Kiyoshi Kurosawa

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Cure (1997)
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Serpent's Path (1997)
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License to live (1998)
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Charisma (1999)
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Séance (1999)
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Kaïro (2000)
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Doppelgänger (2002)
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Jellyfish (2003)
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Loft (2007)
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Rétribution (2007)
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Tokyo Sonata (2008)
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Demi-Lune
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Kiyoshi Kurosawa

Message par Demi-Lune »

Pas trouvé de topic entièrement dédié à ce cinéaste japonais qui, en l'espace de deux films (Kaïro et Séance), s'est révélé à moi comme étant un auteur important, œuvrant avec talent dans le genre fantastique/horreur dans lequel il impose une approche et un style singuliers et reconnaissables : ambiance glacée, terreur diffuse, mise en scène dépouillée et maîtrisée à l'extrême (recourant souvent au plan-séquence), jeu sur les textures sonores, sur les atmosphères, irruption brute de l'horreur, jamais surlignée par des effets musicaux, etc. Il serait évidemment présomptueux de tirer des règles générales sur le cinéma de Kiyoshi Kurosawa à partir de deux films seulement, mais je constate que l'appartenance de Kaïro et Séance à un genre bien précis (le film de fantômes japonais) ne prive pas Kurosawa de développer une identité propre, se traduisant par un "regard d'entomologiste" pour reprendre Anorya, scrutant de manière clinique la société de son temps, sa froideur déshumanisante, la solitude des êtres qui la composent. En résulte un discours, dans les deux cas, des plus pessimistes, très marqué par une fatalité (les jeunes qui se résignent à disparaître dans Kaïro, la malchance du couple de Séance) de laquelle il est malaisé de s'extraire. Kurosawa, dans ces deux films, bâtit une forme d'épouvante cérébrale qui n'est pas sans rappeler, à mon sens, Stanley Kubrick et son mythique Shining.

Sa filmographie :

* 1983 : Kandawaga Wars
* 1985 : The Excitement of the Do Re Mi Fa Girl
* 1988 : They are back
* 1988 : Sweet Home
* 1991 : The Guard from the Underground
* 1995 : Suit Yourself or Shoot Yourself : The Turnaround
* 1996 : Door!! (DOOR)
* 1996 : Suit Yourself or Shoot Yourself : The Nouveau Riche
* 1996 : Suit Yourself or Shoot Yourself : The Hero
* 1996 : Revenge The Visitor of Fate
* 1996 : Revenge The Scar that never disappears
* 1997 : Cure
* 1997 : Serpent's Path
* 1997 : Eyes of the Spider
* 1998 : License to Live
* 1999 : Charisma
* 1999 : Ko-rei (titre américain : Seance)
* 2000 : Vaine Illusion
* 2000 : Kaïro (aussi appelé Pulse)
* 2002 : Doppelgänger
* 2003 : Jellyfish (titre américain : Bright Future)
* 2004 : Ghost Cop, (court métrage)
* 2007 : Loft
* 2007 : Rétribution
* 2008 : Tokyo Sonata

En espérant que ce topic ne fera pas un bide comme celui de MJ sur Zulawski. :mrgreen:
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Séance (1999) SPOILERS.
Dans la banlieue de Tokyo, un bruiteur (Koji Yakusho) et sa femme, médium (Jun Fubuki), vivent une vie calme, jusqu’au jour où la police, par l’intermédiaire d’un étudiant en psychologie spécialiste des sciences occultes, fait appel à ses talents de médium pour retrouver une fillette qui a été enlevée.
Un an avant Kaïro, Kiyoshi Kurosawa se confrontait déjà aux fantômes du Yurei Eiga que Hideo Nakata avait remis sur le devant de la scène avec le magistral Ring (1997). Avec cette Séance ma foi très réussie, qui semblera formellement plus modeste (format télévisé oblige) que le futur Kaïro mais un peu plus soutenue niveau rythme, le cinéaste mêle efficacement ressorts policiers et éléments horrifiques, avec ce style froid et pesant qui lui est propre. Moins étouffant que l'apocalyptique Kaïro (qui ne contait rien de moins que la disparition de toute une société), Séance se concentre presque entièrement sur un couple banal, sans histoires, et dont l'anonymat est de plus en plus mal vécu par l'épouse, médium aux facultés manifestes qui ne songe qu'à s'enfuir de sa condition vide. L'occasion qui lui est fournie (l'irruption de la fillette kidnappée dans sa vie, et l'instrumentalisation maladroite qu'elle désire en faire pour acquérir une reconnaissance sociale) sera la première manifestation d'une fatalité chère à Kurosawa qui frappera alors sans relâche le couple, coupable d'avoir convoité un statut défendu : telle une boîte de Pandore, l'ouverture du caisson du preneur de son précipite les deux personnages dans un engrenage inextricable, aux accents de film noir, dont l'issue libératrice semble passer par l'acceptation de leur destin funeste. Les apparitions fantomatiques de la fillette décédée par leur faute se lisent alors autant comme une vengeance propre au Yurei Eiga que comme la matérialisation psychanalytique d'une culpabilité partagée, comme semble nous l'indiquer l'étrange dialogue qui ouvre le film. Séance, ou le fantôme comme projection de ses propres tourments (voir cette scène pour le moins étrange où le mari se retrouve confronté à son doppelgänger, assis et immobile, et l'immole au son d'une cornemuse invisible). Techniquement, Kurosawa livre à nouveau une réalisation ciselée au millimètre, tirant parti du format 1.33. Il instaure très vite cette atmosphère pesante et spectrale qui caractérise également Kaïro, et manie brillamment l'épouvante, surgissant sans tambours, sans qu'on l'attende (la scène ô combien déstabilisante du café). Exploitant une logique que l'on retrouvera dans son film suivant, Kurosawa isole ses personnages dans des décors compartimentés, dont les ouvertures deviennent les centres de l'attention d'un spectateur guettant le surgissement de l'horreur. Le meilleur exemple de cette utilisation visuelle de l'espace serait cette séquence où la médium, au premier plan, s'affaire tandis que derrière elle, la lumière changeante du soleil "ouvre" une voie vers le couloir et la porte du garage, une voie vers le surnaturel, vers son destin (capture 2). Les rebondissements de l'intrigue, ainsi que l'efficacité de l'épouvante diffuse qui imprègne le film, font de Séance une très belle réussite, à nouveau révélatrice du talent de son auteur. Malgré une fin abrupte, je suis admiratif du résultat, qui mérite peut-être mieux que de vivre dans l'ombre du futur très gros œuvre qu'est Kaïro.
Jericho
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Jericho »

Même si Kaïro m'a toujours attiré, je n'ai vu aucun film du bonhomme je sais ce qu'il me reste à faire...
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Gounou
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Gounou »

Mon préféré reste Cure, à mon sens son plus mystérieux et son plus beau.
Son dernier, Tokyo Sonata, était vraiment bon également... un cinéma dur, glacial et souvent désespéré.
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nobody smith
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par nobody smith »

Juste vu cure dont je ne garde aucun souvenir à part l’impression d’un film tout joli et tout chiant. Ça ne m’avait en tout cas absolument pas donné envi d’approfondir l’exploration de la filmo de Kurosawa.
Allez, vu comment on parle sur le forum de kaïro, je me laisserais bien tenter si il me passe à portée de main.
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Demi-Lune
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Demi-Lune »

J'aimerais beaucoup découvrir Cure (je pense que je succomberai très vite à la tentation de l'acheter), œuvre qui suscite d'ailleurs l'admiration de l'ami Scorsese :

"This is one of the very best films by the extremely talented Kiyoshi Kurosawa — for those of you who don't know the name or the work, he's no relation to Akira Kurosawa. He's an absolute master of light, framing and pacing, and he has so much control over all three that there are moments in his movies when the slightest gesture in the corner of the frame will send a shiver down your spine. Kurosawa doesn't exactly work in the horror genre. Rather, his films are filled with a strange dread. In many of them, something has arrived, no one knows exactly what or how or for what purpose: Reality is untouched except for a small, unsettling detail or two, which mutates into violence and irrationality. Kurosawa is a real student of cinema. Along with Shinji Aoyama, Makoto Shinozaki and a few other directors, he's the former pupil of the great Japanese critic and historian Shigehiko Hasumi. Each of them has absorbed the lessons of older American cinema and taken them to interesting and unusual places. Kurosawa, for instance, is a great admirer of Robert Aldrich, and if you didn't know it you'd never guess as much from simply looking at his movies. But it makes sense: They're both making movies about the world in a state of emergency, creating a troubling poetry of violence and upset. I can recommend every Kurosawa movie I've seen: Séance, Charisma, Doppelgänger, Bright Future and the more recent Retribution. Along with Pulse, which is about ghosts on the Internet, Cure is his most terrifying movie. The excellent Kôji Yakusho (he and Kurosawa have worked together many times) is a detective confronted with a seemingly inexplicable phenomenon: a series of murders in which the perpetrators are standing by unaware of how or why they did it, with red X's carved on the necks of the victims. There are startling images and moments in this picture that will haunt you for a long time to come, and I suppose I should say that it's not for the faint of heart. But be brave, because it's worth it. Kurosawa is a major filmmaker".
Gounou
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Gounou »

Je ne peux que t'y encourager vivement. D'ailleurs j'ai moi-même très envie de le revoir (et probablement de me le procurer). Le film peut paraître "chiant" pour certains car, plus encore que Kaïro, l'argument fantastique est au fond accessoire au regard du desespoir qui y est dépeint. En contrepartie, il y a une épure et une simplicité dans la composition des séquences qui donne au film un aspect très intriguant, très brut, presque uniquement mélodique.
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Anorya
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Anorya »

Belle idée de topic que j'approuve complètement. Two thumbs up dirait Roger Ebert. :D

Avec le temps, Kiyoshi Kurosawa est entré dans le panthéon privé de mes cinéastes préférés et même si je reconnais que son oeuvre n'est pas parfaite et que certains films n'emportent pas toujours mon adhésion, je reste toujours touché par sa maîtrise sans faille, ses idées et expérimentations quelconques et la joie évidente de retrouver très souvent Koji Yakusho, son acteur fétiche, fabuleux, campant toujours incroyablement ses rôles chez Kurosawa comme d'autres (très bon aussi chez Imamura).

J'ai pour ma part voté pour Kaïro, film vu et revu à de nombreuses reprises, dont je ne me lasse pas mais j'aurais aussi bien pu voter pour Cure qui m'avait complètement sidéré. Et pour les curieux qui apprécient aussi ce réalisateur, j'en profite pour citer deux livres presque essentiels, passionnants chacun dans leurs domaines (que vous avez sûrement déjà lus même) :

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Kiyoshi Kurosawa : Mémoire de la disparition.
(Diane Arnaud)

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Mon effroyable histoire du cinéma.
(entretiens entre Kiyoshi Kurosawa et Makoto Shinozaki)

Le premier, écrit par l'enseignante Diane Arnaud (Paris 7) s'impose comme une décortiquation de l'oeuvre du cinéaste et d'une thématique de la disparition de la société humaine visible dans la majeure partie de ses films. C'est bien écrit, on découvre pas mal de choses mais évidemment, vu que seulement une partie de l'oeuvre du cinéaste est sortie en France, on ne peut hélas pas voir de nombreux films qu'elle mentionne. Heureusement, de longs chapitres s'attardent sur Kaïro, Cure, Charisma...

Le second résulte d'une série d'entretiens entre les deux cinéastes. On apprend entres autres que Kurosawa est un fan incontesté de Tobe Hooper, estimant l'artiste et allant même jusqu'a essayer de le rencontrer et parler avec lui... Et Surprise, Tobe Hooper aime aussi le cinéma de Kurosawa. Shinozaki en profite aussi pour revenir sur les films du cinéaste tout en le questionnant abondemment sur ses influences et les films qui l'ont marqués. Un régal à lire. :D
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reuno
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par reuno »

Peut être parmi mes cinéastes favoris... mon favori Kairo (un des plus grands films des années 2000).
Cure arrive juste après.
Il est aussi excellent quand il oeuvre en dehors du fantastique (Jellyfish, Tokyo Sonata, moins bon mais intéressant Licence to Live).
On m'a passé récemment Sweet Home. Je tâcherai d'en donner mes impressions ici quand je l'aurai vu.

Et sinon quelqu'un saurait quelque chose sur un éventuel nouveau film de sa part ?
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Mama Grande!
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Mama Grande! »

Je suis un grand fan de Kairo, qui modernise avec brio le film de fantômes nippon. Les fantômes restent les mêmes, mais se manifestent dans un monde moderne qui, par ses nouveaux moyens de communication de plus en plus froids, leur redonne toute leur place. Une oeuvre sublime et envoutante, glaçante sur le fond.
Tokyo Sonata vaut également le coup, même si sa dernière partie parachutée tombe dans le ridicule.

Je n'ai vu pour le moment que ces deux-là qui sont considérés comme parmi les meilleurs de son auteur. Pourtant, même si ce sont des réussites -surtout le premier-, ils reposent sur un équilibre fragile. J'imagine tout à fait d'autres films de l'auteur où sa vision noire de la société se transforme en caricature pesante.
Anorya
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Anorya »

Tout en postant dans le topic de Cure, je remet mon post ici. :o


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Plusieurs meurtres inquiétants dans le Japon contemporain. Signes distinctifs : les victimes ont toujours la carotide tranchée par une blessure en forme de X et les assassins sont bien souvent des gens normaux, n'ayant aucun trouble psychologique distinct, semblant avoir agi soudainement, comme ça. Surmené tant par cette enquête à s'arracher les cheveux que sa femme souffrant d'une étrange forme de psychose et qui reste à la maison, l'inspecteur Takabe (excellent Koji Yakusho que je prend plaisir à retrouver à nouveau) à fort à faire...


Ce revisionnage d'un de mes Kiyoshi Kurosawa préférés permet une nouvelle fois de constater l'ingéniosité à la fois formelle, esthétique et scénaristique de son auteur, naviguant toujours en eaux troubles. A ce titre, Cure est devenu un classique des années 90, l'un des meilleurs films de son auteur mais aussi celui qui l'a fait révéler à un Occident ébahi. C'est aussi l'occasion de voir que Kurosawa est toujours aussi fort pour brouiller les pistes, mélanger les genres quand il ne s'y consacre pas complètement (Kaïro, entièrement fantastique ou le très beau drame Tokyo Sonata).

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Cure débute comme un film policier basique avant de rapidement flirter avec le fantastique par le biais de l'hypnose. Sans trop spoiler le film, on remarque qu'il est construit en plusieurs parties bien distinctes avec à chaque fois son lot de prouesses supposément banales mais qui chez Kurosawa restent d'une maîtrise forçant l'admiration. En témoigne ce meurtre filmé en plan large où un policier va tirer sur un autre qui lui fait dos. Dans un film américain, on pourrait s'attendre à du champ-contrechamp épousant soit le cadre du tireur, soit de la victime, mais dans les deux cas témoignant d'un point de vue épousant la narration. Chez Kurosawa, l'horreur est normalisée et en devient donc très glaçante : filmé en plan large, les deux policiers sont de plus placés en arrière-plan. La victime prépare des choses sur son vélo pour livrer un colis, le futur assassin va jeter des choses à la poubelle. Soudain sans crier gare, le second policier bandit lentement son flingue comme on prendrait n'importe quel objet simple et tire. Son collègue s'effondre, mort. Et comme si de rien n'était, le policier tueur va découper un X avec un cutter et traîner le corps comme on traînerait n'importe quel sac. Glaçant.


Comme dit plus haut, les victimes et assassins changent constamment, rien ne les relie si ce n'est le crime laissé. Tout le monde peut tour à tour être meurtrier comme potentielle victime, quel que soit la profession ou le sexe. Kurosawa radicalisant le schéma policier en traitant du vecteur de contamination (thème qu'on retrouve aussi traité d'une autre manière mais non moins inquiétante et passionnante dans Kaïro), donc d'une possible cause détachée d'un motif quelconque, plutôt que de s'attarder sur la conséquence. D'où la possibilité de créer une enquête ouverte au courant d'air où s'infiltre l'horreur et le fantastique avec les géniaux personnage de l'enquêteur, du psychiatre comme du jeune homme perturbé créant l'hypnose.

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Chacun de ces trois personnages porte en lui ses propres certitudes mais Kurosawa ne va pas tarder au milieu du film à les fractionner, les opposer et les rapprocher, faisant lentement tout voler en éclat. Ainsi le psychiatre apporte des pistes essentielles, une rationnalité qui n'est pourtant pas empreinte totalement de certitude. L'inspecteur enquête mais l'état de sa femme qui pourrait l'affaiblir ne fait que le renforcer. Et il faut avoir une sacrée résistance pour côtoyer Mamiya le jeune homme hypnotiseur qui se révèle des plus opaques : pas de passé, pas de motif, pas de culpabilité, pas de mémoire. Juste du présent immédiat et une logique qui échappe à tous (mais a-t-il bien une logique ?). Le trou noir personnifié où s'engouffre tout le monde, révélant la moindre béance comme un mécanisme susceptible de déclencher une névrose assassine chez celui qui a le malheur de le côtoyer. Chaque face à face de l'inspecteur et du jeune homme prend dès lors une tournure aussi abstraite que passionnante où le spectateur contemplerait presque quelqu'un essayant de résonner un mur.


Le film se révèle dangereusement intelligent aussi à jouer sur la perception du spectateur (la scène quand l'inspecteur rentre chez lui après avoir visité un appartement-clé...), sa faculté à combler de lui-même les trous qui lui sont laissés (la dernière partie du film vire génialement à l'abstraction pure et dure). Quand Kurosawa ne laisse pas un indice susceptible d'aiguiller ce dernier, voire l'inspecteur, ce sont les éléments qui envahissent dès lors l'image, à travers les gros-plans ou le son (qui révèlent soit un indice de l'enquête en cours soit un moyen à chaque fois différent d'hypnose utilisé). Kurosawa retourne ainsi de simples plans contemplatifs comme un pur élément de narration qu'il inserre avec brio afin de le relancer sur le personnage qui le voit. La subjectivité devient dès lors un piège puisque voir et entendre, c'est ici (surtout en présence de Mamiya), adhérer à ce qu'il met en scène.

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A chaque nouveau visionnage, je ne peux qu'admirer la richesse du film, voir de nouveaux détails peu remarqués auparavant, apprécier sa mécanique imparable et pourtant chaotique. Tout est constamment matière à réflexion mais si le film reste cérébral, il n'en oublie pas d'être passionnant (comme souvent chez le cinéaste). On pourrait disserter sans fin sur la relation que nourrissent les personnages, la logique de Mamiya, les cadres, les inserts, les lieux et décors (souvent un Japon dépeuplé chez Kurosawa), l'inhumanité qui guette, les multiples détails, la folie qui ronge, on y arriverait jamais vraiment. Cet immense film se suffit à lui-même, énigme comme révélation à laquelle on vient régulièrement s'abreuver.

6/6.
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Demi-Lune
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Demi-Lune »

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Rétribution (2007)

Troisième film de Kurosawa découvert, et troisième très forte impression. L'ami Kiyoshi est décidément l'un des cinéastes contemporains les plus doués qui soient. Au bout d'une heure quarante de génie, je me demande si je ne tiens pas là le chef-d'oeuvre de son auteur. Certes, trois films, c'est un peu court pour tirer des constats pareils. Mais je remarque cependant que Rétribution constitue visiblement une forme de synthèse formelle et thématique, l’œuvre de la récapitulation et du surpassement, en ce sens où le cinéaste y trouve l'équilibre narratif et rythmique idéal dans le même temps qu'il affine les caractéristiques stylistiques de son cinéma. L'usage des couleurs occupe une place plus importante ; son style paraît moins ascétique, même s'il a toujours recours à de soigneux plans-séquences. Formellement, même si ça transparaît peu sur ces captures, il y a un peu plus de chaleur dans ce film - on va voir que c'est en adéquation avec son propos. Kurosawa appose à Rétribution ses thèmes de prédilection - le poids de la fatalité, l'isolement de l'individu au sein d'une société urbaine déshumanisante et elle-même, littéralement, en voie de déshumanisation, la frontière poreuse entre le réel et le surnaturel, etc - et délivre, avec ce polar mâtiné d'épouvante fantastique, une œuvre absolument inclassable, sans doute moins immédiatement effrayante que Kaïro, moins angoissante que Séance, mais à mon sens plus ensorcelante et mémorable encore.

Que l'on se rassure : on retrouve bien le brio de Kurosawa pour la vraie épouvante, celle qui dérange, celle qui met profondément mal à l'aise par la seule force d'une mise en scène d'un perfectionnisme total et d'une bande sonore inquiétante, celle joue sur les peurs les plus viscérales sans sonner les trompettes à son arrivée, mais avec un naturel confondant. Eau qui se trouble silencieusement, vibrations sismiques qui se trouvent être des phénomènes annonciateurs des pénétrations surnaturelles dans le monde des vivants, surgissement sourd et lent du spectral dans les recoins, chocs sonores (le cri du fantôme) et visuels (l'hallucinante scène avec le collègue inspecteur et la bassine), sont chez Kiyoshi Kurosawa quelques maillons d'une chaîne lancinante de l'épouvante sans équivalent, en termes qualitatifs, dans le cinéma actuel.

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Mais ce n'est pas que ça.

En son genre, la perfection qui marque à mes yeux Rétribution provient de ce soupçon de chaleur humaine que Kurosawa insuffle dans sa mécanique de l'effroi parfaitement rodée. Même s'il se situe dans la prolongation thématique directe de Kaïro (sous ses allures d'enquête policière, le film ne nous parle ni plus ni moins de l'extinction progressive de l'Humanité du fait de la vengeance de forces spectrales), Rétribution n'adopte pas le regard d'entomologiste glacé de ce dernier ; il répond au style pessimiste et cérébral de son auteur mais l'élément humain demeure au centre de son propos, grâce au parcours de l'inspecteur Yoshioka. Comme dans les autres films fantastiques de Kurosawa, l'intrusion des fantômes dans le quotidien permet un questionnement sur la nature des hommes qu'ils viennent hanter. C'est une démarche de compensation : l'abstraction de ces entités aux motivations obscures conduit à un dévoilement, psychologique et intime, chez le personnage hanté. Rétribution se montre à ce niveau plus "humaniste" que Kaïro car si Yoshioka est hanté par une femme toute de rouge vêtue (motif visuel déjà présent mais qui trouve spécialement dans ce film une forme de fétichisme inédite, qui se double par ailleurs d'une intéressante tentative d'humanisation de l'entité) sans qu'il ne comprenne pourquoi, il persiste à vouloir percer le mystère, à comprendre ce que le spectre veut de lui. Le personnage n'est, momentanément du moins, plus isolé (paradoxe ô combien ironique que la résorption de la solitude humaine se fasse grâce au monde des morts).

En s'évertuant à vouloir percer l'énigme, l'enquêteur est en fait en quête de retrouvailles avec sa propre humanité, avec les failles et les faiblesses qu'elle implique. Le fantastique et l'épouvante sont là pour faire avancer cette trajectoire intimiste et la conduire à sa résolution, cette fameuse rétribution qui se soldera par un constat de profonde détresse... une issue aussi désespérée que celle de Kaïro, mais nantie d'une poésie malheureuse qui trahit la sensibilité d'un réalisateur qui quitte à l'occasion son poste de scrutateur scientifique pour celui d'un humaniste inquiet. Car au final, au-delà de ses incroyables qualités de terreur, les films fantastiques de Kurosawa sont avant tout des écrins à des interrogations angoissées, sur le souvenir du passé et son effacement ainsi que celui de l'être humain, sur la "désaffection des sentiments, la nécrose des relations humaines" (J-F Rauger), sur la perte et la damnation de l'individu : l'issue finale de ce remarquable scénario, ne vient que douloureusement et magnifiquement le rappeler.

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Polar à fausses pistes haletant (un des meilleurs scénarios policiers de ces dernières années), film d'épouvante glaçant et original, film fantastique baignant dans une inquiétante étrangeté, Rétribution plonge le spectateur dans les spires d'un mystère tenace et hypnotique. En ce qui me concerne, c'est un film remarquable, génial... disons-le carrément : inoubliable.
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Demi-Lune
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Demi-Lune »

J'ai essayé de regarder Charisma. J'ai tout stoppé au bout de quarante minutes. Putain, qu'est-ce que c'est chiant ! Le vide total. Pas étonnant qu'ils le filent en bonus avec Kaïro, celui-là.
Je reviendrai à l'ouvrage dans de meilleures dispositions, mais en l'état, ce n'est pas du bon KK.
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par magobei »

Demi-Lune a écrit :J'ai essayé de regarder Charisma. J'ai tout stoppé au bout de quarante minutes. Putain, qu'est-ce que c'est chiant ! Le vide total. Pas étonnant qu'ils le filent en bonus avec Kaïro, celui-là.
Je reviendrai à l'ouvrage dans de meilleures dispositions, mais en l'état, ce n'est pas du bon KK.
A mon avis, le film le plus faible (et le plus fauché?) de son auteur. Comme toi, je l'ai trouvé très chiant (et je suis allé jusqu'au bout). Effectivement, on peut le voir comme un bonus de luxe de Kairo (comme Door 3 pour Loft)
"In a sense, making movies is itself a quest. A quest for an alternative world, a world that is more satisfactory than the one we live in. That's what first appealed to me about making films. It seemed to me a wonderful idea that you could remake the world, hopefully a bit better, braver, and more beautiful than it was presented to us." John Boorman
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Anorya »

Demi-Lune a écrit : Je reviendrai à l'ouvrage dans de meilleures dispositions, mais en l'état, ce n'est pas du bon KK.
Après ta chronique de Cure que j'attends avec une folle impatience (et le mot est faible) ? :D
Le problème de Charisma c'est qu'il a été écrit quand K.K était étudiant en fac de sociologie. Du coup, quand il le ressort une décennie après, hmm.... :| :(
Néanmoins, le cinéaste en parle un peu dans son livre d'entretiens, livrant pour l'anecdote qu'il y a un clin d'oeil à Spielberg. De quoi te donner un peu le courage de voir ce "film" petits bouts par petits bouts. :mrgreen: :wink:
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Re: Kiyoshi Kurosawa (1955-)

Message par Demi-Lune »

Anorya a écrit :Après ta chronique de Cure que j'attends avec une folle impatience (et le mot est faible) ? :D
Oui, je tâcherai d'écrire quelque chose au sujet de Cure, même si tu t'es déjà remarquablement acquitté de cette tâche ! :wink: Pas facile.
Anne Orya a écrit :Néanmoins, le cinéaste en parle un peu dans son livre d'entretiens, livrant pour l'anecdote qu'il y a un clin d'oeil à Spielberg. De quoi te donner un peu le courage de voir ce "film" petits bouts par petits bouts. :mrgreen: :wink:
Ah tu sais me prendre par les sentiments, toi. :mrgreen:
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