Millenium (David Fincher - 2011)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Colqhoun
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Millenium (David Fincher - 2011)

Message par Colqhoun »

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Adapté d'un roman suédois de Stieg Larsson, déjà adapté au cinéma en Suède sous le titre de Millenium, The Girl with the Dragon Tattoo est le 9ème film de David Fincher.

Je cite le synopsis tiré de Wikipedia:
Journaliste économique pour le magazine suédois Millenium, revue d'investigations sociales et économiques, Mikael Blomkvist est cassé par un procès en diffamation qu'il vient de perdre. Il est néanmoins contacté par un gros industriel pour relancer une enquête abandonnée depuis quarante ans.
Dans le huis clos de l'île d'Hedeby, Harriet, la petite nièce de Henrik Vanger a disparu, probablement assassinée, et quelqu'un se fait un malin plaisir de le lui rappeler à chacun de ses anniversaires. Secondé par Lisbeth Salander, jeune femme rebelle et écorchée vive, placée sous tutelle mais hackeuse hors pair, Mikael Blomkvist se plonge sans espoir dans les documents cent fois examinés, jusqu'au jour où une intuition lui fait reprendre un dossier. Cinq noms et cinq numéros, auxquels Lisbeth va trouver la signification qui avait échappé à tout le monde pendant un quart de siècle. Au gré des méandres des haines familiales et des scandales financiers, l'enquête ne fait que commencer...


Le bouquin d'origine, bien que partant d'un point de départ plutôt attirant (un mystère, des meurtres, des nazis, un journaliste déchu, une punk hakeuse et autiste, etc..) était, au final, passablement quelconque.
Le film suédois ne faisait pas tellement mieux, se lâchant sans complexe dans des scènes de violence gratuite n'amenant pas grand chose au récit (si ce n'est de pousser Lisbeth a enquêter sur ce supposé tueur de femmes).
Et le film de Fincher ? Ben c'est plus ou moins du même acabit.
Il y a évidemment plus de thunes et un certain soin apporté au production design, à la réalisation, à la musique, tout ça, mais au delà de quelques jolis flashbacks et d'un générique gueulard (et parfaitement hors-propos), c'est globalement très terne de la part de Fincher. J'espérais un peu plus de liberté, j'espérais retrouver éventuellement l'approche clinique de Zodiac, ou même quelques excès visuels de ses films des 90s. Rien de tout cela. Des plans parfois élégants, mais rien qui ne dépasse, qui donne à l'ensemble un ton de téléfilm friqué qui ne veut pas trop bousculer son spectateur.

Il faut en plus se farcir quelques énormités, comme le fait de maintenir le récit en Suède, d'y faire jouer des acteurs américains, anglais et suédois et de faire parler tout le monde en anglais (parfois avec accent suédois, parfois sans), ce qui renforce d'autant plus l'impression que le film ne fait sur surfer sur un succès sans vouloir trop se fatiguer à offrir un truc plus ou moins cohérent. Ils auraient pu, à la rigueur, déplacer l'action dans un pays anglophone. Ou modifier quelque peu certains personnages (faire de Blomqvist un anglais ou un américain). Mais non, du coup c'est parfaitement absurde.

L'autre gros point noir de ce film (que l'on trouvait déjà dans le bouquin et dans le premier film) tient dans sa fin à rallonge qui, passé la résolution de l'intrigue principale, se traîne sur encore quasiment 40 minutes pour enfin se terminer. Certes, il y a plusieurs éléments en suspens, mais un manque pareil d'efficacité tient de la fainéantise ou de raisons contractuelles. Je ne me l'explique pas autrement.

Je ne vois pas trop quoi ajouter de plus tant le film m'a laissé une impression de projet bâclé, qui se contente d'angliciser un phénomène en collant 2-3 noms connus sur le projet (un peu de Fincher, un peu de Craig, un peu de Reznor et le tour est joué) et en mettant du pognon dans la production pour que le tout soit suffisamment léché.
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Et faut vraiment arrêter d'engager Stellan Skarsgård en espérant qu'il passe pour un innoncent...
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Karras
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Karras »

Reprise du topic classement :
zemat a écrit :
Stark a écrit : Encore un avis qui ne me rassure guère, compte tenu de mon passif avec Fincher (le seul que j'aime beaucoup de lui est Zodiac). Le voir a priori renouer avec la veine techno-glauquo-destroy de Fight Club m'est assez rhédibitoire, à tel point que je me demande si je ne vais pas faire l'impasse. :|
Marrant, moi c'est Zodiac que j'aime le moins ! Et J'ADORE Benjamin Button... :wink:
Colqhoun a écrit :
Stark a écrit :Le voir a priori renouer avec la veine techno-glauquo-destroy de Fight Club m'est assez rhédibitoire
C'est (très) loin d'être le cas.
Ici c'est plutôt du thriller pour papi, avec 2-3 scènes vaguement violentes.
En somme, le prototype même du film du dimanche soir sur TF1.
C'est dire le niveau.
Stark a écrit :
zemat a écrit : Marrant, moi c'est Zodiac que j'aime le moins ! Et J'ADORE Benjamin Button... :wink:
Ah pour moi, Zodiac est le film le plus mûr, le plus ample, le plus riche de son auteur. Et Benjamin Button une grosse meringue boursouflée à Oscars. Comme quoi... :mrgreen:

J'avais fait mon top commenté Fincher il y a quelque temps, mais ne l'avais pas mis sur le forum en l'absence de topic lui étant spécialement consacré. C'est l'occasion :
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(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)


Alien 3
A bien y réfléchir, je crois que j’aime vraiment ce film, peut-être parce que (à l'instar des autres pères de la saga) Fincher se voit dans l’obligation de déplacer sa personnalité (encore tâtonnante) sur le terrain d’un univers préétabli. Je suis sans doute moins sensible à sa vision qu’aux deux précédentes (signées Scott et Cameron), met davantage néanmoins qu’à celle de Jeunet. Au-delà de quelques belles idées (dont cette espèce de mystique un peu inédite qui aborde l’alien comme dragon médiéval/monstre babylonien), il reste un huis-clos spatial diablement efficace, qui s’immisce entre réalisme esthético-glaçant et furia imagière, bien nourri par un sens inné du climat glauque et oppressant et par une noirceur franche du collier. 4/6

Seven
C’est l’un des films les plus réussis de Fincher, mais aussi l’un des plus agaçants - justement parce que se profile l’envergure d’une œuvre majeure compromise par certains travers très fâcheux : une propension pénible à la complaisance gourmande, une délectation à enluminer le meurtre, à mythifier l’abominable, et par-dessus tout une forme de moralisme très ricain qui revient comme ultime instance morale - tout le barnum sur cette Gomorre qui croule ses propres péchés (LE grand thème du film, quand même !). Tout cela me soûle et me déçoit car Fincher s’y livre à un thriller ésotérique bardé de fulgurances assez inouïes - ici une course-poursuite démentielle, là un visage d'un Mal quasi métaphysique se devinant dans une flaque d’eau... Il y a dans cette plongée au cœur des pulsions et des dépravations contemporaines une inspiration hallucinée franchement saisissante, dont la grande inspiration plastique est constamment au service du propos. 4/6

The game
Là je dois dire que j’en ai des souvenirs assez vagues... Ceux d’un truc de petit malin qui ne vaut que pour son architecture scénaristique, en plein dans la vague des films à twist imbriqués les uns dans les autres comme il en fleurissait à la pelle à l’époque. Le tout s’achevant sur une leçon de morale à deux sous. Bref je n’aime pas trop, j’avais trouvé ça vain. 2/6

Fight club
Dans la lignée du précédent pour ce qui est de la petite mécanique à twist... Je l’ai vu plusieurs fois, à chaque coup il se dégonfle un peu plus. J’en suis à me demander ce que j’ai un jour aimé dans ce film. Sans doute l’efficacité narrative de Fincher, son sens du rythme, certaines idées qui font plaisir - le film ne m’ennuie pas, je le trouve même distrayant. Mais voilà : je déteste ces personnages d’ados nombrilistes, cette mise en scène à la clinquance m’as-tu-vu, ce portrait complètement à la masse qu’il prétend m’offrir sur son époque (dans laquelle je ne me reconnais pas du tout), ce mélange horripilant de distanciation cynique et de complaisance satisfaite, son Pitt et sa Bonham Carter proprement insupportables de cabotinage. Aussi creux que bouffi d’arrogance. 3/6

Panic room
Fincher en mode démo graphique toc et horripilante. Plus de personnage, plus d’humanité, plus d’enjeu si ce n‘est celui de vouloir faire le plus d'acrobaties possibles à une caméra virtualisée. On pourra trouver le huis-clos plus ou moins efficace selon ses goûts (personnellement, c'est plutôt moins), mais ce genre de cinéma désaffecté au dernier degré me laisse de marbre. Après, reste le pignolage théorique sur l'omnipotence du dispositif cinéma sur le récit et les personnages : je laisse ça à d’autres. Rendu là, je pensais abandonner définitivement Fincher mais... 1/6

Zodiac
Arrive donc ce grand thriller architectural, posé, dont la virtuosité sereine s'affiche dans une admirable sobriété. C'est le pendant mûr et magistral de Seven : le cinéaste trouve une hauteur de vue absolument parfaite, cernant admirablement son sujet et lui conférant une forme inédite de tristesse désenchantée. Contre toute attente, le cinéma de Fincher acquiert une inquiétude quasi existentialiste, tandis que les personnages, mus par une commune ardeur du déchiffrement, de la compréhension du chaos de signes qui les entourent, cherchent la vérité jusqu’à s’y perdre. Au fil d’une narration ample, qui imbrique protagonistes et spectateur dans sa spirale d’hypothèses et de virtualités, se dessine le portrait mélancolique d’une époque glorieuse (les années 70), et de la façon dont elle se fait presque cannibaliser par le réseau d’angoisses souterraines qu’elle entretient malgré elle. 5/6

L'étrange histoire de Benjamin Button
Fincher a toujours été pour moi un réalisateur cérébral, froid, peu doué pour exprimer ce qui relève du sentiment. Du coup, le voir se confronter à un sujet a priori aussi affecté que celui-ci relevait pour lui du défi. Au final, le constat initial se confirme. Le film n’est pas sans qualités (telle sa narration longue, anti-spectaculaire au possible, comme aspirée par une langueur mortifère), mais que ce film est boursouflé, empesé, alignant les chromos illustratifs et les leçons de vie pontifiantes ! Il essaie de la fuir à chaque instant, mais il saute pieds joints dans la grosse fresque hollywoodienne à Oscars, à l’image d’un final métaphorique pachydermique. 3/6

The social network
Si le héros demeure seul tout au long du film, ce n’est pas parce que son génie et ses facultés intellectuelles l’excluent du monde mais, comme le dit explicitement sa copine au tout début, parce qu’il est un sale con. Voilà sans doute pourquoi je ne suis pas ému par ce film brillant et intelligent sur la complexité et les ambigüités des relations humaines et sociales dans notre monde actuel. Très réfléchi, très (trop) conscient de son brio (la mise en scène et sa rigueur ostensible, les dialogues millimétrés), le film me captive constamment par sa richesse, sans jamais m’emporter vraiment (peut-être aussi parce que suis totalement étranger à l’univers de Facebook et que son geekisme ne me parle pas). 4/6

Mon top :

1. Zodiac (2007)
2. The social network (2010)
3. Seven (1995)
4. Alien 3 (1992)
5. Fight club (1999)

Au final, David Fincher m’apparaît donc comme un cinéaste assez mineur. Je me sens très peu d'affinités avec son expression intellectualisée, distanciée, peu en phase à mes yeux avec l'humain, l'affect, le sentiment. La raison de mon désintérêt se situe essentiellement ici : rarement Fincher m'émeut, tout simplement. Je le mets dans la même catégorie que Nolan, dont il partage l’obsession du contrôle, la froideur latente, sans que jamais il ne parvienne à les transcender (n’est pas Kubrick qui veut). Lorsqu’il réussit à la canaliser, son indéniable virtuosité technique peut offrir de très belles choses ; dans le cas contraire, c’est de la démonstration d’esbroufe poseuse dans ce qu’elle a de plus irritante. Mais ses derniers films témoignent d’une inspiration nouvelle, plus en phase avec mes attentes.
Stark a écrit :
Colqhoun a écrit :Ici c'est plutôt du thriller pour papi, avec 2-3 scènes vaguement violentes.
En somme, le prototype même du film du dimanche soir sur TF1.
C'est dire le niveau.
La photographie clinquante à la noirceur mordorée de Jeff Cronenweth, les nappes sonores électro de Trent Reznor, le montage haché et clippeux... Ce sont des choses que j'ai vu revenir dans la plupart des critiques sur Millenium, et qui me renvoient évidemment au Fincher (pour moi horripilant) de la fin des années 90. (mais il y en avait encore des traces dans The Social Network, malgré la sobriété générale).

Au fond, je crois que je préférerais presque voir Fincher faire un film impersonnel mais efficace (un film du dimanche soir, comme tu dis) plutôt que de le voir lâcher la bride à son style ostentatoire.
Jeremy Fox a écrit :
Stark a écrit : Ah pour moi, Zodiac est le film le plus mûr, le plus ample, le plus riche de son auteur. Et Benjamin Button une grosse meringue boursouflée
Pareil ; et du coup, je n'ai plus trop envie d'aller voir Millenium
Demi-Lune a écrit :
Stark a écrit :Ah pour moi, Zodiac est le film le plus mûr, le plus ample, le plus riche de son auteur. Et Benjamin Button une grosse meringue boursouflée à Oscars. Comme quoi... :mrgreen:

J'avais fait mon top commenté Fincher il y a quelque temps, mais ne l'avais pas mis sur le forum en l'absence de topic lui étant spécialement consacré. C'est l'occasion :
Spoiler (cliquez pour afficher)
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(en italiques : films découverts en salle à leur sortie)


Alien 3
A bien y réfléchir, je crois que j’aime vraiment ce film, peut-être parce que (à l'instar des autres pères de la saga) Fincher se voit dans l’obligation de déplacer sa personnalité (encore tâtonnante) sur le terrain d’un univers préétabli. Je suis sans doute moins sensible à sa vision qu’aux deux précédentes (signées Scott et Cameron), met davantage néanmoins qu’à celle de Jeunet. Au-delà de quelques belles idées (dont cette espèce de mystique un peu inédite qui aborde l’alien comme dragon médiéval/monstre babylonien), il reste un huis-clos spatial diablement efficace, qui s’immisce entre réalisme esthético-glaçant et furia imagière, bien nourri par un sens inné du climat glauque et oppressant et par une noirceur franche du collier. 4/6

Seven
C’est l’un des films les plus réussis de Fincher, mais aussi l’un des plus agaçants - justement parce que se profile l’envergure d’une œuvre majeure compromise par certains travers très fâcheux : une propension pénible à la complaisance gourmande, une délectation à enluminer le meurtre, à mythifier l’abominable, et par-dessus tout une forme de moralisme très ricain qui revient comme ultime instance morale - tout le barnum sur cette Gomorre qui croule ses propres péchés (LE grand thème du film, quand même !). Tout cela me soûle et me déçoit car Fincher s’y livre à un thriller ésotérique bardé de fulgurances assez inouïes - ici une course-poursuite démentielle, là un visage d'un Mal quasi métaphysique se devinant dans une flaque d’eau... Il y a dans cette plongée au cœur des pulsions et des dépravations contemporaines une inspiration hallucinée franchement saisissante, dont la grande inspiration plastique est constamment au service du propos. 4/6

The game
Là je dois dire que j’en ai des souvenirs assez vagues... Ceux d’un truc de petit malin qui ne vaut que pour son architecture scénaristique, en plein dans la vague des films à twist imbriqués les uns dans les autres comme il en fleurissait à la pelle à l’époque. Le tout s’achevant sur une leçon de morale à deux sous. Bref je n’aime pas trop, j’avais trouvé ça vain. 2/6

Fight club
Dans la lignée du précédent pour ce qui est de la petite mécanique à twist... Je l’ai vu plusieurs fois, à chaque coup il se dégonfle un peu plus. J’en suis à me demander ce que j’ai un jour aimé dans ce film. Sans doute l’efficacité narrative de Fincher, son sens du rythme, certaines idées qui font plaisir - le film ne m’ennuie pas, je le trouve même distrayant. Mais voilà : je déteste ces personnages d’ados nombrilistes, cette mise en scène à la clinquance m’as-tu-vu, ce portrait complètement à la masse qu’il prétend m’offrir sur son époque (dans laquelle je ne me reconnais pas du tout), ce mélange horripilant de distanciation cynique et de complaisance satisfaite, son Pitt et sa Bonham Carter proprement insupportables de cabotinage. Aussi creux que bouffi d’arrogance. 3/6

Panic room
Fincher en mode démo graphique toc et horripilante. Plus de personnage, plus d’humanité, plus d’enjeu si ce n‘est celui de vouloir faire le plus d'acrobaties possibles à une caméra virtualisée. On pourra trouver le huis-clos plus ou moins efficace selon ses goûts (personnellement, c'est plutôt moins), mais ce genre de cinéma désaffecté au dernier degré me laisse de marbre. Après, reste le pignolage théorique sur l'omnipotence du dispositif cinéma sur le récit et les personnages : je laisse ça à d’autres. Rendu là, je pensais abandonner définitivement Fincher mais... 1/6

Zodiac
Arrive donc ce grand thriller architectural, posé, dont la virtuosité sereine s'affiche dans une admirable sobriété. C'est le pendant mûr et magistral de Seven : le cinéaste trouve une hauteur de vue absolument parfaite, cernant admirablement son sujet et lui conférant une forme inédite de tristesse désenchantée. Contre toute attente, le cinéma de Fincher acquiert une inquiétude quasi existentialiste, tandis que les personnages, mus par une commune ardeur du déchiffrement, de la compréhension du chaos de signes qui les entourent, cherchent la vérité jusqu’à s’y perdre. Au fil d’une narration ample, qui imbrique protagonistes et spectateur dans sa spirale d’hypothèses et de virtualités, se dessine le portrait mélancolique d’une époque glorieuse (les années 70), et de la façon dont elle se fait presque cannibaliser par le réseau d’angoisses souterraines qu’elle entretient malgré elle. 5/6

L'étrange histoire de Benjamin Button
Fincher a toujours été pour moi un réalisateur cérébral, froid, peu doué pour exprimer ce qui relève du sentiment. Du coup, le voir se confronter à un sujet a priori aussi affecté que celui-ci relevait pour lui du défi. Au final, le constat initial se confirme. Le film n’est pas sans qualités (telle sa narration longue, anti-spectaculaire au possible, comme aspirée par une langueur mortifère), mais que ce film est boursouflé, empesé, alignant les chromos illustratifs et les leçons de vie pontifiantes ! Il essaie de la fuir à chaque instant, mais il saute pieds joints dans la grosse fresque hollywoodienne à Oscars, à l’image d’un final métaphorique pachydermique. 3/6

The social network
Si le héros demeure seul tout au long du film, ce n’est pas parce que son génie et ses facultés intellectuelles l’excluent du monde mais, comme le dit explicitement sa copine au tout début, parce qu’il est un sale con. Voilà sans doute pourquoi je ne suis pas ému par ce film brillant et intelligent sur la complexité et les ambigüités des relations humaines et sociales dans notre monde actuel. Très réfléchi, très (trop) conscient de son brio (la mise en scène et sa rigueur ostensible, les dialogues millimétrés), le film me captive constamment par sa richesse, sans jamais m’emporter vraiment (peut-être aussi parce que suis totalement étranger à l’univers de Facebook et que son geekisme ne me parle pas). 4/6

Mon top :

1. Zodiac (2007)
2. The social network (2010)
3. Seven (1995)
4. Alien 3 (1992)
5. Fight club (1999)

Au final, David Fincher m’apparaît donc comme un cinéaste assez mineur. Je me sens très peu d'affinités avec son expression intellectualisée, distanciée, peu en phase à mes yeux avec l'humain, l'affect, le sentiment. La raison de mon désintérêt se situe essentiellement ici : rarement Fincher m'émeut, tout simplement. Je le mets dans la même catégorie que Nolan, dont il partage l’obsession du contrôle, la froideur latente, sans que jamais il ne parvienne à les transcender (n’est pas Kubrick qui veut). Lorsqu’il réussit à la canaliser, son indéniable virtuosité technique peut offrir de très belles choses ; dans le cas contraire, c’est de la démonstration d’esbroufe poseuse dans ce qu’elle a de plus irritante. Mais ses derniers films témoignent d’une inspiration nouvelle, plus en phase avec mes attentes.
Même si j'apprécie le cinéma de Fincher, curieusement je me retrouve assez dans tes impressions et commentaires. Il est vrai que son expression intellectualisée et distanciée a souvent tendance à s'accompagner d'une complaisance dans la virtuosité technique (Panic Room représente à ce titre le summum de ce système) et dans la noirceur esthétique glauque finalement assez poseuse, la plupart du temps (hélas ayant connu une descendance quasi illimitée dans le cinéma américain : la forme des films contemporains semblent décliner à l'envi cette même esthétique sombre, crépusculaire, dépressive et orangée "c'est pas pour rigoler" mise en place par Fincher dès ses débuts et que le succès de ses thrillers a largement popularisé). Ainsi, je n'ai jamais réussi à déterminer si j'aimais ou si je détestais Fight Club, qui quelque part synthétise le bonhomme, dans ses fulgurances comme dans ses tics. Au mieux c'est un film qui me laisse indifférent et avec lequel je ne me sens aucune, mais alors aucune, affinité philosophique.
Malgré tout, j'ai beaucoup d'affection pour la plupart de ses films qui m'apparaissent toujours passionnants, y compris ces thrillers prétendument mineurs que sont The Game et Panic Room, que je défends régulièrement au-delà de leur mécanique de petit malin et de leur dimension de purs exercices de style ostentatoires. J'ai mis du temps à apprécier Alien 3 mais finalement je le tiens pour un épisode digne et remarquable, et même le lourd et glacé Benjamin Button, machine qui a souvent des allures de bonbon Werther's Original, m'apparaît fascinant, voire même troublant jusqu'au malaise, dans l'histoire qu'il raconte. Ses deux meilleurs films restant à mes yeux Se7en et Zodiac, que je considère comme deux chefs-d’œuvre du polar - Zodiac étant plus parfait mais Se7en plus remuant. Finalement, je me demande s'il n'est pas "facile" (note bien les guillemets) d'être irrité par ses films et l'attitude froide du cinéaste qui transparaît, parce que son cinéma s'échine constamment à évoquer le malaise profond d'une société contemporaine désagrégée (en cela The Social Network est son œuvre la plus définitive), livrée à elle-même dans une déshumanisation se traduisant souvent par une explosion de violence considérée comme cathartique, salvifique par ceux qui la brandissent (Se7en, Fight Club), une société où la sociopathie conduit les plus déséquilibrés aux meurtres en série. C'est une représentation totalement pessimiste, étouffante, extrêmement dérangeante (impressionnante cette fascination systématique pour le suicide dans tous ses films des 90's), moralement discutable, avec une large dose de complaisance destructrice. Mais le désespoir qui la sous-tend n'est-elle pas un certain reflet bien de notre époque ?

Il faudrait presque ouvrir un topic sur le cinéaste. :)
Stark a écrit :
Demi-Lune a écrit :Il faudrait presque ouvrir un topic sur le cinéaste. :)
Exact ; d'ailleuirs un modérateur va bientôt déplacer tout ça (n'est-ce pas ? :mrgreen: )

Globalement, je suis assez d'accord (peut-être moins clément) avec ton appréciation des films de Fincher. Je leur trouve des qualités, mais pas suffisamment pour m'en faire oublier les défauts. Pour le dire autrement : oui, The Game et Panic Room peuvent être appréciés pour leurs lectures théoriques... et après ? Oui, Benjamin Button déploie une étrangeté morbide un peu à contre-courant... mais c'est quand même sacrément patapouf.

Je rebondirai juste là-dessus :
Finalement, je me demande s'il n'est pas "facile" (note bien les guillemets) d'être irrité par ses films et l'attitude froide du cinéaste qui transparaît, parce que son cinéma s'échine constamment à évoquer le malaise profond d'une société contemporaine désagrégée (en cela The Social Network est son œuvre la plus définitive), livrée à elle-même dans une déshumanisation se traduisant souvent par une explosion de violence considérée comme cathartique, salvifique par ceux qui la brandissent (Se7en, Fight Club), une société où la sociopathie conduit les plus déséquilibrés aux meurtres en série. C'est une représentation totalement pessimiste, étouffante, extrêmement dérangeante (impressionnante cette fascination systématique pour le suicide dans tous ses films des 90's), moralement discutable, avec une large dose de complaisance destructrice. Mais le désespoir qui la sous-tend n'est-elle pas un certain reflet bien de notre époque ?
Personnellement, je ne trouve nullement le cinéma de Fincher dérangeant, pour la simple raison que sa vision du monde m'apparaît sinon à côté de la plaque, du moins très incomplète. La société contemporaine (c'est mon avis) n'est pas désagrégrée, déshumanisée, gangrenée au dernier degré par l'isolement des êtres et la violence rampante. Et je ne vois pas en quoi notre monde ne devrait générer qu'un désespoir sans appel. Il n'est pas question pour moi de nier les maux de notre époque, mais j'attends d'un cinéaste qu'il les mette en perspective, que le regard qu'il porte sur eux ne soit pas exclusivement celui du petit provocateur tout fier du choc qu'il espère provoquer et de la noirceur radicale qu'il affiche en bandoulière (voir Seven ou Fight Club). Bref, si Fincher m'agace, ce n'est moins par la pertinence (toute relative) de son propos que par ses vélléités très immatures et adolescentes de polémiste-prophète des temps modernes. Opinion à nuancer par ses derniers films, donc (Zodiac et, dans une moindre mesure, The Social Network) que je tiens pour de vrais bons films. Par contre, pour l'émotion il faudra repasser... (et je ne peux pas considérer un cinéaste qui ne m'émeut pas comme un "grand cinéaste").
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Demi-Lune
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Demi-Lune »

Puisque c'est là que ça continue...
Stark a écrit :Pour le dire autrement : oui, The Game et Panic Room peuvent être appréciés pour leurs lectures théoriques... et après ?
Eh bien, concernant ces deux thrillers, je les trouve rudement efficaces, fort divertissants. Ce qui est tout de même important et leur but premier. The Game, sans mauvais jeu de mots, est ludique et toute considération théorique mise à part, il parvient à construire sur du vent une intrigue paranoïaque assez imaginative, je trouve. Ce n'est pas un grand film, il est trop long et excessif dans l'invraisemblable, et je comprends que sa conclusion - pourtant parfaitement cohérente - puisse agacer, mais personnellement je prends du plaisir devant à chaque fois. J'apprécie également le second, Panic Room, pour les mêmes raisons : précision de l'intrigue, mécanique parfaitement huilée dans l'enchaînement des rebondissements, réalisation tape-à-l’œil mais plaisante... Là encore l'ambition n'est pas de réaliser une grande œuvre, juste un huis-clos bien troussé dans lequel Fincher peut donner libre cours à son goût pour l'acrobatie technique. Une nouvelle fois, je comprends que cela puisse agacer (combien ont décroché avec ce travelling passant dans une anse de tasse à café ? :mrgreen: ), mais en tant que divertissement, ce qu'il est originellement me semble-t-il, je le trouve parfaitement efficace. Et après, ce qu'ils ont à offrir d'un point de vue thématique achève de les rendre très intéressants à mes yeux.
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Akrocine »

Stark autant j'admire ton analyse de l'oeuvre de Lynch mais autant tu es complètement à coté de la plaque au sujet de l'oeuvre de Fincher! C'est un des meilleurs cinéastes américain actuel de part ses nombreuses thématiques qui reviennent dans chacun de ses films, et part ca mise en scène qui sert à chaque fois le sujet et non le contraire. Le problème avec les oeuvres du cinéaste c'est qu'il est difficile pour beaucoup de monde d'adhérer au fait que la mise en scène de Fincher épouse le propos (Fight Club en est le meilleur exemple).

Dernièrement je me suis refait un intégral Fincher mais je ne trouve pas le temps pour écrire une analyse complète de son oeuvre :x
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par AtCloseRange »

Akrocine a écrit :Stark autant j'admire ton analyse de l'oeuvre de Lynch mais autant tu es complètement à coté de la plaque au sujet de l'oeuvre de Fincher!
Euh non, il n'a pas plus tort que toi. Juste un avis différent.
Je le rejoins d'ailleurs globalement même si je suis finalement plus indulgent sur Fight Club (même si je comprends ses réserves).
Et je préfère également sa dernière période avec Zodiac comme point d'orgue.
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Akrocine »

Il n'éprouve que très peu d'affinité avec l'oeuvre de Fincher donc forcément sont point de vue est biaisé, j'éspère bien lui prouver qu'il a tort :wink:
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par cinephage »

Concernant l'univers de Fincher, si l'on peut effectivement trouver que son approche est toujours un peu distanciée par rapport à ses personnages, c'est avant tout à mon sens, parce que pour lui le monde contemporain se caractérise essentiellement par sa complexité, une complexité qu'il convient de déchiffrer.

Un des enjeux majeurs de ses films revient donc à tenter de comprendre, d'approcher cette complexité. La difficulté d'une telle approche n'est pas minime, elle peut se retourner contre celui qui tente de comprendre (Seven, Zodiac, The Game), mais elle est hautement nécessaire, car ceux qui ne comprennent pas finissent toujours mal. Celui qui parvient à cette compréhension, ou à déchiffrer l'univers qui l'entoure se retrouve seul, et les autres n'ont de cesse d'essayer de faire tomber ce dernier, de mettre la main dessus, que ce soit au sens littéral (Danger Room) ou symbolique (The Social Network).

Du coup, cette distance entre le sujet, le personnage principal du film, qui accède généralement à une certaine compréhension du monde (même lorsque ce monde se limite à une maison, un appartement dont les héros sont les seuls à comprendre les pouvoirs), que les autres n'ont pas, et, justement, ces autres, est infranchissable. Et, quand bien même l'acquisition de ce savoir est salutaire, il est aussi mortifère : le héros de Fight Club déchiffre les codes de notre société mercantile, avant de finir par se découvrir lui-même. Tout comme celui de Seven qui, lorsqu'il comprend le piège qui lui est tendu, se révèle incapable d'y résister, justement en raison de cette connaissance. Même Benjamin Button, qui nait vieillard et meurt enfant, acquiert un savoir qu'il n'est plus en mesure d'utiliser, dès lors qu'il est devenu enfant, puis bébé, mais qui l'aura toute sa vie séparé des autres...

Bref, je trouve les univers de Fincher d'une actualité criante, dans notre monde à la complexité sans cesse croissante, que nous peinons à déchiffrer. La froideur de son style n'est liée qu'à l'impératif analytique qu'il "impose" à son public, afin que ce dernier déchiffre à ses cotés, ou aux cotés de ses héros, les codes de l'univers présenté dans le film, qu'il s'agisse d'une planète prison (dont la seule arme est un four, chose que l'on fait bien comprendre au spectateur), d'un appartement cloisonné ou d'un univers de jeu où il est difficile de déterminer qui est qui.
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Thaddeus
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Thaddeus »

Demi-Lune a écrit :Puisque c'est là que ça continue...
En fait, il eût fallu ouvrir un topic consacré à Fincher en général - ici c'est le fuseau Millenium. Pas grave...
Eh bien, concernant ces deux thrillers, je les trouve rudement efficaces, fort divertissants. Ce qui est tout de même important et leur but premier. The Game, sans mauvais jeu de mots, est ludique et toute considération théorique mise à part, il parvient à construire sur du vent une intrigue paranoïaque assez imaginative, je trouve. Ce n'est pas un grand film, il est trop long et excessif dans l'invraisemblable, et je comprends que sa conclusion - pourtant parfaitement cohérente - puisse agacer, mais personnellement je prends du plaisir devant à chaque fois. J'apprécie également le second, Panic Room, pour les mêmes raisons : précision de l'intrigue, mécanique parfaitement huilée dans l'enchaînement des rebondissements, réalisation tape-à-l’œil mais plaisante... Là encore l'ambition n'est pas de réaliser une grande œuvre, juste un huis-clos bien troussé dans lequel Fincher peut donner libre cours à son goût pour l'acrobatie technique. Une nouvelle fois, je comprends que cela puisse agacer (combien ont décroché avec ce travelling passant dans une anse de tasse à café ? :mrgreen: ), mais en tant que divertissement, ce qu'il est originellement me semble-t-il, je le trouve parfaitement efficace. Et après, ce qu'ils ont à offrir d'un point de vue thématique achève de les rendre très intéressants à mes yeux.
Mes souvenirs sur ces deux films sont très parcellaires, je ne les ai pas vu depuis plus de dix ans et ne peux me baser que sur les impressions mitigées qu'ils m'ont laissé. En attendant une seconde vision donc (pas demain la veille), je dirais que ce sont deux thrillers plus ou moins rondement menés (surtout le film de 1997) mais qui ne sont que tributaires de leur mécanique et du brio (très narcissique pour le film de 2002) de leur technique. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas, dans les limites de leurs intentions relativement réussis, mais j'ai du mal à y percevoir autre chose - et toi non plus, me semble-t-il. Or, "un huis-clos bien troussé dans lequel Fincher peut donner libre cours à son goût pour l'acrobatie technique", c'est bien gentil, mais est-ce que c'est ce qu'on est en droit d'attendre d'un réalisateur considéré comme l'un des plus grands du monde ? Au fond, je ne suis pas tellement en désaccord avec toi ; seulement j'essaie de pondérer la réputation d'un cinéaste qui, au moins au travers de quelques films, n'a guère fait plus que brasser (avec une virtuosité confinant à l'esbroufe) pas mal de vent.
Akrocine a écrit :tu es complètement à coté de la plaque au sujet de l'oeuvre de Fincher! C'est un des meilleurs cinéastes américain actuel de part ses nombreuses thématiques qui reviennent dans chacun de ses films, et part ca mise en scène qui sert à chaque fois le sujet et non le contraire. Le problème avec les oeuvres du cinéaste c'est qu'il est difficile pour beaucoup de monde d'adhérer au fait que la mise en scène de Fincher épouse le propos (Fight Club en est le meilleur exemple).
Ah. Fight Club fait partie de mes "gros dossiers" ; j'en ai énormément parlé (ailleurs), je suis un peu las d'expliciter ma position sur ce film. Qu'est-ce que j'en retiens ?
Que Fincher se moque de ses personnages, de Durden et de son projet, des velléités immatures des protagonistes. Il est évident que le ton est à la satire, au démontage ironique de ces illusions. Cette perception distanciée des motivations des personnages est en effet fondamentale si l’on veut en avoir une approche crédible. Mais je n’aime pas les choix pris par Fincher par formaliser tout ça : j’y perçois une forme satisfaite de mépris hautain, drapé dans un humour trash puéril, qui m’irrite les nerfs. Du coup, le fait que je ne me reconnaisse en aucun moment dans les obsessions/angoisses puériles du héros est "aggravé" par le regard franchement antipathique que le réalisateur pose sur lui. Je me sens doublement rejeté par le film : sur ce qui meut les personnages d'une part, et sur la façon dont Fincher les perçoit d'autre part. D’autant plus que le film navigue dans un entre-deux-eaux qui ne le fait pas emprunter les rails francs de la farce dévastatrice (un exemple : Starship Troopers, qui je trouve admirable dans son outrance même, notamment dans son traitement des personnages). Ici Fincher, au-delà du ton ironique, se raccroche toujours à des embryons d’affects, de sentiments (l’histoire d’amour avec Marla, que je trouve foirée) auxquels je ne crois pas une seconde, pour lesquels je ne peux m’intéresser, parce que Fincher lui-même ne s’y intéresse pas, obnubilé qu’il est par son traitement second degré satirico-trash visant à faire passer ses persos pour des cons (et il y arrive sans problème).
Brad Pitt, désolé, mais je peux pas le blairer dans ce film. Je sais bien que son interprétation outrancière est synchrone avec le personnage, mais à mon avis il y a quand même une sacré erreur de dosage : je le trouve pire qu’antipathique, carrément ridicule, sans une once de charisme, il est à baffer. Si le propos de Fincher vise incontestablement à souligner en creux son inanité, je pense qu’il cherche aussi à en faire ressortir le côté magnétique, genre gourou grotesque-mais-qui-en-jette-quand-même. Chez moi, ça ne marche pas du tout. Sa misogynie crasse, sa vulgarité, sa misérable bassesse de vue... : franchement, j’hallucine quand je vois qu’un pan entier du public masculin a pu être séduit par ce personnage. D’ailleurs je pense, comme beaucoup, que le film a été complètement mal perçu par toute une partie de ses admirateurs. Et je ne me reconnais en rien dans le personnage du Narrateur (yuppie pleurnicheur qui se cherche des problèmes parce qu’il n’a pas réglé sa crise d’adolescence) ni dans celui de Durden (beurk).
Le personnage de Marla m’est, là encore, franchement antipathique, en punkette pseudo-trash qui n’aime rien tant que geindre et se faire plaindre. Pendant féminin du Narrateur, je ne vois en elle qu’une égocentrique cadenassée sur ses seuls problème de nombril. Et son traitement dans le film n’arrange rien. Juste un exemple : quand elle vient de se faire tringler par Durden, et que celui-ci propose au héros "de la finir" tandis qu’elle tombe du lit dans un râle, je trouve ça typique de la puérilité dont fait preuve Fincher dans le regard qu'il pose sur elle. On m’objectera que ce traitement bien miso ne fait que refléter le point de vue de Tyler, mais pour moi ça va au-delà : Fincher cherche la connivence avec le spectateur, il veut le faire rire, le rendre complice de ce point de vue (en gros : le faire jouir de son statut de femme-objet). Ca traduit une forme d’humour qui se veut incorrect mais qui, surtout, ne calcule pas sa portée. C’est un détail, mais symptomatique de tout le film, et il y a plein d’autres exemples comme ça... (le trip sur la cancéreuse en phase terminale qui sort sa panoplie de sex-toys, la remarque sur le dentier de la fillette encastrée dans le tableau de bord, qui ferait une bonne pub pour les assurances). Rires gras. Mais bon, peut-être suis-je trop "coincé" pour apprécier ce genre d’humour tout fier de sa subversion.
Pour ce qui est du traitement formel du film, je dirais simplement qu’il est bien trop conscient de sa propre nature pour être honnête – et que sa reconduction in extenso dans Panic Room m’a confirmé qu’il tient bien davantage de la pose satisfaite que du procédé pensé en accord avec son sujet. Je trouve un peu facile de se conformer à une esthétique du toc et du tape-à-l’œil, à en récolter les fruits, tout en affichant pour l’intention un modèle de pensée qui prône l’inverse. En fait, je prend tout ça pour de la gaminerie caprice, au mieux, ou pour de l’hypocrisie cynique, au pire (et Fincher oscille entre l’un et l’autre d’un bout à l’autre, à mon avis). Après, c’est strictement une question de goût, on entre dans une sphère purement subjective : je trouve le traitement graphique de Fight Club vulgaire et assez laid, bouffi dans une photo techno-chic qui me donne des boutons. Qu’on y soit sensible, pas de souci : je n’ai rien à redire.
Pour conclure, je ne peux donc pas rejoindre l’idée selon laquelle le film capture son époque, d'une part parce que je ne m’y reconnais pas du tout (ne serais-je donc pas de mon époque ?), et d’autre part parce que je ne peux me résoudre à croire que notre époque est, à l’image de ce film, plus narcissique ou nihiliste qu’une autre, comme se plaît à nous le faire croire Fincher en plongeant les deux pieds dans ce qu’il dénonce. C’est une posture que je trouve cynique. Par-dessus tout, et comme je l’ai déjà dit, c’est une sensibilité qui ne me touche pas car je ne la trouve régie par aucune sentimentalité, aucune attention à la traduction affective de l’humanité qu’elle met en scène.
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Demi-Lune
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Demi-Lune »

Akrocine a écrit :C'est un des meilleurs cinéastes américain actuel de part ses nombreuses thématiques qui reviennent dans chacun de ses films,
Comme Michael Bay ou Tony Scott. :idea:
Mais de toute façon Stark te parle de son ressenti - donc subjectif - vis à vis de ces mêmes thématiques, leur expression qu'il juge désagréable selon sa sensibilité. Parce que si on suit le même raisonnement, je serais obligé de reconnaître en Darren Aronofsky un GRAND cinéaste puisqu'il a des thèmes récurrents.
Akrociné a écrit :et part ca mise en scène qui sert à chaque fois le sujet et non le contraire.
Quand la caméra suit depuis le ciel le taxi dans Zodiac, jusqu'à épouser le même pivotement synchrone, en quoi ça sert le sujet ? :mrgreen:

Edit : Fuck ! :mrgreen:
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par cinephage »

Demi-Lune a écrit :Quand la caméra suit depuis le ciel le taxi dans Zodiac, jusqu'à épouser le même pivotage synchrone, en quoi ça sert le sujet ? :mrgreen:

Edit : Fuck ! :mrgreen:
A mon sens, ces plans larges et globalisants sont précisément une figure récurrente de Zodiac, et pas sans raison. Bien qu'offrant une vue d'ensemble sur la scène du drame, ils n'offrent aucune réponse, aucune explication, aucun indice sur l'identité, ou la provenance du meurtrier. Ils replacent les éléments du récit dans un ensemble vaste et indéchiffrable (le plus souvent nocturne).

En cela, ils illustrent une enquête menée avec de très vastes moyens, mais qui, elle aussi, se retrouve noyée sous l'ampleur des informations à traiter, du territoire à parcourir pour identifier une trace exploitable, par la complexité d'un vaste territoire qui renferme un assassin, mais dont l'identité échappe toujours aux enquêteurs.
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Nomorereasons »

cinephage a écrit :
Demi-Lune a écrit :Quand la caméra suit depuis le ciel le taxi dans Zodiac, jusqu'à épouser le même pivotage synchrone, en quoi ça sert le sujet ? :mrgreen:

Edit : Fuck ! :mrgreen:
A mon sens, ces plans larges et globalisants sont précisément une figure récurrente de Zodiac, et pas sans raison. Bien qu'offrant une vue d'ensemble sur la scène du drame, ils n'offrent aucune réponse, aucune explication, aucun indice sur l'identité, ou la provenance du meurtrier. Ils replacent les éléments du récit dans un ensemble vaste et indéchiffrable (le plus souvent nocturne).
ça donne envie
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Akrocine »

Demi-Lune a écrit :
Akrocine a écrit :C'est un des meilleurs cinéastes américain actuel de part ses nombreuses thématiques qui reviennent dans chacun de ses films,
Comme Michael Bay ou Tony Scott. :idea:
Sauf que les thématique de Fincher sont loin d'être aussi puéril et bidons que ses 2 tacherons!
Demi-Lune a écrit :
Akrociné a écrit :et part ca mise en scène qui sert à chaque fois le sujet et non le contraire.
Quand la caméra suit depuis le ciel le taxi dans Zodiac, jusqu'à épouser le même pivotage synchrone, en quoi ça sert le sujet ? :mrgreen:

Edit : Fuck ! :mrgreen:
C'est le 3ème meurtre, ils ont pour points communs la voiture, les deux premiers son explicite alors que pour le dernier Fincher choisi un procédé narratif qui laisse un doute quand au évènement qui vont suivre, d'ou cette superbe combinaison caméra objective + la radio en fond ou l'on entends plusieurs auditeurs se moquer du tueur en série, cela le met hors de lui et fini par tuer le chauffeur de taxi.
cinephage a écrit :Ils replacent les éléments du récit dans un ensemble vaste et indéchiffrable (le plus souvent nocturne).
Et justement, cette scène donne l'impression que les rues sont un labyrinthe tout comme l'enquête (thématique clé dans l'oeuvre de Fincher. On peut aussi y voir une façon de représenter l'esprit du tueur en série.
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Demi-Lune »

Stark a écrit :Je ne dis pas qu'ils ne sont pas, dans les limites de leurs intentions relativement réussis, mais j'ai du mal à y percevoir autre chose - et toi non plus, me semble-t-il.
Je trouve que ces deux films développent, sous le vernis du divertissement, un discours très personnel - donc éventuellement irritant pour ceux qui n'apprécient pas le cinéma de Fincher. Dans les deux cas on a des personnages new-yorkais antipathiques, aisés, coincés et célibataires, de beaux exemples de réussite sociale à l'américaine en somme, qui se retrouvent poussés dans leurs retranchements sans possibilité de recevoir une assistance de la société. Ils ne doivent compter que sur eux-mêmes et découvrent, justement, le côté fantoche de leur univers, leur isolement. De sorte que, bien inscrits dans cet intérêt récurrent pour l'étude de la désagrégation sociétale, The Game et Panic Room illustrent en ce sens cet espèce de penchant de Fincher pour la représentation d'une essence fictionnelle, purement conceptuelle, de la société contemporaine. Dans un cas, c'est une toile de fond/arnaque hostile (en tout cas c'est ainsi qu'on le voit jusqu'à la fin), et dans l'autre, un simple environnement qui finalement isole plus encore Foster et sa fille assiégées. La résolution des deux films, avec les personnages qui retournent à l'humilité après leur expérience traumatique, peut ainsi se lire autant comme moraliste que comme des îlots d'espoir fincheriens pour ces gens qui ont ouvert les yeux sur la réalité d'une société déshumanisée et déshumanisante.
Dans cette perspective, The Social Network, de A à Z, reste sans nul doute son film le plus complet, le plus littéral dans le décorticage des rapports qui font exister (ou non) cette notion de societas.
Stark a écrit :Or, "un huis-clos bien troussé dans lequel Fincher peut donner libre cours à son goût pour l'acrobatie technique", c'est bien gentil, mais est-ce que c'est ce qu'on est en droit d'attendre d'un réalisateur considéré comme l'un des plus grands du monde ? Au fond, je ne suis pas tellement en désaccord avec toi ; seulement j'essaie de pondérer la réputation d'un cinéaste qui, au moins au travers de quelques films, n'a guère fait plus que brasser (avec une virtuosité confinant à l'esbroufe) pas mal de vent.
Et je le comprends d'autant mieux que moi-même j'ai l'impression que le statut de Fincher est un peu démesuré. Il reste pour moi l'un des plus intéressants cinéastes américains à avoir émergé dans les années 1990, mais je ne le considère pas comme un maître malgré tout son talent et le plaisir que me procurent ses films.
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Akrocine a écrit :C'est le 3ème meurtre, ils ont pour points communs la voiture, les deux premiers son explicite alors que pour le dernier Fincher choisi un procédé narratif qui laisse un doute quand au évènement qui vont suivre, d'ou cette superbe combinaison caméra objective + la radio en fond ou l'on entends plusieurs auditeurs se moquer du tueur en série, cela le met hors de lui et fini par tuer le chauffeur de taxi.
Oui, je suis d'accord, mais ça n'enlève rien à la gratuité de cet effet qui consiste à faire pivoter ce plan numérique de manière synchronique par rapport au taxi qui tourne au feu. Cette synchronisation, donnant l'impression que c'est le décor qui tourne et non la voiture, ne répond à aucune visée narrative, elle étanche simplement l'envie de Fincher de composer un mouvement de caméra aérien remarquable.
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Dunn »

C'est qui les deux à gauche?
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Re: The Girl with the Dragon Tattoo (David Fincher - 2012)

Message par Demi-Lune »

Dunn a écrit :C'est qui les deux à gauche?
Quoi ? Tu ne reconnais pas le grand, que dis-je, le mythique réalisateur Tom Hooper, qui a gagné un Oscar bien mérité pour son fameux Le Discours d'un Roi ?
L'autre ressemble à JJ Abrams, à moins qu'il s'agisse de David O. Russell. Bah ça change pas grand-chose.
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