Kiyoshi Kurosawa

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Votre préféré du cinéaste ?

Cure (1997)
16
36%
Serpent's Path (1997)
0
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License to live (1998)
2
5%
Charisma (1999)
0
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Séance (1999)
0
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Kaïro (2000)
16
36%
Doppelgänger (2002)
0
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Jellyfish (2003)
0
Aucun vote
Loft (2007)
0
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Rétribution (2007)
2
5%
Tokyo Sonata (2008)
8
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Flol
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Flol »

cinephage a écrit :
Mama Grande! a écrit :
J'ai beaucoup apprécié. Un film de revenants finalement assez classique, mais qui se demarque par sa sobriete emouvante.
Très amateur également, le film est assez touchant, et je reste admiratif du travail de Kurosawa sur le cadre.
Même chose. Il n'est pas impossible de s'assoupir, mais c'est tout de même très beau.
Anorya
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Anorya »

Le secret de la chambre noire (Kiyoshi Kurosawa - 2017)

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Stéphane, ancien photographe de mode, vit seul avec sa fille qu'il retient auprès de lui dans leur propriété de banlieue. Chaque jour, elle devient son modèle pour de longues séances de pose devant l'objectif, toujours plus éprouvantes. Quand Jean, un nouvel assistant novice, pénètre dans cet univers obscur et dangereux, il réalise peu à peu qu'il va devoir sauver Marie de cette emprise toxique.


"La photographie ne crée pas, comme l'art, de l'éternité, elle embaume le temps, elle le soustrait seulement à sa propre corruption."
André Bazin


WARNING SPOILERS !

(c'est bien la première fois que je préviens d'emblée au lieu de bazarder le tout de balises spoilers tiens :oops: :mrgreen: )


Fantômatiques photographies


La beauté sublime du dernier Kurosawa (la photo d'Alexis Kavyrchine est très belle oui, faisant ressortir les anciens lieux, mettant en creux les endroits supposément plus modernes) ne cache pas derrière les apparences une richesse et une complexité qui rassure sur l'exportation d'un cinéaste hors de chez lui. Si pour nous occidentaux, le dernier film de Kiyoshi Kurosawa perd un peu d'exotisme en venant en France, il démontre que le cinéaste garde sien ses thématiques de fantômes contemporains plus beaux et tragiques que dans d'autres productions horrifiques nippones. Avec Le secret de la chambre noire, le cinéaste se permet de revisiter élégamment à la fois son cinéma et de livrer un bel hommage tant à la France qu'à la photographie, justement dans le pays qui l'a vit naître avec ici les daguerreotypes.


Tout le film peut se voir comme une histoire d'emprise à chaque fois. Emprise de l'Art au détriment de la vie, du passé plus méticuleux et éprouvant face au moderne plus facile et convenu. Emprise de la photographie sur deux femmes comme sur deux hommes à travers le temps. Mais surtout emprise de la photographie sur tout le film et son traitement. On peut légitimement parler d'Impression fantomatique comme on imprègne la plaque argentique qui ici, devient aussi finalement une impression mentale. Plus le film avance et plus le traitement du temps de pose imposé à Marie (Constance Rousseau, magnifique révélation) semble infuser le film et donc de plus en plus les fantômes qui envahissent de plus en plus l'image.


Dans Kaïro se nichait cette superbe scène où l'on attestait de la consistance physique et pourtant impossible d'un fantôme qui se rapprochait d'un être humain pour fatalement le toucher et affirmer son existence tout en paradoxalement condamner de fait la victime. Dans une scène en miroir ici, Olivier Gourmet se rapproche du fantôme de sa femme (du moins le croit-il, le film joue subtilement de cette ambiguïté entre folie et hallucination, ouvrant chaque fois une porte tangible entre chaque hypothèse : est-ce un courant d'air qui fait bouger ces lampes en pleine serre ou bien y a t'il une présence non palpable ? Même des clins d'oeils sont adressés aux Kiyoshikurosophiles avec ces plans où un miroir et donc un arrière plan est toujours constatable dans l'image et où comme dans Kaïro l'on s'attend à quelque chose venant justement d'un fond inidentifié de l'image et en fait...). Celle-ci est cachée derrière une table dans la pénombre, le visage invisible. Mais au moment où Gourmet va la toucher, un contrechamp nous révèle qu'elle n'est déjà plus là mais déjà en train de grimper l'escalier sans aucun bruit, à droite de l'image.

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Dans une autre scène, le cinéaste à nouveau revisite les fantômes de Kaïro et Retribution. Cette fois le fantôme de la femme aimée s'approche d'un Gourmet tétanisé. Le déplacement est à nouveau ralenti, flottant, hors-monde. La robe et les cheveux se soulèvent, planent. Mais au fur et à mesure que la femme-fantôme se rapproche, la lumière se fait sur son visage. Lumière du révélateur sur le produit, lumière de la vision de Gourmet pour qui le fantôme semble comme l'image qui apparaîtrait et se développerait, s'imprimerait sur le papier-photo de la réalité. Mais le visage est trop baigné de lumière, trop près, trop flou. La face congestionnée et paralysée n'en devient que plus inquiétante, entre visage de mort annoncée et futur réconfort pourtant (le plan d'après, large et en extérieur, témoigne que le fantôme est presque agenouillé sur son ancien mari) de cette âme tourmentée.


Vers l'autre rive


Tout le film aborde dans son dispositif un voyage vers un autre-monde, ou plutôt entre la réalité et un entre-mondes. C'est le trajet que fait constamment Jean, de Paris et ses constructions urbaines toujours plus envahissante en RER jusqu'à un coin reculé presqu'en campagne et où toute technologie récente est presque bannie. Ainsi le téléphone, objet crucial est à l'étage et non dans le plan de travail poussiéreux du photographe, lequel n'a lui-même visiblement pas de portable. Et quand bien même, le téléphone ne semble qu'à ouvrir la grille du portail. Jean lui-même se coupe de plus en plus, ne regarde ni n'utilise son téléphone portable, prétextant lâchement à un ami qui lui trouve la mine défaite et très fatiguée en plus qu'on ne le voit plus que "sa batterie est déchargée" d'où qu'il ne reçoit plus rien.


C'est Constance qui vit une vie presque recluse, timide, effacée parce que son imposant père a trop besoin d'elle comme modèle photo afin de perpétrer les photographies déjà prises du temps de la mère. C'est l'emprise de ce père pourtant absent envers les devoirs naturels de parent avec sa fille, trop absorbé par le regret et la disparition de son épouse comme absorbé par la photographie au point de tout lui sacrifier.

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On glisse dans un autre temps annoncé tant dans les dialogues (la remarque de Marie sur son père qui en finit par confondre les morts et les vivants, la photo et le réel) que la mise en scène onirique brillante de Kurosawa qui, avec peu de moyens, surprend toujours constamment. Ce sont ces cadrages, toujours impeccables, qui donnent à réfléchir au spectateur, surtout comme la majeure partie du temps un miroir (objet qui ne fait que réfléter une certaine apparence) occupe la moitié du cadre ou que les personnage n'occupent qu'une partie d'un espace souvent un peu délabré. Et les KiyoshiKurosawaphiles savent que c'est toujours dans ces espaces inoccupés que quelque chose survient. C'est cet appartement étrange et vide de Retribution, cette pièce où roule un bouchon de bidon d'essence dans Kaïro, ce plan final de Cure où l'on se prend à guetter une serveuse...


Ici il y a cette scène très simple en apparence mais portée par la mise en scène du maître et la performance d'un Gourmet pour une fois assez calme. Ce dernier donc a entendu la voix de sa femme disparue. Il se lève de son bureau. Fait le tour de celui-ci puis regarde lentement à la fenêtre. Stupeur. Estomaqué, il recule lentement avant de revenir à la fenêtre. Par caméra subjective (encore un choix judicieux qui entérine plusieurs hypothèse entre ce qui est perçu, ressenti et vécu sans qu'on ne puisse trop faire la part des choses), on voit le jardin au loin et sa femme morte, dans une somptueuse robe bleue anachronique. Mais l'image est légèrement déformée et flottante à cause du verre (quadrillé en plusieurs cubes) de la fenêtre. Kurosawa n'a dès lors qu'à effectuer un léger travelling pour que ce qui est perçu semble comme flotter un instant. La magie du cinéma fait le reste.


Et puis évidemment le final qui confirme ce que le spectateur et Kurosophile se doutait vers le milieu du film et qui, tragique réalité manque de percer à ce moment là l'esprit embrumé de Jean mais que ce dernier se refuse encore à accepter à ce moment là (ce n'est même pas un twist, on sait précisément ce qui se passe mais l'on persiste à vouloir comme Jean que quelque chose ne se soit pas passé). Un beau film fascinant d'un romantisme noir parfaitement adaptable du réalisateur en terre étrangère. Et là aussi un film moins mineur qu'on le croit à nouveau, il y aurait encore beaucoup à défricher (tiens l'urbanisme et les zones délabrées/en construction là encore qui fait écho à d'autres films du maître). Totale réussite sur tous les plans (la bande originale est sublime aussi) et l'impression de plus en plus persistante d'avoir à nouveau vu un grand crû du bonhomme qui n'a pas à rougir parmi ses films japonais.
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Demi-Lune
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Demi-Lune »

Il est déjà retiré de l'affiche un peu partout... dommage, j'aurais été curieux de le voir, même s'il n'a pas forcément bonne presse.
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Flol
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Flol »

Je l'ai loupé aussi mais je vois qu'il passe encore à l'Arlequin près de Montparnasse. Ça se tente.
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Anorya »

Demi-Lune a écrit :Il est déjà retiré de l'affiche un peu partout... dommage, j'aurais été curieux de le voir, même s'il n'a pas forcément bonne presse.
Demi-Lune en 2017, année de la raclette. :fiou:
Tu me fais un peu peur de plus en plus tu sais ? Pas d'avis sur le dernier Jessica Chastain, tu loupes le Kiyoshi Kurosawa et côtés films c'est toujours pas la joie. Faut se reprendre Paul, tu couves quelque chose. :o :mrgreen:
Ratatouille a écrit :Je l'ai loupé aussi mais je vois qu'il passe encore à l'Arlequin près de Montparnasse. Ça se tente.
C'est marrant, de plus en plus L'Arlequin reste associé pour moi à Kiyoshi Kurosawa. C'est là bas que j'y avais vu les deux parties de Shokuzai et quelques années plus tôt encore Tokyo Sonata.

Bon moi hier soir c'était l'UGC les Halles et la salle remplie de gens de tous âges dont une bonne partie venue se faire chier grâce au printemps du cinéma. :D
C'est un peu comme si tu avais des séances gratuites pour Silence et que des mères de familles y allaient en masse pour leurs mômes. Ou du moins ça me rappelle quand Cronenberg racontait les projections-tests de Videodrome : le gros bordel avec même des gens venus s'abriter dans le cinéma à cause de la pluie. Ben moi hier j'avais les jeunes venus voir un film qui s'adresse essentiellement aux cinéphiles ou aux fans du réalisateurs, pas à un public lambda qui trouve les plans trop lents/longs, que ça fait pas peur etc etc. Pitié.
Dernière modification par Anorya le 22 mars 17, 12:16, modifié 1 fois.
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Flol »

Sinon, j'ai entendu il y a quelques semaines qu'un coffret Kurosawa venait de sortir (ou allait sortir) mais impossible d'en trouver la trace sur l'internet.
Quelqu'un en saurait plus là-dessus ?
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Jack Carter »

Ratatouille a écrit :Sinon, j'ai entendu il y a quelques semaines qu'un coffret Kurosawa venait de sortir (ou allait sortir) mais impossible d'en trouver la trace sur l'internet.
Quelqu'un en saurait plus là-dessus ?
exclu fnac, dvd only, avec un inedit (Seventh Code) :wink:
http://video.fnac.com/a10285569/Kiyoshi ... 0k&ct=&t=p
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The Life and Death of Colonel Blimp (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1943)
Anorya
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Anorya »

Ratatouille a écrit :Sinon, j'ai entendu il y a quelques semaines qu'un coffret Kurosawa venait de sortir (ou allait sortir) mais impossible d'en trouver la trace sur l'internet.
Quelqu'un en saurait plus là-dessus ?
Il suffit de demander. ;)

Edit : merci jack :shock: :o
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Gounou »

Lâcher 90€ pour du DVD, c'est un saut que personnellement je ne peux plus faire. Dommage.
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Jack Griffin
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Jack Griffin »

Prix abusif
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Flol »

Gounou a écrit :Lâcher 90€ pour du DVD, c'est un saut que personnellement je ne peux plus faire. Dommage.
Tu m'étonnes. Le coup de frein, là (d'autant plus qu'à 90%, ce sera de la découverte).
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Anorya »

Jack Griffin a écrit :Prix abusif
Surtout que pour les fans du réalisateur, à part Seventh code (que comme par hasard on ne sort pas à l'unité :evil: ), pas trop d'inédit, tout se trouvait déjà depuis un moment en zone 2.
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cinephage
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par cinephage »

J'aurais pris pour un basculement en bluray, mais j'ai déja tous les dvds, et racheter le coffret juste pour le film inédit est hors de question...
J'espère qu'ils le sortiront à l'unité, celui-là.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Demi-Lune »

Anorya a écrit :Tu me fais un peu peur de plus en plus tu sais ? Pas d'avis sur le dernier Jessica Chastain, tu loupes le Kiyoshi Kurosawa et côtés films c'est toujours pas la joie. Faut se reprendre Paul, tu couves quelque chose. :o :mrgreen:
Le Kurosawa n'est pas passé au MK2 Bibliothèque, c'est pour ça que je l'ai loupé. Après, j'avoue que j'ai eu la flemme de traverser la Seine et d'aller à l'UGC Bercy.
Miss Sloane, c'est pour bientôt.

Voilà. C'était la minute 3615 My Life.
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Thaddeus
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Re: Kiyoshi Kurosawa

Message par Thaddeus »

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Cure
Si le scénario de cette plongée en eaux troubles relève du polar, la mise en scène est celle d’un film d’horreur, fondé sur la peur de la contamination. La pénombre, préservée dans chaque recoin de l’image, y crée une atmosphère de cauchemar automnal. Le plan y est dépouillé, ses teintes oscillent du brun au gris, sa composition s’organise selon des logiques obscures. C’est par sa crispation phobique qu’il génère comme un effet de transe hallucinatoire ; l’hypnose est une explication qui renforce le mystère, le fait résister à toutes les grilles de lecture. Brodant en virtuose sur les thèmes des personnalités instables, de la dépendance mentale, de la manipulation occulte, Kurosawa signe un puzzle insidieux dont le fantastique naît de la dégénérescence des rapports liant l’homme et les choses. Fascinant. 5/6

Charisma
Comme souvent chez Kurosawa, le film part du terreau fertile qu’est l’enquête policière pour s’enfoncer dans la forêt touffue de l’inconscient japonais. Ici pas de serial-killer malingre mais un arbre dont les propriétés (peut-être) maléfiques polarisent magnétiquement une communauté, et qui concentre la fascination d’un jeune homme dévoué à sa sauvegarde et d’une scientifique prête à tout pour le détruire. Partie étrange, filant la métaphore dendrologique pour mieux capter la dimension inquiétante et carnivore de la nature, l’indifférence fondamentale d’un écosystème aux règles à la fois rigoureuses et imprévisibles, et autour duquel s’organise tout un jeu de discours, d’attitudes, d’attitudes et de contradictions. Difficile de saisir le sens de cet objet clos et abstrait, opaque et déconcertant. 4/6

Kaïro
Un mal mystérieux se propage dans Tokyo déserté, le virus contamine les vivants par l’intermédiaire du réseau informatique, les plongeant dans une aphasie incurable et suicidaire. Des vapeurs mortifères sortent des petits écrans familiers, viennent à la rencontre des rescapés dans une pâle lumière d’aquarium zébrée de rouge – rubans adhésifs ou flammes d’une mégalopole livrée au chaos. C’est la solitude extrême dans laquelle nous enferme l’ère de la communication immédiate et planétaire que dénonce Kurosawa, et son film de terreur au ralenti provoque un étrange engourdissement, entretient avec le spectateur un rapport aussi elliptique qu’entre les personnages. Mais si certaines séquence sont véritablement flippantes, l’ensemble m’apparaît trop dépouillé, trop diffus pour convaincre. 3/6

Jellyfish
Plus sociale que les films fantastiques par lesquels l’auteur s’est fait connaître, cette fable très lente, très obscure et très emmerdifiante expose un monde uniforme où l’irradiation lumineuse de la méduse élevée par les personnages souligne encore davantage sa différence. Le rythme confine à la progression en territoire ennemi d’un gastéropode sous Xanax, rendant amorphe l’opposition d’une adolescence qui ne croit plus en rien face à un troisième âge pour qui seule compte l’humilité du travail bien fait, cette valeur-phare qui a construit le Japon moderne. En ornement, une myriade de métaphores nébuleuses dont il est permis de n’entrevoir goutte, quelques fringues et coupes de cheveux top fashion, plusieurs moues de rigueur et une histoire qu’on cherche toujours lorsque défile le générique final. 2/6

Rétribution
S’il est un adjectif qui définit le cinéma de Kurosawa, dans tous les sens du terme, c’est bien spectral. Chaque élément, des ambiances vaporeuses à la contamination des images par des outre-mondes inquiétants, conduit à l’impression étrange d’une réalité en doublure de la notre. Dans cette enquête policière pleine de directions tronquées et de pistes inabouties, où le décor de Tokyo devient consubstantiel d’une introspection engourdie par l’oubli et la culpabilité, les fantômes constituent les ombres vengeresses d’un passé sinistre. L’enjeu est donc abstrait, symbolique, mais il est transcendé par l’angoisse latente infusée dans les plans, par l’esthétique ténébreuse d’une image zébrée d’un rouge d’enfer, par le poids d’une trajectoire individuelle minée par une solitude, un abandon tout contemporains. 4/6

Tokyo sonata
S’il n’œuvre plus dans un cadre surnaturel, le réalisateur n’en demeure pas moins fidèle à un style rigoureux fait d’abstraction et de ténuité, et ne lorgne rien sur la dimension anxiogène de son cinéma. On pourrait dire qu’après le film de genre, c’est à la chronique à la Ozu qu’il s’intéresse, en lui administrant sa dose très personnelle de distanciation feutrée, amortie par tout un travail de filtrage émotionnel. Le propos n’en est que plus percutant, qui analyse avec lucidité les ravages de la mondialisation économique, balaie sans états d’âme le socle familial japonais qu’on croyait solide et soumet chaque personnage à un traitement de choc – chômage, échec, adultère. Parcours cruel mais sans doute nécessaire, comme le sous-entend une réconciliation finale au goût de sérénité retrouvée. 4/6

Shokuzai : celles qui voulaient se souvenir
Comme dans son précédent film, Kurosawa tente de capter les angoisses et les hantises du Japon contemporain en injectant des touches d’inquiétante étrangeté à une intrigue qui ne recourt jamais au fantastique. L’ambition est louable et se transforme ponctuellement à la faveur d’une lumière blafarde, d’un surgissement de cruauté, d’un visage fermé réprimant tantôt la colère, tantôt la détresse, tantôt la folie. Mais pour l’essentiel, Kurosawa manque assez largement son sujet et ne s’en tient, le long d’une structure chapitrée vite lassante, qu’à une petite explication de texte au cas par cas sur le thème "Le traumatisme pour les nuls". Et si l’on ne peut lui reprocher du tuer le suspense dès le début, la lourdeur illustrative de ses intentions est plus difficilement pardonnable. 3/6

Vers l’autre rive
Kurosawa et les fantômes, une fois de plus. Mais le sujet est ici abordé par un autre versant, lumineux, bienveillant, apaisé. C’est évidemment la question du deuil qui est problématisée, le long d’un road movie à travers la province du Japon où s’ouvrent constamment la possibilité d’une rencontre, l’opportunité d’un rapprochement, l’occasion d’une victoire, si minime soit-elle, sur la détresse et l’appel de la mélancolie. Il y a quelque chose de foncièrement séduisant dans l’approche minimaliste du cinéaste, une aptitude à ouvrir tout un mille-feuille de sensations infimes, de présences suggérées, de réconciliations en attente, qui apportent à son fantastique une poésie et un humanisme bienvenus. En résulte un joli film très doux, simple mais profond, sans doute le plus touchant que j’aie vu de lui. 4/6

Creepy
En renouant avec la généalogie tout à fait claire du serial killer-movie, le cinéaste démontre à nouveau que son travail ne tient pas de la déformation mais de la modification du familier, d’abord insensible, finalement assourdissante, entre vampirisation et retournement de la relation liant l’individu au monde. Il ne s’appuie pas sur les effets-choc mais choisit de suggérer, préfère diriger le spectateur plutôt que l’agresser, et soumet son regard à une expérience des limites (le vide, le trop-plein, le détail qui en vient à tout recouvrir) au cours de laquelle le doute conserve toujours une place essentielle. Même verrouillée par charpente narrative très prévisible, cette peinture anxiogène de l’arrière-monde tapi sous la tranquillité des banlieues nippones témoigne de son aisance à créer des climats oppressants. 4/6

Avant que nous disparaissions
Où le cinéaste reprend à son compte les traditions SF de l’invasion extra-terrestre et de la population insidieusement bodysnatchée, avec option fin du monde comme ultime menace. Il opte surtout pour la radicalité un brin abstraite d’un regard critique vers la base : tout apprentissage de l’humanité rabat forcément cette dernière sur ses éléments premiers. Que devient-on lorsque les notions de famille, de propriété, de travail, d’autrui ou d’amour sont dérobées par télépathie, effacées de la conscience ? Ainsi livre-t-il peut-être son opus le plus conceptuel, mais – écueil collatéral et souci majeur – il échoue à donner vraiment corps à ses idées, comme si le film, étrangement composite dans ses ruptures de ton, n’était lui-même que l’ersatz désincarné d’un autre devenu pure empreinte ou simple fantôme. 4/6

Les amants sacrifiés
D’aucuns estimeront qu’avec cette histoire d’espionnage à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur désinvesti verse dans une luxueuse production de prestige. Mais le brio consommé avec lequel il dresse le double portrait complexe d’un homme et d’une femme engagés dans un destin politique et amoureux tient aux rebondissements du récit autant qu’aux ressources d’une mise en scène qui confronte les plans à de fantomatiques virtualités. Entre idéalisme et duplicité, suspicion et manipulation, le film organise ainsi un jeu d’échecs psychologique assez retors qui, en maintenant jusqu’au bout le principe d’incertitude poussant chaque personnage à risquer la trahison au nom de va-leurs qui le confortent dans ses sentiments, étudie la distance entre les actes et la conscience qui les détermine. 4/6
Top 10 Année 2020


Mon top :

1. Cure (1997)
2. Rétribution (2006)
3. Les amants sacrifiés (2020)
4. Tokyo sonata (2008)
5. Creepy (2016)

Un style très reconnaissable, un corpus thématique cohérent qui cherche à défricher les névroses actuelles d’un pays, le recours à des genres bien définis dont il se plaît à altérer les codes : Kiyoshi Kurosawa possède une identité bien à lui, sorte de croisement improbable mais fascinant entre Jacques Tourneur et Antonioni.
Dernière modification par Thaddeus le 3 août 23, 12:43, modifié 5 fois.
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