Andrzej Zulawski (1940-2016)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

Avatar de l’utilisateur
MJ
Conseiller conjugal
Messages : 12476
Inscription : 17 mai 05, 19:59
Localisation : Chez Carlotta

Andrzej Zulawski (1940-2016)

Message par MJ »

Possession m'avait vivement impressionné dans ma prime adolescence. A la revoyure ça a été l'incompréhension totale. (cf un topic où deux de mes avis différents tiennent du retournage de veste complet). J'ai découvert plusieurs de ses films depuis, pas exempts de traits admirables... et pourtant c'est pour moi l'incompréhension totale. Zulawski ce sont des acteurs qui hurlent à tout bout de champ la Vérité. Du cinéma sans manières diront ses défenseurs. Or un problème dans la vie tient précisément du fait qu'il y a des manières: de se cacher, de faire mal, de dire une chose pour exprimer son contraire, des manières aussi de hurler la vérité ou d'exprimer des vérités crûes. Je suis peut-être trop maniéré, je ne sais pas... Mais je ne crois pas que ce soit le côté crû de ses films qui me rebute. J'adore Fassbinder ou Verhoeven, qui sont des cinéastes de la crûdité. Mais bref, je n'arrive pas à croire à ses films. Malgré ce mur entre son oeuvre et moi, je respecte Zulawski. Parce que ses films ont été durs à faire et que malgré tout (et malgré ce que j'en pense) ils existent.

Bref, Zulawski... pour ou contre?!
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
bronski
Touchez pas au grisbi
Messages : 17373
Inscription : 23 févr. 05, 19:05
Localisation : location

Re: Andrzej Zulawski

Message par bronski »

Pour.

Y a moyen d'ajouter un sondage?
Avatar de l’utilisateur
Demi-Lune
Bronco Boulet
Messages : 14973
Inscription : 20 août 09, 16:50
Localisation : Retraité de DvdClassik.

Re: Andrzej Zulawski

Message par Demi-Lune »

Possession (1981) m'a complètement déstabilisé, mais également totalement fasciné. Ce film est un ovni flippant, une énigme impénétrable et viscérale, et ne serait-ce que pour l'inoubliable performance que Zulawski tire d'Isabelle Adjani, je vote pour, même si je ne connais du cinéaste que ce seul (grand) film.
Alligator
Réalisateur
Messages : 6629
Inscription : 8 févr. 04, 12:25
Localisation : Hérault qui a rejoint sa gironde
Contact :

Re: Andrzej Zulawski

Message par Alligator »

L'important c'est d'aimer (Andrzej Zulawski, 1975) :

Image

http://alligatographe.blogspot.com/2011 ... aimer.html
_______________

J'avais de ce film un souvenir, lointain il est vrai, où les pleurs de Romy Schneider et la musique de Georges Delerue jouaient le rôle de catalyseur de grandes émotions, mais par trop confuses. J'avais depuis vu "L'amour braque" où l'agitation permanente avait considérablement altéré l'espèce d'indulgence que je cherche à cultiver par ailleurs.
Bref, quand ma femme a sorti cette galette du tas de dvds qu'elle avait emprunté à la médiathèque, j'avais un peu le cul entre deux chaises, ravi de mettre le cas Zulawski au clair, une bonne fois pour toutes et inquiet à l'idée de découvrir un cinéma singe-hurleur.

Sur ce film en tout cas, le cinéma de Zulawski apparait tel que je me l'imaginais : excessif, dans la forme surtout, que ce soit dans les décors et l'expression des personnages mais également dans la mise en scène ou la direction des acteurs. Le terme "rococo" m'est apparu parfait pour bien décrire cette obsession du réalisateur à remplir son image de mouvements, de personnages, de mots, de cris. Remplir pour remplir. Qu'il n'y ait surtout ni calme ni vide.

Le monde de Zulawski est impur, tout y est crasseux, avili, à l'agonie, dans la plus disgracieuse dégénérescence et les individus ne trouvent pas les moyens de s'en extirper. La vie est une malédiction. Alors, on pleure, on se fait du mal, on se hait et on se regarde pleurer et mourir. Beaucoup de bruit et de fureur dans un élan de mort. Cet aspect mortifère est incontournable d'autant que le film manque remarquablement d'humour.

Pour figurer un certain recul face à la souffrance, Zulawski intègre des petites figures de style censées receler une part d'humour, celui du désespoir, sous laquelle les personnages se cachent pour mieux survivre sans doute, mais il ne consiste guère qu'à demander par exemple à Jacques Dutronc de sautiller en apportant le café ou faire tomber Michel Robin dans les escaliers après qu'il eut ingurgité du pâté pour chien. C'est dire toute la joie et le bon rire plein de finesse que le film provoque.

Donc pas grand chose à se mettre sous la dent du côté d'une histoire qui à la base présente bien, semble intéressante. D'ailleurs, j'ai un bon souvenir de "L'année des méduses" de Christopher Frank, un film avec des personnages passablement cramés également. Aussi suis-je même a priori intrigué par l'œuvre de Christopher Frank. Et je me demande bien comment Zulawski et lui ont pu travailler ensemble... parce que je n'ai pas le sentiment que les troubles relationnels et existentiels des personnages de Christopher Frank soient particulièrement bien étayés par l'agitation et l'outrance du cinéma de Zulawski.

Trêve de conjectures sur lesquelles je risque fort de me casser le nez et passons à du concret, du visible. Les acteurs parviennent parfois à s'échapper de cette gesticulation criarde.

Je pense évidemment à Romy Schneider qui par moments parvient à reconvoquer l'émotion qu'elle avait suscité en moi à la découverte du film il y a longtemps. Outre sa prodigieuse beauté, il émane de cette femme un charme, une puissance qui dépasse mon entendement. A chaque nouveau film que je vois d'elle, je reste ébahi par ce qu'elle dégage avec parfois une sorte d'innocence surprenante et si contraire à la maturité qu'elle affiche par ailleurs. J'adore cette femme. Allez, hop, dans mon panthéon de chéries!

De tous les personnages, seul celui de Fabio Testi est épargné par la grandiloquence générale. Seul être noble, il patauge dans cet univers blessé et finit par en payer le prix cher.

Faut-il évoquer la prestation de Klaus Kinski? Comment ne serait-il pas un poisson dans l'eau avec un personnage si haut en couleurs, en éclats et en tapage? La scène de bagarre dans le café ou la manière dont il est habité par son Richard III en armure de samouraï sont les illustrations parfaites de la représentation perpétuelle dans laquelle Kinski lui même évoluait. Même pas un rôle de composition pour lui... On a le droit d'en rire comme de s'en lasser. Je suis partagé.

J'aime bien Michel Robin mais son personnage m'a semblé complètement artificiel et dénué du moindre intérêt. Si ce n'est son appartement bibliothèque bien bandant s'il n'était aussi dégueulasse.

Ce film est décevant, tellement crâneur, un peu purulent et en fin de compte peu marquant. Je pense que je ne retenterai Zulawski que sous acide.
bronski
Touchez pas au grisbi
Messages : 17373
Inscription : 23 févr. 05, 19:05
Localisation : location

Re: Andrzej Zulawski

Message par bronski »

Alligator a écrit :L'important c'est d'aimer (Andrzej Zulawski, 1975)

(...) et la musique de Georges Delerue (...)
Pour moi la plus belle musique de toute l'histoire du cinéma. Supérieure même à celle qu'il avait faite pour Le Mépris.
Amarcord
Assistant opérateur
Messages : 2854
Inscription : 30 oct. 06, 16:51
Localisation : 7bis, rue du Nadir-aux-Pommes

Re: Andrzej Zulawski

Message par Amarcord »

Chez Amazon, une édition allemande de Mes nuits sont plus belles que vos jours (inédit en BD en France, je pense), à moins de 10€ !
Aucune idée de ce que ça vaut techniquement (éditorialement, ça a l'air assez pauvre)
[Dick Laurent is dead.]
Avatar de l’utilisateur
gnome
Iiiiiiil est des nôôôôtres
Messages : 20857
Inscription : 26 déc. 04, 18:31
Localisation : sleeping in the midday sun...

Re: Andrzej Zulawski

Message par gnome »

MJ a écrit :Bref, Zulawski... pour ou contre?!
Plutôt pour, même si je n'adhère pas à tout !

Possession
est un grand film. Sur le globe d'argent possède des fulgurances incroyables... Mais je comprends qu'on puisse avoir du mal avec son style...
Image
julien
Oustachi partout
Messages : 9039
Inscription : 8 mai 06, 23:41

Re: Andrzej Zulawski

Message par julien »

Amarcord a écrit :Chez Amazon, une édition allemande de Mes nuits sont plus belles que vos jours (inédit en BD en France, je pense), à moins de 10€ !
Aucune idée de ce que ça vaut techniquement (éditorialement, ça a l'air assez pauvre)
Je sais pas si tu l'a vus mais c'est quand même assez lourdingue comme film. On dirait un Godard de la période 80'. On a l'impression qu'il était en fin de contrat et qu'il a voulu emmerder le producteur en faisant un truc complètement bâclé et improvisé.
gnome a écrit :Possession est un grand film. Sur le globe d'argent possède des fulgurances incroyables... Mais je comprends qu'on puisse avoir du mal avec son style...
On en parle assez peu mais ses deux premiers films polonais, La Troisième Partie de la Nuit ainsi que Le Diable, sont vraiment très intéressants. Bien maîtrisés en plus sur le plan technique. Tout son style à venir est déjà là.
Image
"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
Avatar de l’utilisateur
gnome
Iiiiiiil est des nôôôôtres
Messages : 20857
Inscription : 26 déc. 04, 18:31
Localisation : sleeping in the midday sun...

Re: Andrzej Zulawski

Message par gnome »

julien a écrit :
gnome a écrit :Possession est un grand film. Sur le globe d'argent possède des fulgurances incroyables... Mais je comprends qu'on puisse avoir du mal avec son style...
On en parle assez peu mais ses deux premiers films polonais, La Troisième Partie de la Nuit ainsi que Le Diable, sont vraiment très intéressants. Bien maîtrisés en plus sur le plan technique. Tout son style à venir est déjà là.
Le diable m'attend sur une étagère. :D
Je n'ai pas La troisième partie de la nuit, mais ce que j'en ai vu m'attire sérieusement...
Image
julien
Oustachi partout
Messages : 9039
Inscription : 8 mai 06, 23:41

Re: Andrzej Zulawski

Message par julien »

gnome a écrit :Le diable m'attend sur une étagère. :D
Tu va voir. Dés les 5 premières minutes, t'es déjà dans l'ambiance. L'édition Malavida est vraiment pas mal. C'est un véritable plaisir de voir ce film dans de bonnes conditions. Dommage par contre qu'ils n'aient pas interviewé, Zulawski parce que j'aurais bien voulu qu'il s'explique un peu sur la signification du film. J'aime bien ses propos en général. Souvent très lucides.

« L’histoire du cinéma, dit Zulawski, c’est l’histoire de la mine de charbon. Il faut aller au charbon et piocher, ne pas avoir peur. Et si l’idée de la pioche déjà vous fatigue et que vous préférez, comme c’est le cas du cinéma français, passer votre temps entre deux réunions mondaines, alors tous les films finissent par se ressembler. »

Voila, il a tout dit.
Image
"Toutes les raisons évoquées qui t'ont paru peu convaincantes sont, pour ma part, les parties d'une remarquable richesse." Watki.
Amarcord
Assistant opérateur
Messages : 2854
Inscription : 30 oct. 06, 16:51
Localisation : 7bis, rue du Nadir-aux-Pommes

Re: Andrzej Zulawski

Message par Amarcord »

julien a écrit :
Amarcord a écrit :Chez Amazon, une édition allemande de Mes nuits sont plus belles que vos jours (inédit en BD en France, je pense), à moins de 10€ !
Aucune idée de ce que ça vaut techniquement (éditorialement, ça a l'air assez pauvre)
Je sais pas si tu l'a vus mais c'est quand même assez lourdingue comme film. On dirait un Godard de la période 80'. On a l'impression qu'il était en fin de contrat et qu'il a voulu emmerder le producteur en faisant un truc complètement bâclé et improvisé.
Je l'ai vu il y a longtemps (impossible d'aller au bout, cela dit !). Souvenir confus, mais plutôt mauvais au final... Je le reverrais éventuellement surtout par curiosité, mais sans rien en attendre de réellement probant.
Le parallèle avec le Godard 80's me paraît pertinent (sur la forme), même si je m'empresse de préciser que je trouve les films du Godard 80's à mille coudée au-dessus (Je vous salue Marie, Soigne ta droite ou Prénom Carmen, surtout). Il y a un sens de l'équilibre (voire, à l'occasion, de la grâce) chez Godard, qui devient, chez Zulawski, de l'agitation vaine et grotesque, quand ce n'est pas de l'hystérie.
Rien à voir effectivement avec les trois films sortis chez Malavida, qui, eux, m'ont bien plus intéressé (surtout La Troisème partie de la nuit, qui m'a emballé au-delà de tout espoir)
[Dick Laurent is dead.]
Avatar de l’utilisateur
locktal
Assistant opérateur
Messages : 2472
Inscription : 19 mars 11, 01:03
Liste DVD
Localisation : Dijon

Re: Andrzej Zulawski

Message par locktal »

Amarcord a écrit : Rien à voir effectivement avec les trois films sortis chez Malavida, qui, eux, m'ont bien plus intéressé (surtout La Troisème partie de la nuit, qui m'a emballé au-delà de tout espoir)
La troisième partie de la nuit est sans doute mon Zulawski préféré avec L'important c'est d'aimer et Possession !

J'avais écrit il y a quelque temps un texte sur ce film que j'apprécie beaucoup :
http://dejantesducine.canalblog.com/arc ... 39806.html

Je le colle ici :

Réalisé en 1971, La troisième partie de la nuit est le premier long métrage du cinéaste polonais Andrzej Zulawski, auteur des splendides L’important c’est d’aimer, La femme publique ou encore Possession.

Le film s’ouvre sur des plans inquiétants montrant des paysages déserts, grisâtres, des maisons à moitié détruites, tandis qu’une voix off lit des extraits de l’Apocalypse de Saint Jean (le passage des sept trompettes). Dès ces premières images, Zulawski plonge le spectateur dans une ambiance cauchemardesque hantée par la mort et la destruction. Les dix premières minutes du film sont éprouvantes, la caméra frénétique de Zulawski emprisonnant littéralement ses personnages et suivant leurs moindres faits et gestes : on a d’ailleurs l’impression que ce sont les personnages qui emportent la caméra, comme si celle-ci était attachée sur eux. Par cette technique (héritée du grand cinéaste américain Samuel Fuller, notamment dans le magistral The naked kiss), le spectateur n’a pas de temps d’avance sur les protagonistes et découvre avec eux les évènements terrifiants qui se déroulent. En un temps record, il assiste, les yeux exorbités, à l’assassinat sauvage d’une famille par ce qui semble être des nazis (mais on n’en est pas sûr) puis à la fuite effrénée du seul survivant (le héros du film Michal) et enfin à un accouchement dans la douleur (d’une jeune femme prénommée Marta qui ressemble étrangement à l’épouse assassinée de Michal, Helena), filmé en gros plan.

Progressivement, le contexte historique apparaît : l’action se déroule à Cracovie en 1940. Michal vient de perdre sa femme et son fils et décide de s’engager alors dans la résistance pour combattre la Gestapo et ainsi venger sa famille. Mais Zulawski ne s’attarde pas vraiment sur le récit et préfère privilégier la description d’une atmosphère délétère, macabre, paranoïaque, quasi-expressionniste, multipliant les zones d’ombre et de lumière (comme les expressionnistes allemands) qui emmènent le spectateur dans un univers onirique angoissant, aux confins du cauchemar. Utilisant parfaitement l’opposition d’un blanc éclatant, presque saturé (toutes les scènes du début) et d’un noir sombre comme la nuit ou le désespoir, Zulawski crée un espace entre-deux, d’un gris terne et désolé, qui marque la zone de lutte entre la lumière et les ténèbres, dans lequel se joue le destin de Michal.

Plus le film avance, plus sa narration vole en éclat et devient pure sensation. Michal finit par se perdre dans un labyrinthe sans issue, comme prisonnier d’une toile d’araignée dont il ne pourra jamais sortir, victime d’une malédiction qu’il ne peut arrêter, provoquant un malaise entêtant, presque viscéral, renforcé par une mise en scène en adéquation avec le propos privilégiant ellipses brutales, déambulations hallucinatoires, plans vertigineux, multiplications de portes symboliques, et décuplée par une bande-son dissonnante composée par Andrzej Korzynski (le compositeur attitré de Zulawski). Errant dans un dédale sans fin de rues, de portes et de couloirs, où les nazis, quasiment absents du film, sont de pures abstractions, Michal ne fait qu’ouvrir une brèche qui l’entraîne sans relâche dans les méandres du souvenir, mais lui ouvrant un univers parallèle où tout semble redevenir possible.

Souvenir de sa femme assassinée qu’il retrouve sous les traits d’une autre jeune femme mariée, Marta donc, qu’il aide à accoucher et dont il tombe évidemment amoureux… Souvenir de ce fils chéri, éliminé aussi, qui semble revenir le hanter comme un fantôme et jugeant ses actes… Tous ces souvenirs subjectifs, peut-être fantasmés, s’immiscent petit à petit dans l’esprit de Michal. Dans un présent terrifiant gangrené par une violence incommensurable, qui a provoqué la perte de toute sa famille (les ravages du nazisme ici), où la survie semble être la seule loi, où l’amour et la confiance sont éradiqués, remplacés par la haine, la destruction et la trahison, où la naissance d’un enfant ne peut s’accomplir que dans d’atroces souffrances (la scène de l’accouchement au début du film), Michal ne peut se réfugier que dans un passé glorieux (est-ce d’ailleurs vraiment le sien ?) et se reconstruire dans la réminiscence de ce passé. Face à une situation qui le dépasse et le pousse à se battre au-delà de ses limites dans un monde en déliquescence, Michal espère encore que l’amour peut le sauver, aussi bien l’amour qu’il porte à sa femme morte que celui qui naît pour Marta, si ressemblante à cette épouse tant aimée. Cet espoir n’est cependant possible que par un dépassement de soi et ne peut naître que dans la douleur, comme si le bonheur ne pouvait être atteint qu’après une série d’épreuves visant à savoir ce qui reste de l’humanité, ces épreuves n’étant pas autre chose que le regard punitif de Dieu sur la folie des hommes.

Au fur et à mesure, les souvenirs de Michal contaminent donc le présent, créant un nouvel espace parallèle (à tendance grise) où passé et présent se rejoignent et se confondent dans un temps figé et dédoublé, donnant ainsi naissance au double de Michal. La ligne qui relie passé subjectif et présent objectif est invisible, mais agit comme un effet de miroir, où Michal se retrouve face à ses angoisses, le précipitant inexorablement vers sa chute qui est aussi, plus largement, l’agonie d’une humanité corrompue. Chez Zulawski, le destin individuel cache toujours une allégorie, ici celle d’un pays (la Pologne) en crise, et plus généralement d’une humanité perdue, terrassée par les guerres et la folie.

Si la thématique du double est présente dès le début de La troisième partie de la nuit, par le simple fait que la femme de Michal, Helena, et Marta se ressemblent étrangement et sont incarnées par la même actrice, elle explose littéralement dans la dernière partie du film, où Michal se trouve confronté à lui-même, réminiscence de ses propres démons, de ses propres contradictions, qui sont aussi celles de l’Homme. Dans un univers abandonné de Dieu (effrayé par ses créatures), voué à l’apocalypse (les textes tirés de l’Apocalypse de Saint Jean qui ouvrent et ferment le film), où l’homme, qui n’est rien, est condamné à nourrir des poux et à subir le joug d’autres hommes, seule la mort, qui est la fin de toute chose, subsiste. Michal a beau s’être réfugié dans le souvenir, qui lui a fait entrevoir un instant la possibilité de revivre une histoire d’amour, le présent est bien là et le rattrape, l’entraînant vers la seule issue du labyrinthe : la mort.

La grande force de Zulawski est d’avoir immergé totalement le spectateur, par le biais d’une mise en scène fiévreuse et emportée, dans un véritable cauchemar expressionniste sur pellicule qui défie les lois spatio-temporelles. Le cinéaste polonais a volontairement laissé des zones d’ombre, rendant ce monument d’étrangeté encore plus mystérieux.

Inspiré par le père d’Andrzej Zulawski, qui a vécu les horreurs du nazisme, La troisième partie de la nuit pose les jalons d’une œuvre passionnante et controversée. L’hystérie caractéristique des films de Zulawski est présente, mais de manière moins affirmée que dans Le diable (le sommet hystérique de l’œuvre de Zulawski), La femme publique ou L’amour braque. Le film n’en est pas moins violent, mais cette violence est sous-jacente (à l’exception des scènes de début et de fin), contenue, mais prête à exploser et à entraîner les personnages vers la folie ou la mort. En outre, ce film peut aussi être vu comme une première ébauche (mais quelle ébauche !) du chef d’œuvre de Zulawski, Possession. En effet, le traitement du double et de l’autre comme objet d’horreur mais aussi de ressemblance est commun aux deux films, même si Possession poussera cette thématique à son point-limite.

La dernière scène du film montre en très gros plan, au son d’un rock apocalyptique, des images de poux allant dans tous les sens. L’humanité a-t-elle été vaincue et remplacée par ces insectes sales et inquiétants ? A moins que les hommes se soient métamorphosés, atteignant leur dernier stade d’évolution : des poux repoussants avançant à l’aveuglette dans un monde qui n’existe déjà plus…

Très maîtrisé pour un premier long métrage, La troisième partie de la nuit ne peut laisser indifférent. Si la succession ininterrompue de cris, de hurlements, de convulsions, de bouches déformées, d’hystérie, de sang et d’érotisme malsain peut dérouter (mais ne serait-ce pas la figuration de l’angoisse de Zulawski face à la pourriture du monde ?), le film distille grâce à ce parti-pris audacieux une ambiance nauséeuse et mortifère particulièrement marquante qui s’achève dans un finale terrifiant mais d’une beauté sidérante, inscrivant le métrage dans une tradition purement romantique. Insolite, grandiloquent mais fascinant, véritable poème visuel, La troisième partie de la nuit arbore la logique du rêve (ou plutôt du cauchemar) et contient en germe toutes les obsessions de Zulawski : c’est le film idéal pour pénétrer dans l’univers si particulier du cinéaste.
"Vouloir le bonheur, c’est déjà un peu le bonheur"
Federico
Producteur
Messages : 9462
Inscription : 9 mai 09, 12:14
Localisation : Comme Mary Henry : au fond du lac

Re: Andrzej Zulawski

Message par Federico »

Je n'ai pas vu tous les films de Zulawski et ceux que j'ai vus remontent à un bail mais je suis d'accord sur La 3ème partie de la nuit comme étant peut-être celui qui m'a laissé la meilleure impression. Et j'ai toujours eu du mal avec L'important c'est d'aimer, comme si je regardais un snuff-movie sur la déchéance d'une actrice. J'ai un souvenir à la fois cocasse et embarrassé d'avoir vu certains de ses films à leur sortie. Possession, ça allait encore mais alors La Femme publique et L'amour braque... :roll: Faut-il en rire ou en pleurer entre le jeu de la non-mime Marceau et celui encore plus épouvantable de Francus Hyster... :mrgreen: :uhuh:
Chamanka était bien mauvais. Iwona Petry, sa jeune comédienne polonaise (qui a très peu tourné) y était aussi épouvantable actrice que ravissante. Et elle était extrêmement mignonne. :roll: :oops:
Quant à Zulawski lui-même, je me souviens en particulier de son passage dans une émission radio où il avait fait preuve d'une si totale absence d'esprit et d'humour que ça faisait carrément peur. Il prenait toutes les remarques, même les plus anodines au 1er degré. Un type plutôt inquiétant.
The difference between life and the movies is that a script has to make sense, and life doesn't.
Joseph L. Mankiewicz
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99608
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Andrzej Zulawski

Message par Jeremy Fox »

Mangus
Assistant(e) machine à café
Messages : 156
Inscription : 9 sept. 13, 14:14

Re: Andrzej Zulawski

Message par Mangus »

Jeremy Fox a écrit :Un portrait du cinéaste à travers ses films par Olivier Bitoun
Beau travail. Encore un cinéaste qui me manque cruellement. Le choix cinématographique Français actuel étant majoritairement tiède et médiocre.
Répondre