Terence Davies

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Joe Wilson
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Terence Davies

Message par Joe Wilson »

Of Time and The City

Dernière réalisation du rare cinéaste britannique Terence Davies (Distant Voices, Still Lives; The Long Day Closes-sur ma liste de films à découvrir), Of Time and The City représente une très belle méditation autobiographique.
Terence Davies s'attache à sa ville, Liverpool, à travers un portrait passionné qui trouve dans l'idéalisation du souvenir la possibilité de surmonter les ravages du temps. S'il exprime régulièrement une colère distanciée contre des symboles (la religion, la monarchie, les Beatles...), la respiration du film vient, presque paradoxalement, de ces instants de sérénité où seule la musique parle, en contrepoint des images. Le montage est superbe tout comme la bande-son, et bien souvent j'ai été saisi par un sentiment d'harmonie, fragile et précieux.
La voix de Terence Davies, appuyée, grave et profonde, trouve un rythme et une tonalité très puissants. La poésie du texte, jusque dans ses citations, justifie cette mise en avant, et l'âpreté de la diction renforce un engagement personnel. Of Time and The City se situe toujours entre révolte et contemplation, regret et admiration, et la parole nourrit cette apparente opposition, qui dans son ambiguité dévoile une grande richesse d'approche.
Car au final, Davies laisse le flot des images révéler sa propre trace, provoquer une émotion troublante. Ce sont des visages qui cernent une résistance, une joie, avec une sensation brève d'éternité. Quand le cinéaste suit la marche hésitante d'une enfant, il magnifie l'illusion des premières fois. Et impose la légitimité d'une transmission, même si cet espace intime tant vénéré a pu s'effondrer sous la perte et la destruction.
Dernière modification par Joe Wilson le 1 mars 09, 14:10, modifié 1 fois.
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ishmael
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Re: Terence Davies

Message par ishmael »

Film superbe, déjà vu deux fois. Comme d'habitude chez Davies, le travail sur la bande-son est d'une extrême précision. Ce qu'il y a de neuf, c'est l'utilisation de la poésie classique anglaise - et d'Eliot - en parallèle avec la musique populaire des années 50. Le seul problème, c'est qu'on se demande si ce n'est pas le dernier film (bon marché puisque constitué d'archives documentaires) qu'on lui permettra de faire, quand on voit les avanies que Davies a dû subir sur Sunset song
Ben Castellano
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Re: Terence Davies

Message par Ben Castellano »

Le plus beau film que j'ai vu en ce début d'année.
Joe Wilson
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Re: Terence Davies

Message par Joe Wilson »

Distant Voices, Still Lives

Une découverte éblouissante...
Terence Davies s'attache à saisir l'essentiel d'une vie par des instants volés au quotidien et chaque geste, chaque anecdote, offrent alors un ressenti fuyant et fragile. La vision des êtres est touchée par une simplicité extrême, qui exprime une humilité digne face à la douleur la plus aigue et la joie la plus pure. La cellule familiale apparaît dans toutes ces contradictions, entre cruauté et tendresse, rancoeur et empathie : quelques moments décisifs de partage scellent à jamais une proximité, une force, qui transcendent l'expression de souffrance. Distant Voices et Still Lives forment deux parties (tournées à deux ans d'intervalle), deux époques, liées dans la recherche d'une appropriation des souvenirs, piliers fugitifs mais décisifs d'un temps qui veut nous échapper.
Distant Voices est marqué par la brutalité. Si l'interprétation dans son ensemble est remarquable, l'interprétation mémorable de Pete Postlethwaite, père violent et incontrôlable, renforce cette ambiguité. La tonalité est sèche, tout à tour cruelle et tendre, assez inoubliable par le trouble qu'elle fait naître. Le lien familial est cerné dans toute sa force et son horreur, indispensable car au-delà de la colère et des affections.
Still Lives semble d'abord vivre davantage dans la douceur, le refuge d'une génération nouvelle. Les déceptions ne peuvent atteindre l'équilibre d'une sérénité, et même la médiocrité de certains ne peut être prise au sérieux, oubliée dans l'évasion offerte par Love is a Many Splendored Thing. Au final reste une même perception d'éternité, dans un rassemblement où chacun veut protéger l'autre en se dressant contre la tristesse.

La mise en scène alterne entre plans figés, arrachés au temps et scènes d'une vivacité poignante (que ce ce soit dans la liesse ou la colère)...elle dessine une unité, une cohérence de point de vue dans sa discrétion. Les personnages semblent presque, dans leur incarnation, préexister au film. Si dans ces portraits, ces récits, le sentiment autobiographique de Terence Davies est omniprésent, il parvient à transcender l'intime, au service de l' appropriation collective d'une histoire enfouie, semblable à bien d'autres. Le témoignage fait remonter à la surface des attitudes, des traditions, qui représentent les symboles plus saisissants d'une identité.
La photographie, par ses teintes pâles et sépia, magnifie une représentation du passé dans une évasion irréelle. Chaque détail, que ce soit des ombres, des rais de lumière, trouvent une dimension affective : la perception d'une angoisse, l'éternité d'un rêve, l'euphorie ou la banalité d'une rencontre.
Mais l'essentiel du film, ce qui le rend sublime, est sa musicalité. Plus que la pertinence et la beauté des choix qui font se rencontrer les styles et les âges, il faut souligner l'aisance avec laquelle Davies fait vivre son discours par la musique, tout en conservant la maîtrise de son langage cinématographique. Le chant est le verbe, l'émotion, la transmission d'une mémoire familiale. Il est le pourquoi d'une lutte, d'une quête personnelle pour surmonter des traumatismes et des échecs.
Deux scènes précisément sont parmi les plus belles que j'ai pu voir dans le cinéma : c'est l'ouverture et l'apparition des visages portés par l'émotion de There's a Man Goin' Round Takin' Names par Jessye Norman...l'impression est si forte que l'on a l'impression d'avoir toujours connu ces hommes et ces femmes alors que, saisis dans une pose de groupe, ils ne sont restés que quelques instants dans le cadre.
Puis, scellant la clôture de "Distant Voices", c'est la chaleur d'un choeur berçant le flot d'une eau limpide, semblable à du cristal, noire d'écume et presque imperceptible...voix peu à peu bousculées par un cri de femme, qui s'avère être l'expression d'un accouchement.
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ishmael
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Re: Terence Davies

Message par ishmael »

DVD BFI le 30 mars
Pas mal de perles dans la musique de ce film. A signaler la version (difficile à trouver) de Dirty old town par les Spinners (ceux de Liverpool, évidemment)... sèche et sans bavure, bien supérieure à celles des Pogues ou des Dubliners.
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MJ
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Re: Terence Davies

Message par MJ »

Faux-documentaire pour Pierre Murat... car oui, Terence Davies est un vrai cinéaste. :|

C'est une recherche du temps perdu, un portrait politique, une auto-critique, un travail expérimental sur l'image d'archive, une ballade lancinante, un étrange post-scriptum, une réflexion sur la joie et la misère, "mais croyez-le, ça fonctionne". Si il peut y avoir du passéisme chez Davies, son film pourtant si personnel en est totalement exempt. On cite facilement Proust au sujet de ce littérateur, je penserais surtout à Zweig (Le Monde d'Hier!).

Comme Mr. Castellano, la grande découverte en salles obscures de ce premier quart d'année. Le revoir au plus vite pour prendre une leçon de montage: le rythme du film est pour ainsi dire parfait.
"Personne ici ne prend MJ ou GTO par exemple pour des spectateurs de blockbusters moyennement cultivés." Strum
Joe Wilson
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Re: Terence Davies

Message par Joe Wilson »

Si The Long Day Closes n'atteint ni la grâce ni la puissance dramatique de Distant Voices, Still Lives, Terence Davies, par un montage extraordinaire, exprime une fluidité de mise en scène qui sonne comme un aboutissement. La trame musicale résonne avec une admiration sereine, le rythme poétique coule de source...le monde de l'enfance (encore jalonné de traces autobiographiques) est dépeint dans toute sa complexité et son incohérence. C'est un mélange parfois chaotique de souvenirs, entre la répétition d'un quotidien et la rareté de moments qui forgent la résistance d'un caractère.
A la révolte cathartique de son prédécesseur dans sa relation au père, The Long Day Closes répond par la persistance d'un équilibre et d'une harmonie...la famille est le ciment d'une reconnaissance affective, le lien permet de s'affranchir des contraintes et des déceptions d'un environnement extérieur (l'école, l'église...). Et comme toujours chez Davies, l'évasion vers un imaginaire demeure la clef d'un espoir, d'une démarche créative. Le rêve est ici l'instrument limpide d'une recherche épanouie...celle qui nous permet de trouver une acceptation de soi et fait le lien entre l'enfance et l'adolescence, voire l'âge adulte.
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Sybille
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Re: Terence Davies

Message par Sybille »

Distant voices, still lives
Terence Davies (1988) :

"Distant voices, still lives" se passe dans les années 1950 et relate la vie d'une famille anglaise dans les environs de Liverpool. Le film ne possède pas de réelle continuité narrative, mais effectue plutôt une sorte de va-et-vient entre différents moments, différents personnages, interrompant parfois une chronologie déjà plus qu'hasardeuse pour remonter loin en arrière, jusqu'à l'enfance, l'adolescence de certains de ses protagonistes. Un montage particulier donc, mais également pour moi l'impression de n'avoir droit qu'à de furtives, d'incomplètes vignettes, avec pour résultat la sensation de rester toujours au loin des personnages, de ne les apercevoir qu'à travers un flou qui les tient à l'écart, et qui finit par les rendre, avouons-le, inintéressants. Ce que montre Terence Davies est pourtant relativement fort : l'extrême violence familiale, la maladie, la mort, les mariages ou les naissances, les rencontres au pub local entre amis et voisins, les chansons, les rires et les pleurs. Singulièrement peu d'espoir par contre, la vision est au contraire très noire, celle du couple en particulier. Pas de bonheur ni de compréhension, mais deux êtres qui vivotent dans une maisonnette de banlieue, un mari prompt à s'énerver, voire à donner des coups si son épouse ne lui obéit pas à la minute, une femme solide en apparence, mais néanmoins craintive et résignée. Une image qui hérisse, énerve, fait soupirer, d'autant plus que, toute proportion gardée évidemment, on se dit qu'elle est vraie. Et même si cela rend toute chose déprimante, il est dommage que Davies ne soit pas parvenu à me convaincre de cette façon sur l'ensemble de son film. 5/10

J'aurais aimé percevoir, ressentir tout ce qu'en dit Joe Wilson dans son beau texte sur le film, surtout que je m'attendais vraiment à aimer, mais j'ai l'impression d'être totalement passé à côté - j'ai même eu un peu de mal à suivre (comprendre) l'histoire et ses personnages. :oops:
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Terence Davies

Message par ballantrae »

Peut-être est-ce un doublon? Tant pis!
A l'occasion de la sortie de The deep blue sea (que je ne pourrai voir de suite pour les mêmes raisons que Faust), je propose aux classikiens plus urbains de raconter leurs impressions car ce cinéaste secret et subtil mérite l'attention depuis ses débuts.
Distant voices, still lives fut une révélation impressionnante avec sa construction musicale, ses ellipses, son rapport métonymique à la reconstitution.Sorti la même année que Radio days, Distant voices...touchait par la fragilité proustienne des réminiscences radiophoniques servant de fil conducteur à un récit autobiographique émouvant et pudique. The long day closes tout aussi réussi allait plus loin dans l'abstraction et la plastique du souvenir pur, fait de sensations ineffables et reconstituées avec un soin maniaque.
La carrière a un peu marqué la pas ensuite mais les années 2000 renforcent l'idée que ce cinéaste reste une signature importante du cinéma anglais: Chez les heureux du monde est une adaptation vibrante, précise et plastiquement impressionnante d'un roman d'Edith Wharton qui constitue un diptyque idéal avec Age of innocence de Scorsese, le premier jouant la carte de l'annotation à peine esquissée et elliptique tandis que le second capte avec une maestria viscontienne l'oxymore faste/décrépitude d'un monde.On peut trouver une édition du livre accompagnée du DVD dans la collection L'imaginaire Gallimard.
Le film passé inaperçu chez nous au moins est suivi d'un "documentaire" autobiographique admirable qui retrouve et revivifie toutes les qualités d'un cinéaste discret ET indispensable par son côté anachronique: Of time and the city dépasse le statut de montage d'archives modernisé très présent à la Tv en ces années 2000 pour devenir une sorte de journal intime unifié par le travail sur le son qui dicte lui même les associations opérées par le montage quand ce n'est pas l'inverse.Les images se trouvent ainsi porteuses d'une charge affective touchante.A mon avis , le travail documentaire le plus passionnant de ces dernières années avec la part documentaire du cinéma de Sokourov ( Elégie de la traversée, Dolce,Povinnost,Conversations avec Soljenytsine, etc...).
Bref, The deep blue sea disparaîtra peut-être très vite des écrans donc courez-y et racontez nous.En plus, la formidable et belle R Weisz interprète l'un des rôles principaux!
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Jeremy Fox
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Re: Terence Davies

Message par Jeremy Fox »

Comme Sybille, un cinéma qui avait à priori tout pour me plaire et qui finalement m'a laissé sur le bas-côté à chaque essai, qui m'a même fortement agacé. Une de mes plus grosses déceptions de spectateurs en comparaison avec l'attente que j'en avais. Ses films ne me touchent pas jusqu'à présent mais je ferais une autre tentative à l'occasion.
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Re: Terence Davies

Message par Flol »

Et j'apprends donc qu'il a adapté le 1er roman de Kennedy Toole que j'adore ! :o
Quelqu'un sait ce que ça vaut ?
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Jeremy Fox
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Re: Terence Davies

Message par Jeremy Fox »

Ben, tu n'as plus qu'à cliquer sur l'affiche pour avoir un premier avis :wink:
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Re: Terence Davies

Message par Flol »

Bien vu. :|
Merci !
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Re: Terence Davies

Message par ballantrae »

Un film assassiné à sa sortie mais qui vaut le détour ne serait-ce que pour son inventivité picturale ( côté E Hopper aussi convaincant que chez Wenders ou Altman dans Fool for love) et pour G Rowlands!
Joe Wilson
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Re: Terence Davies

Message par Joe Wilson »

The Deep Blue Sea

J'étais très impatient de découvrir ce nouveau film de Terence Davies et en sors comblé au-delà de mes attentes. Le rapport du cinéaste au passé, au souvenir, à la mémoire et à la fragilité du vécu me bouleverse, tout comme l'incarnation par sa mise en scène d'une hypersensibilité intériorisée, dont le refoulement et l'éclat forment le coeur de cette adaptation de Terence Rattigan.

The Deep Blue Sea marque par sa cohérence, sa fluidité (plus évidente que ses précédentes adaptations, même si j'admire The House of Mirth qui s'appuie cependant sur des cassures dévoilant un renoncement), et révèle bien des liens avec ses "autobiographies" des années 80. Par le contexte historique évidemment, mais surtout dans la tonalité de la photographie. Voilée et mordorée, elle fascine par ses contrastes alors que la lumière semble toujours brûlante, sur le point d'aveugler les personnages. La musique apporte aussi une richesse indispensable : les deux séquences sur "You Belong To Me" (Jo Stafford) et le traditionnel "Molly Malone" sont mémorables car elles sont l'évocation rare d'une osmose collective, d'un partage face à une solitude, parenthèse d'un moment qui sans elle serait réduit à l'état de vestige immobile. Le mouvement lent du concerto pour violon de Barber apporte par contre la sensation d'une continuité, leitmotiv d'une souffrance que l'on voudrait à la fois transcender et dépasser. Sa répétition crée l'effet d'une pesanteur qui, loin d'une surenchère, offre au film l'esquisse d'un rythme que celui-ci parvient à soutenir...grâce à la fluidité des plans et l'attention portée aux moindres gestes du quotidien. La démarche esthétique est presque oppressante dans son jusqu'au-boutisme mais c'est par ces moyens qu'elle parvient à affirmer sur le vif chaque ressenti.

Rachel Weisz interprète le rôle d'une femme submergée par des émotions auxquelles elle ne veut ni ne peut renoncer. Les traits de son visage portent en eux une flamme qui ne cédera pas aux conforts du regret, ce qui la conduit à une impasse vis à vis de son mari et de son amant. Si Terence Davies saisit une représentation de la condition féminine de l'après Seconde Guerre Mondiale, ainsi que les prémices d'une société qui évolue et bascule, il s'attache surtout à transcender une libération personnelle. L'acceptation de soi précipite la recherche d'une transcendance, d'une grâce forcément fugitive....mais qui peut représenter la source et la respiration d'une vie.
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