Isabelle Czajka

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Supfiction
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Isabelle Czajka

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J'inaugure un topic sur cette réalisatrice prometteuse, en commençant par un texte écrit à chaud à l'issu de la projection de son dernier film (actuellement en salle).

La vie domestique (2013)

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Ce film, dans sa grande simplicité scénaristique, est pourtant étonnant. Car rarement au cinéma j'avais ressenti à ce point la réalité quotidienne de notre époque, au point que j'eus devant ce film la très nette impression d'observer la vie domestique des français de 2013. Plus précisément, celle de couples quadragénaires des classes moyennes supérieures de la banlieue parisienne.
A titre personnel, je dois dire que ce sentiment a été renforcé à double titre par le fait que des amis vivent précisément sur les lieux mêmes du tournage (Marne La vallée, Pontault-Combault, Roissy en Brie) et que j'ai découvert avec effarement une scène se passant dans mon propre lycée, celui dans lequel j'ai fait mes études il y a presque 25 ans! Quel choc quand le cinéma et la vie personnelle s'entrecroisent ainsi.. les décors sont volontairement à la fois passe-partout et proches de chacun, et c'était à n'en pas douter le souhait et le pari de la réalisatrice.

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Si ces extérieurs sont pour tous français particulièrement familiers (parcs, aires de jeux, entrées d'écoles et centres commerciaux), il en va de même des intérieurs. Car ceux-ci se ressemblent presque tous comme semble nous le dire Isabelle Czajka, entre Roche & Bobois et Ikea, écrans plats et grandes baies vitrées, électroménager dernier cri (voir le clin d’œil acerbe et drôle sur le café en capsules), murs sans âme et décoration minimaliste.

S’occuper des enfants, faire les courses, organiser un dîner et autant de taches quotidiennes invisibles.. Isabelle Czajka décrit une journée type d'une femme au foyer (et partiellement de ses voisines) avec un oeil particulièrement acéré, parfois moqueur (les scènes sur le canapé), parfois un peu désabusé mais sans jamais tomber dans la facilité ou le jugement. Elle filme ces femmes comme elle filme la France, sans se voiler les yeux et sans complaisance devant les médiocrités des uns et des autres.

D'emblée, la première scène, un dîner semi-professionnel à la fois très drôle et féroce, emporte l'adhésion et nous situe immédiatement dans l'époque. Si dans 50 ans on voudra se rendre compte comment vivaient et pensaient les gens des années 2010, ce film sera sans aucun doute un document historique d'une grande valeur. Car il ne se passe rien d'extraordinaire ici. Juste la morne et simple réalité d'une journée ordinaire de personnes ordinaires.

Unité de lieu et de temps sur 24 heures, c'est peut-être là du coup la seule limite du film, ce manque total de fiction et le sentiment d'être Big Brother, d'observer, bien assis dans son fauteuil, ses congénères avec curiosité et un peu avec horreur et tristesse.

On se reconnait, on reconnait ses proches, on juge, on compatit devant le miroir que tend la réalisatrice sur la France contemporaine.
Certaines séries (Fais pas ci, fais pas ça) ou téléfilms essayent souvent de décrire cette réalité mais de façon grossière et avec une obligation comique déformante. Ici tout semble plus vrai que vrai. Ce qui est absolument étonnant est que La Vie domestique est tirée du roman anglais Arlington Park de Rachel Cusk. Et l'on se demande avec étonnement et peut-être un peu de tristesse comment l'adaptation d'un roman étranger peut donner lieu à un film aussi proche de nous..

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Emmanuelle Devos, Julie Ferrier, Natacha Régnier et Helena Noguerra, toutes très justes forment les différentes facettes de la femme au foyer (entre lucidité, complexes d'infériorité, un certain "bonheur" et des souhaits d'activités plus valorisantes).
A ce quatuor, il faut ajouter la grand-mère incarnée par une Marie-Christine Barrault absolument formidable dans une scène qui permet d'élargir le tableau et de donner de l'ampleur au propos. Il manque peut-être quelques femmes actives ici pour que le portrait de la bourgeoise moderne soit encore plus complet et plus juste mais cela aurait sans doute nuit à la thématique du film.

Du côté des hommes, qui en prennent pour leur grade, c'est Laurent Poitrenaux qui incarne avec finesse les petites lâchetés, les maladresses blessantes et les facilités de l'homme actif fasse aux préoccupations conjugales et familiales. La scène finale répondant à la première et le film se clôturant sur un plan du visage éteint d'Emmanuelle Devos après une journée remplie d'espoirs déçus, de déceptions, de paroles blessantes et de petites humiliations..

Un grand film sur la France contemporaine.

Interview Télérama:
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Isabelle Czajka, réalisatrice de “La Vie domestique” : “Le féminisme c'est aussi une question de regard”


Entretien | Comme dans un roman de Virginia Woolf, Isabelle Czajka saisit le vide et l'inquiétude légère de trois femmes vivant dans une zone pavillonnaire de banlieue.
Propos recueillis par Guillemette Odicino


Avec La Vie domestique, ou 24 heures dans la vie d’une femme au foyer et de ses voisines dans une banlieue résidentielle à trente kilomètres de Paris, Isabelle Czajka réussit un précis du quotidien féminin aussi drôle qu’angoissant. Rencontre avec une cinéaste qui donne envie à la fois de relire Virginia Woolf et de ne plus se soumettre à la dictature des capsules de café !

Le titre de votre film, d’abord…
La vie domestique n’est ni la vie familiale, ni la vie conjugale… Dans ce film, mon idée était de décrypter la répartition des rôles dans le matériel et comment en découle, de fait, une domination masculin. Tous ces petits faits du quotidien dont s’occupent les femmes, qui tissent une sorte de travail invisible. Un travail dont on ne s’aperçoit que lorsqu’il n’est plus fait ! Et, dans ces cas là, les femmes passent pour des folles, en général… Le monde commence à la maison, où les rôles se distribuent…

Ces petits travaux mis bout à bout donnent une forme d’asservissement ?
Un asservissement accepté, donné comme un fait établi, qui apparaît naturel à tout le monde, y compris aux femmes qui se sentent responsables de ces tâches domestiques nombreuses et disparates. L’organisation de la société le veut ainsi, et les femmes se mettent dans le crâne que si elles n’exécutent pas ses tâches, rien ne fonctionne, rien ne marche. Elles tirent une satisfaction de cette fonction. Mais ce n’est pas qu’un problème de libre arbitre : elles ont été formatées comme cela par la société.

Le combat féministe aurait-il oublié cette forme de petit asservissement ?
Le féminisme n’est pas qu’une question de grands drapeaux, de combat politique, mais de regard qui doit changer : si on met à plat le quotidien, ces détails deviennent criants. Dans mon film, les hommes ne sont pas méchants. Ils ne rendent pas compte, c’est tout. Je pense traiter les hommes et les femmes à peu près de la même manière dans le film. Bien entendu, c’est mon regard, et je suis une femme. Dans les avant-premières du film, certains spectateurs se sentent visés, oui, mais troublés tout de même. Ils l’avouent : « c’est vrai, ces phrases, je les ai dites ! ». Mais Laurent Poitrenaux qui joue le mari de l’héroïne, Emmanuelle Devos, n’a jamais eu l’impression de jouer un sale type ! Qu’est-ce qu’on dirait si j’avais filmé les maris les pieds sur la table en train de boire une bière devant un match de foot !

Vous préférez filmer l’un des époux rentre chez lui avec un arc !
Michaël Abiteboul, qui joue le rôle, a trouvé ça extrêmement drôle ! Il m’a dit : « C’est moi ! Je rentre toutes les semaines avec une nouvelle passion ! Une trompette, un vélo, des gants de boxe… » C’est le côté charmant mais infantile des hommes. Peut-être que les femmes devraient rentrer à la maison elles aussi avec des arcs et des flèches !

Au départ, vous vouliez adapter Virginia Woolf…
C’est fou comme tout se recoupe : on m’a parlé ces derniers jours de La Domination masculine de Boudieu que je n’avais pas lu. Du coup, je l’ai feuilleté et j’ai découvert que, dans son livre, Bourdieu consacre quinze pages à La Promenade au phare, le roman de Woolf que je pensais adapter à l’origine, et qui traite du rôle de la femme comme épouse, mère et comme organisatrice sociale (invitations, dîners, pivot de la famille au sens large)… J’ai renoncé à l’adapter car j’avais un problème d’époque : je tenais à parler du contemporain. Avec un film d’époque, on m’aurait rétorqué : le féminisme est passé par là dessus ! Et je suis tombé sur le bouquin de Rachel Cusk, Arlington Park, qui se réclame de Virginia Woolf…

Dans Arlington Cusk, une atmosphère angoissante plane à cause de la disparition d’un enfant dans le quartier. Ce fait divers parallèle est comme un sous-entendu : vos héroïnes, aussi, pourraient déraper.
Oui. Julie Ferrier, qui oublie son fils dans la voiture, ou Natacha Régnier, quand elle entre dans sa maison dévastée, enceinte du troisième, peut-être l’enfant de trop… Je n’exploite pas le côté thriller, mais je voulais que la sauvagerie soit là, souterraine, insidieuse, et qui pourrait surgir chez ces femmes là aussi dans une faille du quotidien. Particulièrement chez le personnage incarné par Julie Ferrier : sa vie repose entièrement sur le domestique. Si jamais le domestique déraille, comme lorsqu’un gosse met du feutre sur son canapé blanc, elle déraille aussi…

On pense aux Desperate Housewives… Comment avez vous construit vos personnages ?
Je ne suis pas partie d’archétypes, mais, en écrivant, mes femmes au foyer se sont affinées, recentrées l’une sur la maternité, l’autre sur la névrose domestique, etc… Il y avait huit personnages dans le roman de Rachel Cruz dont j’ai synthétisé les caractéristiques pour en écrire quatre.

Votre mise en scène est très stylisée, épurée.
Mine de rien, c’est un film fait uniquement caméra à l’épaule, même si cela ne se voit pas. Je cherchais une grande fluidité. Aucune ellipse dans ces 24 heures. Que cela coule comme une journée, de ces journées où, à la fin, on se dit : « qu’est ce que j’ai fait de aujourd'hui ? ». Je voulais que les comédiens soient très libres dans les décors, que leur circulation ne soit pas entravée par la machinerie, des caméras fixes, des projecteurs…

La vie domestique semble être une suite logique à votre film précédent D’amour et d’eau fraîche, où Anaïs Demoustier était une jeune diplômée qui ne trouvait pas sa place dans la société.
Il y a aussi le premier L’année suivante, avec, déjà, Anaïs Demoustier. Sans être autobiographique, il y a bien sûr une forme d’autoportrait en trois temps. Je ne m’en rendais pas compte au moment de faire les films mais maintenant que je vois les trois, je m’en rends compte : il y a un fil ! La jeune fille, la jeune femme, la femme de quarante ans. La place de la femme par rapport au milieu du travail, mais aussi de la consommation, m’intéresse, et je décline ces thèmes. Toutes ces injonctions à consommer…

Une autre sorte d’asservissement ?
C’est la fameuse ménagère de moins de cinquante ans. En plus de tout ce qu’elle doit faire, une femme doit aussi répondre aux injonctions de la publicité : être belle, être en forme, acheter tel jouet à ses enfants, acheter les macarons de chez Machin, les dosettes de café de la marque Truc, et être sexuellement épanouie. Remplir toutes les cases.
Autrefois, la religion dictait leur comportement aux femmes, et les contenait d’une certaine façon. Aujourd’hui, c’est la publicité qui remplit ce rôle.

Vous finissez le film sur une scène de dîner : un enfer où un détail très drôle montre que les vies des convives sont interchangeables…
Forcément, quand on met des gens de la même classe sociale dans le même décor et qu’on leur fait consommer les mêmes choses… C’est le paradoxe : la publicité nous fait croire que consommer nous rend uniques, mais elle nous fait acheter la même chose que tout le monde…

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Dernière modification par Supfiction le 3 oct. 13, 22:06, modifié 9 fois.
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Dunn
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Re: Isabelle Czajka

Message par Dunn »

Très bien ce topic et excellente critique, et brillante interview (quand elle dit qu'elle a presque fait une trilogie c'est vrai-sauf que Anaïs Demoustier est encore jeune pour jouer un rôle de quadra avec enfants sinon ça aurait bien collé et fait une belle trilogie).J'aime beaucoup quand elle parle de ces modes de consommation et ça se ressent vraiment avec subtilité dans son film.Ces moments faussement d'humour comme le canapé sont excellents.Tout est réglé dans leur vie et il suffit d'un imprévu et c'est la catastrophe.Ce côté faussement thriller est très bien fait aussi quand on entend à la radio l'alerte enlèvement,mais je trouve que l'idée est brillante que
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ce soit une élève au personne d'Emmanuelle Devos qui a tué son propre enfant.Le parallèle est intéressant car elles vivent pour leurs enfants au détriment du reste et des choix perdues (son rendez-vous impossible le soir à cause des enfants et reporté au lendemain mais on a très bien compris qu'elle aurait eu le job en venant le soir même).La morale est ambivalente : être mère oui mais j'ai besoin de me sentir bien dans un job, mais pas au détriment de mes enfants.Et malgré certains progrès dans ce sens, le film nous montre bien que les mères s'occupent plus de leurs enfants que les pères.Pour en revenir à la mère tueuse, pourquoi l'a-t-elle tué? De voir ces familles et ces enfants qui ont une vie "domestique" sûrement lui aurait fait peur.
Je remets ma critique ici:
Dunn a écrit : La vie domestique: 7/10

J'avais déjà beaucoup aimé les deux premiers films d'Isabelle Czajka (et pas uniquement parce qu'il y a l'épatante Anaïs Demoustier) et celui-ci confirme certains des ses talents.Tout d'abord, elle a l'art d'immiscer le spectateur dans la vie de ses personnages (Pialat n'est pas loin) par des petits détails fort judicieux, parfois par son écriture (les dialogues restent simples mais dans le contexte parfaitement efficace), parfois par son montage (l'histoire et les personnages se croisent et se décroisent sans que ce soit vraiment un film chorale), et parfois par sa mise en scène (j'aime cette caméra qui suit un personnage puis qui disparait pour ensuite le reconnaitre par son objet-exemple: la livreuse de pub).Alors certes, ça peut paraitre classique mais avec des actrices au top (elles ont toutes quelques choses qui les rends attachantes) et une histoire sur les femmes au foyer avec une morale intéressante dans leurs vies de mères et même une petite partie faussement thriller,mais voilà un troisième film qui confirme le talent de cette réalisatrice toujours à suivre.
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Jeremy Fox
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Re: Isabelle Czajka

Message par Jeremy Fox »

J'airais le voir dès qu'il passera chez moi ; vraiment très alléchant.
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Supfiction
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Re: Isabelle Czajka

Message par Supfiction »

Dunn a écrit :Tout est réglé dans leur vie et il suffit d'un imprévu et c'est la catastrophe.
Tu fais allusion à la crise suite à "l'incident canapé "je suppose.
Il y a plusieurs façons d’interpréter cette réaction. Cela peut s'expliquer effectivement par un "petit rien" qui provoque une réaction disproportionnée, trahissant par là un mal-être profond. Cela peut également s'expliquer par l'histoire et la psychologie du personnage en question (Julie Ferier), la seule dont on sait qu'elle vient d'un milieu moins aisé, et pour qui cette réaction se justifie.
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Enfin, on peut s'interroger sur le peu de réaction à contrario lorsqu'elle apprend le décès de sa grand-mère..
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Dunn
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Re: Isabelle Czajka

Message par Dunn »

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Mais oui c'est évident la mort de sa grand-mère lui fait moins de mal que la tâche sur le canapé :wink: ce qui prouve que leur environnement et leur mode de vie prennent trop le pas sur la famille elle-même.
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Re: Isabelle Czajka

Message par Supfiction »

En y repensant, j'ai adoré le passage à propos d'Agnes Obel.. cette séquence du petit-déjeuner est tellement vraie que j'ai l'impression de l'avoir vécue :lol: !
Dernière modification par Supfiction le 4 oct. 13, 12:45, modifié 1 fois.
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Re: Isabelle Czajka

Message par Dunn »

C'est la force du film, être vrai.Mon collègue s'est un peu moqué de moi quand je lui ai dit que j'irai voir ce film.Il m'a dit "mais on voit déjà ça à la télé en téléfilm".Oui mais pas comme ça ;)
julien
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Re: Isabelle Czajka

Message par julien »

La Vie Domestique, je vois ça tout les jours chez moi, en son réel dolby surround, image 3D relief, sans les lunettes et en plus c'est gratuit. 8)
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"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
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Re: Isabelle Czajka

Message par Dunn »

Et ben je te plains :|
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Re: Isabelle Czajka

Message par Supfiction »

Une critique type contre ce type de film.

Je pourrai ajouter : les mêmes qui reprochent à Vincent Lindon de "tirer la tronche" dans ses films..
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poet77
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Re: Isabelle Czajka

Message par poet77 »

Tout est dit (ou plutôt suggéré) dans le titre de ce film d'Isabelle Czajka! Dans "la vie domestique", il y a le mot "domestique" qui d'adjectif peut devenir substantif et prendre le sens de "larbin". Mais ce sont les femmes qui ont le rôle de "larbins": à elles la charge de la maison, son entretien, le souci et la préparation des repas, les courses à faire, le soin des enfants, etc., etc.
Rien d'extraordinaire dans ce film, sinon la vie banale de quelques femmes vivant dans une banlieue résidentielle de la région parisienne. 24 heures de la vie de Juliette (Emmanuelle Devos, impeccable comme toujours) et de ses amies, de leurs vies si remplies, si trépidantes, qu'on se demande comment elles tiennent le coup ou ne sombrent pas dans la dépression. Juliette qui ne se satisfait pas cependant de son sort, qui voudrait décrocher un emploi dans une maison d'édition. Juliette qui trouve néanmoins l'énergie de donner un peu de son temps à des lycéennes en difficulté scolaire, ce qui donne lieu à une scène amusante qui rappelle le beau film de Laurent Cantet, "Entre les murs". Juliette qui emmène ses enfants à l'école et qui se soucie de leur trouver une baby-sitter quand c'est nécessaire. Juliette qui retrouve une ancienne connaissance perdue de vue et qui l'invite à dîner. Et Juliette qui s'active à la cuisine afin de bien recevoir ses invités. On n'en finirait pas d'énumérer tout ce que fait Juliette (et ce que font ses amies).
Tout cela paraît tellement banal qu'on se demande pourquoi ce film a tant de charme, pourquoi il captive à ce point. Cela s'explique bien entendu par plusieurs facteurs qui, mis ensemble, forment un film d'excellence: la grâce de la mise en scène, le talent indéniable des actrices et la qualité des dialogues (superbement écrits!).
Mais une question nous vient tout naturellement à l'esprit: et les hommes dans tout ça? Où sont les hommes et que font-ils? N'ont-ils donc pas leur place dans la vie domestique? Il faut l'admettre, ils sont grandement absents! La faute à leur travail, certes! Mais quand ils rentrent à la maison, comment se comportent-ils? Ne vont-ils pas soulager leur épouse et prendre leur part des tâches domestiques? Aïe, aïe, aïe! La vérité, c'est qu'ils sont tire-au-flanc. Ils se bâfrent de nourriture et leurs propos sont le plus souvent triviaux, voire carrément stupides!
Isabelle Czajka a réalisé avec "La vie domestique" un film qu'on peut qualifier de féministe, à condition de donner à ce mot son sens le plus noble, à condition de le faire sonner comme un hommage rendu à ces femmes, épouses et mères, dont les vies sont si pleines et si fatigantes, mais qui risquent de se perdre, si l'on n'y prend garde, dans la vacuité ou dans l'"à quoi bon". 8/10
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Re: Isabelle Czajka

Message par Thaddeus »

poet77 a écrit :et les hommes dans tout ça? Où sont les hommes et que font-ils? N'ont-ils donc pas leur place dans la vie domestique? Il faut l'admettre, ils sont grandement absents! La faute à leur travail, certes! Mais quand ils rentrent à la maison, comment se comportent-ils? Ne vont-ils pas soulager leur épouse et prendre leur part des tâches domestiques? Aïe, aïe, aïe! La vérité, c'est qu'ils sont tire-au-flanc. Ils se bâfrent de nourriture et leurs propos sont le plus souvent triviaux, voire carrément stupides!
Imaginons les attaques dont le film aurait fait l'objet si les cibles avaient été inversés. C'est bien ici qu'il m'a gêné, personnellement : dans sa misandrie rampante.
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Re: Isabelle Czajka

Message par poet77 »

C'est vrai que les hommes n'ont pas le beau rôle dans La Vie domestique. De là à parler de misandrie... Peut-être mais, dans ce cas, personnellement, je préfère en sourire. Je me dis que c'est une juste revanche. Il y a eu tant de films misogynes dans l'histoire du cinéma! Alors, pour une fois qu'il y a un film misandre, acceptons-le de bon coeur! Au risque de me faire honnir par mes lecteurs de sexe masculin, j'ajouterai que nous l'avons bien cherché, nous les hommes!
Et puis, des hommes semblables à ceux que décrit Isabelle Czajka, il y en a, ce n'est pas de la pure invention!
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Re: Isabelle Czajka

Message par Supfiction »

Thaddeus a écrit :
poet77 a écrit :et les hommes dans tout ça? Où sont les hommes et que font-ils? N'ont-ils donc pas leur place dans la vie domestique? Il faut l'admettre, ils sont grandement absents! La faute à leur travail, certes! Mais quand ils rentrent à la maison, comment se comportent-ils? Ne vont-ils pas soulager leur épouse et prendre leur part des tâches domestiques? Aïe, aïe, aïe! La vérité, c'est qu'ils sont tire-au-flanc. Ils se bâfrent de nourriture et leurs propos sont le plus souvent triviaux, voire carrément stupides!
Imaginons les attaques dont le film aurait fait l'objet si les cibles avaient été inversés. C'est bien ici qu'il m'a gêné, personnellement : dans sa misandrie rampante.
J'ai appris un mot aujourd'hui. :uhuh:
Mais je n'ai pas trouvé les hommes si antipathiques dans ce film. Ce ne sont pas des gros beaufs qui s'installent dans le canapé, regarde du foot bruyamment en buvant de la bière. Ils sont certes un peu infantiles (le type qui rentre avec son arc) ou se voilant la fasse mais ils font des efforts. On ne les voit pas tout simplement car ils sont au travail alors que leurs femmes sont au foyer. Ils sont il est vrai souvent démissionnaires, évitant avec un peu de lâcheté les conflits après une journée au travail (le père qui ne donne pas le bain à sa fille parce-qu'elle n'a pas fini de jouer, ou prétend ne pas être allé chercher du vin parce que sa femme ne lui a pas dit de le faire).

Mais les hommes ne sont pas les seuls à être dans le collimateur de la réalisatrice. Le personnage joué par Héléna Noguerra, par exemple, est très intéressant et représentatif de certains comportements parentales démissionnaires (cf. son passage à l'école ou l'épisode du canapé et des feutres).

Misandrie rampante ? Non même pas..
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Re: Isabelle Czajka

Message par Supfiction »

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D'amour et d'eau fraiche (2010)

Isabelle Czajka réinvente un peu Bonnie and Clyde dans son second long métrage après L'année suivante, déjà avec Anaïs Demoustier.
Le film est assez réussi bien qu'inégal. La réalisatrice décrit ici avec une grande acuité la lutte d'une jeune Bac+5, Julie Bataille (!), pour s'insérer dans la vie active et payer le prix de son autonomie (entre studio parisien au loyer démesuré, premiers jobs humiliants et entretiens d'embauche horripilants).

Les relations familiales (le grand frère moraliste et surtout la mère qui ne comprend absolument pas à quoi sa fille est confrontée, qui parle de faire de l'humanitaire à l'étranger alors que sa propre fille sous ses yeux est constamment sur la brèche) sont rendues de façon acerbe et extrêmement juste. La jeune femme est sommée de se soumettre à la dure réalité du monde moderne, dire merci pour avoir eu un piston pour un poste au smic où les cadres d'une agence de com' lui font faire des taches sans aucun rapport avec ses qualifications et ses diplômes. Effrayant et désespérant.

Malheureusement le film retombe un peu dès qu'il s'agit de montrer l'"héroïne" dans ses aventures amoureuses, faciles et sans lendemain, ou dans son échappée finale, véritable exutoire après tant d'humiliations et de pression (familiale et professionnelle).
Cette dernière partie vient un peu parasiter le propos tout en apportant (et c'est paradoxal) un réel point de vue sur la moralité.
Dommage car la première partie était totalement saisissante dans ce portrait si juste d'une jeunesse confrontée à la crise.

Autour d'Anaïs Demoustier (dont on attend encore Le grand rôle), on trouve un beau casting masculin avec notamment Laurent Poitronaux, odieux en collègue vendeur de porte à porte (et que l'on retrouve encore dans le mauvais rôle dans La vie domestique), et Pio Marmaï de nouveau parfait dans un rôle de séducteur désinvolte (après Le premier jour du reste de ta vie, Un heureux événement et La délicatesse).

Isabelle Czajka passe de peu à côté d'un grand film.
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Dernière modification par Supfiction le 15 oct. 13, 20:43, modifié 2 fois.
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