Edouard Molinaro (1928-2013)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Boubakar
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Boubakar »

Jeremy Fox a écrit :Le dos au mur par Philippe Paul à l'occasion de sa sortie en Bluray chez Gaumont.
Très bonne surprise que ce premier film signé Molinaro, avec son premier quart d'heure quasiment silencieux, et un Gérard Oury très sobre.
D'ailleurs, excepté le miroir à deux faces, je ne l'avais guère vu en tant qu'acteur.

Dans son livre de mémoires, Molinaro regrettera toujours que sa carrière ait bifurqué vers des comédies plutôt que sur des œuvres plus personnelles, mais ce Dos dans le mur montre une carrière prometteuse.
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Bogus
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Bogus »

L’Amour en douce
Gros coup de cœur pour ce joli film.
J’ai eu un peu de mal à rentrer dedans mais rapidement le charme opère et on s’attache très vite aux personnages.
Allez savoir pourquoi je craignais que cette histoire de ménage à quatre (qui intervient finalement assez tard dans le film, en gros le dernier tiers) ne dérive vers du surréalisme à la Blier... or cette histoire est traitée de manière réaliste, simple et touchante, on y croit et en même temps c’est toujours assez original.
Emmanuelle Béart est sublime, lumineuse, émouvante tout comme Marielle qui campe un très beau personnage (ce plan sur son regard de chien battu quand au début du film Marc lui fait croire qu’il part dîner avec sa femme ça m’a brisé le cœur).
Comme c’est dit dans la chronique classique les dernières scènes sont superbes, à l’image du film, simples et belles, ça m’a presque tiré les larmes. :oops:
Très jolie bande originale.
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Kevin95
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Kevin95 »

Bogus a écrit : 18 oct. 20, 12:28 Très jolie bande originale.
Un film qui commence par une chanson de Daniel Auteuil ne peut pas avoir un mauvais fond.

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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par El Dadal »

Perso, je trouve qu'il s'agit d'un super morceau. Et faut pas oublier qu'Auteuil avait plus que poussé la chansonnette des années auparavant avec Godspell.
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Joshua Baskin »

El Dadal a écrit : 19 oct. 20, 11:04 Perso, je trouve qu'il s'agit d'un super morceau. Et faut pas oublier qu'Auteuil avait plus que poussé la chansonnette des années auparavant avec Godspell.
Evidemment j'acquiesce à tout ça.
Et l'amour en douce est l'un des mes Molinaro préférés. Et les nostalgiques des vidéo-clubs apprécieront.
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Kevin95
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Kevin95 »

Vous imaginez bien que je suis complétement d'accord avec vous messieurs.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Je ne résiste pas au "Faut qu'on se parle" de Marielle.
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Rick Blaine »

El Dadal a écrit : 19 oct. 20, 11:04 Perso, je trouve qu'il s'agit d'un super morceau.
Musicalement ça ne vaut pas grand chose quand même. C'est même plutôt de nature à faire saigner les oreilles. :mrgreen:
Mais ce morceau prend de la valeur avec le film, et comme je le disais dans le papier sur le site, quand ça revient dans le génrique de fin, ça en choque plus, le récit lui ayant donné une certaine épaisseur. Je vous rejoins, c'est un très beau film.
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Flol »

Rick Blaine a écrit : 19 oct. 20, 12:39
El Dadal a écrit : 19 oct. 20, 11:04 Perso, je trouve qu'il s'agit d'un super morceau.
Musicalement ça ne vaut pas grand chose quand même. C'est même plutôt de nature à faire saigner les oreilles. :mrgreen:
Je suis pas d'accord, c'est un bon petit rock n'roll, ça pulse bien.
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Jeremy Fox
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Jeremy Fox »

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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Jeremy Fox »

L’homme pressé – 1977

Le quarantenaire Pierre Niox (Alain Delon) collectionne les objets d’art. Pour assouvir sa passion, il parcourt le monde et vit à un rythme effréné, secondé par Placide (Michel Duchaussoy), son bras droit et ami. Toujours pressé, il n’a pas beaucoup de temps à consacrer à sa vie privée. Il tombe pourtant amoureux d’Edwige (Mireille Darc), la fille du propriétaire d’un mas provençal qu’il a acheté frauduleusement. Il l’épouse aussi promptement qu’il mène ses affaires et lui fait un enfant qu’il voudrait voir sortir plus vite qu’au bout des neuf mois prévus. Pour échapper aux délires de son époux, Edwige décide de disparaitre jusqu’à l’accouchement. Qu’à cela ne tienne, Pierre a d’autres chats à fouetter puisque le vase étrusque qu’il convoite depuis plus de 20 ans doit être prochainement mis aux enchères…

Alors que Pierre/Delon et son assistant/Duchaussoy sont en voiture, le second demande au premier un peu agacé de sa vitesse au volant : "Tu vas gagner quelques secondes, qu'est-ce que tu vas en faire ?" Sur quoi Pierre lui rétorque : "Des minutes !" Rien que par ce bref extrait du dialogue du film, on aura grossièrement cerné la personnalité du protagoniste principal, celui dont nous décrit le titre. Le temps de Pierre n’est pas le même que celui de la plupart de ses contemporains : pour lui des minutes équivalent à ce que représenteraient pour nous des journées ; bref, son quotidien n’est qu’une perpétuelle course contre la montre puisqu’il n’a pas de temps à perdre pour vivre pleinement son existence et ses passions. A travers cette adaptation du célèbre roman de Paul Morand publié durant la Seconde Guerre Mondiale, c’est un peu - aux dires de ceux qui le connaissent - un portrait de Delon lui-même que nous livre le réalisateur Edouard Molinaro. Mais tous ceux qui parlent de film atypique au sein d’une filmographie principalement tournée vers la comédie populaire devraient revenir un peu sur cette carrière bien plus éclectique qu’il n’y parait.

Car en effet, même si c’est Arsène Lupin contre Arsène Lupin qui l’a véritablement révélé au grand public il ne faudrait pas oublier qu’avant cette savoureuse comédie policière Molinaro avait débuté sa carrière par de véritables films noirs ou policiers d’une très belle tenue tels Le Dos au mur, Des Filles disparaissent, Le Témoin dans la ville ou encore le touchant La Mort de Belle avec un admirable Jean Desailly. A partir de la fin des années 60, il enchaine succès sur succès dans le domaine de la comédie en faisant tourner les plus grandes stars de l’époque tels Louis de Funès (Oscar et Hibernatus), Jacques Brel (le libertaire et jubilatoire Mon Oncle Benjamin et, avec pour partenaire Lino Ventura, L’Emmerdeur), ou encore les duos Michel Serrault et Jean Poiret dans l’adaptation de leur pièce La Cage aux folles (que Molinaro n’aimait d’ailleurs pas du tout), Jean-Pierre Marielle et Annie Girardot dans Cause toujours… tu m’intéresses et même Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart dans le sympathique L’amour en douce. Tout n’a pas forcément aussi bien vieilli mais il ne faudrait pas oublier qu’entre ces hits du box-office et ces titres reposant sur des vedettes de l’époque, il tournera aussi des films aussi étonnants que L’ironie du sort qui annonce - dans un ton certes totalement différent - Smoking no Smoking d’Alain Resnais dans sa manière de construire un récit à la manière de ‘et si ce personnage avait réagi de telle sorte au lieu de telle autre, qu’en serait-il advenu ?’ D’autres réussites tardives sont à mettre à son actif et notamment Le Souper avec Claude Brasseur et Claude Rich ainsi que Beaumarchais l’insolent dans lequel il fait tourner Fabrice Lucchini.

Tout ça pour dire qu’avant de repousser d’un revers de main le talent de Molinaro, mieux vaudrait jeter un coup d’œil plus large sur l’ensemble de sa carrière. Et L’homme pressé nous est donné à voir pour nous conforter dans l’idée qu’il pouvait même à l’occasion se révéler extrêmement inspiré, parvenant par le savoir-faire de sa mise en scène à rendre cette impression de vitesse permanente que provoque dans son sillage le protagoniste titre. Il suffit d’ailleurs d’admirer la longue séquence muette pré-générique pour se persuader de son aisance de réalisateur. C’est en 1977 qu’Alain Delon lui propose de mettre en scène le film sur les conseils de Mireille Darc qui avait tourné pour lui dans Le Téléphone rose deux ans plus tôt. Le scénario est coécrit par Maurice Rheims (auteur et célèbre commissaire-priseur) assisté de Christopher Frank qui avait déjà travaillé pour Delon et qui réalisera dans les années 80 quelques films aujourd’hui oubliés mais pourtant hautement recommandables à commencer par le poignant Josepha avec Miou-Miou, Claude Brasseur et Bruno Crémer. Le dialogue et l’écriture de L’homme pressé s’avèrent aussi brillants que culottés ; il en fallait effectivement de la dextérité pour parvenir sans nous le rendre détestable à croquer le portrait d’un homme de prime abord aussi arrogant, égoïste et misogyne que l’est Pierre Niox ; un collectionneur d’art qui vit à 100 à l’heure, enchainant acquisitions d’objets comme de conquêtes féminines, le plus souvent des prostitués, ‘plus faciles à gérer’. Dans sa recherche d’objets toujours plus rares, c’est plus le jeu de l’acquisition qui le motive que leurs valeurs : une fois en sa possession, ces œuvres d’art finissent vite par le lasser, auquel cas il les remets en vente pour s’en procurer d’autres.

Pourquoi sa relation avec Edwige sera plus sérieuse qu’avec les autres femmes ? C’est probablement car il croit avoir trouvé un caractère presque aussi fort que le sien, ayant même réussi à lui résister et à lui tenir tête. Car sa première rencontre fut lorsque la jeune femme vient le prévenir qu’elle lui intentait un procès pour avoir grugé son père dans l’achat de sa villa alors qu’il était sur le point de mourir, sans prévenir ses héritiers et avec quelques pots de vin pour ses serviteurs afin qu’ils gardent le silence. Même si elle l'aime et l'admire au point d'avoir accepté sa demande expresse en mariage, Edwige (parfaite Mireille Darc) se rendra néanmoins assez vite compte comme les autres que lui est incapable de véritablement aimer quelque chose ou quelqu’un. Il en fallait du talent pour rendre attachants des personnages aussi peu recommandables ; et on le retrouve à tous les niveaux, aussi bien du côté de la mise en scène (contrairement à ce que beaucoup contestent) que de l’écriture et bien évidemment aussi chez les comédiens. Les 70’s sont la décennie la plus riche pour Alain Delon et l’on ne compte plus les immenses films voire chefs d’œuvre qu’il a tourné durant cette période. Rien qu’entre 1975 et 1977, outre ce superbe film de Molinaro, on peut dire la même chose de Flic Story de Jacques Deray, Le Gitan de José Giovanni, Monsieur Klein de Joseph Losey et Mort d’un pourri de George Lautner. Le comédien était à son apogée et L’homme pressé au travers son histoire annonce malheureusement un peu son déclin, tout du moins dans le choix de ses films, même s’il en tournera encore beaucoup d’excellents. Son charisme et son génie emportent le morceau sans néanmoins cacher le brio du formidable Michel Duchaussoy qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles, celui de cet associé plein de bon sens qui canalise les excès de Pierre, les relations d’amitié entre lui et son ‘patron’ s’avérant extrêmement touchantes.

L'Homme pressé aborde avec une certaine légèreté les thèmes de l’absurdité et de l’obsession du désir de vitesse dans notre monde moderne (le film est d'ailleurs toujours autant d'actualité), de l'immense pouvoir de l’argent, et des passions dévorantes qui peuvent être sources d’un égoïsme excessif (voire la séquence qui rappelle celle du Fountainhead de King Vidor, leurs protagonistes respectifs faisant passer l’intérêt collectif après leur droit de propriété et de liberté, Gary Cooper détruisant un de ses immeubles par le fait de ne pas lui convenir, Pierre préférant raser un édifice patrimonial plutôt que de le savoir ne plus lui appartenir : "le patrimoine national, je l’emmerde"). Il trace le portrait d’un homme hors du commun aussi arrogant, amoral et insatiable que bouleversant et fascinant qui veut vivre plus intensément que tous ceux qui l’entourent, décrit une course contre la montre à la fois drôle et tragique portée par un thème musical entêtant et mélancolique écrit par Carlo Rustichelli qui annonce d’emblée un final qui pourrait être tragique. Malheureusement le film sera un échec commercial. Il est toujours le temps de constater qu’il fut totalement injustifié en redonnant une chance à cette comédie dramatique qui fera aujourd’hui certainement grincer quelques dents mais qui se révèle aussi brillante qu’attachante, toute en mouvement, sans la moindre graisse, aussi truculente, frénétique, elliptique et énergique que son antihéros.
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Supfiction »

Jean-François Houben a écrit : 8 déc. 13, 08:53 Vivement la diffusion sur une chaîne cinéma thématique voire l'édition DVD d'un des films préférés de Molinaro, La Mort de Belle.

Rarement diffusée à la télévision française (1970,1981,1994...), cette adaptation d'un roman de Georges Simenon par Jean Anouilh, soutenue par une musique de Georges Delerue, est, selon l'appréciation du critique Jacques Siclier (décédé il y a un mois), "essentiellement une étude de caractère (...) La réalisation de Molinaro est excellente. La caméra décrit et explicite, à petites touches, petits détails bien observés, le comportement des personnages, donnant une équivalence fidèle du roman de Simenon" (Télérama, 19/9/1981).

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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Jeremy Fox »

Philippe nous propose la chronique de La Mort de Belle
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Jeremy Fox »

Chronique de L'homme pressé
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par Profondo Rosso »

Le Dos au mur (1958)

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Une nuit, l’industriel Jacques Decret s’introduit dans l’appartement d’un jeune comédien. Il en ressort avec son cadavre, qu’il va ensevelir dans un mur en construction de son usine. Qu’est-ce qui a poussé cet homme à un tel geste ? Trois mois plus tôt, il découvrait que son épouse Gloria le trompait avec le jeune homme. Une idée va germer dans l’esprit de Decret. Une vengeance machiavélique qui va le mener bien plus loin qu’il ne le pensait.

Edouard Molinaro est resté célèbre au sein du cinéma français pour ses nombreux succès commerciaux dans la comédie durant les années 60, 70 et 80. Il y dirige les plus grandes stars françaises du genre (Louis de Funès sur Hibernatus (1969), Jacques Brel et Lino Ventura dans L’Emmerdeur (1973), Pierre Richard dans A gauche en sortant de l’ascenseur (1988)) et devient un spécialiste dans l’adaptation théâtrale à succès comme Oscar (1967), La Cage aux folles (1978) et ses suites. Ce corpus laisse dans l’ombre un pan plus sombre et personnel de sa filmographie, notamment ses remarquables débuts placés sous le signe du film noir avec des réussites comme Un Témoin dans la ville (1959), Des femmes disparaissent (1959), La Mort de Belle (1961). Le Dos au mur, sa première réalisation, est un brillant témoignage de ce pan de sa carrière.

Le film s’avère un remarquable mariage entre l’influence formelle du film noir américain et un contexte social français qui lui évite toute accusation de redite. La fabuleuse scène d’ouverture est emblématique du genre en montrant la silhouette de Jacques Decret (Gérard Oury encore acteur) et son visage impassible quitter sa demeure, appuyé par une note tonitruante du score de Richard Cornu. Cette ponctuation sonore marque la gravité des évènements à venir avant que la longue séquence se fasse entièrement silencieuse pour nous montrer Decret s’introduire chez un homme, le tuer (du moins le croit-on) et évacuer discrètement son corps qu’il va ensevelir dans les murs d’une usine en construction lui appartenant. Un gros plan sur son visage défait au volant enchaîne avec celui plus paisible qu’il arbore dans la même position, trois mois plus tôt, amorçant un flashback qui va nous faire comprendre son geste.

Rentrant plus tôt d’une partie de chasse, il surprend son épouse Gloria (Jeanne Moreau) avec son amant Yves Normand (Philippe Nicaud), jeune comédien sans le sou. Point de scandales ou de scènes de ménage, Decret bafoué dans son amour-propre va préparer une vengeance bien plus méticuleuse et machiavélique. Se faisant passer pour un maître-chanteur à travers une lettre anonyme, il menace les amants de tout révéler et observe au quotidien les effets de ses actes sur l’humeur de Gloria. La seule quête de revanche n’est guère satisfaite par la désinvolture de Gloria poursuivant sa liaison, ce qui va pousser Decret à aller plus loin, trop loin. L’aspect plus « français » du récit consiste dans son observation du rapport de classe, de la dimension de couple dans la haute bourgeoisie. Decret semble se considérer indigne d’une simple dispute conjugale et veut, par fierté et dépit amoureux briser l’union des amants pour les humilier et ramener à lui son épouse repentante.

Il y a une forme de comédie de mœurs très amusante dans la manière dont Decret observe à distance la détresse progressive de Gloria et Yves. Decret s’amuse sournoisement à coincer son épouse dans leur quotidien, souligne la détresse qu’il devine en elle par nombre de monologues intérieurs sarcastiques en voix-off. Tout cela masque pourtant une profonde détresse qui le voit plusieurs fois sortir de son « rôle » comme lorsqu’il s’excite en croyant que Gloria s’apprête à lui avouer sa faute. Ce qui sépare et rapproche à la fois Decret de Gloria, c’est sa nature de grand bourgeois. Dans un premier temps Molinaro fait le parallèle entre les dîners mondains qu’organise chez lui Decret avec les étreintes tendres de Gloria et Yves dans son modeste appartement parisien. Gloria fuit les premiers pour les seconds au sein desquels elle ne retourne que par obligation, convenance, sous l’œil furibond de son mari sachant d’où elle vient. La confrontation entre cette bourgeoisie et les milieux populaires est au cœur du récit, Decret usant de son statut pour plier tous les individus à son stratagème. Un brillant rebondissement voit notre héros menacé par des petites frappes chargées de démasquer le maître-chanteur, et le phrasé aussi assuré que raffiné de Decret ainsi que l’évocation de son statut social suffit à écraser et acheter ses agresseurs potentiels. Cette « supériorité » sociale va lui permettre de semer le doute entre les amants. Si le bourgeois peut avancer découvert tant qu’il paie, le prolo a forcément une combine en tête, guidé par les mauvais penchants naturels de son statut social. C’est une graine que Decret va faire pousser dans l’esprit de Gloria qui va alors douter de son amant. Malgré ses sentiments, elle n’en reste pas moins une bourgeoise avec ses préjugés qu’un rien suffira à raviver.

Avec son alternance entre la grande, vide et froide demeure nantie du couple légitime avec les espaces plus populaires traversés par le couple illégitime (bars, cafés), Molinaro tisse habilement ce schisme , notamment grâce à la photo tour à tour stylisée (et n'ayant rien à envier au film noir américain) puis plus ordinaire de Paul Lebfevre. C’est aussi le cas de manière plus grossière mais amusante avec le couple formé par le détective privé (Jean Lefebvre) et son épouse volage (Colette Renard) qui au contraire n’a aucun scrupule à assumer qu’elle le trompe. Ce jeu pervers nous emmène vers une conclusion tragique et implacable qui donne une lecture légèrement différente à la scène d’ouverture, et marie avec une grande intensité la facette thriller et celle du drame. 4,5/6
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Re: Edouard Molinaro (1928-2013)

Message par cinéfile »

Profondo Rosso a écrit : 22 sept. 23, 02:29 Le Dos au mur (1958)
J'avais découvert certains Molinaro des débuts (en gros sa période policière) il y a quelque temps et celui-ci m'avait particulièrement emballé. Dommage qu'Oury ait arrêté de faire l'acteur si tôt, il était splendide là-dedans.

La Mort de Belle, cité plus haut, s'avère aussi être une belle réussite où Desailly se montre éblouissant (on aurait voulu qu'il fasse plus souvent des premiers rôles comme dans ce Molinaro ou La Peau Douce par exemple). Chabrol avait choisi Michel Bouquet à la fin des années 1960 pour incarner la figure du bourgeois tourmenté, mais Desailly aurait été un bon candidat également.

Le Dos au mur part d'une idée de série noire pour glisser petit à petit vers le drame criminel, là où La Mort de Belle l'est plus franchement d'un bout à l'autre. Ce dernier m'avait un tantinet déçu sur la fin avec son issue "sur-dramatisante" qui plombe un film par ailleurs remarquable.

Un témoin dans la ville est sur mes tablettes pour une découverte prochaine.
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