Roy Neary a écrit :De mon côté, je suis entouré de tintinophiles acharnés et érudits depuis l'enfance (en plus de ma personne) et aucun de ces proches n'a exprimé un moindre sentiment de trahison vis-à-vis de l’œuvre originale de la part de Spielberg. D'autres critiques sont énoncées, bien sûr, mais pas du tout celle-là. Je suis donc aussi très surpris de lire ce genre de réaction.
Je vais te raconter un souvenir personnel que j'évoque pour la première fois.
Je ne sais plus exactement si, quand
Les Aventuriers de l'Arche perdue sortait, j'avais eu vent des velléités de Spielberg d'adapter Hergé ou si l'évocation de
Tintin coulait de source dans les critiques qui paraissaient.
Toujours est-il qu'en cette saison 1981-1982, alors qu'entre septembre et juillet, j'ai du me faire 7 fois le film en salle (c'est dire son emprise sur mes 15-16 ans car jamais de ma vie je n'étais retourné voir un film), je m'étais piqué, plaisir et jeu de gosse cinéphile, de relire un
Tintin (lequel? je crois que c'était
Tintin au Tibet mais aucune certitude) en cinématographiant mentalement chaque case comme si Spielberg le réalisait en personne.
L'exercice était épuisant et je me souviens avoir achoppé sur un problème qui fait que je n'ai pas réitéré l'expérience : on était qu'en apparence dans le même univers et à la limite, un
Blake et Mortimer aurait presque pu mieux faire l'affaire.
Tintin est incompatible (mais quelle BD le serait?) avec cet étirement des séquences d'action si caractéristique de ce qu'ont apporté Spielberg et Lucas à un nombre incalculable de blockbusters contemporains.
Dans
Tintin, malgré l'amplitude du sentiment de l'aventure, on est jamais vraiment dans le grand spectacle, dans la pyrotechnie, l'action et les poursuites (qui faisaient l'objet de toute mon attention d'"adaptateur") sont percluses de gags potaches, finalement peu spectaculaires au sens spielbergien du terme (comment rendre à l'écran l'ivresse de Milou, chien alcoolique?) et guère hilarants (qui se tape le cul par terre en lisant un
Tintin?).
Mais cet humour s'insère dans une vision que la ligne claire, inventée par Hergé, leste d'un réalisme qui fait toute la fascination de l'œuvre.
On trouve chez Hergé fantaisie et précision documentaire, onirisme et pédagogie (quel meilleur professeur que
Le Lotus bleu pour expliquer la situation géopolitique de la Chine des années 30 et la concession internationale de Shanghaï ?). Et surtout, on y trouve de l'instabilité, de l'inconfort : une inquiétante étrangeté dont le Spielberg est singulièrement dépourvu.
J'ai conscience qu'il y a dans le terme de "trahison" une dureté de jugement un peu solennelle qui dépasse ma pensée. Je crois sincèrement que Spielberg a réfléchi à la question du respect, et la tenue plastique du film (à la limite de l'expérimentation et j'ai parfois songé au boulot de Zemeckis sur
Roger Rabbitt) en atteste.
Mais pour moi il échoue doublement.
D'abord parce que, pour les raisons évoquées plus haut, Spielberg reste étranger à l'univers d'Hergé.
Les artistes américains ayant, de plus, une difficulté presque pathologique à comprendre une culture qui ne serait pas la leur, en l'occurrence l'imaginaire belge du dessinateur.
Spielberg ne retient du monde d'Hergé qu'une vague enveloppe esthétique, qui fait son effet pendant les dix premières minutes, puis s'étiole, embrigadée au forceps dans le prévisible maelstrom pyrotechnique de rigueur.
Ensuite, je l'ai déjà suggéré, le cinéma en chie des ronds de serviette pour transposer à l'écran l'univers de la BD de manière satisfaisante. Je ne comptabilise aucun chef d'œuvre et les réussites sont modestes et imparfaites (Robert Altman a tout compris à E.C. Segar mais son
Popeye peine à s'imposer même si j'adore Shelley Duvall en Olive).
Les meilleures adaptations cinématographiques de bandes dessinées se font de biais, par la bande (justement!). Philippe De Broca a évidemment songé à
Tintin en réalisant
L'Homme de Rio, il en retrouve l'esprit par les gags mais reste en deçà de ce qu'il pourrait donner.
Elles se font aussi de manière inconsciente, par effet ricochet, convergences d'imaginaire.
Pour ne nous en tenir qu'à
Tintin, la séquence de l'avion de
La Mort aux trousses aurait pu être imaginée par Hergé tout comme le personnage de l'ornithologue des
Oiseaux ne déparerait pas dans
L'Etoile mystérieuse. On trouve également chez Fritz Lang le même type de machinations ourdies que dans
Les 7 Boules de Cristal ou dans
L'Affaire Tournesol.
Dans le cas de Spielberg, il s'agit donc moins d'une trahison que d'une viscérale incompatibilité d'humeur, dans la convergence des imaginaires, que j'ai malheureusement vue arriver avec ses gros sabots.
EDIT : quand je dis qu'en 81, je n'étais jamais retourné voir un film, je mens.
J'avais revu une fois
Star Wars et une fois
Alien.
Et aussi une fois
La Porte du Paradis, ainsi que la version Rafelson du
Facteur sonne toujours deux fois.
Et bien avant, en 75, j'étais retourné (pas tout seul) revoir
Le 6ème Continent, de Kevin Connor.