A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Demi-Lune »

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A peine un an après le radical All is lost (coucou AtCloseRange), J.C. Chandor revient avec un polar crépusculaire imprégné de l'esprit du Nouvel Hollywood, et confirme que son éclosion est l'une des choses les plus intéressantes qui soient arrivées au cinéma américain ces derniers temps.
Disons-le tout net : A most violent year s'apparente à un film déceptif dans le sens où Chandor, à l'image du personnage principal du film, s'échine à rester droit dans ses bottes face aux facilités qui pourraient se présenter à lui au regard des genres auxquels on pourrait, a priori, raccrocher le film (rise and fall, film de gangsters) : loin de ce que son titre pourrait laisser croire dans sa promesse implicite, tout ici est en réalité feutré, tendu, psychologique, fuyant, comme une bombe à retardement qui n'explosera jamais véritablement, sinon le temps d'un final gorgé d'amertume. Pratiquement pas de flingues, pas d'explosions, pas de mafiosos à la Scorsese : avec ces intrigues de vol de fioul et de prêts d'argent qui se règlent autour d'une table, l'histoire a un côté prolo et "banal" qui décevra sans doute pas mal de spectateurs espérant peut-être quelque chose de plus immédiatement scotchant.
C'est que l'on renoue ici avec le polar new-yorkais à la Lumet, focalisé sur le parcours intérieur d'un personnage sur la brèche. C'est d'ailleurs une limite du film que de donner la part belle au charisme d'Oscar Isaac (ça augure du bon pour Star Wars VII, là) au détriment de sa partenaire Jessica Chastain, qui se retrouve trop mise de côté alors que ses apparitions font chaque fois naître un certain malaise. Sombre et concentré comme Michael Corleone, sous pression et rêvant de droiture comme Carlito Brigante, Abel Morales captive dans son obstination à sauver ce qui peut l'être de son rêve américain, obtenu à la sueur de son mérite : en filigrane des costards tirés à quatre épingles, du sang-froid impressionnant du personnage ou de son paternalisme libéral, se mure l'angoisse, inavouée, du précipice de redevenir l'immigré hispanique du bas de l'échelle, ce qu'est le jeune Julian — comme il le dit à ses représentants de commerce, il faut être le meilleur. Un film de plus sur le rêve américain, alors ? Oui mais traité avec cette intelligence de renverser des codes (la répulsion de la violence, si rare je trouve à une époque où la question est souvent dédramatisée par le cinéma, ce souci inébranlable de moralité qui fait d'Abel un personnage admirable malgré le fait qu'il incarne en définitive, dans ses ambitions, la loi du dollar qui conduira à l'avènement des golden boys) et d'en dire autant sur cette époque que sur la nôtre (1981 est autant l'année de la plus grosse criminalité que celle de l'accès au pouvoir de Reagan et de son programme économique, crise du pétrole, libéralisme prédateur, élévation sociale, etc...).
Bref du très bon cinéma, et probablement le film néo-noir ayant le mieux renoué avec le classicisme "gordon-willissien" depuis La nuit nous appartient.
Dernière modification par Demi-Lune le 3 janv. 15, 23:52, modifié 1 fois.
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Rick Blaine
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Re: A most violent year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Rick Blaine »

Je n'ai vu de Chandor que Margin Call, qui ne m'avait pas plus marqué que ça. Ce que tu dis de ce nouveau film, et les différentes références auxquelles tu fais appel, me donne sacrément envie pour le coup.
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El Dadal
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Re: A most violent year (J.C. Chandor - 2014)

Message par El Dadal »

J'ai pensé à The Yards quasiment tout du long, tant dans cette description d'un milieu socioéconomique bien particulier (gestion des rames et chemins de fer chez Gray, approvisionnement et distribution de fioul chez Chandor) que dans cette obstination à cadrer au plus juste à hauteur d'homme, une tradition tout droit héritée des Kazan et Lumet.
J'ai sinon été particulièrement impressionné par certains partis pris de mise-en-scène déployés avec constance, élégance et inventivité, surtout concernant la gestion du point de vue. Voir à ce sujet la course poursuite intégralement découpée sans autoriser le contrechamp, ou le montage alterné, donnant ainsi une belle sensation d'immersion, ou bien les nombreux travellings qui suivent Abel à pied, créant des compositions basées sur un mouvement du cadre lui-même suivant le personnage, automatiquement recentré et gardé à une distance équivalente, drôle d'effet certainement traité avec la magie du numérique -j'ai pensé à des innovations de mise-en-scène dignes de Fincher dans ces moments. Le production design est à l'avenant. Je crois que c'est même à mes yeux in fine visuellement le plus beau film de 2014.
La BO d'Alex Ebert mérite un petit mot, car j'ai là aussi eu l'impression de revenir en territoire connu: The Yards, encore une fois, avec une des dernières belles partitions d'Howard Shore, qui semble ici être une inspiration évidente pour le compositeur, qui donne toute sa mélancolie à ce film quand même un peu fait pour les sales nostalgiques qui aiment toujours autant regarder vers le passé (ironique, quand l'on pense qu'Abel ne jure que par le futur... S'il savait en 1981 ce qui l'attendra dans les années à venir...).
Une dernière mention à Oscar Isaac, tout en intériorité bouillonnante, digne successeur du Andy Garcia des grandes heures (jusque dans les intonations).
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Re: A most violent year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Gounou »

Enthousiaste également. Lumet, Friedkin, Coppola... des références esthétiques et thématiques que Chandor invoque avec intelligence pour évoquer avec le minimum d'effet un climat, une tension sourde quasi-constante, soutenue par de très bons dialogues murmurés. La violence, quand elle surgit très ponctuellement, a un impact qu'on semble ressentir à nouveau comme un poison. Etonnant de nos jours. On se rapproche donc de l'exercice de style "à la James Gray" mais avec un contrepied déceptif comme le dit Demi-Lune, droit dans ses bottes, qui l'éloigne de la tragédie moderne. C'est à la fois son mérite, son courage et ce qui en fait un film un poil froid et figé en fin de parcours. Très prometteur en tout cas. Maintenant, il faut que je vois Margin Call.
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Flol
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Re: A most violent year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Flol »

El Dadal a écrit :J'ai pensé à The Yards quasiment tout du long
Moi aussi. Et ce n'était pas à l'avantage de Chandor, malheureusement.
C'est effectivement un film feutré, très feutré. Voire trop feutré. Je reconnais les immenses qualités formelles du film : la photo sombre à la Gordon Willis est splendide, Isaac en néo Pacino est impressionnant (même de visage et au niveau des expressions, il lui ressemble), les apparitions de Chastain sont à chaque fois marquantes (dommage qu'il n'y en ait pas plus). Mais clairement il manque d'enjeux forts et bien définis pour me passionner totalement, excepté durant l'excellente séquence de course-poursuite (qui m'a fait penser à Carlito's Way...tiens, encore Pacino). J'avais déjà eu cette même impression avec Margin Call : du travail bien foutu, très bien joué, mais froid et peu passionnant.
Malgré tout, je ne peux pas tout rejeter d'un simple revers de main. Il y a beaucoup trop de cinéma là-dedans pour faire ça.
Ignatius
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Re: A most violent year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Ignatius »

Je partage vos avis.
De grandes qualités mais ça manque de tension, d'électricité, de folie hormis lors de la course-poursuite mais aussi l'épisode du cerf qui vous fait sursauter de votre siège. On est conquis par le jeu d'Oscar Isaac et par les seconds rôles irréprochables, mais l'ayant vu dimanche, moins de deux jours plus tard, il ne me reste que peu d'images fortes dans la tête. C'est un peu l'inverse du Loup de Wall Street finalement, où la saturation d'images fortes vous faisait sortir écoeuré de la salle.
Peut-être est-ce un problème de rythme ? Plus de 2 heures là où une bonne heure et demi aurait suffit...
Mais ça reste tout de même du très bon cinéma.
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Chapichapo »

L'intérêt majeur du film à mes yeux est de nourrir intelligemment la frustration du spectateur. Chandor joue avec brio sur les conventions du polar urbain pour les subvertir en les asséchant. Ainsi les lieux archétypaux du genre que sont le salon de coiffure ou l'arrière boutique d'un restaurant sont ils les décors d'affrontements verbaux, alors que notre imaginaire les investit en hémoglobine. Il en est de même des poursuites dont l'écrin (parfois somptueux visuellement) ne débouche pas sur un climax, mais sur une confusion, à l'image du convoyeur et de ses détrousseurs réunis sur une bretelle autoroutière , ou ils abandonnent leur antagonisme pour échapper à la police. Le whodunit lui même est dérisoire au regard de la menace perçue comme Kafkaïenne par le spectateur, alors que l'enjeu réel de cette menace se situe pour le réalisateur sur un plan éthique. Oscar Issac maintiendra t'il le cap d'une morale professionnelle acceptable ou versera t'il dans l'illégalité . Et qu'en est il de l'application de cette morale quand ses effets se révèlent létaux pour ses collaborateurs. En permanence les tensions quelles soient professionnelles ou familiales auront été désamorcées par Chandor, générant un no man's land , sorte de cartographie mentale désenchantée d'Abel Morales,du libéralisme économique, de la justice et du politique .
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Rick Blaine
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Rick Blaine »

Un film formidable qui convoque effectivement Lumet, Coppola ou Gray pour faire renaitre le grand Polar Urbain avec ce choix audacieux, mais au combien réussi, de renoncer à tout effet spectaculaire et à tout archétype du genre pour se concentrer sur l'atmosphère et sur une brillante réflexion sur l'éthique. Le film est mené de main de maître, reposant sur le talent remarquable d'Oscar Isaac - que je n'avais pas remarqué plus que ça jusqu'ici, ce qui m'incite à voir rapidement Inside Llewyn Davis - et sur un casting d'ensemble très solide.
C'est l'atmosphère créée par Chandor qui s'avère l'élément le plus marquant, notament par les qualités visuelles epoustouflantes du film. On n'avait pas vu quelque chose de si beau depuis longtemps.

Il faut que je redonne une chance à Margin Call et que je découvre All is Lost rapidement.
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Jeremy Fox »

Rick Blaine a écrit :Un film formidable qui convoque effectivement Lumet, Coppola ou Gray pour faire renaitre le grand Polar Urbain avec ce choix audacieux, mais au combien réussi, de renoncer à tout effet spectaculaire et à tout archétype du genre pour se concentrer sur l'atmosphère et sur une brillante réflexion sur l'éthique. Le film est mené de main de maître, reposant sur le talent remarquable d'Oscar Isaac - que je n'avais pas remarqué plus que ça jusqu'ici, ce qui m'incite à voir rapidement Inside Llewyn Davis - et sur un casting d'ensemble très solide.
C'est l'atmosphère créée par Chandor qui s'avère l'élément le plus marquant, notament par les qualités visuelles epoustouflantes du film. On n'avait pas vu quelque chose de si beau depuis longtemps.

Il faut que je redonne une chance à Margin Call et que je découvre All is Lost rapidement.
Et moi du coup je ne suis que plus impatient de découvrir ce dernier film, les deux précédents m'ayant grandement convaincus. Oscar Isaac est fabuleux dans le Coen.
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Supfiction
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Supfiction »

Rick Blaine a écrit :reposant sur le talent remarquable d'Oscar Isaac - que je n'avais pas remarqué plus que ça jusqu'ici, ce qui m'incite à voir rapidement Inside Llewyn Davis
Vraiment remarqué, avant Inside Llewyn Davis, pour ma part dans l'excellent W.E. de Madonna, film que je recommande.
Mais on l'aura vu auparavant dans l'escroquerie de Ridley Scott aux côtés de Léa Seydoux..
Spoiler (cliquez pour afficher)
Sinon, de mémoire Margin Call est aussi beau, froid et implacable que ce A Most Violent Year. Dans ces deux films, il est beaucoup question de morale et de voracité ("greed is good" qui disait..) du capitalisme.
Dernière modification par Supfiction le 8 mai 15, 17:29, modifié 2 fois.
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Jeremy Fox »

N'oublions pas qu'il faisait partie du casting de Agora et qu'il était très bien dans The Two Faces of January . Quant à l'escroquerie de Ridley Scott :twisted:
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Rick Blaine »

J'ai vu qu'il était effectivement dans Agora et dans l'excellent Ridley Scott, mais il ne m'avait alors pas marqué.
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Jeremy Fox »

Rick Blaine a écrit : dans l'excellent Ridley Scott.
Je ne me souvenais déjà plus :D Nous sommes au moins deux :mrgreen:
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par Supfiction »

Rick Blaine a écrit :J'ai vu qu'il était effectivement dans Agora et dans l'excellent Ridley Scott, mais il ne m'avait alors pas marqué.
Je crois que c'est un acteur qu'on a tous vu sans le remarquer pendant des années. Et ça aurait pu continuer ainsi encore longtemps. Une carrière se joue à pas grand chose. Ils ont eu l'audace de le mettre en tête d'affiche d'Inside Llewyn Davis, c'était pas gagné. Les Star Wars vont permettre maintenant à l'acteur de franchir un palier supplémentaire en terme de popularité.

Quant à l'escroquerie de Ridley Scott, c'est plus fort que moi d'en mettre un petit coup lorsque l'occasion se présente. Le pire c'est que ça aurait pu être un très grand Robin des bois, c'est peut-être bien ça qui m'énerve le plus.
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cinephage
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Re: A Most Violent Year (J.C. Chandor - 2014)

Message par cinephage »

Le terme d'escroquerie appliqué à un film me parait totalement inadapté, et passablement insultant. Un cinéaste, même s'il se plante, n'est pas un voleur.

Les mots ont un sens, et celui-ci, quand il est aussi mal employé, me gonfle passablement (en prenant la même logique, par quelle expression dégradante devrais-je qualifier ton "petit coup" ??).
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