Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Oui évidemment, l'art de Resnais se caractérise aussi par un sens particulier du montage et du rapport au temps comme tu le rappelles bien.
C'est vrai que depuis Mélo et surtout depuis le début des années 90, son cinéma ne présente plus le même type de cérébralité et établit une relation avec le théâtre qui redéfinit sa relation à la narration mais je crois qu'il s'amuse toujours à créer un jeu de pistes, sûrement sur un mode plus léger bien que ces variations ont toutes un rapport avec la thème de la vieillesse. Ce qui justement peut déstabiliser car ses derniers films oscillent entre une légèreté bon enfant et une mélancolie sous-jacente liée à l'inéluctabilité de la mort.
C'est vrai que depuis Mélo et surtout depuis le début des années 90, son cinéma ne présente plus le même type de cérébralité et établit une relation avec le théâtre qui redéfinit sa relation à la narration mais je crois qu'il s'amuse toujours à créer un jeu de pistes, sûrement sur un mode plus léger bien que ces variations ont toutes un rapport avec la thème de la vieillesse. Ce qui justement peut déstabiliser car ses derniers films oscillent entre une légèreté bon enfant et une mélancolie sous-jacente liée à l'inéluctabilité de la mort.
- cinephage
- C'est du harfang
- Messages : 23900
- Inscription : 13 oct. 05, 17:50
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Je n'ai pas encore vu les herbes folles, mais c'est vrai que Resnais joue depuis un bon moment avec la forme de ses films, n'hésitant pas à contraindre celle-ci de façon extrême si la chose lui semble nécessaire. Récits à la temporalité croisée dans La vie est un Roman, décalage son/image dans L'année dernière à Marienbad, inclusions de dessins animés (I want to go home), de chansons (On connait la chanson), de références documentaires (L'oncle d'Amérique) ou de plans étranges et distanciés (L'amour à mort, On connait la chanson)... Resnais est un cinéaste de l'impureté, du mélange des genres. Aussi, je ne serais pas surpris que la radicalité de ses choix, à l'occasion, prenne le public à rebrousse-poil (comme il l'avait déja fait avec I want to go home, par exemple).Roy Neary a écrit :Oui évidemment, l'art de Resnais se caractérise aussi par un sens particulier du montage et du rapport au temps comme tu le rappelles bien.
C'est vrai que depuis Mélo et surtout depuis le début des années 90, son cinéma ne présente plus le même type de cérébralité et établit une relation avec le théâtre qui redéfinit sa relation à la narration mais je crois qu'il s'amuse toujours à créer un jeu de pistes, sûrement sur un mode plus léger bien que ces variations ont toutes un rapport avec la thème de la vieillesse. Ce qui justement peut déstabiliser car ses derniers films oscillent entre une légèreté bon enfant et une mélancolie sous-jacente liée à l'inéluctabilité de la mort.
La forme ludique de certains de ses films peut masquer leur coté sombre. Il n'y a pourtant jamais de naïveté dans le cinéma de Resnais. Coeurs, en particulier, était un film que j'avais trouvé d'une noirceur insondable.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
-
- n'est pas Flaubert
- Messages : 8464
- Inscription : 19 nov. 05, 15:35
- Contact :
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Depuis le début de sa carrière de réalisateur de films de cinéma même. A ce titre, ses cinq premiers films de cinéma (Hiroshima, Marienbad, Muriel, la guerre est fini et Je t'aime, je t'aime) sont impressionnants d'inventivité et d'audace dans leur structure et leur montage.cinephage a écrit :Je n'ai pas encore vu les herbes folles, mais c'est vrai que Resnais joue depuis un bon moment avec la forme de ses films, n'hésitant pas à contraindre celle-ci de façon extrême si la chose lui semble nécessaire.
- Phnom&Penh
- Assistant opérateur
- Messages : 2077
- Inscription : 28 févr. 08, 12:17
- Localisation : Tengo un palacio en Granada
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Ne pas lire avant de voir le film, je ne spoilerise pas vraiment, mais ça peut suffir à gâcher le plaisir
Alain Resnais adapte dans Les Herbes Folles le roman L’Incident, de Christian Gailly. C’est une démarche assez rare chez lui que d’adapter un roman, mais il l’a fait très librement, avec l’accord de l’écrivain. Gailly, spécialiste de jazz, s’inspire volontiers du cinéma, aime la psychanalyse et les analyses, les coupures brutales et les scènes absurdes auxquelles il ne cherche pas à présenter de solution. Comme Resnais, il est en revanche réfractaire à l'onirisme. Alain Resnais a pris les personnages, les dialogues et le monologue off dans le roman, tout en mélangeant un peu l’ordre des scènes pour donner son rythme et se dégager des espaces de liberté.
Le film Les Herbes Folles conserve une certaine noirceur propre à Christian Gailly qui dit ainsi de lui-même : "Longtemps, ce désespoir s’est traduit par une propension au sarcasme. Ricaner me faisait du bien. Aujourd’hui, même si l’ironie demeure ma tonalité dominante, même si je reste ce que je suis, avec le doute et l’angoisse omniprésents, je me sens mieux, moins traqué. Je ne me déteste plus, je me fréquente même avec un certain bonheur" . Mais la fantaisie d’Alain Resnais se juxtapose naturellement aux descriptions précises que Gailly fait des personnages et de certaines scènes, l’image apportant un mouvement et de l’humour au texte de l’écrivain et n’hésitant pas à changer l’esprit de certains moments du livre. Ainsi, lorsque Josepha vient proposer à Georges et Suzanne Palet de rejoindre Marguerite Muir sur l’aérodrome, le livre indique : "Suzanne n'était pas chaude. Georges, lui, était ému, pas à cause de la présence là-haut de Marguerite, non, pas encore, chaque chose en son temps, la grande émotion il se la gardait pour tout à l'heure, il y pensait mais comme en se retenant, comme pensant j'y penserai tout à l'heure. Pour l'instant, il était comme un môme à la fête, qui ne sait plus où donner de la tête, ou plutôt qui ne sait pas où il va bien pouvoir donner de la tête, il n'avait encore rien vu, il entendait les moteurs, il devinait, il imaginait" quand le film présente Georges énigmatique et Suzanne acceptant immédiatement l’invitation.
Tout ceci pour dire qu’il s’agit d’une adaptation très réussie qui cherche à s’approprier le style d’un écrivain, à respecter la lettre pour mieux en faire la matière que le réalisateur va travailler avec son propre esprit. Pour ne citer qu’un exemple, la phrase mystérieuse de la fin du film est simplement une absurdité au milieu du livre, un effet de rythme, alors qu’elle vient conclure le film en le faisant terminer sur une note de mystère et de fantaisie qui sont propres à Resnais.
"Finalement, nous vivons tous dans cet enfer, et le cinéma est l’une de ses fournaises, mais c’est dans la chaleur qui émane des flammes autour de nous que naît le goût d’aimer" Manoel de Oliveira
Ce n’est pas l’âge du cinéaste que je voulais évoquer avec cette citation, mais l’influence surréaliste dans laquelle baigne le film. Tout commence par une histoire de chaussures que Marguerite Muir doit aller chercher dans un magasin particulièrement luxueux du Palais Royal parce qu’elle a "des pieds très spéciaux". Des pulsions de meurtre de Georges Palet, qui d’ailleurs exhibe lui aussi volontiers ses pieds, au fétichisme de la scène où Marguerite Muir choisit ses chaussures, en passant par les manières efficaces mais pour le moins cavalières avec lesquelles George Palet séduit les femmes, l’influence de Luis Buñuel est souvent présente, comme pour mieux rappeler que le raisonnement n’est que le déguisement derrière lequel nous présentons nos comportements irrationnels.
Mais ces comportement irrationnels qui jalonnent le film font qu’on ne sait trop si Les Herbes Folles qui poussent au milieu du béton armé sont les personnages du film qui s’autorisent un comportement hors normes, ou, plus généralement, les pulsions de l’imaginaire qui fleurissent quelquefois dans un esprit usé par le quotidien. Quoi qu’il en soit, le film Les Herbes Folles est une ode à l’imagination, principale force de l’artiste. Georges Palet est un homme brisé par un drame dont nous ne connaîtrons pas les détails, mais qui est peut-être simplement le fruit de son esprit, puisqu’il ne vit pas hors de la société, mais au contraire entouré d’une famille au sein d’une belle maison. L’incident qui fait la trame du film, la découverte du portefeuille de Marguerite Muir, ne serait qu’un fait divers sans importance, si le portefeuille n’était tombé entre les mains d’un homme décidé à se raconter des histoires, à leur donner forme et vie, quitte à brutaliser la réalité si celle-ci refuse de se plier au pouvoir de son imaginaire. Car, tout brisé qu’il soit, Georges Palet est resté un homme de pouvoir, un séducteur, qui sait d’un tour de main faire plier Josepha et qui, même s’il y met le temps d’un film, finit par parvenir à ses fins en s’envolant dans les airs avec Marguerite Muir.
La force de l’imaginaire de Georges Palet est comparable à celle de l’artiste aux commandes, Alain Resnais, dont le chef opérateur, Eric Gautier dit : "Resnais est quelqu’un qui rêve ses images, il laisse une grande place à l’imaginaire. Il a horreur du réalisme, du naturalisme. Il veut toucher une vérité, mais par les moyens du style. Il adore jouer avec le spectateur, provoquer des choses qu’il ne contrôle pas. C’est pour ça qu’il a très peur des réactions : il amène une proposition jusqu’au bout, mais après, qu’est-ce que le spectateur percevra ?" . Certains choix de couleurs, certains plans inspirés de comics ou de films muets, certaines scènes volontairement burlesques et dramatiques à la fois, comme celle où Marguerite Muir, qui est dentiste, se met à martyriser ses clients les uns après les autres, peuvent surprendre. Mais il suffit de constater la qualité graphique des très beaux génériques de début et de fin, les complexes et parfaitement maîtrisés mouvements de caméra de la scène du déjeuner familial, ou, en plus hollywoodien, celui où Marguerite Muir rejoint son Spitfire pour y passer la nuit, pour conclure que Resnais est aux commandes avec tout son métier et toute sa force. C’est effectivement au spectateur de se plier à son imaginaire, le film ne cherche pas à plaire. En grand et véritable séducteur, comme son héros Georges Palet, Resnais fait plier le monde à son gré et il reste au spectateur d’apprécier ou non l’expérience.
Une expérience d’artiste qui est celle d’une vie, et se doit donc de terminer tragiquement, l’incident devenant accident. Retour à Buñuel et à l'absurde, la pulsion pour une braguette ouverte mène au désastre car l’imaginaire est plus fort que la raison et la mécanique. Mais que peut la raison contre la force d’un esprit libre ? L’avion a sitôt rejoint terre qu’un long couloir, sous forme de travelling au milieu des champs, des bois, puis de l’inévitable cimetière, ne peut stopper. Il part en verticale pour redescendre sur une jolie ferme au milieu de la forêt et le mouvement se termine sur une petite fille qui s’étire et demande à sa mère : "Maman, quand je serai un chat, je pourrai manger des croquettes ?"
Parce qu’Alice au pays des merveilles est peut-être la meilleure illustration du pouvoir de l’imaginaire…Parce que "La vie continue" répond Alain Resnais et qu’un chat possède neuf vies, ce qui lui permet d’échapper à la mort, comme le dit souvent son ami Chris Marker. Noir peut-être, mais totalement dépourvu de cynisme, ce film me rappelle la belle formule d'André Malraux: "Il n'y a pas de grandes personnes".
Alain Resnais adapte dans Les Herbes Folles le roman L’Incident, de Christian Gailly. C’est une démarche assez rare chez lui que d’adapter un roman, mais il l’a fait très librement, avec l’accord de l’écrivain. Gailly, spécialiste de jazz, s’inspire volontiers du cinéma, aime la psychanalyse et les analyses, les coupures brutales et les scènes absurdes auxquelles il ne cherche pas à présenter de solution. Comme Resnais, il est en revanche réfractaire à l'onirisme. Alain Resnais a pris les personnages, les dialogues et le monologue off dans le roman, tout en mélangeant un peu l’ordre des scènes pour donner son rythme et se dégager des espaces de liberté.
Le film Les Herbes Folles conserve une certaine noirceur propre à Christian Gailly qui dit ainsi de lui-même : "Longtemps, ce désespoir s’est traduit par une propension au sarcasme. Ricaner me faisait du bien. Aujourd’hui, même si l’ironie demeure ma tonalité dominante, même si je reste ce que je suis, avec le doute et l’angoisse omniprésents, je me sens mieux, moins traqué. Je ne me déteste plus, je me fréquente même avec un certain bonheur" . Mais la fantaisie d’Alain Resnais se juxtapose naturellement aux descriptions précises que Gailly fait des personnages et de certaines scènes, l’image apportant un mouvement et de l’humour au texte de l’écrivain et n’hésitant pas à changer l’esprit de certains moments du livre. Ainsi, lorsque Josepha vient proposer à Georges et Suzanne Palet de rejoindre Marguerite Muir sur l’aérodrome, le livre indique : "Suzanne n'était pas chaude. Georges, lui, était ému, pas à cause de la présence là-haut de Marguerite, non, pas encore, chaque chose en son temps, la grande émotion il se la gardait pour tout à l'heure, il y pensait mais comme en se retenant, comme pensant j'y penserai tout à l'heure. Pour l'instant, il était comme un môme à la fête, qui ne sait plus où donner de la tête, ou plutôt qui ne sait pas où il va bien pouvoir donner de la tête, il n'avait encore rien vu, il entendait les moteurs, il devinait, il imaginait" quand le film présente Georges énigmatique et Suzanne acceptant immédiatement l’invitation.
Tout ceci pour dire qu’il s’agit d’une adaptation très réussie qui cherche à s’approprier le style d’un écrivain, à respecter la lettre pour mieux en faire la matière que le réalisateur va travailler avec son propre esprit. Pour ne citer qu’un exemple, la phrase mystérieuse de la fin du film est simplement une absurdité au milieu du livre, un effet de rythme, alors qu’elle vient conclure le film en le faisant terminer sur une note de mystère et de fantaisie qui sont propres à Resnais.
"Finalement, nous vivons tous dans cet enfer, et le cinéma est l’une de ses fournaises, mais c’est dans la chaleur qui émane des flammes autour de nous que naît le goût d’aimer" Manoel de Oliveira
Ce n’est pas l’âge du cinéaste que je voulais évoquer avec cette citation, mais l’influence surréaliste dans laquelle baigne le film. Tout commence par une histoire de chaussures que Marguerite Muir doit aller chercher dans un magasin particulièrement luxueux du Palais Royal parce qu’elle a "des pieds très spéciaux". Des pulsions de meurtre de Georges Palet, qui d’ailleurs exhibe lui aussi volontiers ses pieds, au fétichisme de la scène où Marguerite Muir choisit ses chaussures, en passant par les manières efficaces mais pour le moins cavalières avec lesquelles George Palet séduit les femmes, l’influence de Luis Buñuel est souvent présente, comme pour mieux rappeler que le raisonnement n’est que le déguisement derrière lequel nous présentons nos comportements irrationnels.
Mais ces comportement irrationnels qui jalonnent le film font qu’on ne sait trop si Les Herbes Folles qui poussent au milieu du béton armé sont les personnages du film qui s’autorisent un comportement hors normes, ou, plus généralement, les pulsions de l’imaginaire qui fleurissent quelquefois dans un esprit usé par le quotidien. Quoi qu’il en soit, le film Les Herbes Folles est une ode à l’imagination, principale force de l’artiste. Georges Palet est un homme brisé par un drame dont nous ne connaîtrons pas les détails, mais qui est peut-être simplement le fruit de son esprit, puisqu’il ne vit pas hors de la société, mais au contraire entouré d’une famille au sein d’une belle maison. L’incident qui fait la trame du film, la découverte du portefeuille de Marguerite Muir, ne serait qu’un fait divers sans importance, si le portefeuille n’était tombé entre les mains d’un homme décidé à se raconter des histoires, à leur donner forme et vie, quitte à brutaliser la réalité si celle-ci refuse de se plier au pouvoir de son imaginaire. Car, tout brisé qu’il soit, Georges Palet est resté un homme de pouvoir, un séducteur, qui sait d’un tour de main faire plier Josepha et qui, même s’il y met le temps d’un film, finit par parvenir à ses fins en s’envolant dans les airs avec Marguerite Muir.
La force de l’imaginaire de Georges Palet est comparable à celle de l’artiste aux commandes, Alain Resnais, dont le chef opérateur, Eric Gautier dit : "Resnais est quelqu’un qui rêve ses images, il laisse une grande place à l’imaginaire. Il a horreur du réalisme, du naturalisme. Il veut toucher une vérité, mais par les moyens du style. Il adore jouer avec le spectateur, provoquer des choses qu’il ne contrôle pas. C’est pour ça qu’il a très peur des réactions : il amène une proposition jusqu’au bout, mais après, qu’est-ce que le spectateur percevra ?" . Certains choix de couleurs, certains plans inspirés de comics ou de films muets, certaines scènes volontairement burlesques et dramatiques à la fois, comme celle où Marguerite Muir, qui est dentiste, se met à martyriser ses clients les uns après les autres, peuvent surprendre. Mais il suffit de constater la qualité graphique des très beaux génériques de début et de fin, les complexes et parfaitement maîtrisés mouvements de caméra de la scène du déjeuner familial, ou, en plus hollywoodien, celui où Marguerite Muir rejoint son Spitfire pour y passer la nuit, pour conclure que Resnais est aux commandes avec tout son métier et toute sa force. C’est effectivement au spectateur de se plier à son imaginaire, le film ne cherche pas à plaire. En grand et véritable séducteur, comme son héros Georges Palet, Resnais fait plier le monde à son gré et il reste au spectateur d’apprécier ou non l’expérience.
Une expérience d’artiste qui est celle d’une vie, et se doit donc de terminer tragiquement, l’incident devenant accident. Retour à Buñuel et à l'absurde, la pulsion pour une braguette ouverte mène au désastre car l’imaginaire est plus fort que la raison et la mécanique. Mais que peut la raison contre la force d’un esprit libre ? L’avion a sitôt rejoint terre qu’un long couloir, sous forme de travelling au milieu des champs, des bois, puis de l’inévitable cimetière, ne peut stopper. Il part en verticale pour redescendre sur une jolie ferme au milieu de la forêt et le mouvement se termine sur une petite fille qui s’étire et demande à sa mère : "Maman, quand je serai un chat, je pourrai manger des croquettes ?"
Parce qu’Alice au pays des merveilles est peut-être la meilleure illustration du pouvoir de l’imaginaire…Parce que "La vie continue" répond Alain Resnais et qu’un chat possède neuf vies, ce qui lui permet d’échapper à la mort, comme le dit souvent son ami Chris Marker. Noir peut-être, mais totalement dépourvu de cynisme, ce film me rappelle la belle formule d'André Malraux: "Il n'y a pas de grandes personnes".
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker
-
- n'est pas Flaubert
- Messages : 8464
- Inscription : 19 nov. 05, 15:35
- Contact :
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Merci Phnom pour cette critique instructive (et bien plus optimiste que la mienne) ! Je suis bien d'accord avec toi pour dire qu'on pense à Bunuel plus d'une fois.
- Phnom&Penh
- Assistant opérateur
- Messages : 2077
- Inscription : 28 févr. 08, 12:17
- Localisation : Tengo un palacio en Granada
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Oui, j'avais remarquéStrum a écrit :(et bien plus optimiste que la mienne)
Cela dit, c'est un film grave et effectivement noir, mais il y aussi beaucoup d'humour. Même si j'étais le seul à éclater de rire pendant le film...mais c'était pendant la scène du dentiste et les dentistes, c'est connu, ça ne fait pas rire tout le monde
Pour la fin, j'interprète peut-être pas mal. Mais d'un autre côté, Resnais cite plusieurs fois Chris Marker dans son interview dans les Cahiers, notamment à propos des chats, donc ça me surprendrait qu'il n'ait pas pensé à lui en mettant ça à la fin.
Et en ce qui concerne le personnage de Georges Palet
- Spoiler (cliquez pour afficher)
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker
-
- n'est pas Flaubert
- Messages : 8464
- Inscription : 19 nov. 05, 15:35
- Contact :
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
S'agissant de la toute fin, ton interprétation me parait tout à fait pertinente. Et j'ai sur toi le désavantage de n'avoir pas lu d'interview de Resnais. Cependant, j'observe que cette toute fin intervient quand même dans un contexte sombre, un contexte de dégrisement (alors que la scène de la braguette précédente était drôlatique) souligné par une musique grave et dissonnante. Le travelling est très rapide, cela va très vite.Phnom&Penh a écrit :Pour la fin, j'interprète peut-être pas mal. Mais d'un autre côté, Resnais cite plusieurs fois Chris Marker dans son interview dans les Cahiers, notamment à propos des chats, donc ça me surprendrait qu'il n'ait pas pensé à lui en mettant ça à la fin.
Et en ce qui concerne le personnage de Georges Palet
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Spoiler (cliquez pour afficher)
- Phnom&Penh
- Assistant opérateur
- Messages : 2077
- Inscription : 28 févr. 08, 12:17
- Localisation : Tengo un palacio en Granada
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Si le travelling, après la nature, passe par un cimetière et part en verticale sur la façade d'une église, je pense comme toi qu'ils sont passés de vie à trépasStrum a écrit :j'observe que cette toute fin intervient quand même dans un contexte sombre, un contexte de dégrisement (alors que la scène de la braguette précédente était drôlatique) souligné par une musique grave et dissonnant. Le travelling est très rapide, cela va très vite.
D'où la pirouette finale qui fait penser à Chris Marker. Il fait souvent des blagues sur le fait qu'un chat se réincarne et qu'il est donc très préférable d'être chat tout de suite. Evidemment, cela n'a pas que des avantages à moins d'avoir vraiment envie de manger des croquettes Comme les deux hommes sont très proches et qu'il le cite dans l'interview, je pense que c'est une blague de ce genre.
Strum a écrit : Lorsqu'il voit Amalric pour la première fois, on l'entend penser également "je suis sûr qu'il m'a reconnu, qu'est-ce que je fais, je le tue?". Alors, je ne sais pas si c'est une "victime" ou un personnage qui est là pour souligner la force de l'imaginaire, mais son imaginaire, me parait être mu par des pulsions et des désirs tout de mêmes assez violents, à des envies de contrôle, comme des "obsessions".
- Spoiler (cliquez pour afficher)
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker
-
- n'est pas Flaubert
- Messages : 8464
- Inscription : 19 nov. 05, 15:35
- Contact :
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Il s'agit en tout cas d'une idée typique des surréalistes. Dans Le Premier manifeste du surréalisme de 1924, Breton écrivait par exemple que l'acte surréaliste par excellence, le plus simple, serait pour quelqu'un de tuer sans raison, de commettre un crime gratuit. Bon, Breton a par la suite regretté d'avoir écrit cela, je crois, mais l'idée demeurait que l'artiste surréaliste devait "s'affranchir des conventions" et abolir les distinctions entre le bien et le mal, le beau et le laid, voire le légal et l'illégal puisqu'en tant que communistes ils voulaient transformer la société. A ce titre, certains surréalistes se voyaient comme des dangers pour la société et désignaient les artistes comme tels. Dès lors, si l'on a une lecture surréaliste des Herbes Folles, on pourrait effectivement rapprocher Palet de l'artiste comme tu le suggères, mais artiste au sens où l'entendaient les surréalistes. Palet est manifestement un peu dangereux pour la société, avec ses pulsions, sa difficulté à se contrôler, et ses envies de meurtre, et produit de l'imprévu et de la fantaisie au sein d'une société figée du fait même de ses pulsions. Cela se tient et nous nous rapprochons ainsi de Bunuel, maitre du cinéma surréaliste, auquel Resnais rend hommage dans le film, et peut-être même que nous comprenons mieux maintenant cet hommage et son étendu. Bon, n'ayant pas moi-même de sympathie particulière pour les surréalistes ou pour l'idée que l'artiste peut se vivre au-dessus des lois, j'ai plus d'affinités avec l'interprétation plus pessimiste selon laquelle le film, bien que surréaliste, montre aussi l'envers de la condition de Palet faite de pulsions et de désirs où un Palet malheureux n'arrive plus à se contrôler (et n'est donc pas si libre que cela) sans pour autant produire de l'art, mais je pense que les deux interprétations sont possibles et se complètent. Il serait de toute façon jamais vu qu'une seule interprétation arrive à épuiser le sens d'un film de Resnais.Phnom&Penh a écrit :Cela dit, j'aime bien, justement, l'idée qu'un créateur soit quelqu'un qui se vit un peu au-dessus des lois...je dis ça sans chercher la polémique, je pensais à Picasso, par exemple
-
- Entier manceau
- Messages : 5463
- Inscription : 7 sept. 05, 13:49
- Localisation : Entre Seine et Oise
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Dans l'ensemble, j'ai été séduit par la mise en scène d'Alain Resnais. Il compose son univers, fait d'étrangeté, de mystère et d'obsessions, avec une élégante fluidité. Les séquences s'enchaînent et s'enrichissent mutuellement, formant une cohésion étonnante. Et que ce soit par le rythme, la photographie, Resnais parvient à construire un bloc qui prend peu à peu sens au fil des péripéties. Loin d'une caricature ou d'un motif désincarné.
Cependant, je suis toujours resté assez distant du propos...sans doute parce que j'ai tiré une lecture pessimiste et relativement noire du parcours de Georges Palet. Au bout du compte, j'ai trouvé que les personnages étaient trop vite enfermés dans un carcan, un édifice, certes brillant mais étouffant. Impression renforcée par les prestations d'acteurs, puisque chacun m'a déçu. Les traits sont exagérés sans grande finesse, dans un recyclage de leur propre jeu (Azéma, Devos).
Ce décalage avec la finesse de la réalisation m'a souvent gêné, pour me laisser en fin de vision un sentiment mitigé et plutôt froid.
Cependant, je suis toujours resté assez distant du propos...sans doute parce que j'ai tiré une lecture pessimiste et relativement noire du parcours de Georges Palet. Au bout du compte, j'ai trouvé que les personnages étaient trop vite enfermés dans un carcan, un édifice, certes brillant mais étouffant. Impression renforcée par les prestations d'acteurs, puisque chacun m'a déçu. Les traits sont exagérés sans grande finesse, dans un recyclage de leur propre jeu (Azéma, Devos).
Ce décalage avec la finesse de la réalisation m'a souvent gêné, pour me laisser en fin de vision un sentiment mitigé et plutôt froid.
-
- Doublure lumière
- Messages : 402
- Inscription : 3 juil. 09, 16:20
- Localisation : Lyon
- Contact :
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
En effet G.TO n'y va pas avec le dos de la cuiller mais cet énervement est pour moi totalement justifié tant Les herbes folles est affligeant de nullité. Un foutage de gueule puissant, de la part d'un réalisateur que j'avais vraiment apprécié jusqu'à présent. La braguette, la phrase finale, les dialogues sans cesse tâtonnants, le vide intersidéral de l'intrigue et le creux total du scénario...bref j'ai absolument détesté.G.T.O a écrit :Non, non je te rassure, moi aussi. Incontestablement, le plus mauvais Resnais que j'ai eu l'occasion de voir. Une catastrophe difficilement compréhensible de la part du réalisateur de Providence où le comique le dispute au ridicule, avec une photo digne d'un épisode érotique M6, un emploi typiquement français de la voix-off laquelle reposant essentiellement sur le talent présumé comique de Edward Bouer, c'est-à-dire avec ses begaiements, ses hésitations...etc, des acteurs en roue libre ( Azema ouaaaahhhhhhhh !!!!) des gags préhistoriques, une théatralité qui n'en finit plus de nous emmerder, et le tout posé sur un édifice branlant, rouillé, sénile. Tout ça pour ça pourrait-on se dire, une sophistication au service d'un drame de boulevard complètement, désolé du terme, con. Pour moi, un des pires films de l'année, ce qui le rend du même coup assez sympathique. Très Z en tout cas.
Et j'ai beau lire depuis hier toutes les critiques positives (critiques presse ou spectateurs), aucune ne me convainc vraiment. C'est un peu facile de faire l'apologie du non-sens et de l'absurdité avec un tel ersatz de film.
J'ai également trouvé le film hideux visuellement. Le tout est effectivement très Z.
Bref, j'ai un peu l'impression que si ce film avait été réalisé par un autre que Resnais, il aurait littéralement été descendu en flèche par la critique (ou serait rapidement tombé dans l'anonymat) (ou plus simplement au fond d'un carton).
Sans conteste le pire film de l'année pour ma part (avec deux longueurs d'avance sur Antichrist et trois sur Slumdog Millionaire)
- Demi-Lune
- Bronco Boulet
- Messages : 14973
- Inscription : 20 août 09, 16:50
- Localisation : Retraité de DvdClassik.
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Ah, Resnais... on a beau se préparer psychologiquement à voir quelque chose d'inattendu et/ou complexe, au final on se fait quand même avoir et on sort à chaud du film en se demandant ce que c'est que ce truc. Et puis après une bonne nuit de sommeil, tout reste remarquablement en mémoire et on en vient à y repenser avec minutie. Bon là perso, je ne deviens pas plus enthousiaste que ça à froid (contrairement à L'année dernière à Marienbad dans le même genre de réaction décontenancée) mais gloire lui soit rendue de proposer un cinéma aussi stimulant.
L'envoûtement du film tient pour moi dans l'imprévisibilité totale de son histoire et de ses développements : les atours guillerets du début et la perspective d'une romance fruit du hasard sont vite évacués au profit d'une progression sinueuse, chaotique, qui cache son objet et ses enjeux derrière une ambiance très travaillée (tant sur le plan tonal - c'est un film plus inquiétant qu'amusant - que plastique). Resnais prend un malin plaisir à rayer les pistes les plus évidentes vers lesquelles le film pourrait logiquement se diriger. Vous croyez que le film sera agréable, sentimental ? Détrompez-vous, il sera désagréable et obsessionnel, aussi impénétrable que le personnage manifestement dérangé de Dussollier. A part quelques incrustations hideuses, la mise en scène enveloppe tout ça avec énormément de classe (plans-séquences avec dilatation du temps) et plutôt que de sortir la tarte à la crème du "David Lynch français", c'est curieusement plus dans l'esprit de Polanski qu'il faudrait chercher la clé de ce mélange d'humour et de bizarre (à rapporter au rythme particulier du montage d'Hervé de Luze).
Reste que les acteurs peinent à convaincre dans leur registre (Azéma est vraiment, vraiment mauvaise) et que le film s’affaiblit considérablement dans son dernier tiers. La séduction des films de Resnais tient souvent dans leur mystère mais là, ça finit par tourner à vide et la toute dernière réplique ne pourra qu'agacer ceux qui auront été perdus depuis longtemps. Mais j'aime être titillé alors je salue quand même le geste malgré ses obscurités (ses errances ?).
L'envoûtement du film tient pour moi dans l'imprévisibilité totale de son histoire et de ses développements : les atours guillerets du début et la perspective d'une romance fruit du hasard sont vite évacués au profit d'une progression sinueuse, chaotique, qui cache son objet et ses enjeux derrière une ambiance très travaillée (tant sur le plan tonal - c'est un film plus inquiétant qu'amusant - que plastique). Resnais prend un malin plaisir à rayer les pistes les plus évidentes vers lesquelles le film pourrait logiquement se diriger. Vous croyez que le film sera agréable, sentimental ? Détrompez-vous, il sera désagréable et obsessionnel, aussi impénétrable que le personnage manifestement dérangé de Dussollier. A part quelques incrustations hideuses, la mise en scène enveloppe tout ça avec énormément de classe (plans-séquences avec dilatation du temps) et plutôt que de sortir la tarte à la crème du "David Lynch français", c'est curieusement plus dans l'esprit de Polanski qu'il faudrait chercher la clé de ce mélange d'humour et de bizarre (à rapporter au rythme particulier du montage d'Hervé de Luze).
Reste que les acteurs peinent à convaincre dans leur registre (Azéma est vraiment, vraiment mauvaise) et que le film s’affaiblit considérablement dans son dernier tiers. La séduction des films de Resnais tient souvent dans leur mystère mais là, ça finit par tourner à vide et la toute dernière réplique ne pourra qu'agacer ceux qui auront été perdus depuis longtemps. Mais j'aime être titillé alors je salue quand même le geste malgré ses obscurités (ses errances ?).
- Ouf Je Respire
- Charles Foster Kane
- Messages : 25906
- Inscription : 15 avr. 03, 14:22
- Localisation : Forêt d'Orléans
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Je viens de voir ce film. J'ai plusieurs fois songé à Lynch et je me dis que Lynch a inspiré Resnais qui a inspiré Lynch.
- Spoiler (cliquez pour afficher)
-
- Doublure lumière
- Messages : 376
- Inscription : 1 avr. 11, 14:20
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
Et moi j'attends toujours impatiemment l'édition de la BO de Mark Snow, qui a par ailleurs accompagné Alain Resnais sur ses quatre derniers films. En dehors de "Coeurs" édité par BSX Records, black out sur sa collaboration musicale.
- Jeremy Fox
- Shérif adjoint
- Messages : 99608
- Inscription : 12 avr. 03, 22:22
- Localisation : Contrebandier à Moonfleet
Re: Les Herbes Folles (Alain Resnais - 2009)
C'est ludique puisque l'on ne sait jamais où le cinéaste nous emmène, ça fourmille d'idées sur le fond comme sur la forme, j'aime beaucoup tous les comédiens, certaines séquences sont d'une grande drôlerie (Amalric-Vuillermoz venant interroger Dussolier), la musique est vraiment belle et les recherches plastiques m'ont assez plu... pas vraiment d'ennui mais à la fin je me suis quand même posé la question de la finalité et je me suis retrouvé à me dire "tout ça pour ça". Bref, loin d'avoir détesté mais ça m'a quand même laissé perplexe surtout au souvenir de films autrement plus jubilatoires tel Smoking/No Smoking par exemple.