Terence Davies

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Supfiction
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Re: Terence Davies

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Profondo Rosso a écrit :Chez les heureux du monde (2000)

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Au début du XXe siècle, au sein de la haute société new-yorkaise où règnent superficialité et hypocrisie, Lily Bart, ravissante jeune femme au sommet de sa gloire mondaine, découvre subitement la précarité de sa position, quand son charme et sa beauté suscitent convoitise et jalousie. En quête d'un riche mari et désireuse de se conformer aux usages de son milieu, Lily passe à côté de l'amour véritable incarné par l'infortuné Lawrence Selden.

Edith Wharton a été peu servie par le septième art puisque les adaptations s’y limitent à deux (il existe aussi une version muette disparue de Chez les heureux du monde par Albert Capellani, on en trouve un peu plus en se tournant vers la télévision) avec Le Temps de l’innocence de Martin Scorsese (1993) et donc Chez les heureux du monde de Terence Davies (2000). The House of Mirth est le premier roman majeur d’Edith Wharton dont l’existence doit beaucoup à Henry James, grand ami et mentor de cette dernière. Edith Wharton, qui passa son enfance en Europe y développa une certaine liberté d’esprit et de pensée qui éveillèrent son sens critique lorsqu’elle revint à la société guindée new yorkaise dont tout le vide s’exposa à elle au grand jour. Malheureuse en mariage, c’est d’abord sa grande culture qui la poussera à l’écriture avec son premier ouvrage The Decoration of the Houses avec l’architecte Ogden Codman ou plus tard le roman historique The Valley of Decision se déroulant dans l’Italie du XVIIIe siècle.

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Si ces premiers essais développent son sens de la description et de l’ornement (d’une importance cruciale dans la psychologie de ses personnages) son ami Henry James lui reprochera l’abstraction de ses écrits détachés du réel et lui recommandera de mettre son évident talent littéraire dans une vision des éléments qui l’entoure. Et que connaît-elle le mieux si ce n’est cette aristocratie new yorkaise hypocrite qu’elle exècre ? Le résultat de ses nouvelles résolutions sera donc The House of Mirth, tragique et féroce vision de ce milieu.

Terence Davies délivre une remarquable adaptation, très fidèle et aux choix audacieux. L’histoire dépeint le terrible destin de Lily Bart (Gillian Anderson), beauté, objet de convoitise et de jalousie de cette bourgeoisie new yorkaise. Le personnage est déchiré entre des aspirations personnelles plus nobles et la soumission à l’étiquette et train de vie frivole de son milieu. C’est son absence de choix constant qui causera sa perte. D’un côté amoureuse du modeste Lawrence Selden, seul avec qui elle peut être elle-même et l’ouvrant à un monde plus vrai et authentique. De l’autre les belles robes, les fêtes somptueuses, les sorties à l’opéra et les séjours à la campagne, signes extérieurs d’une richesse qu’elle n’a pas et auxquels elle ne peut renoncer. Lily fera ainsi tous les mauvais choix, s’aliénant l’amour de Selden comme la reconnaissance de ses pairs. Trop hautaine pour totalement céder à Selden et trop consciente pour céder aux comportements odieux qui faciliterait son ascension (l’épisode des lettres compromettante de Bertha Dorset), Lily est un personnage condamné. Gillian Anderson est absolument admirable en Lily Bart, l’allure gracieuse et séductrice ravageuse (la première apparition où se dévoile sa silhouette dans l’ombre est splendide) dont la tranquille assurance dissimule un être profondément angoissé. L’actrice bouleverse ainsi lorsqu’elle tombe le masque pour s’abandonner fragile et tremblante dans les bras de Selden, et sa déchéance progressive n’en sera que plus désarmante lorsqu’elle ne pourra plus trouver la force à garder ce maintien face aux épreuves. Terence Davies rend son film presque plus pessimiste que le déjà très sombre roman par ses changements. Le réalisateur fait ainsi disparaître le personnage de Gerty Farrish, cousine humble et travailleuse de Lily Bart qui offre le miroir d’une autre existence possible pour l’héroïne si elle renonçait à ses futilités. Davies dans son script mêle certains aspects du personnage à la nettement moins avenante Grace Stepney (Jhodi May) tel que la rivalité amoureuse autour de Selden et celle pour les faveurs de la Tante Peniston.

Par ce choix, Davies ne donne plus d’échappatoire possible à Lily dont le funeste destin est tracé et surtout renforce l’impossibilité de toute amitié réelle et de relation sincère dans ce cadre où tout rapprochement est calculé, où tout service doit recevoir sa "récompense" (Dan Aykroyd horrible Gus Trenor). Les autres changements vont dans ce sens et ne donne plus aucun répit à Lily tel ce moment de réconfort dans les dernières pages du livre où elle croise une ancienne connaissance et son bébé. Davies instaure un style feutré et faussement neutre qui s’il ne délaisse pas le côté chatoyant du film en costume s’avère profondément étouffant. On devine plus que l’on aperçoit les demeures luxueuses traversées, la scène de l’opéra s’attarde plus sur les regards s’épiant entre les loges que le décor en lui-même et les beautés du voyage en Europe reste en arrière-plan pour mieux illustrer les manipulations de Bertha Dorset (Laura Linney perfide à souhait).C’est une véritable chape de plomb du paraître qui s’abat ainsi sur l’ensemble du film où une fois la réputation faite le piège se referme inéluctablement. Un dialogue brillant entre Lily et Bertha Dorset souligne ce qui les différencie : l’une mène une vraie existence dissolue mais à le statut et les moyens d’étouffer des travers connus de tous quand Lily finalement trop « pure » perdra tout par ce que l’on suppose faussement d’elle mais ne pouvant se défendre à armes égales. Le jugement moral s'arrête ainsi à l'aune de la richesse du coupable.

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Tous ses aspects sont brillamment mis en place par Davies qui a parfaitement saisi l’essence du roman. Dès lors on pardonnera les quelques faiblesses, notamment au casting avec un Eric Stolz un peu fade face à la droiture qu’on ressent à lecture pour Lawrence Selden. Les entrevues avec Lily Bart tiennent donc grandement à l’émotion véhiculée par Gillian Anderson (qui aurait dû définitivement se détacher de X-Files et faire une belle carrière après ce rôle dommage) notamment la dernière déchirante. Beau film néanmoins 5/6
Tu l’as vu comment ?
Ce film était fait pour moi, je suis étonné d’être passé à côté, probablement mal distribué. Il n’y a d’ailleurs pas de dvd français.

Edit : je suis allé vérifier dans mes notes de l’année 2001 et en fait, j’avais bel et bien vu ce film en salle. Il ne m’a vraisemblablement laissé aucun souvenir puisque j’avais totalement oublié l’avoir vu. J’avais d’ailleurs mis 4,5/10, c’est tout ce que je peux dire.
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Message par Flol »

Supfiction a écrit :Tu l’as vu comment ?
Ce film était fait pour moi, je suis étonné d’être passé à côté, probablement mal distribué. Il n’y a d’ailleurs pas de dvd français
Perso, je l'avais loué (pour 4€ je crois) sur iTunes. Qualité pas top, mais c'est toujours mieux que rien.
-Kaonashi Yupa- a écrit :
Supfiction a écrit :Le BR de SUNSET SONG revient à 5 euros pour qui se concocte une opé amazon 60=30.
https://www.amazon.fr/gp/product/B01FUB ... NB96&psc=1
Ça fait un moment que ce film m’attire. Pas vu de retour sur classik à propos de ce film.
J'ai le Br depuis un an, j'avais très envie de le voir à l'époque, mais je n'ai toujours pas sauté le pas... :oops:
Si tu es connaisseur et amateur du boulot de Davies, vas-y fonce. Je l'ai vu le mois dernier et j'ai trouvé ça splendide.
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Re: Terence Davies

Message par -Kaonashi- »

Flol a écrit :Si tu es connaisseur et amateur du boulot de Davies, vas-y fonce. Je l'ai vu le mois dernier et j'ai trouvé ça splendide.
J'ai beaucoup aimé The Deep Blue Sea, c'est tout ce que j'ai vu de Terence Davies pour l'instant.

Et merci pour le conseil pour voir Chez les heureux du monde ! Celui-ci aussi j'ai très envie de le voir.
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Re: Terence Davies

Message par Supfiction »

Profondo Rosso a écrit :Chez les heureux du monde (2000)

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Au début du XXe siècle, au sein de la haute société new-yorkaise où règnent superficialité et hypocrisie, Lily Bart, ravissante jeune femme au sommet de sa gloire mondaine, découvre subitement la précarité de sa position, quand son charme et sa beauté suscitent convoitise et jalousie. En quête d'un riche mari et désireuse de se conformer aux usages de son milieu, Lily passe à côté de l'amour véritable incarné par l'infortuné Lawrence Selden.

Edith Wharton a été peu servie par le septième art puisque les adaptations s’y limitent à deux (il existe aussi une version muette disparue de Chez les heureux du monde par Albert Capellani, on en trouve un peu plus en se tournant vers la télévision) avec Le Temps de l’innocence de Martin Scorsese (1993) et donc Chez les heureux du monde de Terence Davies (2000). The House of Mirth est le premier roman majeur d’Edith Wharton dont l’existence doit beaucoup à Henry James, grand ami et mentor de cette dernière. Edith Wharton, qui passa son enfance en Europe y développa une certaine liberté d’esprit et de pensée qui éveillèrent son sens critique lorsqu’elle revint à la société guindée new yorkaise dont tout le vide s’exposa à elle au grand jour. Malheureuse en mariage, c’est d’abord sa grande culture qui la poussera à l’écriture avec son premier ouvrage The Decoration of the Houses avec l’architecte Ogden Codman ou plus tard le roman historique The Valley of Decision se déroulant dans l’Italie du XVIIIe siècle.

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Si ces premiers essais développent son sens de la description et de l’ornement (d’une importance cruciale dans la psychologie de ses personnages) son ami Henry James lui reprochera l’abstraction de ses écrits détachés du réel et lui recommandera de mettre son évident talent littéraire dans une vision des éléments qui l’entoure. Et que connaît-elle le mieux si ce n’est cette aristocratie new yorkaise hypocrite qu’elle exècre ? Le résultat de ses nouvelles résolutions sera donc The House of Mirth, tragique et féroce vision de ce milieu.

Terence Davies délivre une remarquable adaptation, très fidèle et aux choix audacieux. L’histoire dépeint le terrible destin de Lily Bart (Gillian Anderson), beauté, objet de convoitise et de jalousie de cette bourgeoisie new yorkaise. Le personnage est déchiré entre des aspirations personnelles plus nobles et la soumission à l’étiquette et train de vie frivole de son milieu. C’est son absence de choix constant qui causera sa perte. D’un côté amoureuse du modeste Lawrence Selden, seul avec qui elle peut être elle-même et l’ouvrant à un monde plus vrai et authentique. De l’autre les belles robes, les fêtes somptueuses, les sorties à l’opéra et les séjours à la campagne, signes extérieurs d’une richesse qu’elle n’a pas et auxquels elle ne peut renoncer. Lily fera ainsi tous les mauvais choix, s’aliénant l’amour de Selden comme la reconnaissance de ses pairs. Trop hautaine pour totalement céder à Selden et trop consciente pour céder aux comportements odieux qui faciliterait son ascension (l’épisode des lettres compromettante de Bertha Dorset), Lily est un personnage condamné. Gillian Anderson est absolument admirable en Lily Bart, l’allure gracieuse et séductrice ravageuse (la première apparition où se dévoile sa silhouette dans l’ombre est splendide) dont la tranquille assurance dissimule un être profondément angoissé. L’actrice bouleverse ainsi lorsqu’elle tombe le masque pour s’abandonner fragile et tremblante dans les bras de Selden, et sa déchéance progressive n’en sera que plus désarmante lorsqu’elle ne pourra plus trouver la force à garder ce maintien face aux épreuves. Terence Davies rend son film presque plus pessimiste que le déjà très sombre roman par ses changements. Le réalisateur fait ainsi disparaître le personnage de Gerty Farrish, cousine humble et travailleuse de Lily Bart qui offre le miroir d’une autre existence possible pour l’héroïne si elle renonçait à ses futilités. Davies dans son script mêle certains aspects du personnage à la nettement moins avenante Grace Stepney (Jhodi May) tel que la rivalité amoureuse autour de Selden et celle pour les faveurs de la Tante Peniston.

Par ce choix, Davies ne donne plus d’échappatoire possible à Lily dont le funeste destin est tracé et surtout renforce l’impossibilité de toute amitié réelle et de relation sincère dans ce cadre où tout rapprochement est calculé, où tout service doit recevoir sa "récompense" (Dan Aykroyd horrible Gus Trenor). Les autres changements vont dans ce sens et ne donne plus aucun répit à Lily tel ce moment de réconfort dans les dernières pages du livre où elle croise une ancienne connaissance et son bébé. Davies instaure un style feutré et faussement neutre qui s’il ne délaisse pas le côté chatoyant du film en costume s’avère profondément étouffant. On devine plus que l’on aperçoit les demeures luxueuses traversées, la scène de l’opéra s’attarde plus sur les regards s’épiant entre les loges que le décor en lui-même et les beautés du voyage en Europe reste en arrière-plan pour mieux illustrer les manipulations de Bertha Dorset (Laura Linney perfide à souhait).C’est une véritable chape de plomb du paraître qui s’abat ainsi sur l’ensemble du film où une fois la réputation faite le piège se referme inéluctablement. Un dialogue brillant entre Lily et Bertha Dorset souligne ce qui les différencie : l’une mène une vraie existence dissolue mais à le statut et les moyens d’étouffer des travers connus de tous quand Lily finalement trop « pure » perdra tout par ce que l’on suppose faussement d’elle mais ne pouvant se défendre à armes égales. Le jugement moral s'arrête ainsi à l'aune de la richesse du coupable.

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Tous ses aspects sont brillamment mis en place par Davies qui a parfaitement saisi l’essence du roman. Dès lors on pardonnera les quelques faiblesses, notamment au casting avec un Eric Stolz un peu fade face à la droiture qu’on ressent à lecture pour Lawrence Selden. Les entrevues avec Lily Bart tiennent donc grandement à l’émotion véhiculée par Gillian Anderson (qui aurait dû définitivement se détacher de X-Files et faire une belle carrière après ce rôle dommage) notamment la dernière déchirante. Beau film néanmoins 5/6
Voilà plusieurs années que j’ambitionnais de voir ce film. J’attendais d’avoir lu le livre pour le faire.
Fatalement il y a dans ce sens (lecture du roman suivie de la vision du film) des frustrations mais il est difficile d’en tenir totalement rigueur au réalisateur tant la tâche de retranscrire les tourments intérieurs et les obstacles auxquels l’héroine est confrontée est ardue, davantage peut-être que pour The age of innocence. Aussi je pense sincèrement que je n’aurais pas compris le film si je n’avais pas lu le livre avant. Le scénariste a d’ailleurs changé le sens de quelques scènes pour rendre les agissements plus compréhensibles (par exemple, Selden découvre les lettres à moitié brûlées, ce qui n’est pas le cas dans le livre) ou exacerbé les comportements (pleurs et baisers qui n’existent pas dans l’oeuvre originale ou seulement en pensées comme a su génialement les représenter Martin Scorsese). La réalisation est donc soignée et délicate mais manque du génie indispensable pour retranscrire plus fidèlement la complexité des sentiments et des situations aux yeux non avertis.
Mais le casting est très bon voire excellent.
Excellents sont Laura Linney (comme d’habitude) et Dan Akroyd totalement à contre emploi.
Et bien entendu, la révélation du film est bien Gillian Anderson, d’une délicatesse remarquable et d’une beauté fascinante.
Beauté de l’actrice mais aussi beauté des toilettes et des accessoires, qualité indispensable à une bonne adaptation d’Edith Wharton.
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Message par Profondo Rosso »

The Neon Bible (1995)

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Dans les années 40, la vie de David, originaire d'une petite ville fondamentaliste de la région du sud des Etats-Unis, est bouleversée par l'arrivée de sa tante Mae. Ancienne chanteuse de cabaret, Mae vient s'installer dans la maison qu'habitent David et ses parents et devient rapidement sa seule amie.

The Neon Bible est la première œuvre de Terence Davies qui le sort de la veine autobiographique qui caractérisait ses premiers films, The Terence Davies Trilogy (1984), Distant Voices, Still Lives (1988) et The Long Day Closes (1991). L'autre versant de la filmographie de Davies réside en effet dans la grande adaptation littéraire avec Chez les heureux du monde (2001) d'après Edith Wharton, The Deep Blue Sea (2011) d'après Terrence Rattigan ou encore Sunset Song (2015) d'après Lewis Grassic Gibbon. The Neon Bible est donc la transposition du roman éponyme de John Kennedy Toole (surtout connu pour La Conjuration des imbéciles), le premier de son auteur mais paru à titre posthume en 1989, 20 ans après sa mort.

Le récit nous plonge dans le sud des Etats-Unis dans les années 40 et accompagne le difficile quotidien du jeune David (Jacob Tierney). Le contexte est difficile à la fois dans le cadre intime avec une mère à l'équilibre mental fragile et un père violent et abusif, tandis que la ville est plongée par une forme de fondamentalisme religieux exacerbé. Le seul rayon de soleil est la présence chaleureuse de sa tante Mae (Gena Rowlands), ancienne chanteuse de cabaret au tempérament fantasque. Terence Davies ne révolutionne pas particulièrement son approche malgré cette source différente. Le récit n'est pas aussi kaléidoscopique que Distant Voices, Still Lives et The Long Day Closes car suivant une vraie évolution temporelle (à travers David que l'on voit grandir, mais aussi du contexte historique notamment le marqueur de la Deuxième Guerre Mondiale) mais l'idée reste la même en nous faisant sauter d'une tranche de vie à une autre, heureuse ou tragique. Terence Davies conserve également sa veine nostalgique à travers quelques vignettes qui fonctionnent mieux sur les purs éléments intimistes que dans ceux culturels (même si l'on retrouve son gout du music-hall et du théâtre dans quelques séquences et bien sûr le personnage de Gena Rowlands) où son rapport personnel à l'époque et à l'Angleterre rendaient l'émotion plus palpable et authentique sur les précédents films.

Terence Davies ne s'approprie vraiment le film que par ses choix formels où il sort de sa zone de confort. Le héros David n'a jamais quitté sa vallée et Davies traduit à la fois cet enfermement dans un cadre, une mentalité, mais aussi le désir de s'en échapper. Le réalisateur multiplie les cadres dans le cadre signifiant autant une prison qu'une vue sur l'ailleurs avec ses fenêtre donnant sur des nuits étoilées, ses portes vitrées donnant sur un jardin, une ruelle. Les nombreux fondus au noir sont tour à tour diégétiques et extra diégétiques, traduisant eux constamment un sentiment d'étouffement et plus particulièrement celui de fondamentalisme religieux. Davies capture notamment très bien une forme d'obscurantisme avec le contraste d'une référence culturelle et de l'imagerie religieuse, que ce soit un standard musical accompagnant une scène où des livres "scandaleux" sont brûlés ou le célèbre thème musical d'Autant en emporte le vent introduisant les vociférations d'un prêcheur hystérique à la Elmer Gantry. Ce contexte américain qu'il ne parvient pas toujours à traduire par la narration, Davies l'exprime donc subtilement dans sa mise en scène. Cela passe aussi comme souvent avec lui par l'inspiration picturale, les chaleureux instants partagés entre David et sa tante Mae nous plongeant dans des atmosphères où des tableaux d'Edward Hopper (l'affiche est une vraie note d'intention) semblent prendre vie, notamment grâce à la belle photo de Michael Coulter. Ce sont ces inspirations qui font tout l'intérêt de The Neon Bible, la dramaturgie du récit ne retrouvant pas l'hypnotique et poignante touche flottante de Distant Voices, Still Lives et The Long Day Closes, et ne convaincant pas pleinement dans une narration classique (le final très sombre bien qu'annoncé tombe comme un cheveu sur la soupe). Un intéressante œuvre de transition où Davies se déleste de quelques réflexes avant la grande réussite de Chez les heureux du monde. 4,5/6
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Re: Terence Davies

Message par Alexandre Angel »

Profondo Rosso a écrit :Cela passe aussi comme souvent avec lui par l'inspiration picturale, les chaleureux instants partagés entre David et sa tante Mae nous plongeant dans des atmosphères où des tableaux d'Edward Hopper (l'affiche est une vraie note d'intention) semblent prendre vie, notamment grâce à la belle photo de Michael Coulter.
Ah oui, carrément!
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

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Re: Terence Davies

Message par Profondo Rosso »

Alexandre Angel a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Cela passe aussi comme souvent avec lui par l'inspiration picturale, les chaleureux instants partagés entre David et sa tante Mae nous plongeant dans des atmosphères à où des tableaux d'Edward Hopper (l'affiche est une vraie note d'intention) semblent prendre vie, notamment grâce à la belle photo de Michael Coulter.
Ah oui, carrément!
L'image de l'affiche c'est un plan du film d'ailleurs :wink:

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Re: Terence Davies

Message par -Kaonashi- »

copier-coller d'un autre topic
-Kaonashi Yupa- a écrit :
Supfiction a écrit :
Très bon Chez les heureux du monde, oui, grâce à une magnifique Gillian Anderson. J’ai également lu le livre dans la foulée, qui permet de mieux comprendre le personnage et ce qu’elle doit affronter.
J'ai lu le livre il y a un an environ, il m'avait bouleversé par la violence du destin du personnage et des rapports sociaux décrit par Wharton. J'en avais déjà eu un bon aperçu avec Le Temps de l'innocence (film puis roman), dans The House of Mirth c'est encore plus poussé. Dès le début, dès le premier chapitre, c'est très fort et très juste sur la condition de la femme à l'époque, avec tellement de résonances avec aujourd'hui encore... Il y a cette discussion entre Lily Bart et Selden qui dit tout sur le destin tragique de Lily : dans cette société, pour survivre, l'homme a le choix de se marier ou non ; la femme, non.

Et je ne suis pas d'accord avec toi Supfiction, la réussite de ce film repose effectivement sur le talent de Gilian Anderson qui a été superbement dirigée par Terence Davies, mais pas seulement ! L'ensemble du casting est fantastique, Laura Liney est parfaitement détestable, Antony LaPaglia apporte une vraie nuance à un personnage pas évident. Et puis en dépit de quelques moments où le découpage m'a semblé maladroit (budget serré d'un film reconstituant à Glasgow le NY des 1900s ?), la réalisation est très élégante, très belle photo et direction artistique...
J'ai vu peu de films de Terence Davies, en tout cas ils s'en dégagent toujours une espèce de sincérité, de véritable amour pour ses personnages. Je ne sais pas comment l'exprimer
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Re: Terence Davies

Message par -Kaonashi- »

Des petits problèmes de mémoire, Supfiction ? :mrgreen:
Le 11 février 2018, Supfiction a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Chez les heureux du monde (2000)[...]
Tu l’as vu comment ?
Ce film était fait pour moi, je suis étonné d’être passé à côté, probablement mal distribué. Il n’y a d’ailleurs pas de dvd français.

Edit : je suis allé vérifier dans mes notes de l’année 2001 et en fait, j’avais bel et bien vu ce film en salle. Il ne m’a vraisemblablement laissé aucun souvenir puisque j’avais totalement oublié l’avoir vu. J’avais d’ailleurs mis 4,5/10, c’est tout ce que je peux dire.
Le 11 juin 2019, Supfiction a écrit :
Profondo Rosso a écrit :Chez les heureux du monde (2000)[...]
Voilà plusieurs années que j’ambitionnais de voir ce film. J’attendais d’avoir lu le livre pour le faire.
Fatalement il y a dans ce sens (lecture du roman suivie de la vision du film) des frustrations mais il est difficile d’en tenir totalement rigueur au réalisateur tant la tâche de retranscrire les tourments intérieurs et les obstacles auxquels l’héroine est confrontée est ardue, davantage peut-être que pour The age of innocence. Aussi je pense sincèrement que je n’aurais pas compris le film si je n’avais pas lu le livre avant. Le scénariste a d’ailleurs changé le sens de quelques scènes pour rendre les agissements plus compréhensibles (par exemple, Selden découvre les lettres à moitié brûlées, ce qui n’est pas le cas dans le livre) ou exacerbé les comportements (pleurs et baisers qui n’existent pas dans l’oeuvre originale ou seulement en pensées comme a su génialement les représenter Martin Scorsese). La réalisation est donc soignée et délicate mais manque du génie indispensable pour retranscrire plus fidèlement la complexité des sentiments et des situations aux yeux non avertis.
Mais le casting est très bon voire excellent.
Excellents sont Laura Linney (comme d’habitude) et Dan Akroyd totalement à contre emploi.
Et bien entendu, la révélation du film est bien Gillian Anderson, d’une délicatesse remarquable et d’une beauté fascinante.
Beauté de l’actrice mais aussi beauté des toilettes et des accessoires, qualité indispensable à une bonne adaptation d’Edith Wharton.
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Re: Terence Davies

Message par Supfiction »

Des problèmes de mémoire oui.. Mais je suis heureux de constater que je suis cohérent avec moi-même puisque je disais globalement la même chose qu’aujourd’hui.

Ca me revient maintenant, j’avais résisté à l’envie de voir le film tant que je n’avais pas fini le roman. Et je suis content d’avoir procédé ainsi car on comprend mieux la tragédie du personnage en ayant lu le livre avant.
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Re: Terence Davies

Message par Profondo Rosso »

Emily Dickinson, a Quiet Passion (2016)

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Au milieu du XIXe siècle, en Nouvelle-Angleterre2, Emily Dickinson se fait renvoyer du Mount Holyoke Female Seminary pour son attitude rebelle vis-à-vis des conventions religieuses. Elle revient dans la propriété familiale d'Amherst, où elle va vivre désormais, sans se marier. Sa famille est austère, puritaine, mais aimante et très unie. Emily est passionnée de poésie

Dans le pan non autobiographique de sa filmographie, Terence Davies se fait un grand peintre de l'émancipation féminine. Celle-ci s'exprime par le défi à un monde aristocratique sclérosé et hypocrite dans Chez les heureux du monde (2000) où il adapte magistralement Edith Wharton, la perdition et le risque d'une romance adultère avec The Deep Blue Sea (2012) cette fois transposant Terence Rattigan, où l'arrachement aux codes patriarcaux d'un environnement rural arriéré sur le magnifique Sunset Song (2015) d'après le roman de Lewis Grassic Gibbon. Chacun de ces films se caractérisait par un parti pris formel fort, que ce soit l'imagerie romanesque de Chez les heureux du monde, le huis-clos austère de The Deep Blue Sea ou l'épiphanie pastorale progressive de Sunset Song. On reste dans cette recherche d'une esthétique forte et d'une source littéraire avec ce A Quiet Passion qui est le biopic de la poétesse américaine Emily Dickinson. Celle-ci vécu au XIXe siècle et ne trouve la reconnaissance qu'à titre posthume après une existence recluse où seuls une douzaine de ses poèmes furent publiés de son vivant. C'est une figure atypique et incomprise de ses contemporains pour son tempérament austère et ses excentricités, qui se manifeste dans la prose alambiquée de ses poèmes.

La scène d'ouverture explicite toute la problématique à venir du film. Encore jeune fille et pensionnaire à la Mount Holyoke Female Seminary, elle est confrontée au choix qu'impose la religieuse aux élèves : se placer à gauche ou à droite selon la manière dont elles souhaitent vivre leur foi chrétienne. Emily ne choisit aucune des deux voies, préservant son individualité et sa croyance. Elle préfèrera retrouver la chaleur de la maison familiale où elle peut être elle-même. Toute l'introduction du film avec Emily et sa fratrie encore jeune souligne leur anticonformiste et le soutien de cette attitude par leur parent, notamment face à une tante bigote et moquée. Une ellipse nous les fait retrouver à l'âge adulte, où le temps et l'environnement semble les voir tous fait rentrer dans le rang, sauf Emily (Cynthia Nixon). Son attitude rebelle se manifeste lorsqu'elle est la seule à refuser de s'agenouiller lors de la visite d'un pasteur chez eux. Tout l'environnement d'Emily cohabite avec cet idéal d'anticonformiste et un quotidien fait de compromis. Le père (Keith Carradine) se soumet au diktat religieux et aux convenances sociales tout en étant un progressiste prônant la justice sociale et s'opposant à l'esclavage. Vryling Buffam (Catherine Baile), meilleure amie d'Emily, est une sorte de projection fantasmée (puisque totalement inventée pour le film) de l'héroïne qui manifeste avec morgue et de brillants badinages verbaux sa défiance aux carcans que ce monde puritain lui impose. Elle finira pourtant à son tour par se marier, et de son propre aveu sans être amoureuse.

Emily déçue par cette société de compromis ne cèdera jamais l'idéal qu'elle se fait de sa liberté d'être et ne se soumettra jamais. Mais alors que la rébellion des autres héroïnes de Davies se faisait par les actes, l'opposition frontale, celle d'Emily se fera par la retraite. Une retraite aux unions conventionnelles, son seul semblant d'initiative amoureuse se faisant avec un pasteur marié, et dont le dépit lui fera choisir un célibat définitif. Un refus des conventions littéraires de son temps qui la verront publiée dans un semi-anonymat (ou alors pour fustiger l'étrangeté de sa prose du côté de la critique). Emily par ce repli sur elle-même et son impossible quête de perfection va pourtant progressivement devenir aussi austère, aigrie et moralisatrice que ceux auxquels elle s'oppose en silence. Terence Davies oppose le monde intérieur bouillonnant d'Emily et la nature terne de son quotidien à travers une longue suite de tableaux mettant en scène l'héroïne. Plus le temps passe, plus l'espace se restreint (pour se réduire à sa chambre et sa table de travail), plus Emily est isolée et seule à l'écran. Les couleurs s'estompent et les compositions de plan ne traduisent plus que solitude, amertume et souffrance. La perfection, l'espoir puis la résignation d'Emily passe finalement par les soubresauts labyrinthiques de ces poèmes qui s'expriment tout au long du film en voix-off. Le non connaisseur ne saura certes pas analyser de façon littéraire l'originalité des métaphores, de l'agencement des mots et des expérimentations de la ponctuation, mais Terence Davies parvient de manière sensitive à nous faire ressentir ce qu'ils expriment des tourments d'Emily - tandis que l'aura féministe du propos plane avec finesse sur l'ensemble. Un magnifique portrait de femme porté par une performance fabuleuse de Cynthia Nixon (très loin de Sex and the City), et dont il faudra juste s'accommoder de l'austérité. 4,5/6
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Re: Terence Davies

Message par Ouf Je Respire »

Profondo Rosso a écrit : 31 mai 13, 03:19 Distant Voices, Still Lives (1988)

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L'histoire d'une famille de Liverpool dans les années 50 à travers les souvenirs du réalisateur. Distant Voices est le portrait détaillé du mode de vie traditionnel de la classe ouvrière qui a marqué son enfance.

Après son inaugural et salué The Terence Davies Trilogy (1984 et réunion de ses trois premiers moyen métrage), Terence Davies en creusait encore le sillon autobiographique avec ce magnifique Distant Voices, Still Lives. Le récit nous plonge dans les souvenirs du réalisateur à travers la description de sa famille et plus globalement de la vie d'une certaine Angleterre des années 40/50. Le titre divise le film en deux parties, le Distant Voices allant de l'enfance à l'âge adulte et le Still Voices poursuivant le destin des jeunes personnages ayant fondés à leurs tour une famille. Cette division ne donne pas une structure linéaire au film, bien au contraire. Davies nous promène entre passé et présent au gré de transitions dont le montage fonctionne par associations d'idées, au détour d'un mot, d'un fondu au blanc synonyme la nostalgie ressentie et donc surtout au gré des émotions des personnages. La scène d'ouverture annonce clairement cela avec ce plan fixe sur un corridor tandis que la voix de la mère (Freda Dowie) appelant ses enfants se fait entendre ainsi que leur réponse sans qu'ils n'apparaissent à l'image. Un lent panoramique sillonne alors les pour nous diriger vers la porte d'entrée où un fondu enchaîné et la bande son amorce alors déjà une autre époque. Terence Davies annonce ainsi d'emblée une œuvre placée sous le signe du souvenir.La partie Distance Voices navigue entre capture du quotidien et grands évènements qui bercent la vie de cette famille à travers mariages, enterrements ou encore noël. Lors de la séquence de mariage de la fille aîné Eileen (Angela Walsh), la caméra de Davies s'attarde sur le visage de la mariée regrettant l'absence de leur père puis sur celui de son frère Tony (Dean Williams) et sa sœur Maisie (Lorraine Ashbourne) dont les pensées en voix off révèlent au contraire une farouche haine pour l'absent. Une manière d'effectuer une première bascule dans le passé où ce père tyrannique incarné par un impressionnant Pete Postlethwaite leur mena la vie dure par son caractère violent et colérique dont leur mère fit souvent les frais. Par ses va et viens narratif, Davies exprime cependant un sentiment plus diffus. D'une scène à l'autre ce père abusif peut apparaître vulnérable et affaibli par la maladie, tendre et bienveillant le temps d'une veillée de noël ou sourdement impitoyable en laissant son jeune fils à la porte de la maison. De même les trois bambins peuvent être fascinés et admiratifs de l'observer au travail, terrorisés par un accès de colère ou fondre en larme au présent lors du mariage où ils leur manque terriblement.

L'amour suit une ligne se confondant et rejoignant celle de la haine et Davies par sa manière de raconter amène une confusion des sentiments finalement bien naturelle dans les aléas qui agitent une vie de famille. Cette dimension universelle s'étend à cette classe ouvrière anglaise entière par les portraits sobrement esquissés des amis et connaissance de la famille, le cycle de joie et de malheur se mêlant au commun et à l'intime. Pour l'intime c'est ces courts moments figés de pure tendresse telle les enfants effrayés de voir leur mère tombé alors qu'elle lave les carreaux, c'est les destins disparates et les mariages plus ou moins heureux et les renoncements des jeunes femmes que l'on aura suivis. L'universel traduit également les hauts et les bas de ce quotidien, emblématique de cette Angleterre soumise au rythme des bombardements allemands (superbe séquences où les enfants se mettent à chanter et galvanisent les autres réfugiés qui les accompagnent en donnant de la voix) puis plus tard ces soirées au pub où l'on vient oublier ses tracas, boire et chanter en communion avec ses amis.
Ce voile de souvenirs imprègne la mise en scène de Terence Davies, figeant chaque tranche de vie comme un tableau indépendant où de lents mouvements de caméra semblent comme photographier et immortaliser chaque précieux moment passé. La photo cotonneuse et aux couleurs désaturées de William Diver et Patrick Duval baigne dans cette nostalgie et évoque autant une peinture (Davies revendiquant l'influence de Vermeer pour ce film notamment pour sa manière de capturer les moments domestiques dans ses œuvres) qu'une vieille photo jaunie pouvant renaître à la vie en laissant transparaître quelques couleurs plus vives le temps de quelques instants de grâce (le sourire de la mère concluant la partie Distant Voices). La bande son, entre standards et chansons traditionnel est également un vecteur émotionnel indissociable des images, laissant les personnages s'abandonner à de multiples reprises en donnant de la voix, surlignant délicatement l'émotion où amenant un doux parfum de mélancolie suspendue. Faussement figé et bourré d'idées visuelle splendide (le double accident vu à travers une scène onirique sans explication superflue), Distant Voices, Still Lives est un grand classique du cinéma anglais contemporain à juste titre classé troisième d'un récent top 100 des plus grands films anglais par la revue Time Out. 5/6
J'ai découvert ce film il y a peu.

Je partage ton point de vue. Ca commence presque comme un Tarkovski. Puis pendant 1/2h on se dit que c'est violent au niveau sentiments (et là on se dit "on va bien déprimer"). Puis la palette des sentiments se complexifie comme un peintre travaillerait ses nuances de sépia. Jusqu'à une fin qui lie les tonalités de toutes les scènes précédentes. Et enfin, enfin, ce film m'a fait comprendre l'impérieuse nécessité du chant dans la culture anglo-saxonne. Les Anglais chantent leur vie, et je viens de le découvrir. Bouleversant.

Une fois ce film visionné, j'ai regardé dans la foulée "Hope and Glory". C'est pour vous dire l'inoubliable "Bim dans ta gueule" que je me suis pris en 2 films.
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Re: Terence Davies

Message par tchi-tcha »

Copier/coller du topic L'Obituaire, hommage aux disparus :
Toursiveu a écrit : 7 oct. 23, 20:21 Le réalisateur anglais Terence Davies, 77 ans.
Flol a écrit : 8 oct. 23, 10:48 Triste. 77 ans « seulement » et ça parle d’une « short illness », donc une disparition assez soudaine, apparemment. :(
The Long Day Closes, Distant Voices Still Lives, The Deep Blue Sea, A Quiet Passion ou Of Time and City sont autant de claques poétiques et visuelles que je m’étais prises. C'était vraiment un grand conteur doublé d’un superbe formaliste.
Grosse perte pour le cinéma britannique, mais si ça peut permettre de remettre un bon coup de projo sur sa riche filmographie…
Ailleurs :

https://ecran-total.fr/2023/10/07/deces ... ce-davies/

https://www.allocine.fr/article/fichear ... .%E2%80%9D

https://www.avoir-alire.com/mort-du-rea ... ce-davies
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-Kaonashi-
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Re: Terence Davies

Message par -Kaonashi- »

Triste nouvelle en effet. Réalisateur rare, et dont je n'ai pas fini de découvrir la filmographie.
Le dernier que j'ai vu, Of Time and the City, m'avait beaucoup déplu. La voix, le texte, le rythme, m'avaient perdu et irrité, j'en avais perdu le fil assez vite.

Mais j'ai très envie de découvrir Distant Voices, et Emily Dickinson.
Et je vois que son dernier film en date, Benediction, terminé depuis 2021, a enfin une date de sortie en France et un titre français, Les carnets de Siegfried. Sortie le 06 mars prochain, en même temps que l'ouverture de la rétrospective Terence Davies au Centre Pompidou.
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Re: Terence Davies

Message par Jeremy Fox »

En hommage au cinéaste décédé ces jours-ci, Justin nous propose sa chronique de Distant Voices Still Lives
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