Carlos Saura (1932-2023)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Carlos Saura

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Le Jardin des délices (1970)

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Antonio, industriel riche à millions, se retrouve amnésique et paralysé à la suite d'un malheureux accident. Sa famille, qui compte sur son capital et en dépend, va tenter de ranimer sa mémoire.

La réminiscence du passé, du souvenir et le retour en enfance aura souvent lancé les personnages de Carlos Saura vers le point de non-retour. L'obsession fétichiste du héros de Peppermint frappé (1967) vient de sa volonté de ressusciter un premier émoi adolescent. Le couple de La Madriguera (1969) se brise dans les jeux supposés le relancer et en rejouant les premières heures d'amour sincère de leur mariage. Saura fait de cette reconstruction déformée et impossible du passé le leitmotiv du Jardin des délices pour un regard cinglant sur la famille mais surtout une critique acerbe du régime franquiste. L'histoire s'inspire d'un fait réel rapporté au réalisateur sur un homme rendu idiot par un accident et dont la famille tentait de faire revenir la mémoire par des visites quotidiennes de tout son entourage. Dans le film il s'agira d'Antonio (José Luis López Vázquez), riche industriel amnésique et cloué dans un fauteuil roulant. La famille ne ménage pas ses efforts pour lui faire recouvrer la mémoire, rejouant et reconstituant entièrement des épisodes de son enfance. Tout cela est bien sûr intéressé, Antonio détenant toutes les données et informations financières de l'empire familial.

Ces reconstitutions donnent lieu à des séquences grotesques et surréalistes dont une ouverture mémorable rejouant une punition et terreur enfantine d'Antonio lorsque ses parents lui firent croire qu'ils le feraient dormir pour la nuit avec les cochons. La satire s'installe progressivement, cette comédie servant dans un premier temps à fustiger la cupidité de la famille qui intègre avec bien peu de finesse ses intérêts financiers aux souvenirs. Le père (Francisco Pierrá) en rappelant à Antonio sa passion pour les atlas insiste lourdement sur la Suisse où se trouve leurs comptes bancaires tandis que sa femme (Luchy Soto) tout en cajoleries cherche à lui faire dire le code du coffre-fort de leur chambre. L'hébétude d'Antonio sera l'occasion d'une revanche pour les faibles le dominant désormais, que ce soit son fils le rudoyant ou les domestiques le rudoyant. José Luis López Vázquez, attendrissant et pitoyable par son interprétation subtile ne joue pas un homme diminué, mais prématurément sénile. Les souvenirs refaçonnés le ramènent en enfance mais également les situations du quotidien où il doit réapprendre à écrire, parler, où il retrouve l'obsession mammaire du nourrisson - une domestique lui montrant un sein pour qu'il finisse son repas. Le parallèle entre la dépendance de cette famille pour son maître déchu et l'état de débilité dans lequel il est tombé représente donc l'Espagne d'alors où un Franco vieillissant et diminué ne lâche pas les rênes du pouvoir, enlisant le pays et l'empêchant d'entrer dans une ère moderne. On comprend alors que toutes les scènes d'enfance d'Antonio recrée relèvent de la satire par leur nature orientée. L'irruption des "rouges" Républicain pendant la communion de ses dix ans figure la quiétude bienveillante de l'église en opposition au tumulte et à la terreur des activistes. L'image saine de la famille est pourtant contredite à travers un autre souvenir avec l'attitude séductrice et presque incestueuse de la pulpeuse tante (Lina Canalejas) d'Antonio.

Carlos Saura déploie une atmosphère étrange où le montage nous faire perdre pied entre réel et illusion, passé et présent. On ne fait peu à peu plus de vraie différence entre les retours en arrière façonnés par la famille pour Antonio et les vrais sursauts de mémoires de celui-ci. Certaines visions sans portée dramatique ou satirique s'insèrent à l'ensemble, nous faisant partager la psyché embrumée du héros comme lorsqu'il verra des chevaliers en armures traverser son jardin. Saura ne ménage cependant pas son héros et n'en fait pas une victime. Le rapprochement avec Franco se ressent quand il lui fait retrouver des bribes de l'éloquence d'antan, d'abord dans musée affichant sa grandeur passée d'entrepreneur puis face à son conseil d'administration où il bredouille ses discours d'antan. Le personnage achève d'être rendu pathétique en rappelant le tyran injuste (et désormais inoffensif) qu'il fut par son attitude brutale avec une domestique - qui le lui rend bien signe de la faillite de cette autorité. Sans guide et livrée à elle-même, la famille et donc l'Espagne ne peut que sombrer à l'image d'une dernière scène magistrale où arborent désormais le même état catatonique. Moins allégorique que d'ordinaire, Carlos Saura subira les foudres du pouvoir puisque le film sera interdit durant plusieurs mois avant de sortir dans une version censurée et moins explicite. Sans doute moins impliquant émotionnellement par cette charge plus directe, le propos du film n'en reste pas moins passionnant. 4,5/6
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Profondo Rosso
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Anna et les loups (1973)

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Lorsque Anna, institutrice étrangère, arrive dans la propriété de Madame, fondent sur elle trois loups : José, l'aîné, tyrannique et belliqueux ; Fernando, son cadet, mystique et solitaire ; et Juan, le plus jeune, libidineux et infidèle. La cohabitation s'annonce périlleuse...

Carlos Saura sera passé maître pour avancer masqué dans sa critique du régime franquiste brouillant les pistes dans les différents genres de sa "trilogie du couple" : le thriller avec Peppermint frappé (1967, le road-movie pour Stress es tres, tres (1968) et le drame psychologique dans La Madriguera (1969). A cette mise à nu du couple révélatrice des travers de la société franquiste succèderait celle de la famille dans Le Jardin des délices (1970) qui inaugure une nouvelle trilogie. Pour la première fois Saura y usait de la métaphore suffisamment explicite (un chef de famille amnésique figurant un Franco sénile à la tête de l'Espagne) pour lui causer quelques problèmes avec le régime. Il renoue cependant avec cette approche allégorique de façon plus brillante avec Anna et les loups.

Anna (Geraldine Chaplin), institutrice étrangère est embauchée par une riche famille espagnole pour faire l'éducation de trois fillettes. L'imposante propriété familiale par son architecture chargée d'histoire et sa géographie isolée annonce déjà la dimension métaphorique qui s'exprimera à travers ses habitants. On retrouve le motif du chef de famille gâteux cette fois au féminin avec cette mère impotente (Rafaela Aparicio) dont l'éducation singulière et l'amour étouffant aura façonné trois fils à la psychologie trouble. Tous vont s'éprendre d'Anna, chacun d'eux étant un symbole du pouvoir franquiste ou du moins une certaine image ancestrale et traditionnelle de l'Espagne. José (José María Prada) l'aîné qui dirige la maison incarne le pouvoir militaire, fait appuyé par sa première apparition où il vérifie les papiers d'Anna et fouille méticuleusement sa valise. Fernando (Fernando Fernán Gómez) le cadet est un exalté solitaire qui lui symbolise la religion. Enfin le plus jeune Juan (José Vivó) marié et père des trois fillettes illustre la morale et la famille. L'arrivée d'Anna et le désir qu'elle éveille chez les des trois frères va progressivement nouer un étau oppressant, décuplant leur folie.

Anna, curieuse ou oppressée va ainsi être associée à chacune de leurs névroses. José oublie ainsi le pouvoir tyrannique qu'il impose au foyer quand il s'évade dans la salle où il collectionne les objets et uniformes militaires, en confiant l'entretien à la nouvelle venue. Fernando renoue avec la tradition de la retraite mystique en repeignant en blanc une grotte où il va s'isoler et méditer loin des tentations du monde. Enfin Juan s'avérera un obsédé sexuel maladif qui poursuivra Anna de ses assiduités d'abord physiquement puis de façons plus retorse en lui adressant des lettres obscènes envoyées "de l'étranger" puisque timbrée d'après la collection philatélique familiale. D'abord intimidée et tentée de fuir, Anna va s'amuser des travers de ses prétendants. Carlos Saura ridiculise ainsi par sa mise en scène et/ou les situations toute l'iconographie et l'imagerie solennelle associée aux valeurs qu'incarnent les frères. José va arborer fièrement un uniforme franquiste dans une certaine complicité avec Anna, avant que ses penchants violents brisent ce moment tout comme le reflet de miroir le montrant dans son entier avec sa robe de chambre dépassant du haut de l'uniforme. De même on rira beaucoup lorsqu’Anna confrontera Juan en l'obligeant à lui lire tout penaud l'une de ses lettres. L'approche est plus subtile avec Fernando, Anna montrant une vraie tendresse pour lui et celui-ci paraissant vraiment habité par cette foi. Carlos Saura reprend par le dialogue et ses compositions de plan la tradition mystique jésuite et espagnole, oscillant toujours entre le ridicule et la sincérité (Fernando en pleine épiphanie lévitant littéralement dans sa grotte) grâce à la prestation exaltée de Fernando Fernán Gómez - qui le temps d'une vision onirique nous révèle même à postériori la fin du film. Même la retenue d'un possible désir physique par Anna semble rendre le personnage touchant mais un indice funeste s'annonce pour les plus attentifs (et connaisseurs de la nature de la pénitence sur laquelle peut reposer ce catholicisme archaïque) puisque chaque fois qu'il se freine, c'est avant de caresser les longs cheveux noirs d'Anna...

Geraldine Chaplin par sa présence séductrice, son regard rieur amène une modernité et une distance qui ridiculise constamment ces interlocuteurs engoncés dans leur folie. La conclusion en deux temps laisse le spectateur interloqué. Ce sera d'abord un tableau absurde qui rassemble en une même séquence tous les travers esquissés précédemment chez les trois frères dans un grand guignol réjouissant (et donc annoncé par un flash-forward étrange précédemment). Cependant la dernière scène réunit les trois symboles dans une même tyrannie et brutalité où tout ce qui ne peut être possédé se doit d'être éradiqué. Un final choc typique de Carlos Saura qui tranche radicalement avec l'ironie amusée qui a précédée. 5/6
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Profondo Rosso
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Re: Carlos Saura

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La Cousine Angélique (1974)

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Luis, timide éditeur barcelonais, revient en Castille enterrer les restes de sa mère morte voilà vingt ans. Il y retrouve une partie de sa famille, dont sa cousine Angélique, devenue femme.

La Cousine Angélique sous ses airs de fable nostalgique sur l'enfance s'avère le film le plus frontal de Carlos Saura dans sa critique du Franquisme. Après avoir usé de la métaphore et l'allégorie sous toutes ses formes dans ces films précédents, le réalisateur ose aborder la guerre civile espagnole du point de vue des vaincus. Une hérésie rendue possible par la politique d'ouverture du premier ministre espagnol Carlos Arias Navarro mais qui n'empêchera pas les controverses en pagailles. Le scénario bien qu'irritant le comité de censure est validé par le ministre de la culture Pio Cabanillas et le film connaîtra un immense succès public et critique (Prix Spécial du Jury à Cannes 1974) et générera nombres d'incident avec tentatives de vols de copies, boules puantes dans les salles et diatribes de la presse de droite.

Tout l'art du brûlot de Carlos Saura repose sur sa forme subtile, pervertissant un récit qui ne révèle que progressivement sa provocation. Luis (José Luis López Vázquez), modeste éditeur barcelonais revient en Castille pour enterre les cendres de sa mère. Les retrouvailles des lieux et de sa famille le ramènent ainsi à son enfance où en ce crucial été 1936, ses parents Républicains le confièrent à sa famille franquiste pour poursuivre le combat. Luis, par nostalgie ou traumatisme qu'on ne connaîtra que tardivement, semble être resté figé dans cette enfance et notamment son amour pour sa cousine Angélique. L'idée de génie sera de revisiter les souvenirs d'enfance sans plier aux codes classiques du flashback puisque Luis conserve son allure d'adulte même dans les séquences au du passé. Les choix de Saura font perdre les repères temporels, Luis adulte séjournant chez sa tante et donc les lieux de son enfance. Un effet de montage, un raccord, un éclairage différent ou une ambiguïté de point de vue suffit à passer d'une époque à l'autre. Les jeux de miroirs entre les périodes se font par le casting créant un mimétisme dans les sentiments qui animent notre héros. Angélique enfant (María Clara Fernández de Loaysa) est jouée par la même actrice que la fille d'Angélique adulte (Lina Canalejas), cette dernière interprétant aussi la tante dans les scènes du passé. L'innocence enfantine prend ainsi un même visage, tout comme la douceur féminine et charnelle, et ce parti pris dessine une ambiguïté œdipienne troublante, un vertige sentimental déroutant (un même visage séduisant Luis adulte, puis le réconfortant enfant, la camarade de jeux complice devenant la filleule espiègle) par la grâce de transitions magistrales. Certains moments confinent au génie pur lorsque Luis se réveille en saluant Angélique de sa fenêtre, les deux interlocutrices incarnant chacun un visage de son idéal.

Le visage du mal s'offre aussi ce même effet de répétition mais de manière plus complexe. L'oncle franquiste Anselmo (Fernando Delgado) raillant le parti pris Républicain du père de Luis est là aussi joué par le même acteur jouant l'époux adulte d'Angélique. Un même visage est alors synonyme de l'amour arraché de Luis, franquiste au passé, mari indigne et avide au présent. Bien que Carlos Saura orchestre des moments charmants de candeur qui raniment ces bonheurs simples de l'enfance, la douceur des flashbacks crée autant de doute que la chaleur des retrouvailles du présent. La raison est le jeu subtil de José Luis López Vázquez (qui avait déjà excellé en chef de famille infantilisé dans Le Jardin des délices (1970)) tout aussi hébété au passé qu'au présent - garder l'acteur adulte aura amené bien plus de richesse que de prendre un enfant - comme si un choc l'avait figé dans cette enfance. Tout le traumatisme est rattaché à cette Guerre Civile de 1936 qui donne les séquences les plus douloureuses de façon concrète (la famille se calfeutrant en entendant des coups de feu, le carnage de l'école subissant un bombardement) ou symbolique avec cette église inquisitrice qui surgit dans un cauchemar de Luis avec cette religieuse ensanglantée. La conclusion poursuit et parachève ce parallèle temporel au rapprochement impossible de Luis et Angélique et laisse enfin voir la violence franquiste qui a brisé définitivement le héros. C'est une annonce du Cria Cuervos à venir où Carlos Saura scrutera directement le Franquisme à travers les yeux d'un enfant. 4,5/6
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Profondo Rosso
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Re: Carlos Saura

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Cria Cuervos (1976)

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Un été, trois sœurs dans une vieille demeure madrilène. Il y a là leur père, militaire de carrière, leur tante qui les élève et leur grand-mère paralysée et mutique. Dans ce milieu étriqué, Ana étouffe. Elle se réfugie dans ses rêves et ses souvenirs. Elle vit toujours à l’ombre du décès prématuré de sa mère et recherche au fond d’elle sa présence toujours vivace qui pourrait lui apporter le réconfort et la volonté de lutter contre ce monde en décrépitude.

Carlos Saura avait déjà exploré le rapport au passé, au souvenir et à l'enfance dans Le Jardin des délices (1970) et La Cousine Angélique (1974) mais comme allégorie/métaphore d'une critique du régime Franquiste. Cria Cuervos, œuvre maîtresse du réalisateur poursuit cette approche mais en rendant la facette politique plus sous-jacente pour se concentrer sur les tourments de l'enfance. L'ouverture donne le ton avec cette scène qui, entre rêverie, réalisme cru et psychanalyse dessine les enjeux du film. La jeune Ana (Ana Torrent) est réveillée un petit matin par les cris mêlés de plaisir et râle d'agonie venant de la chambre de son père dont s'enfuit une jeune femme dénudé. A l'intérieur son père terrassé par une attaque cardiaque. L'onirisme de la scène est amplifié par cette atmosphère incertaine de l'aube tandis que le sexe revêt un visage traumatisant pour la fillette.

L'ensemble du film oscille ainsi entre le quotidien douloureux et le passé rêvé d'Ana, celui où sa mère (Geraldine Chaplin) était encore vivante. Carlos Saura joue de la répétitivité et de la confusion pour illustrer le refuge du rêve de l'héroïne, apaisant mais amenant des retours de plus en plus cruels au réel. Les situations anodines qui ramènent Ana au souvenir se font fugaces puis de plus en plus élaborées, illustrant toujours de magnifiques moments de tendresse maternelle : quelques notes de piano puis une comptine pour l'aider à dormir, un délicat brossage de cheveux. L'éveil la ramène aux trois mères de substitutions du récit : la ronde et affectueuse domestique Rosa (Florinda Chico) pour la facette la maternité la plus charnelle, la grand-mère (Josefina Díaz) muette et bienveillante et la tante Paulina (Mónica Randall) prenant en charge Ana et ses sœurs. Les efforts maladroits de Paulina de s'attirer l'affection des filles jouent à la fois sur ces retours au réel où chaque répétition d'un souvenir ramène son visage à la place de la mère défunte. C'est aussi une manière de montrer le visage de cette bourgeoisie espagnole de la fin du Franquisme, tout en redéfinissant ce rapport douloureux au sexe et à la mort d'Ana. Paulina s'amourache ainsi de Nicolas (Germán Cobos) ancien frère d'armes du père d'Ana et dont l'épouse est la fameuse jeune femme en fuite de la scène d'ouverture.

Tout ce qui aura un lien à une affection possible pour la fillette sera ainsi rattaché à la mort, de son lapin qui va mourir aux simples jeux de cache-cache avec ses sœurs où le perdant doit simuler l'agonie. Le point de vue oscille plusieurs fois entre Ana enfant et adulte (incarné par Geraldine Chaplin toujours) où un certain recul est amené sur les évènements. Un même souvenir garde le regard émerveillé de l'enfant tandis que l'adulte s'y remémore les infidélités de son père. Le cocon de l'enfance est ainsi souillé par la vérité que redéfini l'adulte notamment sur le couple malheureux de ses parents. La maison que l'on ne quitte que rarement symbolise ce cocon tout en étant un mausolée de ce passé mais Carlos Saura ménage néanmoins de vrais moments de candeur et innocence sincère, notamment quand intervient la ritournelle de Porque te vas de Jeannette. La fin ouverte voit la mort perdre de son emprise dans un ultime rebondissement et l'horizon s'ouvre enfin à l'extérieur avec cette rentrée scolaire montrant un futur possible plus apaisé. 5/6
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Re: Carlos Saura

Message par Alexandre Angel »

De l'influence de Cria Cuervos.......sur le cinéma américain
Spoiler (cliquez pour afficher)
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Porque je vas! Pardon Profondo :oops:
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Carlos Saura

Message par Commissaire Juve »

Hé, les z'aminches ! Il y a Vivre vite / Deprisa, deprisa (1981) qui sort le 2 mai chez Tamasa. J'ai vu des extraits tout à l'heure, ça a l'air cool.
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Re: Carlos Saura

Message par Jeremy Fox »

Tamasa poursuit la redécouverte de la filmographie de Carlos Saura avec Vivre vite chroniqué par Justin Kwedi.
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Re: Carlos Saura

Message par Commissaire Juve »

Jeremy Fox a écrit :Tamasa poursuit la redécouverte de la filmographie de Carlos Saura avec Vivre vite chroniqué par Justin Kwedi.
Je l'ai commandé il y a 48 heures. Je l'ai pris pour le côté madeleine de Proust. J'ai fait un voyage à vélo en Espagne en 1981, j'ai eu envie de me replonger dans l'ambiance.
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Re: Carlos Saura

Message par Commissaire Juve »

Commissaire Juve a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Tamasa poursuit la redécouverte de la filmographie de Carlos Saura avec Vivre vite chroniqué par Justin Kwedi.
... me replonger dans l'ambiance.
DVD reçu. Je suis sur le Menu. On y entend une abominable musique de rumba flamenca (qu'on entend aussi au début du film) ; argl ! je n'avais pas pensé à cet aspect des choses ! Ça va être dur ! :mrgreen:

Bon, j'y vais. A+

EDIT : ayé, c'est vu. Oh lala, la musique. :?
Ay, que dolor...
... des épouvantables Chunguitos ! Si ! Ay, que dolor... para los oídos ! :mrgreen:

Bon sinon : si j'ai été séduit par Berta Socuéllamos (mélange de Virginie Ledoyen et de Fanny Bastien... étonnant qu'elle n'ait pas continué dans le cinéma), le film ne m'a pas plus emballé que ça.
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Re: Carlos Saura

Message par Jeremy Fox »

Jeremy Fox a écrit :Tamasa poursuit la redécouverte de la filmographie de Carlos Saura avec Vivre vite chroniqué par Justin Kwedi.
Totalement en phase avec la chronique de Justin. Alors que le cinéma de Saura m'a toujours laissé un peu froid, j'ai été fasciné par ce film qui préfigurait l’appât de Tavernier.
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Re: Carlos Saura

Message par cinéfile »

Je découvre peu à peu le cinéma de C. Saura (pour l'anecdote, en partie dans le cadre d'une préparation à un diplôme d'espagnol, mais le cinéaste m’intéressait de toute manière) et je dois dire que Elisa, mon amour - aka Elisa, vida mía - fut une belle découverte.

On retrouve, tout aussi bien dans l'intrigue que dans l'exécution artistique, de fortes résonances bergmaniennes (intrigue familiale à tendance freudienne, isolement, construction mentale et circulaire du récit, prédominance des souvenirs) dans un ensemble riche d'interprétations, de spéculations diverses, qui ne souffre pas trop de la comparaison avec ses modèles. Mention particulière pour le plan où Geraldine Chaplin "enlève son masque". L'originalité de l'oeuvre réside principalement dans son ambiance, peu orientée vers les déchainements hystériques et les manifestations névrotiques (hormis dans une ou deux scènes), mais davantage traversée par une quiétude mélancolique, introspective et presque sereine.

Fernando Rey y est magnifique en vieux lion retiré dans sa maison au milieu de la Castille, et passant ses journées à écrire. Quant à Geraldine Chaplin, son expressivité quasi enfantine dégage une candeur bouleversante, avec toujours ce décalage lié à son accent étranger lorsqu'elle parle en espagnol (d'ailleurs il m'a semble plus marqué que dans Cría Cuervos, pourtant antérieur à ce film-ci).

Un film qui se prête volontiers aux révisions, je pense.
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Re: Carlos Saura

Message par Profondo Rosso »

Antonieta (1982)

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Anna, une psychologue française, fait des recherches sur les femmes célèbres qui se sont suicidées. Elle découvre l'histoire d'Antonieta Rivas Mercado, qui s'est tirée une balle dans le cœur à Notre Dame de Paris. Elle va chercher à en savoir plus, de son enfance au Mexique, à son exil à Paris après l'échec aux élections présidentielles de son amant José Vasconcelos.

Antonieta est le biopic d’Antonieta Rivas Mercado, grande figure féministe et intellectuelle mexicaine du début du XXe siècle. Le film adapte plus précisément le roman éponyme de Andrés Henestrosa qui lui est consacré, mais est une figure très populaire au Mexique qui inspira également des télénovelas et un opéra en 2010. Le projet fut de longue haleine, au départ à l’initiative du réalisateur mexicain Rafael Castanedo (avec l’actrice Diana Bracho dans le rôle d’Antonieta) qui dut renoncer faute de financement. Les producteurs devront aller chercher une coproduction internationale entre l’Espagne, la France et le Mexique pour lancer film et il en résulte un ensemble cosmopolite avec le réalisateur espagnol Carlos Saura, l’actrice allemande (et égérie de Fassbinder) Hanna Shygulla et Isabelle Adjani dans le rôle d’Antonieta. On malheureusement l’impression que l’âme du projet s’est un peu perdue dans ce pudding tant la direction du film semble flou. On a au départ une recherche par le personnage d’Anna (Hanna Shygulla) qui dans le cadre d’un ouvrage sur les suicides féminins au XXe siècle, s’attache au destin d’Antonieta Rivas Mercado et sa fin tragique d’une balle dans le cœur à l’église Notre Dame. Elle va suivre ses traces au Mexique et à travers différentes rencontres, va découvrir son destin que nous verrons en flashback. Dès un souvenir d’enfance sanglant, l’art et la politique se lient dans la destinée d’Antonieta. Inadaptée à une vie domestique ordinaire, Antonieta va ainsi se partager dans une quête d’absolu amoureux entre justement l’artiste peintre Manuel Rodríguez Lozano (Gonzalo Vega) qui va la rejeter et le politicien José Vasconcelos (Carlos Bracho) qu’elle va accompagner dans son destin présidentiel. Sur le papier il y a un vrai souffle romanesque entretenu entre les soubresauts politiques du Mexique d’alors et cette flamme agitant Antonieta.

A l’écran c’est pourtant assez sage, la réalité de la poudrière mexicaine existe plus dans les images d’archives que la reconstitution de Saura et malgré de jolies transitions formelles le liant entre les flashbacks et les scènes contemporaine est sans saveur. Il manque un possible parallèle entre Hanna et Antonieta justifiant la fascination de la première, mais la dimension historique prend à un moment donné le pas sur les destins individuels. Antonieta disparait presque du récit à certains moment et quand elle se trouve au centre c’est Isabelle Adjani qui semble étrangement éteinte et peu impliquée, alors qu’elle n’était pas avare de prestations intenses à cette période. Elle n’existe pas vraiment tant en figure féminine indépendante et atypique, ni en amoureuse dévouée derrière le grand homme. On devine pourtant la portée funèbre que le film aurait pu endosser lors du final à Paris où celle qui voulait servir la destinée de celui qu’elle aime se sent inutile. C’est d’ailleurs dans ce sens que le scénario de Jean-Claude Carrière s’arrange avec la réalité des évènements. Le film laisse entendre que Vasconcelos s’exila à Paris avec Antonieta en occultant le fait qu’il était marié et que notre héroïne se vit donc rejetée par convention. Dans le film le suicide final vient donc du rôle qu’elle n’a pas pu jouer pour Vasconcelos quand dans la réalité il semble que ce soit un plus conventionnel dépit amoureux. C’est une relecture plus romanesque et très intéressante, mais que le film n’a pas su préparer en amont par son traitement trop tiède, trop sage. Dommage car on sent le potentiel d’un film plus emporté, plus passionné avec pareille histoire.3,5/6
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Karras
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Re: Carlos Saura (1932-2023)

Message par Karras »

Décès du réalisateur à 91 ans.
https://www.telerama.fr/cinema/carlos-s ... 014266.php

Filmographie

1956 : El pequeño río Manzanares (court métrage)
1957 : Après-midi de dimanche (La Tarde del domingo) (moyen métrage)
1958 : Cuenca (moyen métrage)
1962 : Les Voyous (Los Golfos)
1964 : La Charge des brigands ou Les Bandits (Llanto por un bandito)
1966 : La Chasse
1967 : Peppermint frappé
1968 : Stress es tres, tres
1969 : La Madriguera
1970 : Le Jardin des délices (El jardín de las delicias)
1972 : Anna et les Loups (Ana y los lobos)
1974 : La Cousine Angélique (La prima Angélica)
1976 : Cría cuervos
1977 : Elisa, mon amour (Elisa, vida mía)
1978 : Les Yeux bandés (Los ojos vendados)
1979 : Maman a cent ans (Mamá cumple cien años)
1981 : Vivre vite ! (Deprisa, deprisa)
1981 : Noces de sang (Bodas de sangre)
1982 : Doux moments du passé (Dulces horas)
1982 : Antonieta
1983 : Carmen
1984 : Los Zancos
1986 : L'Amour sorcier (El amor brujo)
1988 : El Dorado
1989 : La Nuit obscure (La noche oscura)
1990 : ¡Ay, Carmela!
1992 : El Sur
1992 : Marathon
1992 : Sevillanas
1993 : Les Voyous (¡Dispara!)
1995 : Flamenco
1996 : Taxi de noche
1997 : Pajarico
1998 : Tango
1999 : Goya à Bordeaux (Goya en Burdeos)
2001 : Buñuel et la Table du Roi Salomon (Buñuel y la mesa del rey Salomón)
2002 : Salomé
2004 : Le Septième Jour (El séptimo día)
2005 : Iberia
2007 : Fados
2008 : Sinfonía de Aragón (court métrage)
2010 : Don Giovanni, naissance d'un opéra (Io, Don Giovanni)
2010 : Flamenco, Flamenco
2015 : Argentina (Zonda, folclore argentino)
2016 : Jota de Saura (J: Beyond Flamenco) (sur la jota)
2018 : Renzo Piano, an Architect for Santander
2021 : Goya 3 de mayo (court métrage sur le célèbre tableau de Goya)
2021 : Rosa Rosae. La Guerra Civil (court métrage d'animation)
2021 : El rey de todo el mundo
2022 : Las paredes hablan
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Thaddeus
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Re: Carlos Saura (1932-2023)

Message par Thaddeus »

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La chasse
Dans la sierra d’une grande propriété à l’abandon, don José et trois invités viennent tirer le lapin pendant une journée torride. Peu à peu la tension monte, les amis s’invectivent, les rancœurs se libèrent. Saura fait là-dessus une allégorie parfaitement espagnole, avec un relent buñuelien dans le recours à la symbolisation. De la bête qu’on dépèce aux haines qui suent sous le soleil avec des buées d’alcool, de l’odeur de la poudre à celle de la perversité (la présence de la petite nièce du garde, fruit vert et péché), un climat se crée comme un cadavre se décompose. Belles vêpres castillanes. Et si le parti pris d’atteindre à une situation paroxystique donne à la fin un relief un peu forcé, un peu western made in Spain, ce film imparfait, trop riche au fond pour un script trop mince, ne laisse pas indifférent. 4/6

Cría cuervos
Ana, huit ans, mélange le réel et l’imaginaire, la vie et la mort, confond hier et aujourd’hui mais n’attend déjà plus que demain. Le monde qui transite par son regard et son visage, tendre miroir de la peur, est habité par des objets et des rituels que le cinéaste délivre de toute symbolique trop encombrante ou surréalisante. Se construit ainsi une fable parfaitement homogène, un système de narration efficace qui fait circuler du particulier au général, du concret à l’abstrait. Pour les adultes la vraie vie est ailleurs, dans un rêve dont on cerne mal les contours fuyants. Pour l’enfance l’exutoire se trouve le jeu qui organise et exorcise un univers incompréhensible et menaçant. Et ce film grave, troublant et poétique de renvoyer à l’histoire collective : celle de l’Espagne tout juste libérée de l’étau franquiste. 4/6

Carmen
Carmen, ce sont les regards, le port de la tête, la flexibilité orgueilleuse du cou, la hardiesse du menton, la cambrure des reins, l’autorité du talon, la fureur du zapateado avant d’être des mots d’amour et de haine. Et cette variation contemporaine sur la cigarière fatale de Bizet et Mérimée, où l’opéra cède au flamenco, s’apparente d’abord à une recherche de chorégraphie, un documentaire sur les pas, les rythmes, les figures de danse. L’idée de transposer la pièce dans les répétitions, les relations des acteurs et des personnages, celle que l’héroïne-titre soit une danseuse et son amant le metteur en scène, peuvent être considérées comme des options faciles. Mais elles sont cohérentes avec le projet d’une entreprise qui mélange les questions d’adaptations transdisciplinaires au vécu des protagonistes. 4/6

Tango
D’un monde hispanophone à un autre, il n’y a qu’un océan franchi avec aisance par le cinéaste. Le voici en Argentine, patrie du tango, reflet des souffrances et des joies du peuple dont il est issu. Il faut oublier l’intrigue sentimentale qui tient lieu de prétexte afin d’apprécier le film pour ce qu’il est : un enchaînement fort séduisant de numéros dansés, de tableaux vivants qui jouent du glissement entre passé et présent, scène et réalité. Avec la brune sensualité-aiguille des actrices-danseuses, les lumières à tomber de Storaro, la chaleur syncopée des chorégraphies variées de Rivarola mises en jambes par Julio Bocca sur les milangos de Lalo Shaffrin. Peu importe, dès lors, que les intentions soient aussi soulignées (mises en abyme, exorcisme de l’histoire par la création artistique), tant le spectacle a fière allure. 4/6


Mon top :

1. Cría cuervos (1976)
2. Tango (1998)
3. La chasse (1966)
4. Carmen (1983)

On dit de Carlos Saura qu’il est le grand cinéaste critique des années noires du franquisme, analysées à travers les apports de toutes les nouvelles écoles européennes apparues au tournant des années soixante. À la fois introspectifs et satiriques, les deux premiers films de cette liste tendent à le confirmer, mais les deux suivants s'en éloignent géographiquement, historiquement ou thématiquement. Son œuvre me reste bien sûr largement à découvrir.
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Demi-Lune
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Re: Carlos Saura (1932-2023)

Message par Demi-Lune »

Thaddeus a écrit : 10 févr. 23, 19:01 Tango
D’un monde hispanophone à un autre, il n’y a qu’un océan franchi avec aisance par le cinéaste. Le voici en Argentine, patrie du tango, reflet des souffrances et des joies du peuple dont il est issu. Il faut oublier l’intrigue sentimentale qui tient lieu de prétexte afin d’apprécier le film pour ce qu’il est : un enchaînement fort séduisant de numéros dansés, de tableaux vivants qui jouent du glissement entre passé et présent, scène et réalité. Avec la brune sensualité-aiguille des actrices-danseuses, les lumières à tomber de Storaro, la chaleur syncopée des chorégraphies variées de Rivarola mises en jambes par Julio Bocca sur les milangos de Lalo Shaffrin. Peu importe, dès lors, que les intentions soient aussi soulignées (mises en abyme, exorcisme de l’histoire par la création artistique), tant le spectacle a fière allure. 4/6
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