Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Demi-Lune
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Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Demi-Lune »

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Ben alors, personne ne s'est encore dévoué ?

Pourtant, Tel père, tel fils est un vrai beau film qui confirmera la place de premier choix acquise par Kore-eda dans le paysage international.

Un des meilleurs cinéastes de la famille et de l'enfance à l'heure actuelle (Nobody knows en aura traumatisé plus d'un), Kore-eda nous propose cette fois-ci une variation sur La vie est un long fleuve tranquille : inversion d'enfant à la naissance par l'infirmière et prise en charge dans des familles de standing différent, qui ne se doutent de rien. Néanmoins, la similitude s'achève ici. Nulle satire grinçante dans Tel père, tel fils, mais un questionnement profond sur les liens d'amour et de sang. Le style toujours très posé du cinéaste pourra encore une fois paraître abusif à certains moments (on sent quand même un gros creux à mi-film), mais il ne nuit aucunement à l'émotion qui nous étreint deux heures durant. Comme toujours avec Kore-eda, tout cela est traité avec une grande dignité, grâce au travail pudique de mise en scène et à des comédiens plus vrais que nature (on a vraiment l'impression de pénétrer dans leur intimité). Pas sûr que si un remake voyait le jour (comme Spielberg semble vouloir le faire, ce qui serait une erreur totale à mon avis), cette retenue et cette sagesse très "japonaises", qui font toute la beauté du film en lui évitant tout pathos, seraient préservées.

Les développements de l'histoire peuvent paraître attendus car inéluctables, ils n'en demeurent pas moins très forts car le film prend le temps de détailler les étapes de ce dilemme émotionnel : la révélation, les rencontres entre les deux familles, les rapprochements, les passerelles, jusqu'à l'échange d'enfant inévitable. En creux, on a droit à de beaux portraits de parents (surtout le père n°1, froid et travailleur pour sa famille et non avec sa famille). La situation de conflit intérieur donne lieu à une évolution psychologique assez fine pour le couple n°1 (la culpabilisation de la mère de n'avoir pas senti dans ses entrailles le problème, les messes-basses sur la non-ressemblance enfant/parents, les terribles phrases "Tout s'explique donc..." ou "J'ai l'impression de le trahir") et, pour tout dire, bouleversante sur la fin (la découverte des photos numériques qui s'accompagne d'une découverte bien plus puissante). Non pas que le couple n°2 soit sacrifié, mais la caractérisation de dilettante du père n°2 doit avant tout mettre le père n°1 face à ses propres incertitudes et émotions vis-à-vis du devenir de l'enfant qu'il a élevé pendant 6 ans et qu'il croyait être le sien. Cela donne un côté un peu binaire au film (famille guindée et riche VS famille chaleureuse et pauvre), mais les choses sont heureusement traitées avec toutes les nuances nécessaires, pour un film réellement poignant sur l'amour d'un enfant pour son "père" et d'un père pour son "fils". Les enfants sont d'ailleurs criants de naturel.
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Par contre, la fin est frustrante parce qu'on ne sait pas, finalement, si l'échange va être pérenne étant donné que la réconciliation et la prise de conscience du père n°1 donne à penser qu'il veut récupérer son "enfant" et non son fils par le sang.
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Père Jules
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Père Jules »

Dans tes enthousiasmes comme dans tes déceptions, tu donnes toujours furieusement envie de voir des films DL. Celui-ci ne déroge pas à la règle ;)
Bon, il faut vraiment que je me décidé à découvrir Kore-Eda: After Life, Still Walking et I Wish m'attendent...
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Demi-Lune
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Demi-Lune »

Père Jules a écrit :Bon, il faut vraiment que je me décidé à découvrir Kore-Eda: After Life, Still Walking et I Wish m'attendent...
Est-ce que tu as vu Nobody knows ? Si ce n'est pas le cas, tu sais ce qu'il te reste à faire. :D
J'avoue par contre que je m'étais passablement emmerdé devant Still walking. :oops:
Dernière modification par Demi-Lune le 3 janv. 14, 11:32, modifié 2 fois.
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Jeremy Fox
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Jeremy Fox »

Ryoata, brillant architecte, forme avec son épouse et leur jeune fils de 6 ans une famille à priori idéale, si ce n’est que l’obsession du père pour la réussite professionnelle l’empêche de passer du temps avec son enfant qu’il espère pourtant devenir aussi travailleur et brillant que lui. La nouvelle qui lui parvient de la maternité comme quoi deux nourrissons – dont leur fils - ont été échangés à la naissance va bouleverser son quotidien et ébranler ses valeurs. Son fils biologique vit en fait au sein d'une famille de milieu bien plus modeste, des épiciers ; par le force des choses et en attendant une bonne solution, les uns et les autres vont alors se rencontrer et s’échanger leurs enfants durant certains week-ends… Qui en lisant ce pitch n’a pas pensé lire celui de La Vie est un Long Fleuve tranquille de Etienne Chatiliez ?! Sauf que si le réalisateur français avait accouché d’une comédie satirique grinçante d’ailleurs tout à fait réjouissante, le cinéaste japonais, à partir du même postulat de départ, nous propose une chronique familiale douce et posée comme il en possède la secrète miraculeuse alchimie. Une sobriété de ton et de forme qui aboutit néanmoins à une puissante émotion et à une mélancolie poignante, la tranche de vie étant un domaine où Kore-Eda s’est avéré depuis plusieurs années l’un des meilleurs spécialistes en plus d’être l’un des plus subtils chantres de l’enfance, ainsi digne successeur maintes fois confirmé de Yasujiro Ozu.

Sans aucun simpliste dualisme ni lourde démonstration, il en profite ici pour questionner ce qui doit prévaloir entre amour et liens du sang, pour s'interroger sur la place de l’enfant au sein du cercle familial, pour démontrer l’inanité des valeurs traditionnelles japonaises dans la société contemporaine, notamment la posture face au travail et la réussite professionnelle à tout prix. Le tout sans non plus aucun manichéisme ni schématisme puisque le regard porté par les auteurs sur n’importe quel protagoniste est d’une constante indulgence, aucun n’étant jugé plus mauvais qu’un autre… L’interprétation est magistrale - l’immense comédien Masaharu Fukuyama en tête, totalement crédible dans son évolution psychologique et sa remise en question découlant d’un violent conflit intérieur -, la direction d’acteurs faisant qu’adultes comme enfants s’avèrent tous confondants de naturels, alors que la mise en scène toute en pudeur, nuances et retenue ne se révèle pourtant jamais engoncée grâce au sens de l’observation, à la finesse du détail et à la parfaite gestion du rythme du cinéaste, l'ensemble semblant toucher à l’évidence… Un film intimiste d’une harmonieuse simplicité, d’une justesse confondante, d’une grande dignité et d’une belle sagesse à l’image de cette fin ouverte et lumineuse sans aucune emphase mélodramatique ni sentimentalisme : et si tout le monde se mettait à trouver la solution qui conviendrait le mieux à tout un chacun ? Laquelle ? Nous laissons chaque spectateur se faire sa propre idée, mais l’optimisme et l’espoir sont bien de mise, les Goldberg Variations de Bach aidant à notre confiante réflexion dans l’avenir radieux de ces deux familles que nous n’aurons pas eu beaucoup de mal à prendre en grande sympathie. Tact, intelligence, délicatesse et subtilité, après 8 films Kore-Eda continue à privilégier ce qui rend toujours aussi précieux son cinéma quasi impressionniste ; Tel père tel fils devrait émouvoir le plus grand nombre, tout du moins tous ceux qu'émeut une superbe histoire d’amour filial.
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Père Jules
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Père Jules »

Je n'ai pour l'instant rien vu de ce réalisateur. C'est noté.
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Rick Blaine »

Rien vu non plus et c'est vrai que tu fais envie. :D
Demi-Lune a écrit : J'avoue par contre que je m'étais passablement emmerdé devant Still walking. :oops:
Mince, c'est le seul que j'ai.
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Blue »

Vu hier et j'ai été assez emballé par le film, par cette espèce de force tranquille qui te happe au moment où il faut, sans jamais en faire des tonnes (que ça fait du bien de voir une caméra qui ne s'agite pas et des plans qui laissent le temps aux acteurs de s'imprégner de leur scène). Je n'ai pas d'enfant mais ça ne m'a pas empéché d'y aller de ma larmichette à la fin tellement c'est beau et touchant de simplicité. Vraiment du travail de qualité de la part de Koreeda et ses acteurs. Voilà un bon moment de cinéma qui m'a transporté l'espace de 2h.
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Demi-Lune »

Jeremy Fox a écrit :Ben oui moi aussi. Entre Johnnie To et Kore-Eda, je sens que 2014 va être copieuse en tentatives de découvertes asiatiques. Je ne connais rien de ces cinéastes.
Alors tu verras, Johnnie To, c'est pas du tout le même style. :mrgreen:
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Jeremy Fox
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Jeremy Fox »

Demi-Lune a écrit :
Jeremy Fox a écrit :Ben oui moi aussi. Entre Johnnie To et Kore-Eda, je sens que 2014 va être copieuse en tentatives de découvertes asiatiques. Je ne connais rien de ces cinéastes.
Alors tu verras, Johnnie To, c'est pas du tout le même style. :mrgreen:
Oui j'avais bien deviné :lol:
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par homerwell »

Kore-eda a pris le prétexte d'échange de deux bébés à la naissance pour se livrer à une fine analyse des rapports père/fils, et plus particulièrement du rôle de père qui est souvent emprunt de questionnement. Le film est gracieux et habile à montrer la lente prise de conscience du père alpha dans ce qui est l'accomplissement d'un homme qui devient papa.
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par homerwell »

Blue a écrit :(que ça fait du bien de voir une caméra qui ne s'agite pas et des plans qui laissent le temps aux acteurs de s'imprégner de leur scène).
J'ai noté une nouvelle fois des plans qui sont des hommages à Ozu et qui démontre aussi la volonté de simplicité et de clarté de Kore-eda dans sa manière de filmer.
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par homerwell »

Rick Blaine a écrit :Rien vu non plus et c'est vrai que tu fais envie. :D
Demi-Lune a écrit : J'avoue par contre que je m'étais passablement emmerdé devant Still walking. :oops:
Mince, c'est le seul que j'ai.
Il est très bien Still Walking, ne regrette pas ton achat. Le film est abordé dans ce fil de discussion :

http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... a+hirokazu
Dernière modification par homerwell le 5 janv. 14, 09:29, modifié 1 fois.
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-Kaonashi-
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par -Kaonashi- »

Père Jules a écrit :Je n'ai pour l'instant rien vu de ce réalisateur. C'est noté.
Il me reste à voir ses deux derniers, mais parmi ses autres films, les plus forts sont d'après moi Distance et Nobody knows. Le premier est le point culminant de la première période du cinéaste, où la mort et le deuil occupent une place centrale ; le second marque un début de renouveau très intéressant dans sa filmo.
After Life part d'un postulat très fort, un peu glaçant, mais ça donne un film crépusculaire et triste, et pourtant non dénué d'espoir.
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par Strum »

C'est un très beau film, qui vaut autant par la douceur et l'indulgence du regard de Kore-Eda sur les deux familles, que par son discours critique sur la figure du père japonais traditionnel de l'ancienne (et de la nouvelle ?) génération, qui pronait (prône) des valeurs très conservatrices sur la "loi du sang" et sur la nécessité de sacrifier sa vie à sa réussite professionnelle. Le film a d'ailleurs été un beau succès public au Japon, où il a fait écho aux débats culturels et historiques qui agitent le Japon actuellement sur la place du pays dans l'Histoire et sur sa culture. En quelques plans merveilleusement mis en scène et agencés, Kore-Eda plante au début du film le décor de sa réflexion : la famille traditionnelle japonaise est montrée pour ce qu'elle est : une cellule familiale renfermée sur elle-même, où la femme au foyer ne travaille pas et est soumise à un ordre et une hiérarchie immuables - une école privée et élitiste, auxquels on ne peut accèder qu'avec des cours du soir - une société parfois hyper hiérarchisée et formaliste - une vie régie voire réglementée par le travail - une astreinte au travail qui commence dès l'âge de 6 ans pour l'enfant mâle - et en même temps, un enfant mâle roi : il est la consolation de la mère et l'espoir du père qui attend de lui l'excellence dans tous les domaines.

Après I Wish où il montrait le point de vue des enfants, Kore-Eda montre ici le point de vue du père (mais toujours en prenant en compte l'intérêt de l'enfant). Un père traditionnel qui finit par remettre en question ses propres valeurs - valeurs qu'il essaie coûte que coûte de préserver et transmettre à son fils alors qu'au fond de lui, il ne les aime pas. C'est à cause d'elles qu'il déteste son propre père... il finit, ainf de briser cette malédiction de la détestation du père, par essayer de surmonter ses préjugés en tendant la main vers son fils et en comprenant peut-être que l'éducation, dans sa pratique de tous les jours, est plus importante et plus formatrice pour l'enfants, que d'abstraites valeurs reçues du père et de la tradition.

Kore-Eda s'appuie dans sa démonstration sur une famille japonaise moderne ou "liberal", dont il fait un modèle d'éducation alternatif et opposé au modèle élitiste de la famille traditionnelle. Cela donne au film un côté un peu dualiste, qui peu paraitre forcé par moment (nombreuses scènes montrant les modes de vie différents des familles), mais que ne trouveront caricatural que ceux qui ne connaissent pas bien le Japon et les débats qui l'agitent. Un bémol peut-être : l'usage de la musique qui m'a paru parfois inutile (malgré l'universalité de Bach).

Comme Demi-Lune, je pense qu'un remake du film par Dreamworks n'est pas nécessairement une bonne idée - il doit toute son identité à la culture japonaise. En revanche, contrairement à toi, Demi-Lune, j'ai beaucoup aimé cette fin un peu "ouverte".
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cinephage
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Re: Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-eda - 2013)

Message par cinephage »

homerwell a écrit :
Rick Blaine a écrit :Rien vu non plus et c'est vrai que tu fais envie. :D


Mince, c'est le seul que j'ai.
Il est très bien Still Walking, ne regrette pas ton achat. Le film est abordé dans ce fils de discussion :

http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... a+hirokazu
Je suis bien d'accord, Still Walking est un excellent film, et je pense qu'il ne te déplaira pas, Rick, loin s'en faut.
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