The Place promised in our early days (Makoto Shinkai - 2004)
Aka "
La tour-au delà des nuages" / "
Kumo no muko, yakusoku no basho".
Après la Seconde Guerre Mondiale, le Japon se retrouve divisé et occupé par deux forces rivales. L’Hokkaido est annexé par l’Union, tandis que les autres îles de l’archipel sont dirigées par des forces américaines. Trois amis ont grandi dans la zone américaine, mais sont fascinés depuis toujours par une gigantesque et énigmatique tour érigée par l’Union. Ils se sont fait une promesse : un jour, ils construiront un avion et lèveront le voile sur le mystère de cette tour. Mais ce projet échoue lorsque l’un d’eux disparaît…
Depuis le temps qu'un ami m'avait parlé de ce film ainsi que d'une précédente réalisation de Shinkai, "Voices of a distant star" (Hoshi no koe), je bavais secrètement (ce qui n'est pas toujours beau à voir je le concède) d'enfin pouvoir mettre la main dessus, ce qui est chose faite depuis sa sortie officielle en avril dernier. Shinkai est une sorte d'autodidacte à part dans le monde de l'animation japonaise. Hoshi no koe, il l'avait réalisé tout seul, ici, il s'est entouré d'une équipe. Le résultat est d'une beauté hallucinante, une merveille qu'on parcourt éveillés, trop subjugué par les couleurs, les décors et l'hyperréalisme qui naît de la fusion des deux. Cette tour au-delà des nuages nous propulse la tête au-delà des étoiles, c'est peu dire. On pourrait presque dire que l'aspect technique suffirait ici à faire pleinement vivre cette histoire mais le rôle est dévolu au scénario qui, à mon sens, embrasse trop, dans beaucoup de directions pour finalement n'en choisir qu'une, nous laissant pleinement frustrés.
Le titre français est en lui-même un piège (d'où le fait que je sois revenu au titre anglais pour la chronique) puisqu'il se focalise sur la fameuse tour alors qu'on verra tout au long du film que ce qui intéresse le plus Shinkai, c'est l'amitié entre trois jeunes, unis par le même rêve : voler au-delà des frontières pour voir la tour. Accessoirement, comme l'indique la narration en voix-off, les deux garçons sont aussi amoureux de la même fille, c'est leur rêve caché, ce qui les unit et va les décider de reprendre plus tard ce rêve inachevé de la création d'un avion (basé sur un moteur de jet) quand cette dernière disparaîtra. En fait, elle est le lien caché qui réunit leur triangle au point central où se niche la tour, grandiose, formidable... forcément insaisissable. A partir de là, Shinkai décide de traiter l'histoire séparée de ces trois êtres comme fondement principal du récit (que devient Sayuri ? Pourquoi a t-elle disparue ? Son grand-père qui a participé à la construction de la tour lors de la scission avec l'Union a t'il à voir avec ça ?), délaissant les incroyables possibilités que pouvait fournir un tel récit qui fait plus qu' écho avec le roman Le maître du haut-château de Philip.K.Dick. Dans son roman, Dick évoque la victoire de l'Axe en 1947 sur les alliés. Après la France, séparée horizontalement, c'est l'Amérique qui l'est, verticalement et toute la côte Ouest est donc territoire Japonais. Or, dans cette Uchronie, un romancier fait paraître un étrange roman nommé "La sauterelle" qui, curieusement, raconterait que les allemands auraient perdus la guerre en 1945... Dick réussit à créer un véritable monde possible avec ces paradoxes (comme l'importation du "Yi-King", le livre des transformations que les Japonais auraient ramenés avec eux après invasion de la Chine) et ses personnages hauts en couleurs dont les trajectoires se croisent pour délivrer une étrange conclusion finale, amère mais brillante.
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- On apprend à la fin que le romancier qui a écrit l'ouvrage interroge le Yi-King et s'entend répondre que l'Allemagne et le Japon ont en fait perdu la guerre, chose impossible dans leur monde, ce qui sous-tend l'existence de mondes parallèles, dont le nôtre, en miroir.
Le rapport avec le roman de Dick ? Cette uchronie d'un pays reconstruit à la manière du "Et si ?" mais la possibilité bien plus soulignée et avancée qu'il existe des mondes parallèles, le film suggérant que la puissance de la Tour de l'Union a le pouvoir de dresser un portail gigantesque qui pourrait bien aspirer le monde dans divers autres univers. Une idée qui ne sera curieusement jamais menée jusqu'au bout. Au spectateur voulant un minimum de données sur l'Union (et surtout une telle technologie. Comment a t'elle pu naître progressivement après guerre ? Comment a t'elle pu avoir des moyens technologiques aussi stupéfiants ? Que représente véritablement l'Union ? Une métaphore des pays communistes d'alors ?) ou la Tour (Qu'arrive-t-il aux personnes qui sont dans un rayon de plus de 20 km lorsque l'étrange pouvoir de la tour se déclenche ? Y'a-t-il vraiment âme qui vive sur cette île (on nous montre rien des conséquences des incidents, juste des tirs de mitraillettes quand on tente de l'investir en bateau), rien ne sera donné, ne permettant aucun suspense, aucune implication émotionnelle ou crainte que le spectateur pourrait avoir pour les personnages qui vont plus tard effectuer un vol jusqu'a la tour. Et c'est dommage, horriblement dommage. Shinkai ne montre que les histoires de ses personnages, n'évoque jamais ce monde d'après-guerre et les possibilités qu'il peut receler, au contraire d'un film comme Jin-Roh, la brigade des loups (Okiura, sur un scénario de Mamoru Oshii). Tout au plus voit-on le Velaciela, l'avion de nos héros, étrange et constamment insolite (puisque rien n'indique que ce japon et l'Union ont évolués d'une autre manière que la nôtre) face à des choses que l'on connaît (on voit des B2 par exemple).
Du coup, le film en devient assez limité et ne favorise que peu l'implication émotionnelle du spectateur à moins qu'il ne révisionne le film à plusieurs reprises (comme le révélait
un post de Best). La (jolie) musique suit délibérément ce même chemin, préférant rester dans des tons doux même lorsque le ton pourrait devenir plus grave et noir, se taisant quand un accès de violence pointe (d'où cette scène complètement en contraste et très mal venue du sang sur le cockpit du Velaciela à un moment qui m'a semblé arriver comme un cheveux sur la soupe, bien trop appuyée par la quantité de sang d'une part, d'autre part en décalage total pour moi car arrivant bien trop tard pour qu'on songe à s'inquiéter outre mesure à ce stade des personnages). Reste donc un film plastiquement et techniquement superbe, mal desservi à mon sens par un scénario plus que moyen, n'allant jamais au fond des choses et des richesses que cela pouvait donner. Dommage.
Une curiosité à voir néanmoins.
3/6.