Carlos (Olivier Assayas, 2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Nestor Almendros
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Carlos (Olivier Assayas, 2010)

Message par Nestor Almendros »

Ce topic est consacré à la version remontée pour le cinéma de la série télévisée diffusée sur Canal+
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SPOILERS
Le film, très bien écrit, est à la fois un portrait humain très intéressant (surtout mis en perspective par rapport au mythe), l’évocation historique d’évènements qui ont marqué le monde et la société de l’époque, ainsi qu’une plongée presque documentaire dans les rouages politiques secrets opposant les forces dominantes de l’époque (Guerre Froide, Moyen-Orient contre Occident, etc.).

Au niveau du personnage, le scénario s’applique à suivre son parcours tout en dévoilant subtilement une personnalité complexe et charismatique. Adoptant le style d’écriture à l’américaine où un personnage se dévoile par ses actes, Carlos s’ouvre à nous par l’observation de ses comportements face à des situations clé. Si le charisme du terroriste est évident, si son courage et sa volonté impressionnent, le film dessine en diagonale un profil finalement beaucoup moins reluisant que la légende, un homme éloigné du mythe. On découvre rapidement qu’il est motivé et très engagé dans une cause, respectant une sorte de code d’honneur strict (la mort aux traitres) qui créera l’évènement médiatique à Paris au milieu des années 70. Le film montre, entre autres, que cette aura médiatique, cette célébrité soudaine qui aurait pu être un atout se révèlera handicapant et presque fatal au personnage. Carlos est avant tout un homme avec des faiblesses, loin du parfait guerrier de son image publique. Cette image médiatique qui le desservira encore quand il sera désigné responsable du commando contre l’OPEP : ses supérieurs, impressionnés par le retour médiatique parisien négligeront les capacités tactiques du terroriste.
Carlos a de l’ambition mais finit par se perdre dans sa lutte, oubliant les causes révolutionnaires pour un intérêt plus personnel. C’est l’histoire d’un homme qui s’est trouvé une voie et qui n’aura pas la sagesse de l’abandonner le moment venu (notamment quand la sphère politique changera d’axe). Prisonnier de son image, il n’aura de cesse que de remonter la pente, retrouver une aura perdue, un sens à sa vie. La création de son propre groupuscule, démontrant également sa volonté d’être sur le devant de la scène, ne suffira pas à freiner une chute inéluctable. Même idéologiquement, le bonhomme est discutable : adoptant au départ une position révolutionnaire (anticapitaliste), il finira par accepter tout contrat, rendant son action plus mercantile que symbolique. Car, visiblement, toute cause a son temps. Carlos n’aura pas suffisamment compris et anticipé les changements politiques du monde au point de devenir une figure du passé luttant pour exister encore.

CARLOS, le film, montre également le visage inhabituel d’un terrorisme incarné par des figures célèbres tout en étant dirigé en secret par des puissances obscures au service de pays conspirateurs. Ces engrenages politiques sont peut-être encore plus glaçants que les actes entrés dans l’Histoire car si l’exécutant a été arrêté ou jugé (dans le meilleur des cas) les vrais organisateurs du chaos, souvent très haut placés à l’échelle mondiale, n’ont pas été inquiétés et ne peuvent toujours pas l’être, pour des raisons diplomatiques.

Malgré son origine télévisuelle, CARLOS a pourtant une tenue cinématographique. Si l’on est habitué au clinquant des productions tv américaines, le film d’Assayas sera peut-être l’élément déclencheur pour une nouvelle ère de production en France. Un tel projet, par l’ampleur de son sujet, méritait bien qu’on s’y attarde pendant 5h. Il était donc logique que la télévision se l’approprie. Mais on reste positivement étonné de l’ambition artistique qui a motivé ce film.
Assayas, sur le papier, tire assez bien partie des nombreuses scènes d’exposition, des nombreux dialogues et des nombreux personnages de l’histoire. Il a su clarifier une histoire assez dense en rappelant les faits et en y intégrant une description nuancée du héros. On remarque malheureusement, dans cette version cinéma, un rythme inégal, un intérêt fluctuant. Paradoxalement, le script faiblit parfois dans des séquences importantes, notamment la prise d’otages de l’OPEP. La première partie de l’attaque dans les locaux Viennois donne une impression répétitive, presque lassante, alors que l’action doit y être pourtant très présente (c’est même l’une des deux ou trois séquences « choc » du film). Heureusement que la suite des évènements, dans l’avion, sera beaucoup plus prenante. Il reste l’impression qu’Assayas est peut être moins à l’aise dans la mise en scène de ce type de scène, ce qui est dommage mais pas systématique (heureusement, notamment lors des meurtres parisiens – partie très réussie). Le réalisateur se rattrape toutefois avec un filmage dynamique (à l’épaule essentiellement) et un montage serré, utilisant à son avantage (car elle ne se remarque pas) une économie limitée. N’oublions pas le casting, inégal mais comportant de bons choix, à commencer par l’acteur principal, étonnant de crédibilité (tant dans le jeu que dans l’apparence) ou celui qui interprète Haddad (le casting arabe est, globalement, très réussi).

Le montage de la version cinéma garde de nombreuses zones d’ombre, notamment ce qui concerne la quasi-totalité des années 80 qui sont, j’espère, plus développées dans la série (qu’on devrait plutôt qualifier de « feuilleton » selon moi). Espérons également que le feuilleton aura su adopter un rythme propre que le montage cinéma n’aura pas complètement réussi à trouver, malgré un découpage revu et resserré.

A suivre…
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Profondo Rosso
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Message par Profondo Rosso »

Pas totalement convaincu malgré quelques qualité. La première partie est vraiment excellente lorsqu'elle dépeint l'ascension et la renommée naissante du jeune Carlos en jeune chien fou. le contexte politique est très bien cerné et les moment clé de la légende de Carlos (le meurtre des deux policiers et la prise d'otage de l'OPEP) sont tendu à souhait malgré un manque de moyen se faisant ressentir (3 pauvres policiers autrichien pour donner l'assaut lors de l'épisode de l'OPEP). Après ce très bon début, Assayas pêche par un choix incompréhensible dans les évènements qu'il choisi de narrer. L'errance de Carlos entre le moment où il est exclu après l'affaire de L'OPEP et celui où il monte sa propre organisation est beaucoup trop long. Ensuite lorsque Carlos s'associe au Syrien on en verra rien pour une ellipse de 10 passant les 80's à la trappe et aboutissant à la chute du Mur de Berlin. Les transitions sont trop brutale, des personnages prêt à se lancer dans une aventure sont au bout du rouleau 5 minutes après, Magdalena Kopp magnifiquement introduite est finalement expédiée (finalement le doc "L'Avocat de la terreur" la rendait bien plus fascinante) et la dernière partie sur le déclin de Carlos est très poussive. Finalement on retrouve les défauts du dyptique "Mesrine" mais sans les qualités ni les moyens. Reste une petite bande son new wave plaisante à coup de New order. 3/6
angel with dirty face
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Re: Carlos (Olivier Assayas, 2010)

Message par angel with dirty face »

Nestor Almendros a écrit :Malgré son origine télévisuelle, CARLOS a pourtant une tenue cinématographique. Si l’on est habitué au clinquant des productions tv américaines, le film d’Assayas sera peut-être l’élément déclencheur pour une nouvelle ère de production en France. Un tel projet, par l’ampleur de son sujet, méritait bien qu’on s’y attarde pendant 5h. Il était donc logique que la télévision se l’approprie. Mais on reste positivement étonné de l’ambition artistique qui a motivé ce film.
Nestor Almendros a écrit :Le montage de la version cinéma garde de nombreuses zones d’ombre, notamment ce qui concerne la quasi-totalité des années 80 qui sont, j’espère, plus développées dans la série (qu’on devrait plutôt qualifier de « feuilleton » selon moi). Espérons également que le feuilleton aura su adopter un rythme propre que le montage cinéma n’aura pas complètement réussi à trouver, malgré un découpage revu et resserré.
Je n'ai vu que la version télévisée et j'ai trouvé tout ça très anecdotique et un peu trop linéaire à mon goût. J'ai le sentiment qu'Olivier Assayas et Dan Franck ont eu tendance à vouloir tout raconter de la vie finalement peu passionnante de Carlos et ça vire au grand n'importe quoi (en particulier pour la partie romancée). On voit une galerie de personnages célèbres qui apparaissent et disparaissent aussitôt, un peu comme si les auteurs avaient envie de nous dire de façon appuyée (puisque que le nom et la fonction s'affichent sur l'écran de façon insupportable) : Carlos a rencontré tantôt Paul, tantôt Pierre... Certaines scènes sont à mon avis trop longues (je pense au chapitre de l'OPEP et des conséquences même si je pense que ce second épisode est le plus intéressant du lot). Le troisième opus est tellement faible (c'est le plus long en plus) que je me demande quelles sont les parties que le réalisateur a pu conserver pour la version cinéma. Autre point faible : Il y a cette mode de l'utilisation de la musique pop dans les films dont l'action se passe dans les années 70, et là, contrairement à certains films de Martin Scorsese (Goodfellas et Casino) ou Brian De Palma (Carlito's Way), on ne peut pas parler d'une réussite, c'est plutôt pénible! Ajoutez à cela une version française où on ne pige que dalle de ce que raconte cet excellent acteur qu'est Edgar Ramírez. Je suis vite passé à la version dite multilingue sous titrée en français. Enorme déception!
Nestor Almendros
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Re: Carlos (Olivier Assayas, 2010)

Message par Nestor Almendros »

angel with dirty face a écrit :J'ai le sentiment qu'Olivier Assayas et Dan Franck ont eu tendance à vouloir tout raconter de la vie finalement peu passionnante de Carlos
Je la trouve plus intéressante que toi, cette vie, mais je suis d'accord pour dire qu'elle est nettement en décalage par rapport à la légende. Cela fait partie des détails, des nuances qui m'auront motivé dans le film.
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