Gleb Panfilov

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jeremy Fox
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Gleb Panfilov

Message par Jeremy Fox »

Les éditions Potemkine nous permettent de (re)découvrir, en cette fin d'année 2014, un réalisateur russe méconnu : Gleb Panfilov. Bien qu'ayant réalisé une quinzaine de moyens et longs-métrages, pour la télévision et le cinéma, nous avons ici un coffret regroupant les quatre films les plus marquants qu'il a tourné avec sa femme : Inna Tchourikova. Pour donner une première idée du rapport qui s'établit entre ces deux artistes atypiques (nous y reviendrons), citons Panfilov : « Elle a un registre d'emploi très étendu et quant à son jeu, il n'y a pas de limite à ce qu'elle peut faire. » L'estime mutuelle est réelle : explorons donc, avec Pas de gué dans le feu (1967), Le Début (1970), Je demande la parole (1975) et Le Thème (1979), le parcours de ce réalisateur et de cette actrice qui n'auraient pas pu exister l'un sans l'autre.
Les textes sont signés Florian Bezaud ainsi que le test du coffret
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Alexandre Angel
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Re: Gleb Panfilov

Message par Alexandre Angel »

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Je demande la parole (Gleb Panfilov-1975)
C'est curieux, j'ai lu récemment sur ce forum un texte sur ce film. Je voulais placer ce message à la suite mais impossible de le retrouver.
Cette première œuvre en couleurs du couple formé par le cinéaste Gleb Panfilov, dont il est indispensable de redécouvrir les films, et sa muse Inna Tchourikova, est un régal d'écriture serrée, concise et un miracle d'équilibre entre bienveillance et critique, chaleur humaine et amertume, humour et fatalisme. Ce long film (145 minutes) qui passe comme une lettre à la poste ne comporte aucune once de graisse, ne s'empèse d'aucun symbolisme appuyé. Son déroulement cristallin désarme autant le spectateur de 2017 qu'il a du déstabiliser la censure soviétique de 1975 (qui fera tout de même végéter le film avant de le sortir).
Ce beau portrait de femme nous présente Elisabeta Andreevna, championne de tir au pistolet ( "des snipers, il en faut" ), mariée à un entraineur de foot un peu loser (Sergueï ou Serioja pour les intimes) et mère de deux enfants, Youri et Léna (Lenotchka), tous deux grandes gueules. Ce n'est pas spoiler que d'annoncer, comme le fera le film au cours de ses 5 premières minutes, la mort de Youri, qui se tire accidentellement une balle dans la joue en voulant réparer un pistolet (mal fini) qu'il a trouvé. Péripétie tragique filmée avec une économie de moyens parfaitement bouleversante dont nous n'entendrons plus parler, l'ensemble du déroulé filmique constituant un flash back qui n'aboutira jamais à un quelconque retour sur un drame dont l'ombre planera pourtant, tout le temps de la projection, sur le ressenti du spectateur. Cette façon très originale de rendre périphérique une véritable tragédie est la trouvaille de scénario que rend nécessaire la nature accaparante de l'engagement d'Elisabeta, élue Maire de Zlatograd, au service de la collectivité.
Bon soldat du Soviet Suprême, ultra sensible, lunaire (quel beau visage que celui d'Inna Tchourikova!) et néanmoins rigide, Elisabeta n'aura de cesse de travailler avec acharnement (et beaucoup de naïveté) à l'accomplissement de sa collectivité sous les oripeaux du Réalisme Socialiste. Fière de sa "russitude", méprisant les "gauchistes" bobo (tel Jean-Paul Sartre), elle refusera d'offrir à des journalistes français (accueillis en mairie et dont nous n'entendrons que les voix) du Cognac, insistant pour qu'on leur donne de l'eau et du café.
Dans une forme de calme narratif perclus de vivacité tressautante, le film agence une tranquille succession de pavés séquentiels (l'hommage au vieillard sur son lit de mort, la discussion téléphonique en un plan fixe avec le dramaturge, le mariage) semblables à certaines architectures massives, typiques de l'URSS.
Mais Panfilov esquive toute lourdeur et inspecte cet immobilisme réaliste et socialiste avec une bienveillance sceptique qui fait le sel et la finesse de l'oeuvre car le réalisateur, qui se tient en deçà de la dénonciation, ne donne pas non plus dans la tiédeur et la timidité.
Un humour salutaire insuffle régulièrement une truculence pince-sans-rire à la pesanteur sociétale décrite laissant de charmantes contradictions épicer la cellule familiale (il y a quelque chose d'assez italien dans tout ça) : les femmes citent Jean-Paul Sartre, Gorki et Maïakovski quand les hommes parlent foot et écoutent Obladi Oblada, des Beatles.
C'est que le grand sujet du film réside dans la confrontation entre rigidité idéologique et exubérance slave.
Comme lorsqu'il s'agit d'interrompre un mariage, situé au 4ème étage d'un immeuble fissuré. En tant que mairesse, Elisabeta décide courageusement d'aller interrompre la noce pour évacuer les convives. En entendant sa décision, le représentant du syndic qui l'accompagne la retient, épouvanté et lui dit : "N'y allez pas, ils vont vous forcer à boire!" :mrgreen: .
Il n'y a pas que les immeubles qui se fissurent mais aussi toute une langueur monotone que secoue souterrainement une âme slave,dont la puissance ancestrale et poétique permet de tenir.... jusqu'au prochain Plan Quinquennal.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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