Slumdog Millionaire (Danny Boyle - 2008)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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LéoL
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par LéoL »

Un conte de fée ancré dans une certaine réalité sociale. Ca ne me parait pas antinomique, ca change c'est sur, mais c'est une idée originale.
L'histoire d'amour m'a convaincu. Des moments de vie les ont lié profondement. Elle ne m'a jamais donné l'impression de ne pas s'interesser à lui (et elle n'a jamais eu la possibilité de choisir ce qu'elle désirait) quant à lui il est enfant lorsqu'il l'abandonne et surtout obéit à son frère. Par la suite, il s'en détachera et fera ses propres choix.

Sinon effectivement, le style de Boyle sur ce film en particulier m'a beaucoup plu et m'a permis de me plonger dès le départ dans le concept.
Strum
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Strum »

Je n'ai pas tellement aimé le film. Mais Mme Strum a beaucoup aimé.

D'un point de vue formel, le film m'a fait l'effet d'un grand clip vidéo. La structure du récit est celle d'un tronc commun (le jeu et l'interrogatoire de police) sur lequel vient se greffer une série de vignettes narratives, illustrant le passé du héros (Jamal). Les séquences sont souvent montées en fonction du morceau de musique utilisé. S'il s'agit d'un morceau rythmé, Boyle va utiliser des plans saisis sur le vif par une caméra à l'épaule et un montage ultra-rapide, en jouant beaucoup sur la vitesse de défilement de l'image (accélération, ralenti ou défilement syncopé). Cela crée une espèce de dynamisme brouillon et parfois entrainant. Cette manière de construire le film (où le rythme ne vient pas des plans mais du montage) est typique d'un cinéma où les plans n'ont pas beaucoup d'importance (Boyle a d'ailleurs presque systématiquement recours à des plans décadrés ou cadrés en diagonal ; la manière dont il cadre (mal) le Taj Mahal est symptomatique)

Comme tout film fonctionnant selon un principe de vignettes narratives, l'intérêt de Slumdog Millionnaire varie selon l'histoire racontée. Les moments les plus forts du film m'ont paru être ceux évoquant l'enfance de Jamal, notamment lorsqu'il se retrouve aux mains d'un gang transformant des orphelins en mendiants. Les enfants jouent très bien leur rôle. La dernière partie du film dont l'esthétique et la résolution lorgnent de plus en plus vers le sitcom m'a au contraire paru la plus faible ; si j'ai cru aux retours de Jamal vers sa bien-aimée, je n'ai pas cru au personnage du frère et à ses revirements successifs.

Comme le note LéoL, le film pourrait être perçu comme un conte de fées, où le personnage principal passerait de la pauvreté à la fortune, sentimentale et financière. Et c'est comme un conte de fée, semble-t-il, que l'ont perçu les critiques américains, qui ont réservé au film un accueil critique triomphal. Slumdog Millionnaire fait aujourd'hui figure de grand favori pour les prochains oscars, loin devant Benjamin Button. Les américains ont toujours aimé ce genre d'histoire, où un enfant parti de rien finit par triompher. Ici, le triomphe a deux facettes, l'amour et l'argent, qui sont certainement les deux mamelles des rêves que l'on peut concevoir lorsque l'on vit dans un bidonville.

Il reste que l'on peut se demander ce qui prédestinerait un tel film à remporter les prochains oscars. Peut-être que les votants perçoivent dans Slumdog Millionnaire inconsciemment et selon leur propre point de vue ethnocentriste une sorte de métaphore sur l'Inde et son Histoire, qui serait celle d'un pays échappant à la violence et à la misère pour rentrer dans un concert des nations dominé par les idées occidentales, et donc celles des Etats-Unis : le triomphe de Jamal, que le film montre comme étant celui de toute une classe sociale, serait à cette aune celui de l'Inde du futur : issu de bidonvilles sujets à des massacres ethniques (le passé de l'Inde), travaillant dans une société d'assistance téléphonique (le présent/futur de l'Inde) triomphant dans un grand jeu international (dont le concept fut inventé au Royaume-Uni). Mais cela reste une interprétation hasardeuse de ce qui fait le succès du film. Il faudrait avoir lu le best seller indien de 2006 dont est tiré le film pour savoir ce qui dans cette interprétation vient du livre et ce qui vient des concepteurs du film. Toujours est-il que ce conte de fée résonne avec moins d'évidence aujourd'hui, alors que les Etats-Unis sont en pleine crise financière, qu'en 2006.

Il serait intéressant qu'un connaisseur de l'Inde vienne nous donner son sentiment sur le film.
Jordan White
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Jordan White »

Je n'ai pas encore vu le film, mais par rapport à la question de la technique le concernant, Danny Boyle a plus que vraisemblablement regardé des films en hindi et tamoul avant de tourner Slumdog Millionaire. Il semblerait d'après les échos que j'ai pu en avoir qu'il y fait ouvertement référence à Mani Ratnam et à son film Bombay. Le film reprendrait aussi les cadrages de Ram Gopal Varma qui a pour habitude de systématiquement cadrer en oblique et d'être armé à chaque frois de technocranes qui font de très larges mouvements de caméra. C'est assez destabilisant. Mais c'est sa patte. Mani Ratnam est le maître du portrait dans le ciné indien contemporain, un cinéaste engagé sur le plan humain, social et politique. Il a écrit et réalisé des chroniques réalistes, s'est et a posé des questions fondamentales sur le terrorisme et l'engagement sous tous ses formes (sans jamais juger) jusqu'au radicalisme, tout en scrutant l'évolution de son pays par le biais de personnages ancrés dans le quotidien. C'est le cas depuis ses débuts derrière la caméra, et il a réalisé un grand film sur le terrorisme intitulé Dil Se en 1998, un film tout à fait radical de par son final, exactement l'opposé de ce que l'on peut à priori attendre d'un film Bollywood, car en reprenant les codes, il désamorçait tous les clichés, notamment dans l'épilogue. Mani Ratnam a aussi réalisé un film essentiel sur les émeutes religieuses en 1995 avec Bombay.

C'est un cinéaste engagé qui pose des questions en évitant d'imposer ses propres réponses. Ses films sont souvent magistraux. Dans Slumdog Millionaire il est donc fait explicitement référence à ce cinéaste. Il me faudra le voir pour en dire plus, mais il n'y a pas de doute sur le fait qu'il en parle. Le fait que Boyle ait engagé AR Rahman comme compositeur n'est pas non plus anodin, bien que contrairement à certaines des productions musicales des cinq dernières années, et même depuis une dizaine en remontant à Taal, celle de Slumdog Millionaire ressemble peu à une production hindi classique mais si on trouve ça et là des touches de musicalité typiquement indienne. Les beats électroniques remplacent les tablas, dhols, santoors et autres instruments traditionnels regulièrement utilisés par le musicien. Il y a un côté très occidental, qui peut justement et veut en tout cas plaire au plus grand nombre. Pas étonnant que l'une des premières choses dont on entende parler au hasard des discussions à propos du film étant celle-ci, celle de la musique et des chansons. Personnellement je ne trouve pas que celle-ci soit très marquante et encore moins réussie. Dans le genre accrocheuse elle l'est pour certains titres, mais pas du tout à mon sens dans l'originalité.

Pour en revenir sur le film lui-même, dans une interview, Boyle disait qu'il trouvait que A Bord du Darjeeling Limited était le film d'un cinéaste occidental venu en Inde pour tourner et non un film indien tourné par un cinéaste anglais. Quand on regarde le casting, on voit en effet que 50 % de ce dernier est indien, mais il y a aussi un acteur NRI (Dev Patel). Je n'ai pas lu le roman d'origine, mais je crois que Boyle en a gardé les idées essentielles, tout en mettant sa propre sauce britannique. La population NRI, ce sont les Non resident Indians, indiens d'origine qui vivent à l'étranger (Angleterre, Canada, Etats-Unis, etc) qui ont gardé une attache indienne forte tout en vivant à l'occidentale. Cette jeunesse peut se retrouver facilement dans Slumdog Millionaire, alors que des productions indiennes locales n'attirent pas forcément ces mêmes NRI qui vivent avec des modèles occidentaux américains ou anglo-saxons de façon générale. Se balader en jeans en écoutant son iphone et plus forcément qu'en sari, tout en allant en boîte écouter des remixes bangra. Ce qui ne veut pas dire que le sari n'est plus qu'un accessoire...En Inde, des réalisateurs très traditionnels (des artisans au sens noble du terme), comme Rajkumar Santoshi, Subhash Ghai ou Sooraj Barjatya font toujours des films masala pour le grand public (multiplexes des centres A comme Mumbai, Delhi, voire B ) tout en s'adressant également aux classes populaires qui vibrent devant Vivaah et son discours traditionnaliste. A côté de cela, la jeune génération montante, celle de Farhan Akhtar s'adresse surtout aux 18-25 ainsi qu'aux trentenaires qui veulent davantage qu'un simple romance, de jolies chorégraphies et demandent des sujets nouveaux : le rock hindi, la jeunesse des grandes villes devant ses responsabilités ou l'homosexualité au cinéma.

Slumdog Millionaire peut sans doute donner une idée de la bouffée d'air frais que peut représenter l'arrivée de jeunes acteurs, comme ce fut le cas pour Jaane Tu Ya Jaane Na avec de jeunes comédiens devenus très populaires en un film. Les héros de Slumdog font très boy et girl next door dans un monde de rêve accessible et de paillette pas tout à fait éblouissantes, que l'on peut toucher en définitive. Je pense qu'il y a un côté ciné jeunes et facile à regarder qui plaît. Il me semble aussi que le film montre ce qui semble le plus versatile dans une mégalopole comme Mumbai : grouillante, hyper active, hyper jeune, où les paradoxes s'entrechoquent pour créer justement de la vie et du mouvement. Un mouvement perpétuel. Une des raisons d'exister du ciné indien reste le mouvement, la chorégraphie alliée à la musique avec un montage très dynamique. C'est une production unique s'inspirant en même temps de plus en plus du format et du visuel des films occidentaux, en particulier américain dans un fascinant jeu de renvoi (bien plus qu'avec le ciné français, ou alors celui des comédies musicales). Tout en ouvrant un oeil sur le frère asiatique le plus proche : Chine, mais aussi Japon, Malaisie (films tournés à Kuala Lumpur).
En tout cas le film est bien parti pour les Oscars. A suivre...
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Strum
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Strum »

Merci Jordan pour cette très intéressante intervention ! :)
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par AtCloseRange »

Strum a écrit :Merci Jordan pour cette très intéressante intervention ! :)
Et il n'a pas encore vu le film! :shock:
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cinephage
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par cinephage »

Jordan White a écrit :Je n'ai pas encore vu le film, mais par rapport à la question de la technique le concernant, Danny Boyle a plus que vraisemblablement regardé des films en hindi et tamoul avant de tourner Slumdog Millionnaire. Il semblerait d'après les échos que j'ai pu en avoir qu'il y fait ouvertement référence à Mani Ratnam et à son film Bombay. Le film reprendrait aussi les cadrages de Ram Gopal Varma qui a pour habitude de systématiquement cadrer en oblique et d'être armé à chaque frois de technocranes qui font de très larges mouvements de caméra. C'est assez destabilisant. Mais c'est sa patte. Mani Ratnam est le maître du portrait dans le ciné indien contemporain, un cinéaste engagé sur le plan humain, social et politique. Il a écrit et réalisé des chroniques réalistes, s'est et a posé des questions fondamentales sur le terrorisme et l'engagement sous tous ses formes (sans jamais juger) jusqu'au radicalisme, tout en scrutant l'évolution de son pays par le biais de personnages ancrés dans le quotidien. C'est le cas depuis ses débuts derrière la caméra, et il a réalisé un grand film sur le terrorisme intitulé Dil Se en 1998, un film tout à fait radical de par son final, exactement l'opposé de ce que l'on peut à priori attendre d'un film Bollywood, car en reprenant les codes, il désamorçait tous les clichés, notamment dans l'épilogue. Mani Ratnam a aussi réalisé un film essentiel sur les émeutes religieuses en 1995 avec Bombay.
Pour avoir vu (et apprécié) Dil Se, je n'ai vraiment pas repéré la référence dans Slumdog millionaire. Du point de vue stylistique, en tout cas, on n'y est pas du tout. Boyle filme avec la multiplicité de plans secoués (et souvent beaux) qui le caractérise (tendance The Beach ou 28 jours plus tard). Je me doute bien que Boyle a préparé son film en regardant des films en hindi et en tamoul, mais, sincèrement, je n'en ai pas repéré l'influence sur son style (tout au plus sur la photographie, parfois très colorée...).
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par kenj »

Je n'ai pas vraiment été touché par ce film. Ca m'intéresserait de lire l'avis de personnes qui ont effectivement été en Inde (récemment?), parce que pour ma part, je n'ai jamais retrouvé l'Inde et ses sensations en voyant ce film. Le film est beaucoup trop propre à mon goût, je crois.
Dil Se est très loin de ce film, et c'est effectivement une oeuvre superbe.
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Jordan White »

Salut kenj,

Petit aparté : Rab Ne Bana Di Jodi sort en DVD le 12 février, n'oublie pas.
Fin de l'aparté.
cinephage a écrit :Pour avoir vu (et apprécié) Dil Se, je n'ai vraiment pas repéré la référence dans Slumdog millionaire. Du point de vue stylistique, en tout cas, on n'y est pas du tout. Boyle filme avec la multiplicité de plans secoués (et souvent beaux) qui le caractérise (tendance The Beach ou 28 jours plus tard). Je me doute bien que Boyle a préparé son film en regardant des films en hindi et en tamoul, mais, sincèrement, je n'en ai pas repéré l'influence sur son style (tout au plus sur la photographie, parfois très colorée...).
Pour ce qui est de Dil Se, il m'a semblé dans la BA que certains plans du train avec les enfants, filmés en contre-plongée faisaient penser à Chaiya Chaiya chorégraphié avec ShahRukh Khan et Malaika Arora. Mais ce ne sont que des impressions. Bombay est cité, une de ses scènes en particulier ainsi qu'une citation visuelle de Yuva. Mais il me faut voir le film pour en dire davantage et expliciter tout cela. Sinon d'un point de vue technique, Boyle a visiblement choisi la facilité -dûe à des coûts de logistique amoindris- d'un matériel allégé, en tournant en HD, avec des petites caméras. Il semble plus facile en effet de tourner des plans panoramiques rapides avec ce type de matériel qu'avec une batterie de technocranes au même endroit notamment dans des rues étroites, même si une technocrane est très utile pour les plans larges (arrivée d'un train sur un quai par exemple).
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Nestor Almendros »

Pas détesté, mais loin d'avoir été emballé.

Ce conte de fées souffre d'avoir un scénario moins travaillé que sa forme. C'est bien vu pour toucher le spectateur lambda qui ne s'ennuiera pas, mais le spectateur plus exigeant pourra rester un peu (beaucoup) sur sa faim.
Car, si le style clipesque et dynamique de Danny Boyle trouve des échos dans le fourmillement de cette ville indienne, le scénario patine sérieusement à plusieurs reprises, et ne propose finalement pas grand chose de vraiment intéressant. On évolue dans un univers réaliste mais clichesque dans son traitement (destin des 2 frères, riches et méchants "mafieux", etc.), où les détails plus durs seront finalement édulcorés par un traitement lisse (avec l'histoire d'amour). C'était pourtant une bonne idée de structurer le film de cette façon (en flashbacks) mais au final, mis à part les suspenses amoureux et télévisés, on se retrouve sans beaucoup de surprises.
J'ai trouvé le clin d'oeil final à Bollywood assez raté: là où Boyle se montre original et inventif avec la fiction, l'inspiration lui manque pour le final chanté et (mal) dansé. C'est un détail, car la scène n'est pas importante, mais ça m'a sauté aux yeux...
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par cinephage »

Lu dans le Monde :
Le film britannique Slumdog Millionaire, qui fait un triomphe en Occident, est poursuivi en diffamation par une association indienne de résidents d'un bidonville qui se sent salie par l'image véhiculée par le long-métrage, rapportent, jeudi 22 janvier, les médias indiens. Tapeshwar Vishwakarma, représentant de cette association, a porté plainte contre la vedette indienne Anil Kapoor et le compositeur de la bande originale, A.R. Rahman, au motif notamment que le film "violerait" les droits de l'homme et la "dignité" des pauvres.

Dans le journal Times of India, M. Vishwakarma a déclaré n'avoir pas du tout apprécié l'expression Slumdog ("chien de bidonville") pour décrire les dizaines de millions de résidents de bidonvilles en Inde, en particulier ceux du plus grand d'Asie, Dharavi, à Bombay, où a été tourné le film de Danny Boyle. "M. Vishwakarma a dit clairement qu'il ne s'attendait à rien de positif venant d'un réalisateur britannique, puisque ses ancêtres nous qualifiaient de 'chiens'", a ajouté son avocat Shruti Singh, en référence à la colonisation britannique de l'Inde jusqu'en 1947. L'audience judiciaire à Patna est programmée le 5 février.

Le film a été primé quatre fois aux Golden Globes américains et pourrait figurer dans la sélection des Oscars annoncée 22 janvier. Plusieurs voix se sont élevées en Inde pour s'insurger contre l'image misérable que le film donnait de l'Inde. Slumdog Millionaire raconte l'histoire d'un jeune Indien illettré remportant contre toute attente la version locale du jeu télévisé Qui veut gagner des millions.
J'aurais tendance à penser qu'il s'agit plutôt de profiter du succès du film que d'une véritable indignation...
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Nestor Almendros »

cinephage a écrit :J'aurais tendance à penser qu'il s'agit plutôt de profiter du succès du film que d'une véritable indignation...
D'autant plus que le film est tiré d'un roman, donc ils auraient pu se réveiller un peu plus tôt...
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Jordan White »

N'attendant pas le film avec une fébrile impatience, j'ai été d'autant plus touché, notamment durant la deuxième partie que je trouve encore plus réussie que la première qui est déjà vraiment bien. Il y a trois chapitres (enfance, adolescence, final à l'âge adulte), à la manière du livre ouvert au début du film et que l'on retrouve dans le final, le fameux Les trois Mousquetaires de Dumas. Comme dans le film qui renvoie à des références du cinéma hindi, Boyle se cite aussi lui-même, lors de la scène en hommage ouvert à Amitabh Bachchan (Zanjeer de 1973), laquelle pourraît être vue comme l'inverse de celle de Trainspotting : le gamin tombe à la verticale pieds joints quand McGregor mettait la tête dans la cuvette la première pour récupérer ses pilules. Je ne pensais pas que le film serait aussi âpre, la première partie étant filmée à la façon d'un documentaire même si quelques effets de caméra et de montage disent clairement qu'on est chez Boyle. Je voudrais souligner à quel point Slumdog Millionaire repose à mon sens au moins à 50% si ce n'est plus sur les épaules des interprètes, depuis les gamins des débuts qui jouent Jamal et Salim enfants dans les bidonvilles jusqu'à Dev Patel et Freida Pinto, les deux révélations fulgurantes de ce début d'année, des comédiens promis à un brillant avenir s'ils choisissent bien leur film. Mais là pour commencer une carrière, ils visent haut et fort. Leur jeu est remarquable et l'on sent une alchimie qui m'a par moments fait penser à celle de Sharukh/Kajol dans quelques uns de leurs rôles clés, notamment Kuch Kuch Hota Hai et cette fameuse scène de séparation sur le quai d'une gare. Ici, aussi dans le Boyle, deux enfants se perdent d'abord sur le quai d'une gare pour se retrouver quelques années après.

Comme le laissait deviner la BA et les quelques extraits vus ci et là, le film cite explicitement Bombay de Mani Ratnam, en particulier la scène d'émeutes religieuses qui se terminent par la mise à mort par l'immolation de badauds. Les images des deux enfants pleurant dans les rues au milieu des affrontements est repris au plan près, y compris quand les deux enfants regardent derrière eux un monde qui perd sa notion de civilisation pour se livrer à la plus primaire des barbaries. Dans le film de Ratnam, dans une scène incroyable, le père des jumeaux ira jusqu'à vouloir s'immoler pour montrer l'absurdité de la guerre de religion et les exactions au nom de Dieu. Le film qui célèbre la foi en l'homme démontre par ailleurs un sens de la mise en scène qui est l'une des pattes de Mani Sir. Par ailleurs, quelques plans en contre-plongée évoquent aussi sans le citer explicitement Dil Se, même si c'est de façon sans insister. Et Yuva apparaît par le biais d'un extrait vidéo télé. On pourra s'amuser à essayer de retrouver le titre d'un film mettant en scène Suniel Shetty quand Jamal et Salim se rendent au bordel, adolescents, à la recherche de Latika avec une belle affiche. On pourrait trouver le film un peu dirigiste dans sa façon de montrer les destinées. Je pense surtout que c'est l'énergie du film qui fait la différence. Sa photo aussi, son Scope. J'ai le sentiment de voir La Cité de Dieu par moments, mais en bien plus réussi, moins clinquant.

Boyle utilise les codes du polar et du film noir (traque, attaques en règle, meurtres expéditifs, fille fatale en quelque sorte, règlements de compte) tout en se glissant dans le décorum du bidonville comme lieu de tous les drames, là où en germes, des êtres sortent de la nuit pour atteindre la célébrité à l'endroit exact où personne ne les attendaient. C'est tout le sujet du dernier quart d'heure qui parle davantage de la reconnaissance du gamin sans avenir des premières années à celui que tout le monde reconnaît à la télé, vecteur populaire par excellence. Des détritus amoncelés du début à la pluie de confettis de la fin il n'y a qu'une centaine de minutes sur la durée d'un long-métrage, mais aussi et surtout beaucoup d'épreuves. Que Jamal traverse avec une foi (en lui) et en l'autre (Latika) qui lui permet de survivre à tout, tout en encaissant d'une façon presque christique les sales coups et les coups du hasard. Il y a un ange gardien, et la foi en filigrane, toujours présents, comme soupape, sans doute aussi comme raison de vivre, pour les filles comme pour les garçons, antihéros par excellence qui doivent faire face à l'énormité, au tragique de leur situation. Boyle s'appuie ensuite sur l'aspect transcendé de ses aspects au départ moribonds pour en tirer un conte tristement gai.

La première partie jusqu'à l'adolescence et les premiers larçins des deux frères est vraiment très dure, beaucoup plus sombre voire désespérée que la deuxième. On s'accroche aux basques de gamins, sur un ton qui frôlerait le misérabilisme chic, faux pléonasme ou oxymore, s'il n'était traité avec une telle acuité et souvent de la distance. Boyle ne prend parti pour personne, mais tient à idéaliser, à rendre pure, intacte, charnelle, cathartique la relation amoureuse, seule possibilité d'un autre futur pour Jamal. La façon dont il filme Latika, en sari, dans les rues grouillantes, sur le quai d'une gare en allant au plus près de son visage témoigne du respect du réal devant son actrice et de la marge de manoeuvre qu'il lui laisse, car parfois, on la sent tatônner, se chercher un peu dans son jeu, avant de laisser exploser une quiétude très touchante. Un jeu déterminé qui prend de l'assurance et de la consistance crescendo. La musique est bien utilisée et justifie chacune des scènes dans laquelle elle est mise en avant : Paper Planes, Ringa Ringa et même si Jai Ho n'est pas en soi le spectacle de clotûre parfait, c'est plutôt réussi. La seconde partie du film est plus aérée, toujours excellemment montée et cadrée, avec un peu moins de plans en oblique à la Ram Gopal Varma, et une réalisation technique qui s'approche des standards occidentaux. Tout en gardant, et c'est ça qui est fort une âme indienne : jeu, musique, script. Slumdog Millionaire est aussi et surtout une histoire d'amour.

Même si l'issue est connue (comme dans pas mal de productions hindi), l'appropriation de ses codes sans en dénaturer la portée (souvent universelle) par Boyle sert le film et lui permet de montrer quelques séquences de bravoure tout sauf gratuites : l'échapée de Latika, la mort du Caïd qui a d'abord recueilli les gosses avant de les exploiter, les fausses retrouvailles sur le quai de gare, etc. Le rythme est de plus hyper plaisant, quasiment pas une minute de temps mort ce qui n'empêche nullement d'adhérer à la l'histoire et aux relations tissées entre les personnages. Un beau pari technique et surtout la découverte de jeunes acteurs très talentueux pour lesquels une carrière s'ouvre. Espérons que leurs choix soient judicieux. Pas de doute pour Anil Kapoor, qui est un vétéran et qui se délecte de son rôle, antithèse de Jean-Pierre Foucault (Anil est cynique et a un égo démesuré, JP Foucault est affable et ne bouffe pas l'émission à lui seul). Irrfan Khan, policier ébloui et intrigué par le jeune Jamal se régale lui aussi à sa manière. Et un mot pour dire que le film est aussi celui de Loveleen Tandan. Si triomphe public et critique il y a (et cela peut encore continuer avec les Oscars) c'est aussi le sien.
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Jericho
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Jericho »

Le plus beau film de ce début d'année !
Sur une idée de départ toute simple mais diablement efficace, Slumdog Millionaire brosse le destin incroyable d'un jeune orphelin, issu des bidonvilles de Mumbai, qui parvient à être millionnaire dans le célèbre jeu télévisé "Qui veut gagner des millions ?".
Chaque question (et donc chaque réponse) du jeu illustre et témoigne, un instant important de sa vie. Ce qui va donc le mener à son but ultime: l'idylle avec son amour de jeunesse.
Sur le papier, j'étais moyennement convaincu par l'histoire, mais quand on le voit retranscrit sur l'écran, ça prend tout son sens, c'est tout simplement magnifique. C'est raconté de façon assez linéaire, mais peu importe on ne s'ennuie jamais, il y a toujours des péripéties ou un retournement de situation. Grosse modo, c'est une course contre la montre étendue sur plus d'une décennie qui ne faiblit jamais !
Le long métrage de Danny Boyle, m'a procuré pas mal d'émotions grâce notamment à l'interprétation très convaincante des gamins. Et grâce aussi au traitement du sujet fait par le cinéaste: c'est à la fois grave et léger, sans que l'on puisse ressentir à un amalgame de genre malvenu ou confus. La bande originale est géniale, la mise en scène également (malgré tout, il nous gratifie de quelques tics visuels hideux) et le générique de fin clos, avec une bonne humeur communicative, cette oeuvre belle et rare.
Je suis ravi que le succès critique et publique soit présent, c'est le genre de film qui se vit plus qu'il ne se raconte, et quoi qu'il en soit on ressort de la séance avec un grand sourire sur le visage.
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Jordan White »

Globalement d'accord avec toi Jericho sur les grandes lignes de ton commentaire. Je trouve que le film possède des défauts (certains ralentis hachés et d'autres pas très beaux visuellement parlant même si utiles à la narration, notamment le plan sur Rama, des cadrages obliques qui font parfois penser aux réalisations léchées mais aussi surfaites de Ram Gopal Varma, lequel refait sur filtre bleu un remake de Lolita par exemple, intitulé Nishabd), mais c'est une des premières fois depuis des années que je vois un film dans lequel des acteurs inconnus du grand public ont les rôles principaux et se révèlent ainsi aux yeux spectateurs occidentaux. Anil Kapoor, Irrfan Khan en sont les exemples les plus criants, et je trouve formidable que Danny Boyle ait fait appel à eux plutôt qu'à des acteurs aux visages plus familiers, car cela crée au final un buzz sinon une possible curiosité, non seulement pour le ciné hindi mais aussi anglais.

Je pense que certains spectateurs ont été jeter un oeil sur leur filmographie respective, et comme on va les retrouver aussi dans des films américains, on va se remémorer leur présence dans le Boyle. L'idée de mettre en scène une inconnue et un jeune acteur anglais originaire du Gujarat, Freida Pinto et Dev Patel (tous deux géniaux à mon sens dans le film) est aussi lumineuse que convaincante (pour moi) : leur couple uni à l'écran donne l'image d'un couple ordinaire qui peut parler à beaucoup et s'inscrire en définitive dans une forme d'universalité. Concernant la musique, je la réecoute depuis quelques jours, j'ai en outre Jai Ho en tête depuis une semaine quasiment, et elle colle très bien aux images même si ça n'est pas la plus belle chorégraphie qui existe (mais j'en aime la naïveté et la maladresse qui s'en dégage, les acteurs n'étant pas des danseurs pros). Les premières écoutes étaient un peu difficile sans le contexte du film, mais ça passe bien mieux, et ce d'autant plus quand on a aimé le film. Même si il y a trois singles en puissance et des titres moins forts comme Gangsta Blues. Mais même Dreams on Fire que je trouvais passable est finalement vraiment belle.
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Nestor Almendros
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Re: Slumdog Millionaire (Danny Boyle, 2009)

Message par Nestor Almendros »

Jordan White a écrit :mais c'est une des premières fois depuis des années que je vois un film dans lequel des acteurs inconnus du grand public ont les rôles principaux et se révèlent ainsi aux yeux spectateurs occidentaux.
J'ai vu je ne sais plus où cette semaine une interview du gamin qui joue le frère du héros: il vit encore dans le bidonville avec ses parents, dans une pauvreté extrêmement choquante quand on pense à l'argent qui circule autour de ce film...
"Un film n'est pas une envie de faire pipi" (Cinéphage, août 2021)
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