20 centimètres (Ramon Salazar, 2005)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jordan White
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20 centimètres (Ramon Salazar, 2005)

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Découverte tardive de cette comédie aigre-douce espagnole tournée en 2005, avec dans le rôle principal Monica Cervera (pétillante, exubérante et jouant sur un registre plus intime que ne le laissent supposer les premières minutes). La thématique de l'identité et plus encore de l'identité sexuelle n'est pas un sujet foncièrement nouveau, mais il est ici transcendé par l'originalité de la démarche du réalisateur qui mélange une bonne dose de musical sur fond de militantisme social et artistique. Je déteste parler d'objet à propos d'un film, mais s'il fallait désigner sous cette forme 20 centimètres ce serait peut-être celui d'une poupée russe : une identité a priori commune voire banale en laisse découvrir une autre puis une autre et ainsi de suite. Les tonalités dans ce film s'enchaînent comme les tubes revisités par les soins d'une bande-sonore très riche et d'un univers bariolé qui rappelle certes Almodovar (référence ouverte mais ce n'est pas la seule et surtout les cinéastes espagnols ont une autre identité que celle de devoir toujours être rattachée au cinéaste ibérique même si son influence a été majeure), mais aussi le cinéma en chanté de Demy, ne serait-ce que pour la séquence d'ouverture, reprenant costume et coiffures 60's dans un festival bariolé de chants et de lumière, le tout chorégraphie avec une dose de folie muy caliente et surtout très hispanique. Après un début en fanfare posant pourtant clairement le postulat de base, 20 centimètres va s'attacher pendant presque deux heures à décrire les états d'âme et les espoirs d'un homme travesti qui rêve de devenir une vraie femme, c'est-à-dire avoir un sexe de femme et en jouir, dans tous les sens du terme. Il est déjà arrivé de fantasmer à l'idée d'être une journée, une soirée dans le corps d'une femme et davoir la possibilité de ressentir ce qu'elle peut ressentir. Mais Marieta ici, le personnage principal veut passer à l'étape supplémentaire et à l'opération, autrement dit devenir physiquement et sexuellement cette femme qu'il veut tant être. Par sa thématique principal, 20 centimètres rejoint (à moins que ce ne soit l'inverse) celle de L'incroyable histoire de Queen Raquela, autour d'un philipin ladyboy qui rêve du grand amour. Pour cela, le réalisateur espagnol s'entoure de chorégraphes, décorateurs, d'un chef opérateur et d'un cadreur qui assurent au niveau technique, le reste incombant à la façon si particulière qu'il a de soulever en filigrane les questions de l'acceptation de soi et de celle du regard des autres.

Véritable orgie de couleurs, allant du bleu pétrole au rouge carmin, en passant par les nuances de gris, d'orange et de rose, 20 centimètres arrive à jongler entre un ton bon enfant, quelques dialogues savoureusement drôles s'invitant dans les nombreuses discussions au ton plus dur sans être acide des confrontations avec un monde parfois fermé, réfractaire, butant sur des détails qui n'en sont pas vraiment à l'instar de l'entretien d'embauche, durant lequel, Marieta qui civilement s'appelle Adolfo est confronté à l'image qu'il renvoit d'homme maquillé et habillé en femme, chose sur laquelle insiste la femme en face de lui. Celle-ci d'abord hésitante va ensuite permettre à Adolfo d'obtenir son poste, mais celui-ci sera cantonné à un cliché. Le film ne s'apesantit pas sur ces moments de la vie professionelle pour autant pour dériver vers le film à thèse appuyant sur son propos. Il montre en revanche une forme de solitude, dans les allées de la gare déserte, encline au silence. Ce silence qui pèse sur Marieta qui rêve de grandes scènes de musique chorégraphiée et surtout d'un homme qui la fasse vibrer. Cet homme elle le trouve chez l'employé qui tous les jours décharge les marchandises sur le marché où travaille une de ses copines (Macarena Gomez, l'actrice principale de Sexy Killer, moriras por ella, tourné lui aussi en vidéo HD). Le hasard ou plutôt les circonstances faisant bien les choses, Morieta et lui sont amenés à se rencontrer. Il n'est pas un homme comme les autres. Il aime aussi les sexes d'homme malgré l'apparence féminine de Marieta qui ne lui dit rien de son sexe, sur la vérité de celui-ci. Les deux amoureux consomment très vite leur amour dans des scènes sexuellement protégées. Le film est militant et le montre sur ce plan. La vie de Marieta est entrecoupée de phases brutales de narcolepsie qui ajoutent à l'étrangeté de son univers et de sa vie faite d'imprévus et de choses tout à fait banales, concrètes : se rendre au travail le soir pour récolter l'argent nécessaire à l'opération tout en effectuant des passes sur les boulevards et les rues où s'arrêtent quelques badauds de passage. Formellement le film recherche le plus de lumière possible ce qui donne le sentiment d'un film ensoleillé tout du long et très contrasté. Tout comme le sont les sentiments, les amours et les orages qui traversent la vie de Marieta. Il projette aussi les fantasmes et les rêveries de Marieta dans un monde de musique et de chants où tout devient réalisable. Au fur et à mesure que les relations deviennent plus sérieuses entre Marieta et son homme, le film se montre aussi plus explicite. Et la cerise sur le gâteau arrive avec la séquence dans la chambre où une voisine les épient en n'en perdant pas une miette.

Drôle, touchant, 20 centimètres (référence à la caractéristique TBM de Marieta/Adolfo qui ici ne fait pas forcément son bonheur, chose qu'elle rappelle lors d'un croustillant dialogue) est un film qui frappe par l'originalité de son traitement, le détournement de certains clichés, tout en réservant son lot d'émotions bien dosées. ON s'amusera aussi de la référence à la culture française avec la reprise de Paroles, Paroles, jadis chantée par Dalida et Alain Delon en duo. Pour les fans, Rossy de Palma ne laissera pas indifférent avec son rôle pimenté sous la forme d'une participation amicale et dans un sens libérateur pour Marieta. Malgré quelques longueurs en fin de parcours, le film se referme sur une note très positive en reprenant le standard de Queen, I want to break free dans une version électro/rock/dub gonflée, scintillante et enlevée et une dernière scène, tout en steadycam, comme pour illustrer le passage flottant puis décisif d'une vie à une autre, celle non pas d'une déception ou d'un questionnement irrésolu, mais plutôt d'une vie nouvelle qui s'annonce, comme celle qui illustraient le propos de Caramel ou la Fiancée Syrienne. Le film est disponible en VOSTA en import anglais avec sous-titres anglais mais aussi en édition officielle française avec sous-titres français. Superbe image sur le DVD import anglais, reluisante, brillante même de mille feux, parfois à la limite du blanc cramé/surexposé dans la séquence d'ouverture, mais ensuite arrivant à stabiliser les couleurs très expressives du film, avec davantage de nuances. Très solide compression sans artefacts.





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