Pierre Schoeller

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Nestor Almendros
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Message par Nestor Almendros »

VERSAILLES de Pierre Schoeller

Pendant que l'attrape-mouches Batman monopolise l'attention de la planète cinéma (et également de notre cher forum), un petit film français encensé par la critique est sorti le même jour. Très intrigué par la bande-annonce (réussie) je suis enfin allé le voir. Et si le résultat diffère parfois de ce à quoi je m'attendais, si également je n'en suis pas sorti conquis, il me reste l'impression d'avoir vu une oeuvre très singulière, audacieuse, et qui mérite beaucoup plus que l'anonymat qu'on lui impose.

C'est un film lent, très contemplatif, qui évite parfois les dialogues, qui essaye de poser une ambiance sans trop recourir à la musique. Le film bénéficie surtout d'une très belle photo. C'est l'un des éléments qui m'a bluffé ici: tourné en HD sans moyens, le directeur photo arrive à cacher la misère avec beaucoup de goût. Sans éclairage additionnel la plupart du temps, mais avec un judicieux étalonnage numérique, il propose une image naturaliste et certains plans magnifiques (la toilette du gamin par Depardieu au lever du soleil par exemple).

Guillaume Depardieu est très bon. J'ai tendance à penser qu'il n'est pas si éloigné de son personnage, donc ça aide, mais il s'en sort parfaitement. Face à lui, le gamin est bien dirigé et fascinant à voir.

C'est un peu l'histoire qui m'a posé problème. Non dans son aspect général, qui est très pertinent, original (surtout dans son discours sur la marginalité, le rapport avec la société, etc.), dérangeant aussi (un enfant seul dans la forêt avec des sdf) mais plutôt dans l'intrigue que je trouve un peu trop distante, austère, trop réduite à l'épure. Là où j'aurais aimé quelques rebondissements dans un scénario à la structure classique (contrairement au contenu).

J'en profite pour reposter l'avis de Mama Grande, seul forumeur à en avoir parlé ici, c'était juste après Cannes:
Mama Grande! (le 31 mai 2008 dans le topic Cannes 2008) a écrit :Une sorte de mélodrame chez les sans-abris qui occupent la forêt près du Château de Versailles. C'est simple, austère, épuré, intelligent et particulièrement bien interprété. Le rythme est lent, les personnages peu nombreux, et l'enfant offre une présence bouleversante. Le sujet n'est pas attrayant, mais on en ressort conquis et le film nous poursuit encore quelques jours après. Par contre il est dommage que la dernière partie soit aussi bâclée et prévisible. Mais dans l'ensemble une très bonne surprise. Je ne lui prédis pas un grand succès, mais j'espère me tromper.
Donc avis aux curieux: allez-y ça peut vous intéresser!
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
Nestor Almendros
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Pierre Schoeller

Message par Nestor Almendros »

L'EXERCICE DE L'ETAT

J'ai peu de souvenirs de VERSAILLES mais j'ai une certitude, après visionnage de son second long métrage: Pierre Schoeller est un cinéaste à suivre de très près, exigeant dans le propos et le traitement, parcouru par une certaine audace, souvent inspiré. Il y a par exemple plusieurs scènes qui sont à la fois originales dans le texte et la forme. Schoeller a des idées, pas seulement sur le papier (comme le discours murmuré à l'église). C'est quelqu'un attaché à l'ambiance, qui réfléchit visiblement beaucoup à la forme (d'ailleurs pour l'avoir lu dans la presse, il voudra essayer de jouer davantage sur le visuel, comme le font plus systématiquement les américains par rapport aux français) et qui pourra donner dans un futur proche quelque chose d'ambitieux et de marquant, j'en suis certain. Il a un style qui montre une capacité énorme et une vision du medium assez rare dans le cinéma français d'aujourd'hui.

Sur le film, je rejoindrais presque mon avis sur VERSAILLES à propos de l'austérité de l'ensemble. Ce n'est peut-être pas vraiment de l'austérité mais plutôt une sécheresse qui semble commune. Il est vrai que le tableau que cherche à peindre Schoeller trouve davantage ses marques dans une certaine épure à peine distanciée, puisque c'est un peu l'un des thèmes du film. Le but ici n'est pas de chasser le scoop (comme l'a fait maladroitement LA CONQUETE) mais de révéler à travers des personnages le fonctionnement d'un système qui broie les individus, écrase les personnalités, nourrit les ambitions. En un mot le gouvernement et la politique agissent surtout pour leur propre conservation, pour que ce système devenu obsolète et inactif perdure encore un peu plus.
Je retiendrai un Olivier Gourmet habité qui illustre bien cette ambivalence actuelle du politique tiraillé entre une certaine humanité nécessaire pour exister, d'abord dans cet univers cloisonné puis également aux yeux du peuple, qui émerge ponctuellement, qui voudrait se manifester plus souvent, et qui se bloque contre une ambition qui annule toute vie au profit de la réussite et de l'ascension personnelle. Pétri de bonnes valeurs, d'une gouaille indispensable, Saint-Jean apparait finalement aussi opportuniste et calculateur que les autres.
L'aspect humain est assez bien vu. Il y a l'homme qui tente de se raccrocher à la vie, à sa vie, par rapport au rythme politique, à ces existences vouées au système (c'est Michel Blanc, très inspiré de Claude Guéant, qui en guise de vie personnelle écoute des discours de Malraux), privées de vies privées justement. Ce qui est logiquement montré ici, et assez touchant, ce sont les relations avec le staff, l'équipe, le premier cercle d'hommes et de femmes autour de cet homme isolé, car évolue en vase clos, enfermé dans sa voiture blindée aux vitres fumées. Il doit se trouver un allié proche et c'est le temps qui fait l'affaire: c'est le tandem d'amitié Blanc-Gourmet qui sera logiquement brisé par les obligations de l'Etat.

Un film subtil, certainement trop pour moi d'ailleurs, qui m'a donné envie de revoir VERSAILLES et de surveiller de très très près ce monsieur Schoeller décidément très talentueux derrière ce cadre un peu trop auteurisant (pour l'instant?).
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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