile - "Bonjour, je voudrais me faire interner" :mrgreen: ) et Dupieux a un talent assez particulier pour créer l'étrangeté avec trois fois rien (on a l'impression que le film a coûté des clopinettes). Jonathan Lambert est assez génial, inquiétant sans trop en faire ("Ah ça me plait ça, la souffrance…" ^^)

Je trouvais que Wrong se tenait mieux.
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par AtCloseRange »

Après un Rubber moyen, j'avais un peu laissé passer les Dupieux suivants et donc je reprends les choses avec Réalité.
C'est toujours un plaisir de regarder Dupieux composer ses plans (ils ne sont pas si nombreux en France à soigner le visuel et le cadre).
ça n'est pas tout à fait Steak qui à mon avis réussissait sur tous les plans dans un tout hyper cohérent.
Ici, l'ensemble me paraît un peu moins maîtrisé mais on se laisse bercer par ce monde aux multiples couches qui s'entrechoquent.
je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de substance (on n'est pas chez Bunuel ni Lynch) mais le voyage vaut le détour.
et puis quelle chouette idée de casting que de faire revenir John Glover!
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AtCloseRange
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par AtCloseRange »

Ah oui, j'oubliais ma réplique préférée du film...
"Kubrick, mes couilles!" :mrgreen:
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par Jack Carter »

AtCloseRange a écrit :Ah oui, j'oubliais ma réplique préférée du film...
"Kubrick, mes couilles!" :mrgreen:
Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Pas sur que son cesar lui ait rendu service finalement...
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par AtCloseRange »

Jack Carter a écrit :
AtCloseRange a écrit :Ah oui, j'oubliais ma réplique préférée du film...
"Kubrick, mes couilles!" :mrgreen:
Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Pas sur que son cesar lui ait rendu service finalement...
Oui, ça faisait un bail que je ne l'avais plus vue.
J'ai l'impression qu'elle s'est un peu perdue en jouant dans tout plein de tout petits films indes (notamment ceux de Jean-Marc Barr).
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par Jack Carter »

AtCloseRange a écrit :
Jack Carter a écrit : Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Pas sur que son cesar lui ait rendu service finalement...
Oui, ça faisait un bail que je ne l'avais plus vue.
J'ai l'impression qu'elle s'est un peu perdue en jouant dans tout plein de tout petits films indes (notamment ceux de Jean-Marc Barr).
et Brice de Nice, Seuls Two....juste là pour le fun, quoi :lol:
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par AtCloseRange »

Cela dit, la carrière de Natacha Régnier ne va guère mieux...
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par Duke Red »

Jack Carter a écrit :
AtCloseRange a écrit :Ah oui, j'oubliais ma réplique préférée du film...
"Kubrick, mes couilles!" :mrgreen:
Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Pas sur que son cesar lui ait rendu service finalement...
T'es dur, elle joue plus que les utilités dans Réalité : c'est un second rôle sympa.
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par Jeremy Fox »

Jack Carter a écrit : Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Tu as néanmoins oublié La Faute à Voltaire de Kechiche deux ans après, dans lequel elle était inoubliable.
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par Jack Carter »

Jeremy Fox a écrit :
Jack Carter a écrit : Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Tu as néanmoins oublié La Faute à Voltaire de Kechiche deux ans après où elle était inoubliable.
en effet :wink:
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Re: Réalité (Quentin Dupieux - 2014)

Message par Jack Carter »

Duke Red a écrit :
Jack Carter a écrit : Le film confirme que Elodie Bouchez continue de jouer les "utilités" depuis La Vie Revée des Anges, ou comment saboter completement sa carriere...
Pas sur que son cesar lui ait rendu service finalement...
T'es dur, elle joue plus que les utilités dans Réalité : c'est un second rôle sympa.
c'est bien le probleme, elle n'a que des seconds roles depuis 15 ans....
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