Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Major Tom
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Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Major Tom »

À moins que la fonction recherche ne soit défectueuse, je n'ai pas trouvé de topic. Je règle ça.
--- Spoilers multiples.

Dans l'Arène d'Atlantic City a lieu le combat du Siècle opposant deux poids lourds de la boxe. Les télévisions, les journalistes, des milliers de spectateurs font le déplacement pour y assister. Malgré toutes les mesures de sécurité qui sont prises pour ce grand soir, Charles Kirkland, le ministre de la Défense américaine, est assassiné devant tout le monde en direct. Rick Santoro (Nicolas Cage), un policier corrompu de la ville, voit l'occasion de se racheter une belle image et veut découvrir les (vrais) coupables...
SNAKE EYES (1998)
14000 témoins. Personne n'a rien remarqué.
L'histoire de Snake Eyes est un thriller politique assez peu convaincant au demeurant. Le défaut principal à mes yeux est le choix de Gary Sinise, bon acteur à la base mais tellement "trogne de l'emploi" utilisée et ré-utilisée dans les rôles de méchants que personne n'est dupe. On sait dès sa première apparition, alors qu'on ignore tout de lui, qu'il n'est pas net. Je trouve aussi que la mise en scène a au moins ce défaut de ne pas favoriser la sympathie pour ce personnage au début. Donc, c'est un thriller politique relativement conventionnel, certes, mais ce qui m'intéresse avant tout, comme la majorité des fans du film, c'est la manière dont De Palma va raconter cette histoire, avec une maestria folle à l'image du plan-séquence qui ouvre le film. Ce qui est génial dans cette partie, c'est que tout se joue à ce moment-là. Le reste du film reviendra abondamment là-dessus dans divers flash-backs, avec d'autres points de vue (parfois faux) comme celui du boxeur dans ce match de boxe totalement hors champ dans le plan-séquence, celui de témoins dans les coulisses, des caméras de télévision ou de surveillance, etc.
Pour une analyse image par image plus complète du plan-séquence, je vous renvoie à mon site:
Le plan-séquence est la partie qui demeure la plus célèbre de Snake Eyes. Elle en occulte la pourtant très réussie mise en scène du reste du film, où comme je le disais, De Palma s'amuse avec la caméra. Je vois Snake Eyes comme le glossaire des "tics" filmiques depalmiens. Pèle-mêle, on y retrouve: travellings en plongée verticale, points de vue subjectifs, split-screens, contre-plongées, caméra qui passe à travers les murs, etc.

Sin City
Plus intéressante que l'intrigue, banale, la représentation de l'Atlantic City de Snake Eyes, la ville du péché, le Las Vegas de la côte Est, correspond à une vision noire, très depalmienne, où la corruption règne partout, des représentants de l'ordre à la politique, en passant par les médias. Même dans le monde du sport les matchs sont truqués... Pour qui connait un tant soit peu les films de Brian De Palma, une telle description négative n'est guère étonnante. Dès ses premiers longs, De Palma se montre corrosif, satirique, et il l'a simplement toujours été même si cela transparaît moins au cours de sa filmographie. Comme pour la mise en scène, Snake Eyes reprend des thèmes qu'il a exploité dans ses précédentes œuvres. Outre la corruption, il y a, évidemment, le voyeurisme, thème quasi-obligatoire de son cinéma. Ici, le voyeurisme est technologique. Nombre de scènes sont filmées via des écrans. Comme la salle du Paradise ou la villa de Tony Montana, l'hôtel-casino Powell regorge de milliers de caméras, dans les ascenseurs, dans les salles de jeux, dans les couloirs de l'hôtel, etc. C'est via les enregistrements du match par la télévision que Rick Santoro découvrira que le combat était truqué. C'est toujours grâce aux écrans de contrôle que Rick retrouvera Julia dans le casino. Et c'est avec les enregistrements vidéos que Ricky aura sa réponse concernant les dires de Julia concernant son ami Dunne...

Il ne manque que William Finley et Gregg Henry.

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L'ouragan Jézabel
Deux séquences ont été réalisées pour marquer la fin du personnage de Kevin Dunne, dans la dernière partie de Snake Eyes. Dans celle qui a été coupée et qui circule sous le manteau (mais toujours pas sur le web et encore moins dans une édition DVD), cela démarre comme la fin que nous connaissons: Dunne suit Rick salement amoché jusqu'à la planque de Julia. Rick s'aperçoit de sa présence via l'ombre projeté par un éclair. Il se retourne. Les deux hommes se parlent. Dunne demande calmement à Rick d'ouvrir la porte et de faire sortir la fille. Rick refuse et se place devant la porte les bras en croix. Dunne le menace de son arme et s'énerve. Rick accepte finalement d'appeler Julia. Dunne perd patience et tire plusieurs fois dans la porte et cela en actionne l'ouverture automatique. Rick se jette à l'intérieur et se rue vers Julia. Dunne entre à son tour. Rick protège Julia, tandis que Dunne le menace de tirer à travers lui. À l'extérieur, le cyclone fait rage. Un raz-de-marée emporte l'immense globe terrestre de déco en acier. Le globe traverse les parois, roule dans le passage, heurte Dunne de plein fouet, roule sur lui et l'écrase. En même temps, l'océan s'engouffre et emporte Rick et Julia qui manquent de peu de se noyer... Cette fin est rejetée par le public lors d'une projection-test et De Palma se voit obligé d'en tourner une nouvelle, moins dramatique et moins imposante, qui est celle que nous connaissons.
Notez qu'il reste une réplique dans la scène finale renvoyant à la première fin: Rick Santoro discute avec Julia sur la jetée, et lui confie qu'il se voit encore "sous l'eau" dans ses rêves...

Snake Eyes (1998). Avec Nicolas Cage, Gary Sinise, Carla Gugino, Kevin Dunn, Stan Shaw. Histoire de Brian de Palma et David Koepp. Scénario de David Koepp. Photographie de Stephen Burum. Décors d'Anne Pritchard. Musique de Ryuichi Sakamoto. Montage de Bill Pankow. Produit par Brian de Palma pour DeBart, Paramount Pictures et Touchstone Pictures. Réalisé par Brian de Palma.
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Dernière modification par Major Tom le 10 avr. 17, 06:58, modifié 1 fois.
Cinematographer
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Cinematographer »

Major Tom a écrit :Ce plan-séquence remarquablement mis en scène est coupé en six parties. La première et la dernière ont été tournées avec une Dolly, tandis que les parties 2, 3, 4 et 5 avec une steady-cam. Ce qui est génial dans cette partie, c'est que tout se joue à ce moment-là. Le reste du film reviendra abondamment là-dessus dans divers flash-backs, avec d'autres points de vue (parfois faux) comme celui du boxeur dans ce match de boxe totalement hors champ dans le plan-séquence, celui de témoins dans les coulisses, des caméras de télévision ou de surveillance, etc.
Ce « faux » plan-séquence a été tourné avec un objectif Panavision 50 mm. C’est l’immense opérateur Larry McConkey qui a tourné ce plan-séquence.
"There are so many pictures being made today that are dependent on the dialogue; sometimes you find yourself essentially photographing words, and that's OK. But this was a great opportunity to work with a director who was interested in visual storytelling." John Toll
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Demi-Lune
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Demi-Lune »

Ce que j'en disais en août :
Je n'avais pas revu ce De Palma depuis quelques années. Cette révision ne me fera pas réévaluer Snake Eyes, que je tiens pour un bon film dont le scénario tourne malheureusement court à mi-chemin. Évidemment, d'un point de vue technique, De Palma se montre toujours aussi inspiré. Plans-séquence complexes ou discrets, prises de vue acrobatiques (je suis fan du plan-séquence qui balaie, vu d'en haut, plusieurs chambres d'hôtel contigües avant de redescendre sur le personnage féminin), split-screen savant, caméras subjectives, la mise en scène du cinéaste est d'une virtuosité jubilatoire et ne serait-ce que pour sa célèbre et longue ouverture, le film mérite amplement d'être découvert. D'autre part, les thématiques récurrentes sur la duplicité de l'image, sur le doute né de la multiplication des points de vue, concourent à faire de Snake Eyes un film très personnel (et au passage très cynique, comme par exemple avec cet œil-caméra à la position démiurgique, ou encore avec le sort réservé au héros, qui doit finalement payer d'avoir suivi sa bonne conscience), explorant plus frontalement encore que dans Blow Out l'assassinat politique et la frustration de ne pas avoir vu, de ne pas avoir regardé au bon endroit au bon moment. On sait que De Palma fut très marqué et fasciné par l'assassinat du Président Kennedy, et plus encore, par le film-témoin de Zapruder (certainement un film amateur matriciel de son cinéma), dont il aurait aimé le déplacement du point de vue vers l'endroit des coups de feu. Cette frustration, cette obsession quant à l'invisible imprimé sur pellicule, alimentent bon nombre de films de De Palma et trouvent dans Snake Eyes un aboutissement réflexif des plus intéressants, dont l'approche se révèle différente de celle de Blow Out (Jack Terry n'a qu'à recomposer le son et l'image, qui sont tous deux à sa disposition ; Santoro est privé de l'un et n'a accès à l'autre que tardivement dans le film : il doit, lui, recomposer une vérité se fiant aux points de vue contradictoires des témoins du meurtre). Malheureusement, comme je le disais, l'intelligence du discours depalmien et la virtuosité de sa mise en scène ne compensent pas l'insupportable prestation de Nicolas Cage, qui semble être sous coke durant tout le film. Elles ne compensent pas non plus la faiblesse de l'intrigue policière, qui révèle vite ses secrets et stagne en un suspense pas super inspiré. Celle-ci apparaît comme un pur prétexte, destiné à poser les questionnements du cinéaste sur la nature difficilement accessible d'une vérité dès lors que celle-ci est recherchée par le biais du (ou plutôt des) point(s) de vue.

Et l'intéressante conversation qui s'en était suivie :
The Eye Of Doom a écrit :Je n'ai pas revu Snake Eye depuis sa découverte en salle à sa sortie mais le film m'avait laissé à l'époque une profonde sensation de déception.
Il est peut être celui qui illustre le plus la bride que semble s'imposer De Palma vis à vis de son potentiel, comme si en un mot il n'avait pas confiance en son art. Je tente d'expliquer.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Au delà de la scène d'ouverture qui tiens plus du tour de force que d'un véritable enjeu de mise en scène (ce n'est pas l'ouverture de la Soif du Mal ou le plan séquence de la Maison Tellier dans le Plaisir d'Ophuls...), c'est la scène finale (la toute dernière...) qui m'a bouleversé.
De mémoire, après 1heure30 d'intrigues, coup fourrés et coup bas, le personnage joué par Nicolas Cage a sauvé sa peau et dénoncé les affreux. Le dernier plan le montre avec ??? discutant au petit matin, la camera avance vers eux pour finalement les dépasser et nous montrer un groupe de travailleurs reprenant le boulot et manœuvrant avec une précaution, précision, habilité, sensualité même un bloc massif de béton. Le fait de finir le film sur ce plan simple de travailleurs loin des conspirations et crimes qui ont constitués le corps du film, sonne pour moi alors comme une volonté de De Palma de ramener tous cela à cette agitation à sa juste valeur cad rien vis à vis de la simple maîtrise professionnelle de ces modestes travailleurs manuels. Ce plan gratuit en dit plus sur le mépris du cinéaste sur les intrigues qu'il dénonce que l'ensemble des discours qui ont précédé.
Voila, c'est du moins le cinéma que je me fais "online" jusqu'au moment où Patatras ! je découvre que ce travelling superbe a une toute autre finalité : nous montrer un des doigts, avec bague, d'un cadavre coulé dans le béton. Gaspature !!
Pourquoi donc faut'il toujours que De Palma justifie sa mise en scène ! pourquoi ne se laisse t'il pas aller simplement à filmer gratuitement comme c’est le cas plus tot dans le film lors de la séquence magique du survol des chambres cité par Demi Lune.
Alors que dans Snake Eye, il montre à travers certains plans qu'il dispose d'une puissance plastique incroyable qui fait de lui un des rares à pouvoir prétendre rivaliser avec des maîtres du muet, il semble toujours en retrait de son potentiel.

Brian, laisse toi aller que diable!

Finalement ces plus grands films sont ceux où il semble se libérer de cette contrainte porté par la sincérité de son propos : Body Double, Outrages ou son chef d'oeuvre "l'Impasse".
Demi-Lune a écrit :
The Eye of Doom a écrit :Au delà de la scène d'ouverture qui tiens plus du tour de force que d'un véritable enjeu de mise en scène (ce n'est pas l'ouverture de la Soif du Mal ou le plan séquence de la Maison Tellier dans le Plaisir d'Ophuls...)
Alors là, pas du tout d'accord. :wink: Au contraire, le plan-séquence inaugural de Snake Eyes pose tous les enjeux du film. De Palma nous balance des tas d'informations visuelles que nous ne pouvons pas digérer sur le coup (indices, suspects, etc) et qui seront décortiquées tout le long du film. On peut ainsi dire que le film Snake Eyes n'est qu'un grand décorticage de son plan-séquence inaugural, dans lequel tout est contenu (mais à l'instar de Santoro, nous n'avons pas été assez vigilants... comme dirait Sherlock Holmes, nous avons vu mais nous n'avons pas observé). Plan-séquence qui, par conséquent, résume également à lui tout seul le propos thématique car une fois dans l'arène, la caméra reste braquée devant les protagonistes et propose un point de vue frustrant (comme l'était celui du film de Zapruder de l'assassinat de JFK) puisque insuffisamment pointé sur les éléments essentiels du complot (le combat de boxe reste ainsi totalement hors-champ).
The Eye Of Doom a écrit :Brian, laisse toi aller que diable!
La "gratuité" de la virtuosité technique de De Palma a parfois été critiquée par ses détracteurs. Le lent plan-séquence final (que je n'avais jamais regardé jusqu'au bout avant l'autre jour, on peut dire que cela a été, pour le coup, une belle découverte :D ) est caractéristique de cette "justification" de virtuosité que tu expliques, mais je n'y vois pas là quelque chose de préjudiciable. De Palma pense sa mise en scène de fond en comble. Personnellement, je me demandais bien à quoi servait ce lent plan-séquence qui s'approche progressivement des ouvriers, car je suis habitué, justement, à ce que De Palma montre quelque chose de précis. Et c'est ce qu'il nous laisse découvrir, dans les dernières secondes.
The Eye Of Doom a écrit :
Demi-Lune a écrit : Au contraire, le plan-séquence inaugural de Snake Eyes pose tous les enjeux du film. .
Il faudrait que je revois le film car c'est peut etre le fait que ce plan séquence soit justement présenté comme "le tour de force" du film dans les commentaires critiques entendus avant la sortie qui m'a empêché d'y voir autre chose qu'une virtuosité "gratuite". Alors que les deux autres scènes totalement inattendus m'ont enthousiasmé. L'objectivité n'est pas toujours de mise et on reçoit un film dans un état d'esprit spécifique...
Demi-Lune a écrit : La "gratuité" de la virtuosité technique de De Palma a parfois été critiquée par ses détracteurs.
Je ne pense pas que le terme de gratuité soit finalement le bon. La "virtuosité technique" est une composante essentielle de la mise en scène de De Palma, et à ce titre elle peut exaspérer, etre ratée, mais n'est jamais gratuite.
Cher Demi-Lune, je crois que tu eclaire bien le point de vue que je tentais de defendre: tu attends que De Palma montre quelque chose de précis (tu le dit à juste titre c'est son habitude) cad que le travelling (ou la virtuosité) amène à quelque chose de spécifique à la fin, qui justifie son existence in fine . Dans le cas qui nous intéresse, c'est bien le spectacle des ouvriers et la façon qu'à De Palma de rendre leur gestes qui m'interpelle et justifie pour moi le plan. La "chute" en fait est inutile et me montre que De Palma n'a pas jugé que ce spectacle des ouvriers (et surtout la façon dont il le restituait) pouvait justifier de l'existence de ce plan.
La encore, c'est probablement le fait d'avoir vu peu avant des films de Hou Hsiao Hsien (Goodbye South Goodbye, le maitre de marionettes) ou Wong Kar Wai (Les anges déchus) qui m'a fait regretter à l'époque qu'à "virtuosité" égale, De Palma ne s'autorise pas plus souvent la meme liberté que ces confreres asiatiques. De Palma : un cineaste sans mystères ni poésie ? Je n'y crois pas.
Major Tom a écrit :Avec Snake Eyes, jamais la réalisation de De Palma n'aura été aussi "propre" et fluide. C'est d'ailleurs ça que j'ai vu reproché à De Palma plutôt que sa "gratuité", à une époque où la caméra est principalement portée à l'épaule et les mises en scène sont sans artifice. Sa réalisation est servie par ce grand décor high-tech qu'il s'amuse à filmer sur toutes les coutures. Le scénario de Keopp n'a pas d'importance. Évidemment qu'on sait tous dès sa première apparition que le traître est celui qui a la gueule de l'emploi. Le plaisir vient surtout des images, des sous-intrigues et de la critique des médias (les films de De Palma ont souvent un fond satyrique, chose pour laquelle il n'est pas assez reconnu).
Le plan-séquence du début montre effectivement presque tout ce qu'on retrouvera plus tard dans le film, filmé sous d'autres angles. Pour les amateurs de "seconds regards", c'est un régal. C'est un peu comme le fameux diamant rouge sur la bague de la rousse et qu'on retrouve
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coulé dans le ciment d'une colonne à la fin du générique final.
Pas mon De Palma préféré, certes, mais un vrai plaisir de cinéphile ce petit Snake Eyes.
Silencio a écrit :Rubis qui fait écho au diamant vu dans le dernier plan de Family Plot :

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Major Tom
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Major Tom »

Il n'y a pas 5 coupes dans le faux plan-séquence comme je l'ai longtemps cru, mais 8 en fait ;) :
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Watkinssien
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Watkinssien »

Snake Eyes me fascine toujours autant concernant le rapport qu'a De Palma avec la mise en abîme de son propre travail.

Au-delà de l'enquête passablement vraisemblable, c'est bien la manière dont le cinéaste étudie carrément sa mise en scène au détriment des personnages et des péripéties (que je trouve personnellement jouissifs) qui fait mouche avec un brio remarquable. C'est certainement un film d'un artiste joueur, ne se contentant aucunement d'étaler sa virtuosité pour mieux travailler le sens des images qu'il choisit de mettre en place.

Et puis il y a le Nicolas Cage des grands jours, impeccable, conscient de ses effets, énergique, virevoltant, cabotin dans le bon sens du terme, comme en osmose avec la mise en scène de ce très bon Snake Eyes.
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Thaddeus
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Thaddeus »

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L’image manquante


Dans une scène de Scarface, Pacino/Tony Montana, la main ensanglantée et le nez cocaïné, regardait du haut de son building un ballon dirigeable sur lequel s’inscrivait en lettres lumineuses : "The world is yours". Cette affirmation, Rick Santoro l’a faite sienne. Flic ripou et survolté, il est le maître autoproclamé d’un empire de pacotille qu’il est persuadé de tenir dans la paume de sa main. Mais il a choisi, comme dans Le Paradis Perdu de Milton, de régner en enfer : Atlantic City, cloaque peuplé de bookmakers louches, de voyous combinards et d’affairistes crapuleux. Les poches de sa veste clinquante se sont transformées en home d’accueil pour tous les pots de vin de la terre. Cet homme voit tout, croit tout savoir, et connaître chacun des sujets de son royaume. Il nourrit aussi un rêve : apparaître à la télévision où, dès les premières secondes, une journaliste ironise sur l’artificialité d’une ville dont même la météo est truquée. Or les circonstances et son destin vont condamner Rick, tel un quelconque pénitent, au châtiment de simple spectateur, voué à se passer et se repasser les mêmes images. Il y a des films médiocres quand on les raconte et fulgurants quand on les voit. Snake Eyes est de ceux-là, qui rappellent que le grand cinéma ne se confond pas avec la littérature. Il dure un quart d’heure, le temps du plan-séquence inaugural, puis se répète pendant l’heure et quart suivante. Un segment fictionnel d’abord exposé d’une traite y est ensuite reconsidéré, décortiqué, mis en pièces, analysé sous toutes les coutures. Ce vaste bloc filmique, qui se déverse en un continuum visuel parfois agité de brusques filages, s'impose à la manière d'une scène primitive, d'un master-shot dont le caractère énonciatif est bien trop évident pour être honnête. Six retours en arrière vont le découper au scalpel, le disséquer par la pause, le ralenti ou le split-screen, afin de révéler la supercherie qu’il abrite en ses plis. Au sein d’une société boulimique de nouvelles technologies et ne jurant que par elles (la consommation à outrance se reflète dans le réseau de surveillance démentiel qui quadrille le casino et la salle de spectacle), les vertus testimoniales de l’image ont effacé toutes les autres et lui ont octroyée les pleins pouvoirs.


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Mari volage et inspecteur borderline flirtant avec la pègre locale, au verbe haut et à l’énergie spécieuse, Rick est aussi agile qu’un poisson dans l’eau mais va finir par se heurter aux parois de son bocal. Le sang qui macule soudain son vêtement bariolé le pousse à se changer : on se demande d'abord pourquoi, tant les fraîches taches vermillon se fondent dans les ramages criards du tissu. Détail infime qui ne cesse de répéter, comme tant d’autres, l'injonction obsessionnelle du film : regardez bien. Ce n'est pas une fleur rouge, là, à côté d'une autre jaune ou d'un feuillage vert, c'est bien une éclaboussure de sang. Une chemise blanche, une cravate noire, et le serpent arbore une nouvelle peau. Car l’espace d’un bref instant, une seconde après qu’une balle a troué la gorge du secrétaire d’Etat à la Défense assis derrière lui, Rick a vu ce qu’il n’aurait pas dû voir. Il a croisé le regard lucide du champion Lincoln Tyler, allongé sur le ring et censé être KO — image authentique mais réversible (son contre-champ sera plus tard donné à travers la perspective du boxeur). Autour du héros, les semblants ne cessent dès lors de s'anéantir : perruques blondes et rousses, lunettes vraies ou fausses, radios, micros et oreillettes dissimulés, leurres en tous genres fourmillent. À force de flashbacks privilégiant le recours à la caméra subjective, le récit remet en question ce qui s'imposait : trois individus ayant quelque chose à cacher déclinent des témoignages dont la discordance camoufle l’accès à la véracité des faits en même temps qu’elle en constitue l’indice. Une technique éblouissante de maestria fait basculer le jeu des variations vers la réflexion esthétique : la mise en scène, dont la souplesse est un défi constant aux dimensions de l'écran large comme au caractère monumental du décor, court du reflet à l'image, de la façade à l'être, de la continuité à la discontinuité, de l’illusion à la nudité. Comme tous les grands baroques, De Palma masque pour faire voir, tel cet œil cyclopéen et omniscient, the zero gravity flying eye, qui balaie la foule myope et a enregistré la réalité derrière les apparences.

Snake Eyes propose un discours rageur sur la surmédiatisation, les proportions cosmiques du voyeurisme, le pourrissement des mœurs politiques, policières et militaires. Dans un monde vulgaire et effréné où l’exhibition est la règle, l’artiste montre que la profusion des images, la multiplicité des preuves et des points de vue ne mènent jamais à l’objectivité. Seul subsiste un enchaînement de causes et d’effets, de mots, d’objets fétiches, de secrets derrière les portes, que le personnage s’ingénie à ouvrir les unes après les autres, accroissant de manière vertigineuse la complexité de son enquête. C’est en visionnant et revisionnant les bandes du dispositif vidéo que Rick finit par distinguer l’angle mort, par donner corps à ce qui a échappé à son regard et à celui des quatorze mille spectateurs présents sur le lieu du crime. Mais bien qu’amoureux de l’image, De Palma concède que si celle-ci peut révéler la vérité qu’elle recèle en son sein, elle peut tout aussi bien agir en trompe-l’œil. L’idée était présente dans Mission : Impossible lors de la scène où Ethan Hunt assistait impuissant à la fausse mort de Jim Phelps par écran interposé, avant de le désigner comme coupable en chaussant à l’instant crucial une paire de lunettes-caméra. Le réalisateur réécrit également Blow Out, qui présentait déjà le méticuleux travail de reconstitution du meurtre d’un politicien et voyait son héros s’employer à synchroniser le souvenir à son échelle sonore pour restituer leur complétude aux évènements. Une preuve n’est pas disposée à la surface des choses, destinée à être simplement ramassée : elle se fabrique. En cela De Palma a retenu la leçon de La Soif du Mal, auquel renvoient bien sûr le plan-séquence introductif s’achevant sur l’assassinat d’une huile mais aussi le thème central de la corruption et la dialectique morale opposant les deux policiers.


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Le schéma actanciel de la conspiration, cher au cinéaste, mène évidemment au principe de la trahison et à une révélation ayant de lourdes retombées sur le psychisme d’un être manipulé par son meilleur ami, d’autant plus qu’il est pour lui un modèle d’intégrité. Contraint à faire un choix éthique particulièrement douloureux, il subit les retombées du système qu’il pensait maîtriser, tandis que l’autre finit par se suicider devant les caméras de télévision, cloué par elles comme un enfant pris en faute. Le goût jamais démenti du réalisateur pour la tragédie entretient dans Snake Eyes un rapport volontiers pathétique avec la mythologie. L’émetteur que Kevin attache dans le dos de Rick à son insu, seule manière de retrouver le témoin gênant dans un "palace des mille et une merveilles" aux couloirs labyrinthiques, fait songer au fil d’Ariane. Le dénouement, outré dans le plus pur style depalmaien, recourt quant à lui à l’iconographie apocalyptique : le héros, pour avoir joué avec le feu tel Prométhée, subit la colère de Zeus qui se manifeste dehors par une foudre déchaînée. Le casino Millenium est orné d’un énorme globe terrestre que l’ouragan fait chuter et qui renvoie à Atlas, roi de Mauritanie condamné à soutenir le ciel sur ses épaules. Tout au long du film, la prise de vues en plongée à 180° constitue la figure formelle faisant accéder le motif central à une dimension symphonique. L’une montre un défilé de chambres, de compartiments, de cellules, d’alvéoles, qui fracturent la grandeur indivise du palais des sports et où les touristes dorment, font l’amour, boivent ou se droguent. Les excès d’Atlantic City sont ceux de l’univers entier. Par son cadre, ses lumières flamboyantes, la rutilance de ses couleurs, Snake Eyes évoque d’ailleurs le Casino de Scorsese, dont le milieu du jeu et du divertissement faisait pareillement office de métaphore holistique. L’idéal n’est qu’un fantasme individuel, comme l’illustre la fresque représentant un soleil couchant (réminiscence de Scarface et de L’Impasse) devant laquelle Rick et Kevin s’entretiennent, ciel factice annonçant l’éclatement de la loyauté qui les liait.

Ubiquité, métamorphoses, franchissement hyperrapide des espaces et des frontières, chuchotements, contacts à distance : lorsqu’il est fait bon usage de la technologie, comme c’est ici le cas avec Santoro, le cinéma de De Palma touche à l’enchantement, à la magie qui, à ses yeux, se définit peut-être comme le pouvoir détenu par les élus, ceux qui volent de cadres en cadres. Au sommet de sa pensée théorique, le réalisateur fait fructifier les niveaux de lecture et transforme son suspense en huis-clos en prodigieux mastermind à multiples entrées. Il traite ainsi l’attentat politique à la fois comme un spectacle, une décision commerciale et un mythe fondateur. Ses formes virtuoses ont toujours créé du sens et affirmé un propos singulièrement critique. L’hôtel-casino n’est pas un simple lieu de perdition mais une allégorie de la démocratie américaine, envisagée comme un gigantesque supermarché où le mensonge est la loi et les citoyens les dindons de la farce. Ne reste pour briser cette trajectoire viciée, pour permettre au protagoniste d’expier ses fautes, que l’innocente Julia, qui dévoile le complot par fidélité à ses idéaux et assure par sa discrétion une parade à la grossièreté du visible. En cela Snake Eyes rejoint L’Impasse, dont le récit convergeait aussi vers un personnage féminin rédempteur. Le film s’achève sur un dialogue simple, une ébauche de relation amoureuse entre les deux héros. Acte de foi d’un cinéaste n’ayant jamais oublié sa nature romantique. Muré dans sa solitude, comme tous les grands formalistes, De Palma s'interroge sur son art, ce qu'il permet et ce qu’il interdit, cherchant désespérément la vérité que recouvrent la prolifération et l'arabesque. Impossible de ne pas sentir cette angoisse dans l’ultime pirouette exécutée au terme du générique final, quand un long zoom se fige sur une pierre rouge enchâssée dans le béton — le rubis de la complice assassinée. L'image s'impose comme une énigme et l’auteur semble alors regretter de devoir s'y arrêter : son désir le pousserait à pénétrer dans le minéral pour toujours acérer la puissance de son regard.


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Dernière modification par Thaddeus le 3 avr. 23, 23:11, modifié 3 fois.
The Eye Of Doom
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par The Eye Of Doom »

Thaddeus, arrete...
Chaque fois que t’ecris un truc sur De Palma (et les autres), je me rue sur mes etageres a la recherche du bluray pour revoir le film.
Et je ne le trouve pas, d’où frustrations a repetition.

Bon ici pas de bluray du tout visiblement, celui ci etant épuisé depuis longtemps. Chaque fois que j’y passe je regarde si par miracle il y a une occass chez Gibert...

Pour en revenir au film, pas revu depuis sa sortie... du coup.

Edit : Putain, du coup j’ai relu les echanges ci dessus. :lol:
Et suis toujours d’accord avec moi meme sur la comparaison avec les maitres asiatiques.
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Major Tom »

Bravo Thaddeus. :D Tu es déchaîné en ce moment, et c'est tellement passionnant à lire.
J'aime de plus en plus Snake Eyes (je redeviens adolescent quelque part, puisque je l'ai adoré la première fois, et puis moins au fur et à mesure, et à présent...).

Et moi je n'aurais aucun mal à le trouver dans les étagères pour le revoir, tiens. 8) :mrgreen:
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Thaddeus
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Thaddeus »

Merci à vous deux.

Major, ce n'est pas pour te renvoyer l'ascenseur mais, coïncidence, figure-toi que je faisais pas plus tard qu'hier l'éloge de ta vidéo sur De Palma. Le genre de montage qui me fait pleurer à la vitesse de l'éclair (et quand je dis pleurer, ce ne sont pas des mots en l'air : les larmes me montent au bout d'une minute). Alors aux deux ou trois Ostrogoths qui ne l'auraient pas encore vu, réparez tout de suite votre erreur :
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Accessoirement, revoir ces images m'aura entre autres rappelé qui si Mission to Mars est un film que je n'aime que très modérément, il est néanmoins illuminé par la présence et la beauté d'une actrice superbe, Connie Nielsen. Elle participe notamment de sa scène la plus émouvante :
Image
Mais je crois savoir qu'il convient d'être désormais très prudent lorsqu'on loue la beauté d'une comédienne, donc je m'arrêterai là.
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Major Tom
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par Major Tom »

:oops:

Merci. ;)
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El Dadal
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par El Dadal »

C'est bien joli tout ça, mais pas un mot sur la partition absolument dantesque de Ryuichi Sakamoto, ça frise l'invalidation !

The Eye Of Doom
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par The Eye Of Doom »

Je l’ai finalement revu hier en copie dvd emprunté a la bibliothèque.
J’ai pas le temps ni la competence pour rebondir intelligement sur les posts ci dessus mais reste en phase avec les elements de discussions d’il y a 9 ans.

J’ai trouve beaucoup de similitude stylistique avec Mission Impossible. Comme dans ce dernier cas, revoir le film sans se préoccuper de l’histoire ajoute à la jouissance devant cet objet formel. Il y a tout de meme un difference de taille: Mission Impossible est un pur excercice formel, Snake Eye porte un discours personnel de De Palma sur la corruption de la société et le spectacle (au sens Debord).
Ce discours se traduit pas tant en dialogues ou recits qu’en formes comme toujours chez De Palma.

La figure de l’ingenieure est ce qui me frappe le plus.
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Premier temps : Elle apparait tout de blanc, tellement artificielle, visible a des kilometres, choix vestimentaire en contradiction totale avec ce qu’elle doit faire cad remettre discrètement un plis secret. Alors qu’elle devrait etre invisible, on ne voit qu’elle. D’un autre coté, ce blanc ne peut pas ne pas évoquer pour nous la purete virginale, coherente on l’apprendra plus tard de sa nature morale, hors de toute corruption.
On est ici au coeur d’un dispositif genial de De Palma, dont j’aimerais savoir s’il est pensé ou fortuit de la part du cineaste.
La jeune femme apparait donc travestie en le symbole de ce qu’elle est vraiment: la purete. Mais nous (le spectateur du film) la voyons pour ce que son image renvoie dans cette société d’artifice généralisé : un element tellement outrageusement visible qu’il en devient suspect. Incapable d’imaginer que cette figure puisse etre autre chose qu’une faute de gout de De Palma qui en toujours tendance a en faire trop dans le marquage de ses personnage. Cf la rousse a proximité.
En fait,non, c’est simplement un ange blanc apportanr la verité (nous ne le comprendrons que bien plus tard)

Deuxieme temps: sans surprise l’ange blanc est attaqué/sacrifié et se couvre de sang.
Ceci me rappelle la formidable nouvelle d’Ambrose Bierce, dont le titre m’echappe ici : pendant la guerre de secession, afin de démasquer les positions des tireurs ennemis, on envoie en exploration un cavalier blanc sur un cheval blanc, avancant tres lentement, en faisant le pari (gagnant) qu’au moins un tireur ne pourra ressister à une cible aussi belle. Le cavalier meurt bien sur mais les positions de l’enemie sont demasquées.
J’en reviens au film. Donc l’ange blanc est blessé et couvert de sang. On assiste a une double revelation. Pour le spectateur credule, le mechant est revelé : on avait bien vu que c’était un (mauvais) déguisement : c’est une brune aux cheveux court, figure intrigante par essence. Elle vole un vetement pour masquer sa marque maléfique et se fondre dans la masse. Elle court aux toilettes.
Mais en fait, on est au debut de Carrie : devant le lavabo, le sang de la vierge ne part pas!
La figure angelique et pure, blessée, decouvre sa vulnérabilité de creature terrestre ( dans quelle histoire suis je aller me fourrer !).
Pour le spectateur, le discours visible est limpide et tout autre: la figure malefique est demasquée et tente de se cacher.
Un indice pourtant devrait nous mettre la puce a l’oreille : la perte des lunettes. Accessoire emblématique du travestissement, les lunettes étaient en fait le seul element authentique de l’apparition initiale ! La creature les perd et deviens aveugle! Accentuant encore l’ecart entre recit apparent et recit caché. L’intrigante est sérieusement handicapée et ne tardera donc pas à etre apprehandée pense t’on. En fait, la chute de l’ange sur terre s’accompagne de la perte complete de reperes et de « vision »: le monde est devenu illisible : bienvenu parmi les humains.

Troisième temps: aveugle, acculée, la creature semble jouer de son arme originelle, retrouver son essence naturelle, celle de la prostituée corruptrice. sa cible est choisie au hazard : un homme marié obèse, qu’on imagine petri de frustration sexuelle, qu’elle seduit sans peine et détourne de son vice initial ( le jeu).
Mais là, plus d’ambiguïté pour le spectateur :le bien et le mal sont à sa poursuite dans le casino. Cet ultime travestissement n’est qu’un tentative désespérée de l’ange déchu pour sauver sa peau, en se moulant enfin, de guerre lasse, dans les apparats de son double maléfique.
Cet incroyable jeu de faux semblants, intrigue presque secondaire dans un disposif entierement dédié à l’apparence, porté quasi uniquement pas la puissance formelle du cineaste, est peut etre pour moi le meilleur du film.

Bien sur le parallèle est a faire avec la belle rousse. Mais la nature de cet autre « gyrophare » assis au 1er rang,
ne fait jamais aucun doute.

En resumé, grosse reevaluation 22 ans après.
En sortant de la salle à l’epoque, decu par le film, je m’etais tout de meme dit que Putain, De Palma c’etait quand meme le seul a avoir la puissance plastique des genies du muets. Mon verbiage ci dessus est une maigre tentative vingt ans plus tard t’en expliquer le pourquoi.

Le film n’est pas sans de multiples défauts (intrigue confuse : j’ai pas compris les raisons du meurtre, fin peu vraisemblable (j’apprend que ce nest pas celle prevue initialement). Peu importe: l’admirateur de De Palma trouvera la s’il en etait encore besoin des preuves supplémentaires du « genie » unique de ce grand cineaste et matières a une jouissance cinephilique intense.

Finalement c’est malheureusement son dernier grand film....
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Re: Snake Eyes (Brian De Palma - 1998)

Message par cinéfile »

Je n'ai pas résisté à l'envie de le revoir sur Paris Première l'autre soir.
A la différence de certains De Palma bien plus révérés, c'est vraiment un film que j'aime de plus en plus :D

Comme il a déjà été dit, une fois passée la découverte et en laissant de côté l'intrigue (fort classique, un prétexte), c'est un incroyable plaisir que de s'attarder sur l'abondance de détails (quasi tous contenu dans le faux plan-séquence initial), explorer le cadre et tout l'univers du film.
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D'ailleurs, je n'avais toujours pas remarqué ce plan de coupe furtif (en fait le premier voulu comme tel et qui rompt la fameuse séquence inaugurale), lorsque Cage reçoit le coup de fil de "la fille au numéro 7", l'aperçoit dans la tribune dans ce qui était jusqu'alors le contre-champ, et qu'on voit ni plus ni moins que le tireur au centre du cadre !!! A ce moment, Cage peut encore matériellement éviter le pire, mais on imagine son regard focalisé sur la pancarte de la fille sur la gauche du plan, et le nôtre avec lui. Argento avait fait la même chose dans Profondo Rosso où le visage de l'assassin est visible dans un reflet dès le début du film, ce que D. Hemmings met 2h à reconstituer.
C'est tout bonnement un petit précis du cinéaste (quasi toutes ses figures visuelles et plastiques habituelles y sont évoquées) mais avec ce petit quelque chose de plus resserré, conçis (le film fait 1h15 sans le prologue, l'intrigue est conçue comme une action en temps réel), de moins emphatique et de totalement jouissif dans l'exécution. A ce titre, la séquence de poursuite parallèle (Cage/Sinise) pour aller retrouver la fille dans la chambre d'hôtel est un très grand moment.

Je suis en outre de moins en moins gêné par le jeu outrancier de Cage, dont le rachat moral progressif s'avère plutôt touchant. Et j'adore vraiment Carla Gugino dans le rôle de la douce oie blanche.
El Dadal a écrit : 4 févr. 20, 18:25 C'est bien joli tout ça, mais pas un mot sur la partition absolument dantesque de Ryuichi Sakamoto, ça frise l'invalidation !
Grave ! Elle déchire ! Très Pinodonaggiesque d'ailleurs. Le petit leitmotiv musical entêtant me fascine.
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