A regret, j'avoue ne pas avoir été particulièrement convaincu par
Celles qui voulaient se souvenir, que je classe clairement dans le bas de la filmographie de Kurosawa (bon c'est quand même mieux que cette purge de
Charisma, rassurez-vous hein).
Avant toute chose dissipons les éventuels malentendus :
Shokuzai (en tout cas pour ce qui concerne sa première partie) n'est ni un polar, ni un film fantastique, même si avec le cinéaste les frontières du genre peuvent parfois être poreuses. L'argument de base dans tous les cas est trompeur. Le meurtre inaugural de la petite écolière est un McGuffin utilisé par le cinéaste pour ré-explorer ses thématiques liées à la malédiction, à l'emprise des morts, à la fatalité ou à l'expiation. Le parallèle avec
Rétribution, son meilleur film à mes yeux, est évident et l'efficacité à couper le souffle de l'ouverture laisse espérer une exécution au moins aussi aboutie. Or à la différence de ses films de fantômes, la dette contractée auprès de l'au-delà ne repose plus ici sur l'explicite (l'humain hanté par le revenant qui attend quelque chose de lui), mais sur l'intériorisation psychologique (le traumatisme et la culpabilité ineffaçables avec lesquelles doivent vivre au quotidien les 4 filles témoins, maudites par la mère de la victime pour n'avoir su se rappeler du visage du meurtrier) : c'est là une inflexion passionnante sur le papier des approches du cinéaste, qui revisite ses fondamentaux à la lumière d'une étude de caractères. Il s'agit d'accompagner le devenir de chacune de ces quatre fillettes et de voir comment cet événement traumatique a déterminé leur personne à l'âge adulte.
Et c'est là que les choses déraillent. Si les enjeux du scénario sont prometteurs et les ambitions psychologiques, voire psychanalytiques, de Kurosawa envers ses personnages sont séduisantes, l'étude de caractères guidant
Shokuzai pèche largement par ses insuffisances. Le scénario se montre pour moi très en-deçà de son potentiel. L'évocation du traumatisme ne dépasse jamais le convenu et le rabâché, ce qui déçoit (le personnage de Sae, dont la caractérisation amorphe ne saisit jamais l'empreinte du blocage intime) ou lasse (le personnage de Maki, dont les évolutions sont archi-prévisibles). Les personnages, certes, procèdent de la même vision de Kurosawa s'agissant de la déshumanisation de la société. Le cinéaste a une expression très cérébrale, et une approche très clinique et froide des relations humaines, qui peuvent déstabiliser les néophytes. Ce n'est pas ce que je critique ici : c'est bien le manque d'approfondissement et le psychologisme raté. On nous propose des personnages
hantés mais dont le trauma indiffère, car l'écriture reste trop distante ou pire, s'enlise dans des développements grotesques (le fétichisme de la poupée
). KK a parfois eu la mauvaise habitude de tenter des idées foireuses dans ses films (
Loft en compile pas mal) mais celle-là, c'est quelque chose. Le potentiel de la première histoire est sabordé au profit d'un asservissement fétichiste totalement bêta et inutilement étiré... pour dire les choses simplement, ça ne fonctionne pas, ce n'est pas bon. Le problème est reconduit avec la seconde histoire : la définition du personnage manque de nuance et Kurosawa s'abandonne à des séquences en-dessous de son talent (le paumé qui débarque avec son couteau à la piscine et qui se fait maraver la gueule au kendo... nanardesque). La progression très linéaire de ce second segment ennuie encore plus que la première histoire, qui avait pour elle de générer une petite atmosphère parfois troublante. Quant à la scène finale... ça me fait penser à
Last Action Hero, avec le méchant qui parle, qui parle...
évidemment qu'elle ne va pas décrire l'assassin, sinon il n'y aurait plus de second film.
Bon donc pour résumer : thématiquement,
Shokuzai - Celles qui voulaient se souvenir est cohérent avec l’œuvre du bonhomme et propose quelques bonnes scènes (bien aimé par exemple les intrusions fantastiques de la mère dans la première histoire... ou un détail tout con : prise de panique quand la gamine vient lui annoncer la mort de sa fille, elle la pousse violemment contre le sol). La rigueur stylistique du réalisateur est toujours présente. Mais le traitement ne me convainc malheureusement pas, Kurosawa ne faisant que survoler son sujet et se complaire dans une écriture pauvre, sinon inféconde.
Je crains que la suite soit du même tonneau, mais sait-on jamais.