Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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cinephage
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

J'aime aussi beaucoup cette séquence. Mine de rien, à l'époque où les jeunesses chrétiennes étaient à Paris pour le Pape, j'ai vécu des scènes de ce type, allant au boulot le matin entouré de chanteurs épuisés...

Il y a aussi une séquence à laquelle je pense à chaque fois que j'ai beaucoup de bagages à déplacer... :mrgreen:
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Aucun_goût
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par Aucun_goût »

cinephage a écrit :Il y a aussi une séquence à laquelle je pense à chaque fois que j'ai beaucoup de bagages à déplacer... :mrgreen:
L'effet de miroir de cette séquence est assez dingue je dois avouer.
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"J'ai rien compris mais je suis d'accord."
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cinephage
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

Vendredi 18 décembre, Conan le barbare, de John Millius (1982)
Extrait choisi : He mattered (chapitre 3)

Le film dont j’ai visionné la séquence, Conan le barbare, est un film qui compte énormément pour moi. Il faudrait, pour le comprendre, s’imaginer comment était la situation pour les jeunes amateurs d’imaginaire, de SF et de Fantasy au début des années 80. En France, rien, ou presque, n’existait : quelques collections littéraires spécialisées, une revue –certes culte- essentielle, Métal Hurlant, une seconde –moins essentielle, Jeux & stratégie. Le sentiment de l’imminence d’un phénomène culturel dont aujourd’hui seulement, je mesure l’ampleur, alors que des films comme Le seigneur des anneaux explosent au box-office, que des jeux vidéo opposant guerriers du futur et aliens sauvages sont monnaie courante.

Bref, en ces temps de jeune insouciance, ma soif d’imaginaire était péniblement étanchée (sans internet, les cultes anglo-saxons étaient hors d'atteinte, et ignorés du public français en grande partie. C’est d’ailleurs grace à AD&D, qui n’existait pas encore en français, que je suis devenu bon en anglais, mais c’est une autre histoire), et j’attendais. La lecture d’une partie de jeu de rôle, décrite dans le Jeux & Stratégie n°4 (avec son formidable jeu en encart, le château des sortilèges, qui m'occupa des mois durant), nourrissait mon imaginaire, au point que je l’ai lue et relue des dizaines de fois (je n’allais jouer moi-même que 3 ans plus tard), de même que la description par un cousin plus grand (et ayant été autorisé à voir le film) d’un Conan le barbare, film fou furieux que je rêvais de découvrir (ce que je fis quelques années plus tard aussi, devenu alors rôliste et champion d’ultima, geek comme on dirait aujourd’hui).
Bref, Conan le barbare, à mes yeux, c’est l'émergence au grand jour, l’explosion d’un univers imaginaire qui concentre une bonne partie des références sur lesquels mes jeux et fantasmes d’adolescent se sont construits. Quand bien même il serait mauvais, j’adorerais ce film. Heureusement pour ma dignité cinéphile, il ne l’est pas. Porté par la vigoureuse musique de Basile Poledouris, son souffle épique et son inspiration graphique à la Frazetta permettent au récit de retrouver la puissance des récits d’Howard et l’ampleur des comics books de John Buscema. Enfin, la violence du ton, encore proche de la maturité des années 70, font de ce film un conte adulte, âpre et sec, encore éloigné de la logique « tout public » aujourd'hui imposée à toute œuvre de SF ou Fantasy… Le blockbuster n’avait pas encore vocation à la surenchère ou au lissage.

L’extrait qui nous intéresse est celui dans lequel on nous expose la formation de Conan. Devenu adulte, il est désormais voué aux combats de gladiateurs, voie par laquelle il atteindra l’excellence, puis accèdera à une certaine humanité. Toute cette évolution est traitée par vignettes, avec une voix off qui commente et énonce le passage du temps, de même que la psychologie de Conan. C’est aussi, nous le verrons, un passage qui met en évidence la vision très darwiniste du monde mise en place par John Milius dans son film : par la force, il accède à l'humanité.

La séquence s’ouvre sur Conan (Arnold Schwarzenegger), la caméra panote, révélant au loin un lever de soleil sur des montagnes. Plus près, une fosse entourée de torches (que l’on entend flamber), un type assez musclé assis. "Assieds-toi ici ! Assieds-toi ici !" exige le maître de Conan, qui s’exécute. La caméra adopte alors son point de vue pour cadrer le type qui lui fait face, assis en tailleur, recouvert d’une armure laissant entrevoir ses muscles par endroits, et d'un casque qui lui cache le visage. En contrechamp, on passe au point de vue du gladiateur sur Conan, assis, ne payant pas de mine, qui le scrute d’un air peu sur de lui… Au loin, retentissent les cris d’un rapace…

Le plan suivant marque une progression sonore : on voit en gros plan des pièces qui s’échangent de main en main, tandis que le grondement d’une foule de parieurs vient s’ajouter au bruit des flammes en combustion. La caméra recule et glisse latéralement de la droite vers la gauche (un sens qui marque généralement une tension, la gauche vers la droite étant plus « naturelle »), révélant une foule hirsute et impatiente, tractant et pariant tout en surplombant la fosse. Jusqu’à ce que la caméra révèle Conan, toujours assis là où il l’était dans le plan précédent, son maître prenant les paris…

Mais voici qu’il se penche sur Conan, pour le libérer, et qu’il le pousse en avant, le faisant tomber dans la fosse. Un plan de coupe nous montre son adversaire libéré également, qui saute dans la fosse… Retour sur Conan, poussé du pied, qui, ébahi, regarde la foule sans trop comprendre. A nouveau, un plan sur son adversaire, qui, lui, jubile, révélant des dents taillées en pointes, sous les acclamations du public. Sur le plan sonore, alors que le grondement de la foule était déja venu se rajouter au bruit des flammes, dans un brouhaha confus, la musique de Poledouris jaillit lorsque les combattants tombent dans la fosse… Une musique martiale, comme une mélopée guerrière, dont le volume et la puissance iront crescendo.

S’ensuit la bagarre à proprement parler. Concernant la façon dont elle est filmée, deux choses sont intéressantes à en dire : tout d’abord, elle est filmée de près, caméra à l’épaule, avec parfois une plongée (un moment, la paire ennemie tombe au sol), ou une contreplongée (lorsque Conan reprend la main). Cela donne un effet tremblé (hé oui, déjà, mais très réduit, très maîtrisé) qui accentue la violence de la lutte. Ensuite, au niveau sonore, les borborygmes, puis surtout les hurlements de douleur de Conan mordu au sang, sont marquants, puis, avec le bruit des coups proprement dits, tout est fait pour exciter le public du film, à l’image de celui, dans le film, du combat.

On suit l’adversaire de Conan se jeter sur lui, puis le mordre à l’épaule (la caméra se rapproche, changeant à deux reprises de valeur de plan, en jump-cut, ce qui accentue la violence de la lutte). Il finit par le faire tomber par terre, puis se jette sur lui, jusqu’à ce que Conan parvienne à le repousser. Celui-ci se relève, et est poussé contre le rebord de la fosse par un coup de tête… Là, coincé par son massif adversaire, il lui fait une prise consistant à lui briser le bras au niveau du coude, à la seule force de ses bras. Notons alors l’ajout d’un élément de mise en scène : dès que Conan élabore une stratégie de victoire, un plan montrant la foule est inséré, marquant à la fois la réaction positive de cette dernière, et établissant comme un lien entre l’action de Conan et son public.

Lorsque cette clé est effectuée, on comprend bien que la situation s’est inversée : Conan a repris la main en brisant le bras de son ennemi. Et en effet, il projette son adversaire tête la première contre le mur de la fosse, la cognant contre le mur à plusieurs reprise, sous les applaudissements de la foule et de son maître (chacun ayant à nouveau droit à un plan rapide). Conan redresse alors la brute sonnée, et lui assène de terribles coups avec ses bracelets métalliques. Lorsqu’il s’effondre, il a gagné, son maître saute à ses cotés dans la fosse, et, dans un plan large réunissant le combattant et son public, on lui descend son sigle (un cercle barré plusieurs fois, comme une déformation du sigle « peace and love » hippie), et il jubile aux cotés de son poulain. La caméra est alors aux cotés des vainqueurs, qu’elle filme de près.

Curieusement, la scène ne s’arrête pas là : la musique, quoique triomphante, poursuit son ascension en puissance, et l’on enchaine sur d’autres images de lutte. Plusieurs combats, montés en parallèle, nous présentent désormais Conan combattant assuré et armé, massacrant ses adversaires.

Une voix off nous commente alors : il se moquait de tout désormais… La vie, la mort, c’était la même chose… (He did not care anymore… Life, death, the same !)
« Seule comptait la foule qui le saluait avec des grognements de désir et de furie (Only that the crowd would be there to greet him with growls of lust and fury) »
Dans la multiplicité des combats, Conan décline une variété d’armes terrifiantes, et, si la bande son parait détachée de l’image (la musique triomphante de Poledouris et la voix off), on nous fait tout de même entendre le son des coups qu’assène Conan, dans la chair ou dans une armure. Le montage parallèle montre Conan adoptant les mêmes gestes dans chaque combat : massacre, triomphe, bras écartés et saluts à la foule, puis il replie ses bras sur lui dans un adieu digne à son public… Tandis que la voix poursuit :
Il commença à prendre conscience de sa valeur (He began to realize his sense of worth. He mattered.). Alors, le montage parallèle, mené à son terme, après nous avoir montré maintes victories de Conan, s’attarde sur son visage victorieux, exalté par la foule, tandis que le score de Poledouris atteint son climax. « Il était quelqu’un » (He mattered).

Après cet épisode climactique, on retrouve Conan dans un chariot, traversant les steppes, tandis que la voix off nous apprend qu’ayant beaucoup triomphé (In time, his victories could not easily be counted), il partit dans l’est étudier sous les maîtres de guerre les plus prestigieux (He was taken to the East, a great prize, where the war masters would teach him their deepest secrets.). On voit ensuite Conan tenant une épée, tandis qu’un petit homme asiatique à l’air sévère le reprend sur sa façon de tenir son arme. Le voisin de Conan, un autre guerrier, nous est montré le temps d’un insert un grand sourire à la bouche, sans doute pour ricaner de ce que Conan aie été repris. Le maitre de guerre se déplace pour inspecter le reste de la posture de Conan, et en profite pour abattre à terre l’élève ricaneur d’un coup de pied bien placé… Sévérité du maître et rigueur de l’éducation sont résumés en une vignette.

Nous retrouvons au plan suivant Conan dans une cage spacieuse, creusée dans une grotte, en train d’étudier des parchemins, tandis que la voix off scande à nouveau : Il apprit à lire et écrire, put étudier la poésie de Kitai, la philosophie de Sung. (Language and writing were made available. The poetry of Kitai, the philosophy of Sung).

Un contrechamp sur la grille de la cage, qu’un geolier ouvre pour y faire pénétrer une femme en tenue légère (nue au dessus de la taille), accompagne le commentaire suivant, qui nous apprend que Conan apprit également le plaisir de la chair, et qu’il fut apparié aux femelles les plus prisées (he also came to know the pleasures of the flesh, when he was bred to the finest stock). Dans un plan de caméra à l’épaule un peu long, on voit Conan couvrir accueillir la femme dans sa cellule en la couvrant d’une couverture, puis l’allonger sur son lit, sous le regard du public (le temps d’un plan bref en contrechamp), puis, tandis que la demoiselle émet de petits cris craintifs, la rassurer et la couvrir… On notera que si la voix off en parle encore en termes animaliers, il ne se comporte plus en brute, mais en gentleman, aimable, rassurant et doux avec la demoiselle. Humain, et non plus bestial.

Raccord ?? Le plan suivant nous montre Conan jouant tout seul avec sa grosse épée, multipliant les mouvements guerriers, pour finir avec un gros plan sur son visage extatique, sous le regard bienveillant du maître. La voix off commente d’un « Mais toujours restait la discipline de l’acier » (But always, there remained the discipline of steel.). La musique de Poledouris est revenue ponctuer cette dernière séquence de danse à l’épée, comme pour en célébrer le lyrisme. Si un sous-texte sexuel accompagne peut-être cet usage de l’arme, dans cette sous-partie de la séquence, je ne pense pas qu’il s’inscrive au-delà d’une étape dans le parcours de maturité du héros.

Plusieurs choses intéressantes apparaissent dans cette longue séquence : la première, c’est qu’elle révèle le poids que joue le regard des autres dans l’humanisation de Conan. C’est par la lutte, par l’expression de sa force brute, qu’il acquiert ses droits à l’humanité (éducation, estime, compagnie féminine). Qu’il les conquiert, devrait-on même dire. Conan conquiert son statut d’être humain (sa liberté suivra dans la séquence suivante, sans véritable explication, comme si le parcours qu’on vient de voir justifiait l’accès à la liberté).

Par ailleurs, la mise en scène joue sur, et accentue, le regard porté sur Conan, car c’est de là que vient sa prise de conscience de sa propre valeur. Les plans sur la foule (qui n’apparaissent que lorsqu’il commence à gagner), sur ceux qui regardent sa cage, n’ont d’autre sens que de montrer combien c’est par le regard d’autrui que Conan devient quelqu’un. Au départ, on lui parle comme à un chien ('Assis' est le premier mot qui lui est adressé), et on l'entend au début du combat hurler comme une bête lorsqu'il est mordu ; mais à la fin du parcours, il est instruit, a lu les philosophes, appris l'usage des armes, ainsi que l'amour qu'il fait en homme, et non comme une bête. Et s’il garde encore un statut d’objet, il le perd de plus en plus dans ce processus d’humanisation. Dans la séquence suivante, on l’entendra enfin parler,lorsque le chef du clan lui demandera son avis, et puis il sera libre : le parcours est allé à son terme.
Notons qu'on reconnait ici une problématique courante chez Oliver Stone, coscénariste du film, dont on trouve ici la patte (une problématique qu’on retrouve particulièrement traitée dans Nixon, Natural born killers, et any given Sunday, parmi d’autres) : le regard du public pèse sur l’homme public, le détermine, d’une certaine façon, en déterminant le regard qu’il porte sur lui-même. Un autre trait caractéristique de l'auteur est que ce regard s'attire par l'usage d'une force supérieure à celle des autres.

Au niveau de l’ensemble du film, cette séquence fait la transition entre la jeunesse du héros (enlevé et devenu esclave) et le reste du film (où, pour en être le héros, il fallait qu’on l’aie vu devenir adulte). Il fallait pour cela jouer sur la violence déterminant cette croissance.
Une violence factuelle (les combats incessants et innombrables), accrue par une mise en scène dynamique (les plans de caméra portée, très vifs), et une bande son accentuant la crudité des choses (cris des aigles, bruits des flammes, hurlements de la foule, bruits des coups et des chocs métalliques, et, bien entendu, la musique martiale).

Au final, cette séquence m’apparait comme une façon exemplaire de raconter un parcours au fil du temps, sans perdre l’énergie du film ni se disperser. Cette concentration de l’énergie rythmique du film tout au long de son déroulement est certainement une de ses qualités essentielles, et une de ses particularités (le film est très dense et homogène, bien qu’il réunisse des épisodes très divers de la vie de Conan). C’est aussi une des forces de ce film, qui ne perd pas un pouce d’intensité du début à la fin…
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Message par cinephage »

Vendredi 8 janvier, 37°2, le matin de Jean-Jacques Beineix (1986)
Extrait choisi : La crise (version longue - chapitre 12)

37°2 le matin fait partie des films-évènements des années 80, l’un des grands succès qui marqua l’émergence d’une nouvelle esthétique dans le cinéma français. A la fois pour faire écho au retour d’un certain formalisme américain venu de cinéastes issus du monde publicitaire (A.Lyne, les frères Scott, entre autres), mais aussi en réaction contre un cinéma français qui avait peut-être fait une indigestion de réel dans les années précédentes, plusieurs cinéastes français émergèrent à cette période, avec en tête de file Luc Besson et Jean-Jacques Beineix, avec un cinéma ultra-esthétisé, très peu réaliste, se référant plus à la bande-dessinée ou à une forme léchée qu’à un quelconque rendu réaliste. Le succès fut au rendez-vous pour ces films novateurs, même si, à la fin des années 80, il s’avéra que cet enflammement était plus un feu de paille qu’une réelle école esthétique. La décennie qui suivit marqua le retour d’un cinéma plus modeste, à la fois imprégné de réel sur le plan formel, et de fiction quant au récit…

Bref, pour en revenir à Beineix, j’étais pour ma part un peu passé à coté, ayant raté Diva… Et c’est le succès incontesté de 37°2 le matin qui me convainquit, par curiosité, d’aller voir la version longue du film, dans une salle niçoise, alors que le film n’était plus en exclusivité depuis bien longtemps (on devait être en 1993 ou 1994). J’en étais sorti totalement emballé, amoureux de Béatrice Dalle, et décidé à faire une fête bien arrosée (ça picole beaucoup dans le film, il faut dire). La nuit blanche et la cuite d’anthologie qui suivirent auront eu le mérite d’avoir gravé cette séance de cinéma dans ma mémoire. Pour qui ignore le film, son sujet est la passion amoureuse unissant un brave écrivain en panne, Zorg, et la plantureuse Betty, jeune femme fragile à la sensibilité exacerbée… Ignorant tout de Philippe Djian, l’auteur du best-seller dont le film est l’adaptation, j’ignorerai sciemment cet aspect du film qui m’échappe totalement.

Dans l’extrait qui nous intéresse, on va voir poindre l’extrême versatilité de Betty, qui s’emballe pour une série de petits riens, alors que Zorg est dépassé par l’ampleur de sa réaction, qui déclenche une véritable crise.

La séquence commence en nous montrant Zorg (Jean-Hugues Anglade) au téléphone avec Eddie, l’ami qui lui a prêté l’appartement qu’ils occupent, lui et Betty. Les prénoms des uns et des autres sont tous très courts, archétypaux. Il s’agit, on le verra, d’éviter tout excès de réalisme, de tirer la fiction vers le bas avec un nom terre-à-terre (ou une voiture banale). Sur un canapé, aux cotés de Zorg, Betty (Béatrice Dalle), dans une robe rouge vif, coupée court et révélant ses jambes, participe à la conversation avec des gestes.

Zorg explique à Eddy (dont on entend les réponses d’un son étouffé) qu’ils sont bien installés, qu’ils ont juste déplacé un ou deux meubles, ce à quoi acquiesce Eddie. Betty s’agite, tape du pied le genou de Zorg, qui se reprend : « Ha oui, sinon je me disais que les vieux parquets, bin c’était pas génial. » Eddie s’interroge, et Zorg lui répond qu’il aurait plutôt vu du bleu, une couleur plus agréable. Eddie accepte… S’installe un silence, lors duquel Betty réagit à nouveau, faisant signe à Zorg, qui reprend « Sinon, ha oui, on se disait, enfin, Betty aurait bien voulu qu’on enlève une ou deux cloisons, des bricoles, quoi ». (un insert sur Betty indignée de s’être faite dénoncer, qui lance un « faux-cul » quasi-muet à Zorg tandis qu’il parle au téléphone). Eddie répond que casser un mur ça n’est pas des bricoles. Mais Zorg fait preuve d’un vague élan poétique (c’est un écrivain), concluant que ces cloisons sont comme une insulte dans la jolie clairière de leur amitié. « Bon, d’accord, répond un Eddie excédé, mais n’en faites pas trop ». Zorg lui répond qu’évidemment que non, qu’ils ne sont pas des dingos… Betty sautille de joie sur son canapé.

On enchaine donc sur un plan avec Betty en avant plan, féline et animale, qui siffle. Face à elle, Zorg, en débardeur, défonce un mur à coups de masse. Lorsque s’abat le premier coup, elle crie de joie, éclaboussée d’éclats de platre et de bois… Zorg marque un arrêt, s’appuie contre l’embrasure de la porte de la cloison qu’il est en train de détruire, et demande : « Dis, mon amour, comme çà, je ne te fais pas penser à Sylvester Stallone dans Rocky 4 ?? » Contrechamps, Betty fait non de la tête. « A quoi, alors ? » « A toi en train d’écrire ton bouquin », répond-elle d’un ton sensuel.
Retour sur Zorg, un peu contrarié : « Alors là, mon amour, je ne vois vraiment pas le rapport entre détruire un mur et écrire un livre… ». Contrechamp sur Betty, visiblement contrariée : « Ben tu vois, ça m’étonne pas ». Puis elle se lève nonchalamment, et s’éloigne vers le fonds du plan (et une autre pièce) d’un pas lascif.

Plan suivant : Betty est devant la télé, dans le canapé. Le rouge éclatant de sa robe tranche toujours beaucoup avec les couleurs ternes de la pièce. Elle s’entraine devant ce qu’on devine à l’oreille un spectacle indien : on entend de la musique karnatique, et on voit Betty bouger la tête sans que le corps n’accompagne le mouvement, comme une danseuse indienne, puis ses yeux qui vont de droite à gauche sans rien bouger du reste du corps. Ses mains prennent également des poses de danse. On n’est pas loin de la caricature : la musique est très forte, et Betty en fait trop. Contrechamps sur Zorg, qui s’arrête à l’entrée du salon : « Je vais au supermarket, mon amour, tu m’accompagnes ? ». Retour sur Betty qui l’ignore superbement. On reprend sur Zorg, qui insiste : « Ho, Betty, tu viens ? », puis, constatant qu’elle l’ignore : « bon, ben j’y vais tout seul ».

On coupe pour se retrouver sur un parking de grande surface. La caméra, en hauteur (sans doute sur une grue), plonge légèrement pour nous révéler Zorg (qui a mis une chemise jaune) revenant vers nous en poussant un caddie. En descendant pour le suivre, dans un beau travelling vertical, la caméra révèle en avant-plan Betty, toujours dans sa robe rouge vif pulpeuse, les jambes nues en évidence, assise lascivement sur le capot de sa voiture. « Ben Betty, qu’est-ce que tu fais-là ? » demande Zorg, lorsqu’il arrive à son niveau.
- Je me chauffe le cul ! répond Betty sur un ton agacé, en faisant la moue.
- Je t’ai acheté du pop-corn, répond Zorg, tentant l’apaisement…
- File-moi les clés je veux conduire.

On retrouve ensuite Betty au volant (le premier plan qui nous révèle cette situation est en plongée, une vue « subjective » de la boite de vitesse, décuplant la taille de Betty en colère), passant une vitesse, la voiture étant manifestement en surrégime. Elle le fait très, trop, brusquement, faisant couiner la boite de vitesse, en jurant « Boite de vitesse de merde ! ». Un plan à hauteur des passagers embraye sur Zorg, passablement lassé : « Bien sur, boite de merde ». Puis on passe à un plan extérieur, qui révèle la conduite brutale et dangereuse de Betty. Notons au passage que la voiture est loin d’être banale : il s’agit d’une Mercedes jaune vif, un ancien modèle (je ne saurais hélas pas dire lequel). Betty croise une voiture trop vite, et se jette dans un rond-point en évitant de peu un accident. Pour cette petite cascade, on passe d’un POV (point de vue) intérieur (pour l’arrivée sur le rond-point), à un plan latéral extérieur, qu’on puisse comprendre ce qui s’est passé : la voiture se jette sur le rond-point, et une camionnette l’évite de justesse en klaxonnant. Retour à l’intérieur de la voiture, sur Zorg : « Bien sur, continue comme ça, et on va fausser les statistiques de mortalité de la route dans la région », dit-il. Nouveau plan extérieur latéral, qui montre la voiture piler sur la route : Betty s’arrête en jurant ne plus jamais remettre les pieds dans cette voiture de merde. Elle sort, et commence à s’éloigner. Un plan nous montre Zorg, consterné, ouvrir la portière et s’appuyer sur celle-ci en regardant Betty s’éloigner. Sa chemise jaune s’inscrit dans le prolongement de la portière jaune, dans un fort joli plan. Puis un contrechamp nous la montre s’éloignant sur la route, vers le soleil couchant. La crise monte : Betty est au bord de l’explosion.

On se retrouve le soir, dans l’appartement. On voit latéralement Betty devant la télé, mangeant du pop-corn. Assise sur le canapé, elle n’est plus en robe rouge, mais dans un short rose (là aussi très court) et un t-shirt. Elle regarde ce qu’on devine être un film policier, au son : une musique agressive et lancinante, entrecoupée de rafales de mitraillettes… Là où il y avait du parquet au début de la séquence, ça a été peint en bleu, ce qui donne une drole d’ambiance, pas si agréable que ça. D’un panoramique, on voit dans la cuisine Zorg en train de lire le journal. La musique de la télé est stridente et désagréable. Excédé par le vacarme, il se lève, froisse son journal, et va fermer la porte qui sépare la cuisine du salon. Un plan sur Betty nous révèle qu’elle a remarqué ce geste de Zorg. Elle entre alors dans la cuisine, rouvrant la porte, jette une bière vide dans la poubelle, vide la casserole de pop-corn dans son saladier, puis la repose, vide, sur le feu, ouvre le frigo pour prendre une autre bière, et ressort en laissant la porte ouverte derrière elle.

« Putain, t’es vaccinée à la merde, aujourd’hui », lance Zorg excédé, avant de se lever et de fermer la porte. Un plan nous montre alors Betty en plan rapproché, de l’autre coté de la porte de la cuisine (une porte avec des carreaux transparents), vexée, se mordant la lèvre de rage ou d’angoisse, et passant la main à travers le carreau. En brisant la vitre, elle se coupe et saigne. « Mais Betty, qu’est-ce-que tu fous, t’es dingue ?? » Zorg ouvre la porte et se précipite sur elle pour l’emmener dans la salle de bain.

Là, c’est le délire : Betty se débat, alors que Zorg essaie de lui mettre du mercurochrome sur sa plaie. Elle n’est que cris et gémissements, Zorg essaie de la maîtriser pour la traiter, y allant de ses « Mais, Betty… Mais… Enfin ! » A force de se débattre, elle finit par lui tirer les cheveux en arrière, le faisant basculer dans la baignoire en entrainant le rideau de douche qui lui tombe dessus. Elle s’enfuit alors.

On la retrouve courant dans la rue, de nuit, suivie par un travelling latéral qu’accompagne la musique grave et rythmique (comme un battement de cœur étouffé) de Gabriel Yared. Derrière elle, Zorg suit, en l’appelant « Betty, arrête !! ». La caméra change d’axe, suivant la course folle de Betty à travers la ville en un plan subjectif, au niveau du sol, qui colle à ses pas… Mais Betty prend un carton, et le jette sur « nous ». Raccord avec un travelling arrière, qui s’éloigne du carton comme la caméra était sur le dos de Betty, dans lequel Zorg se prend les pattes. Notons qu’avec un éclairage assez beau quoiqu’irréel, cette course est particulièrement stylisée dans sa mise en scène.

Enfin, on la retrouve grimpant les marches d’un escalier (ils sont à Marvejols, une ville fortifiée en Lozère, pleine de ruelles et d’escaliers anciens), en direction d’une tour ronde, Zorg est toujours derrière elle. Enfin, un dernier plan en arrêt nous la montre appuyée contre la margelle d’un vieux puis, sous la lumière jaune des réverbères, en train de vomir sous l’effort. Zorg arrive jusqu’à elle, en lui parlant doucement Mais à peine s’approche-t-il d’elle pour l’enlacer qu’elle se débat à nouveau, entrainant Zorg avec elle jusqu’à l’entrée d’un bâtiment ancien (une église ?)… Et voici que survient un véhicule de police. Arrivé à portée du couple bruyant, la portière du conducteur s’ouvre et un policier se jette au sol en roulant sur lui-même, pour se mettre maladroitement sur un genou en braquant son pistolet sur le couple. De l’autre coté de la voiture, un policier sort, matraque en main (il est cadré à hauteur de la taille, on ne voit pas sa tête, comme dans un polar américain), et se dirige vers le couple : « Alors, qu’est-ce qui se passe, ici ?? ». Fin de la séquence.

Cette séquence est une excellente illustration de la mise en scène déréalisante et hyperstylisée de Beineix : la robe rouge vif de Béatrice Dalle, les poses outrées qu’elle prend, accompagnés de très beaux mouvements de caméra (plan de grue, jeu sur les couleurs, effets latéraux et bel éclairage de nuit…), jusqu’à la voiture dans laquelle ils roulent. Tout est cinéma plutôt que réel : on casse un mur, on évoque Stallone. On va au supermarché, et c’est l’occasion d’un plan de grue hypercinématographique, et de répliques d’anthologie… Sans parler de l’intervention des policiers, qui semblent issus d’un film américain (Beineix s’amuse du décalage, d’ailleurs, en montrant le jeune policier qui en fait trop : braquer son arme pour une querelle de couple était ridicule en ces temps présarkoziens). Le projet esthétique de Beineix est donc ici parfaitement clair, et il faut reconnaître que ça marche fort bien : le récit est transcendé par sa mise en scène, son éclairage, ses répliques. La scène de ménage d’un couple à Marvejols devient un grand morceau de cinéma, grandiose et fort d’une atmosphère tragique.

Par ailleurs, au sein du film, cette séquence s’avère d’une grande importance : c’est là que l’on détecte pour la première fois les failles, qui s’avèreront béantes, du personnage de Béatrice Dalle, la première fois que le couple est réellement soumis à une difficulté. C’est le « début de la fin », les prémisses d’une descente annoncée… La bande-annonce reprendra d’ailleurs ce geste de Betty se coupant à travers le carreau, ainsi que les coups de masse dans le mur. Enfin, on voit ici Beatrice Dalle appuyer la sensualité, l’animalité, et la vulgarité de son personnage avec une grande efficacité (« j’me chauffe le cul », la robe rouge, les cris quand Zorg casse le mur ou dans sa crise quasi-hystérique). Bref, on est face à un des meilleurs moments du film.

Au final, et malgré son immense succès public, 37°2 le matin aura fait beaucoup de promesses non tenues : Jean-Jacques Beineix n’a plus retrouvé une inspiration de cette ampleur, ses films ultérieurs ayant plutôt déçu, jusqu’à ce qu’il cesse pratiquement de mettre en scène. Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade n’ont pas accédé à un statut de star, alors que tout était réuni pour. L’une a poursuivi une carrière à la marge, avec quelques rôles intéressants, mais jamais autant vus, l’autre s’est vite orienté vers des seconds rôles, certes appréciables. Bref, aucun d’entre eux n’a obtenu, ou exploité, le statut de champion du box-office qu’on était en mesure d’attendre de leur succès. Reste un excellent film, une référence majeure du cinéma français des années 80, et un grand coup de cœur pour moi…
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

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Vendredi 21 janvier, Sideways d’Alexander Payne (2004)
Extrait choisi : Quel minable ! (chapitre 16)

Alexander Payne est un cinéaste qui m’est sympathique. Tout d’abord parce que c’est un cinéaste cinéphile, comme l’illustre son bel échange avec Bertrand Tavernier dans Amis Américains (livre épais mais ô combien admirable), mais aussi parce qu’invité à choisir 3 films au dernier festival de Telluride, il avait mis en avant Place aux jeunes, un de mes films préférés, un western d’Andre de Toth (Day of the Outlaw), ainsi qu’un film de Curtiz à l’air passionnant (The breaking point). Si ça, ce ne sont pas des choix de cinéphile…

En tant que cinéaste, Payne m’a tout de suite plu avec Election, en donnant à Reese Witherspoon un rôle intéressant dans un teenage movie tout sauf naïf, ainsi qu’en proposant à Jack Nicholson son meilleur film de la décennie 2000, Monsieur Schmidt, un très grand film, fort triste, assez proche thématiquement du MacCarey évoqué plus haut. Mais c’est avec Sideways qu’il a vraiment conquis le public français (et américain, puisque ce film est son plus gros succès). Dans ce film sur fonds d’œnologie, Miles (Paul Giamatti) est un œnologue en pleine crise existentielle, dont on suit le parcours drolatique aux coté de son ami, un comédien rabelaisien et extrêmement porté sir le sexe. Déclinant ce duo clown blanc/auguste sur la route des vins de Californie, Payne raconte aussi l’accès à une certaine maturité de son personnage principal, immature et en pleine crise de la quarantaine.

Dans la séquence qui nous intéresse, Miles vient de diner avec Maya (Virginia Madsen), une superbe blonde, divorcée récemment elle aussi. Abandonnés par leurs amis partis s’envoyer en l’air, dans une fin de soirée à la fois charmante, mais aussi bourrée de silences embarrassés, ils ont fait plus ample connaissance. La soirée n’est pas forcément un échec, mais on sent, et Miles avec nous, qu’il n’a pas saisi le moment pour « conclure », contrairement à son camarade de virée parti tirer son coup… Il se retire donc aux toilettes, pour reprendre ses esprits, et, s’il revient remonté à bloc, c’est en vain, car il est tard et temps de se séparer.

La séquence commence donc dans les toilettes : Paul Giamatti se passe le visage à l’eau, et s’insulte dans le miroir. ” Quel minable !! Tu me fais vomir…” (You’re such a looser, you make me sick !). Tout en s’aspergeant, puis en se séchant le visage, sa colère froide retournée contre lui-même est exprimée verbalement, en des termes assez durs : Miles a du mal à s’accepter, il ne correspond pas à son image du mâle conquérant, et s’en veut de n’avoir pas créé une atmosphère portant à la bagatelle. Pourtant, l’échange qui a précédé entre lui et Mara est l’un des meilleurs moments du film, dans lequel le larmoyant personnage s’est révélé passionné et chaleureux, il a réellement échangé quelque chose avec elle, même si ça n’a pas débouché sur une coucherie, et s’il a été très gêné quand elle a posé sa main sur la sienne.

Le plan suivant commence dans le noir (pour faire écho à l’humeur de Miles, qui sait ?). Une porte s’ouvre, on comprend alors qu’on est toujours dans les toilettes, derrière Miles que la caméra suit à hauteur d’épaule. Devant nous, il ouvre la porte, sort dans la chambre d’enfant sur laquelle donnent les toilettes, s’arrête à l’embrasure de la porte de la cuisine à sa droite (Maya s’y trouve au fond, buvant un verre d’eau). La caméra cesse de le suivre, et s’arrête au niveau de la sortie des toilettes, cadrant Miles dans la chambre d’un coté, Maya de l’autre. Celui-ci marque un arrêt, comme pour prendre des forces. Il se sèche le visage avec la manche, soupire, puis il entre dans la cuisine, se dirige vers Maya, qui lui annonce qu’elle avait soif, et lui demande s’il veut un verre d’eau. Elle commence à annoncer qu’il se fait tard. Il l’embrasse alors de façon maladroite, en l’interrompant. Elle ne le repousse pas, mais ne s’enflamme pas pour autant. Une fois le baiser échangé, elle annonce qu’il est temps pour elle de rentrer.

La caméra cadrant la scène s’attarde sur le mur de la chambre d’enfant décoré de dessins d’enfants (l’action est recadrée via la porte de la cuisine, où tout se passe), le plan est pratiquement coupé en deux… Ce discret élément de décor, qui occupe pourtant la moitié du plan, introduit la notion de maturité dans l’équation : il ne s’agit pas d’une jeune histoire d’amour, mais d’un amour « mur ». Il est divorcé, elle aussi, son amie a des enfants dont la décoration et le découpage nous rappellent l’existence. Miles ne voit pas cette information, et se semble considérer la soirée comme un échec parce qu’il l’évalue selon une grille de lecture adolescente et immature. La mise en scène nous suggère qu’à cette étape de l’existence, la séduction et les rencontres ne se font pas avec le même empressement qu’avant. Par ailleurs, de façon illustrative, ce cadrage nous dit que Miles doit « sortir de l’enfance », i.e. de la chambre d’enfant, pour aller vers Maya.

On retrouve les deux amateurs de vin sur la route, lorsqu’ils doivent partir chacun dans une direction. Le premier plan est pris dans la voiture de Miles, dont aperçoit l’air contrarié dans le rétroviseur intérieur. Puis un plan extérieur nous montre les voitures s’arrêtant ) une intersection. Maya sort de sa voiture pour indiquer la route à suivre à Miles. Celui-ci lui demande si elle veut toujours lire son roman. Comme elle répond par l’affirmative, il prend de l’arrière de sa voiture une grosse boite, qu’il remet à Maya. Une seconde, rajoute-t-il, puis il se retourne à nouveau pour sortir une deuxième grosse boite. « Wouaou, bigre », commente, impressionnée, la future lectrice. Le roman de Miles est un énorme pavé.

Miles lui précise qu’il comprendrait qu’elle arrête de le lire en cours de route, que ça ne le vexerait pas du tout. Elle le remercie, lui dit avoir passé une excellente soirée (en insistant : « I really did »), l’embrasse sur la joue (dans un geste assez tendre et juste), et lui dit au revoir. Ils partent alors en voiture, chacun dans une direction opposée.

Bien que courte, cette séquence est fort intéressante : Alexander Payne s’intéresse dans ce film au vieillissement (celui du personnage, en pleine crise de la quarantaine, celui du vin…), et cette séquence nous montre que l’amour à 40 ans ne se fait pas comme à vingt. Sauf si l’on reste très immature, comme l’irresponsable (et fort drôle) ami de Miles. Mais ici, alors que les échanges entre Miles et Maya ont été très touchants, et qu’ils ont eu un vrai moment romantique, ce dernier se considère comme un raté parce qu’a pas mis « la balle au panier ». Pourtant, il a passé une excellente soirée avec une belle femme et lui a manifestement plu. Mais, en voulant bruler les étapes, en appliquant une grille de lecture d’un autre âge, il semble nier son propre passé (il a pourtant du mal à tourner la page concernant son mariage dans le film), et ignorer que Maya a elle-même un passé. Une maturité que suggère le réalisateur par l’insertion discrète, mais bien vue, d’éléments de décor dans sa mise en scène. Bref, Miles n’a pas encore accédé à la maturité, il reste larmoyant et garde la vue courte, a besoin de réunir son courage pour aller embrasser une femme qui lui est pourtant favorablement acquise. Son évolution morale n’est pas terminée, le film n’en est qu’à la moitié...

Alexander Payne, après le succès de Sideways, a pris du recul vis-à-vis du cinéma. Ainsi, il a surtout travaillé pour la télévision, notamment sur la série Hung, qui est parait-il fort prometteuse. J’attends néanmoins son retour au cinéma avec une impatience particulière, car c’est un cinéaste qui a encore des choses à raconter.
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Message par Flol »

J'adore ce film, dont la mélancolie et la justesse de ton me touchent énormément.
Et tu en parles très bien. :D
cinephage a écrit :Alexander Payne, après le succès de Sideways, a pris du recul vis-à-vis du cinéma
C'est bien dommage...
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

Ratatouille a écrit :J'adore ce film, dont la mélancolie et la justesse de ton me touchent énormément.
Et tu en parles très bien. :D
cinephage a écrit :Alexander Payne, après le succès de Sideways, a pris du recul vis-à-vis du cinéma
Et c'est bien dommage...
On est bien d'accord, cela dit j'ai cru comprendre que Hung était une série intéressante. En tout cas, j'essaierai de la voir, il en a réalisé le pilote, et produit 5 épisodes.
Une équipe férue de série en parle ici :
http://fenestrula.free.fr/lucarne/?p=705

Et puis Imdb nous annonce un film en pré-production, The descendants avec un George Clooney en rumeur de casting (c'est drole, ça, imdb qui colporte les rumeurs :mrgreen: ). Croisons les doigts !!

En tout cas, j'aime aussi beaucoup l'entendre parler de cinéma : il est cultivé et passionné de cinéma classique...
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

Jeudi 4 février, Ivanhoe de Richard Thorpe (1952)
Extrait choisi : Le cadeau de Rebecca (chapitre 8)

Si je n’éprouve pas particulièrement de sympathie pour l’œuvre de Richard Thorpe, d’un classicisme souvent anonyme, on y trouve tout de même quelques films qui, précisément par leur classicisme ou les talents qu’ils réunissent, parviennent à garder une beauté, un attrait particulier. Ainsi d’Ivanhoe, film d’aventures agréable et enjoué, typique d’un certain cinéma où le panache rencontre une certaine conception de l’héroïsme, et où de flamboyantes séquences d’action ponctuent l’adaptation d’un classique de la littérature, comme ici de Walter Scott. Cela fait longtemps que je n’avais pas revu ce film, je découvre donc cette séquence avec plaisir.

Dans la séquence qui nous intéresse, Ivanhoe (Robert Taylor) brise le collier de servage de Wamba (Emlyn Williams), ancien fou du roi dont il fait son écuyer, et se fait offrir par Rebecca (Elisabeth Taylor) des bijoux qui lui permettront d’acquérir une armure et un cheval pour participer au tournoi d'Ashby. C’est l’occasion de s’intéresser à un cinéma d’aventure d’un classicisme sans faille : cette séquence, on le verra, est découpée de façon sobre, efficace, et assez représentative.

La séquence s’ouvre par un bref insert sur une pancarte d’auberge, soit un archer griffonné, (enfin, un bras d’archer), avec un sursaut musical (ce plan de situation nous indique métonymiquement que l’action qui suit se trouve dans l’auberge). Ce sursaut musical, qui joue sur des nuances ludiques et claires, réveille l’attention du spectateur, lui indique que quelque chose de nouveau se passe. Dans toute la séquence (dans tout le film, en réalité), la musique de Miklosz Rozsa épouse l’action, la suit et la souligne. C’est ce qu’on appelle le mickeymousing : un thème sautillant et rigolo pour les séquences avec Wamba, personnage comique, un autre plus lyrique quand Rebecca parle avec Ivanhoe, une rupture avec des cuivres quand l’action surgit, ou une ritournelle comme pour ce premier plan qui nous indique qu’on est dans l’auberge. Le niveau sonore de cette bande musicale reste globalement faible, la musique étant couverte par les dialogues et les sons de l’action du film. Il n’y a qu’à quelques moments, rares et précis, que la musique se fait entendre, comme dans ce plan de situation, pour redevenir discrète aussitôt après. Mais à aucun moment elle ne disparait. Notons que cette BO est assez belle, et vaudra à son auteur une nomination aux Oscars. Avant de passer à la suite de la séquence, signalons combien est classique cette figure du plan de situation, désormais archi-vu et revu, notamment par l’usage abusif qu’en ont fait les séries télé, le plan de situation permettant de recentrer l’action à la suite d'une coupure publicitaire…

Le découpage ne s’attarde guère sur cette ouverture, et la musique de fosse s’efface tandis que nous découvrons Ivanhoe et Wamba dans un sous-sol. "Je vais te libérer de tes chaînes", annonce le chevalier. Wamba est très enthousiaste, et il lance le vers suivant : “A cow jumped the moon, but a fool he jumps higher, from Wamba the serf, to Wamba the squire” (une vache sauta par-dessus la Lune, mais un fou saute plus haut encore, qui partant de Wamba le serf atteint Wamba l’écuyer !) Wamba fait un bond en finissant sa phrase, marquant son saut. Que ce bref échange soit l’occasion de nous émerveiller sur une des choses qui font vraiment le charme de ces anciens films d’aventure : un langage châtié et imagé, quoique légèrement archaïque (je préfère le terme de suranné). Des vers de Wamba au ton d’Ivanhoe ("Mon bon Wamba", métaphores fréquentes et autres figures de langage exclues du parler courant, même dans les années 50).

Intermède comique : alors que le chevalier s’apprêtait à briser le collier de servage autour du cou de Wamba, celui-ci interrompt le geste pour lui demander de ne pas taper à coté. Puis ils reprennent leur position, et le collier est cette fois-ci brisé pour de bon. "Je te libère de tes chaînes, indique le noble ; puisse ton prochain collier ne pas être plus lourd que les bras d’une jolie femme."
- C’est un collier que je porterais avec joie, et dont je changerais tous les jours. Répond le fripon libéré.
En termes de découpage, tout s’est joué en plan américain (un seul), filmant les deux hommes côte à côte, la caméra ne bougeant pas. Maintenant que Wamba est libéré, on coupe sur un plan rapproché sur lui (avec le chevalier en amorce), qui regarde son collier qu'il a dans les mains : « Je le portais depuis l’age de 11 ans. Mon père portait le sien le jour de sa mort… Je me sens… Bizarre (Strange). »
Retour à un plan large, alors qu’Ivanhoe reprend son terme : « étrange ? »
-J’espère que, prochainement, toute l’Angleterre se sentira aussi bizarre que moi.
- Cela sera dès que Richard reviendra, conclut Ivanhoe. Mais il est temps de dormir. Bonsoir, écuyer.
- Ecuyer ?! Et Wamba conclut sur un petit cri d’enthousiasme tandis que le plan fond vite au noir.

Signalons ce découpage ultrasobre (2 plans, plus un troisième de situation en insert). Plan américain pour les échanges « normaux », et plan rapproché/gros plan pour les moments d’émotion (quand Wamba évoque sa liberté), légèrement en plongée quand ce n’est pas Ivanhoe que l’on voit (lui, au contraire, est en contreplongée, il nous domine de sa noblesse, même si c’est toujours très discret). On retrouve ça dans tout le film...

Mais, alors qu’Ivanhoe rentre dans sa chambre, il s’arrête : la caméra qui le cadrait en pied panote très vite sur la gauche pour suivre son regard : un voleur encapuchonné s’enfuit vers la fenêtre.
« Arrêtez-vous et présentez-vous !! » Ce disant, le chevalier brandit un poignard qu’il lance vers le voleur. Rupture de plan : on est sur lui en plan rapproché très bref, pour le voir lancer le couteau. Puis on voit ce dernier se ficher dans le bois du volet, coinçant l’intrus par la manche. Ce panoramique, suivi de deux plans très courts (action.réaction), marque une action brusque, qui tranche dans la séquence. Rupture accentuée par un « pic » musical de tension surgissant à ce moment-là.

Puis, le tempo reprend son rythme d’avant, Ivanhoe s’avançant (retour au plan américain, qui cadre à partir des mollets) vers l’intrus, qu’il menace de son arme après avoir repris celle-ci. « Parle, qui t’envoie ? Que voulais-tu ? Ce n’est point l’heure de garder le silence ! » (Speak ! This no time to lose your tongue). Le plan américain devient plan rapproché, cadré à hauteur d’épaule. Au moment où Robert Taylor approche, son interlocuteur, de petite taille, se révèle être une femme, charmante au demeurant : il s’agit d’Elisabeth Taylor…

Prise à partie, elle déclare s’être introduite ici pour lui offrir un cadeau, et qu’elle vient de chez Sir Isaac.
- A cette heure ?? Par la fenêtre ?? Qu’y a-t-il dans cette boite ?? L’ouvrant (bref insert sur le contenu de la boite), il découvre des pierres précieuses.
- Mais, si Sir Isaac avait voulu me les offrir, il l’aurait fait tout à l’heure…
- Ce n’est pas à lui (They are not his to give) : c’est ma maitresse qui m’a demandé de vous les apporter. Ce sont des bijoux qu’elle tient de sa mère.
- Et qui est ta maitresse ? Ivanhoe s’approche alors et cache le bas du visage de la demoiselle du revers de la main, reconnaissant alors Rebecca, qu’il n'avait rencontré que voilée…

Il lui demande alors si sa mère est au courant. Mais elle lui apprend qu’elle est morte il y a deux ans en Espagne, ce qui est la raison pour laquelle elle réside en Angleterre avec son père.
« Je vous offre ces bijoux afin que vous acquériez un cheval et une armure et alliez remporter le tournoi d’Ashby.
- Mais, je pourrais perdre. Mon vainqueur emporterait alors ce cheval, cette armure…
- Vous ne perdrez pas. Ou alors ce serait toute l’Angleterre qui perdrait…
- Aimez-vous à ce point l’Angleterre ??
- Est-ce qu’un prisonnier aime sa prison ?
- Sir Isaac m’a déjà récompensé…
- Alors c’est moi qui vous récompense à mon tour. A moins que vous n’ayez peur d’aller à Ashby. Dans ce cas, rendez-moi mes bijoux.
- J’irai à Ashby.
- Dieu soit avec vous, alors… Me permettez-vous de rentrer chez moi ?
- Pas seule.

Le couple avait reculé légèrement, et voici qu’à présent, Ivanhoe se déplace jusqu’à la porte d’entrée pour appeler son écuyer : « Ecuyer ! Wamba ! ». Ce dernier réagit, reprenant « Ecuyer ! » d’un ton réjoui, et il arrive, tandis que la musique adopte à nouveau le ton rigolo qui accompagne Wamba. Ivanhoe lui donne l’ordre de raccompagner la dame. Celle-ci se déplace alors jusqu’à la porte, et s’arrête pour saluer le chevalier.

Notons que dans ce dernier mouvement, une élégance discrètement naturelle préside au placement des uns et des autres, le dernier échange mettant les deux protagonistes de profil. Mais la porte marque comme une barre entre les deux qui se saluent.

Rebecca dit « Adieu », et Ivanhoe s’étonne qu’elle ne soit pas à Ashby pour le saluer. Elle lui répond qu’il ne vaut mieux pas, pour lui, qu’elle y soit, et encore moins qu’elle le salue. « Mais… Pourquoi ?? » demande le chevalier, étonné… « Parce que je suis la fille de mon père… » répond Rebecca, avant de partir avec l’écuyer Wamba.

Laissé seul, Ivanhoe revient à sa table examiner de près les bijoux. La séquence s’achève…

Découpé avec sobriété (champs/contrechamps, plans américains la plupart du temps, rapprochés pour les moments d’émotion), perpétuellement accompagné d’une musique de fosse discrète qui ne se fait entendre que par moments, Ivanhoe bénéficie aussi d’une photographie claire de Freddie Young (le génie qui éclairera les meilleurs films de David Lean, qui sera nominé aux Oscars pour ce film), qui laisse la part belle aux costumes nets et aux décors bigarrés du film. Les tenues brunes, ou rouge et vert, frappent l’œil sans trop faire kitsch, et les dialogues, superbement ciselés, font époque par leur élégance. Cette séquence illustre tout cela, et l’on a bien envie de voir la suite du film tant l’emballage est appétissant. Mais je serais tenté de mettre ici un léger bémol : si le classicime est de mise, et valorisé par d’excellents collaborateurs, Ivanhoe n’a rien d’un film personnel, et je peine à percevoir quoi que ce soit des gouts ou des préoccupations de Richard Thorpe, tant dans cette séquence que dans le film. Mais Hollywood était ainsi fait qu’un réalisateur sans personnalité pouvait donner un bon film, encadré comme il l’était…

Cette jolie séquence est donc assez illustrative du cinéma américain des années 50. En particulier, les thèmes du film, la liberté (abordé ici avec Wamba), le joug de l’oppresseur contre lequel il faut lutter (un oppresseur qui réserve de surcroit un traitement bien odieux à l’égard des juifs, chose suggérée également, et qui, bien qu’évoqué dans le roman de Scott, prend en 1952 un sens tout autre), sont caractéristiques du cinéma américain des années 50.

Dans l’économie globale du film, cette séquence est essentielle : c’est la première vraie rencontre du couple des héros. Faisant de Rebecca une femme volontaire et déterminée (elle est sortie de chez elle de nuit), tout en préservant sa délicatesse (les plans qui s’attardent sur son beau visage, sa fragilité et son gabarit réduits face à Robert Taylor, un déséquilibre accentué par les effets de plongée/contreplongée qui ponctuent les échanges entre eux), elle lui donne un rôle moteur : grace à elle, Ivanhoe va pouvoir participer au tournoi.

Mais c’est avant tout un grand morceau de bonheur : la beauté d’Elisabeth Taylor, les guignoleries d’Emlyn Williams et la prestance romanesque de Robert Taylor donnent au film de belles séquences, même en dehors des morceaux de bravoure que seront les tournois et les batailles grandioses à venir, et qui restent ce qu’on retient du film. Notons que ce film fut nominé à l’Oscar du meilleur film, et que son succès permit à Richard Thorpe de tourner d’autres films du même type avec Robert Taylor, comme les chevaliers de la table ronde, ou Quentin Durward, donnant au film d'aventures une espèce de modèle, de mètre étalon. Il est permis de leur préférer Scaramouche, les trois mousquetaires ou la flèche et le flambeau, autrement plus personnels...
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Lundi 15 février, Les douze salopards, de Robert Aldrich (1967)
Extrait choisi : De l’essence ? Vous êtes sur ? (chapitre 34)

Si Robert Aldrich est vraiment un des réalisateurs que j’ai découvert grace aux dvds (avec des chefs d’œuvres comme Vera Cruz, Pas d’orchidée pour Miss Blandish, Attaque, ou En quatrième vitesse), je le connaissais déjà pour un film fabuleux, vu à la télévision : les douze salopards. Un film de guerre sauvage et pessimiste, qu’on ne se lasse pas de revoir… Un casting de légende (Ernest Borgnine, Robert Ryan, Lee Marvin, Charles Bronson, John Cassavettes, entre autres), une intrigue si simple et réussie que le film a été maintes fois repris, et une mise en scène d’une efficacité remarquable. C’est bien simple, pour moi, Robert Aldrich était l’homme d’un seul film. Aujourd’hui, c’est un de mes réalisateurs fétiches, et j’aurais bien du mal à dire quel est le film de lui que je préfère…

Ce récit fort sombre nous dit que la guerre est une abomination, où la noblesse n’a pas sa place, et qu’elle ne peut être conduite que par des êtres humains au sens moral atrophié. Nous y suivons le recrutement d’une escouade de criminels de guerre, son entrainement puis l’accomplissement de sa mission-suicide. Dans la séquence qui nous intéresse, assez longue, on assiste à la conclusion de la mission proprement dite : après une vive tension construite par l’infiltration du château allemand qu’assaillent nos « héros », la détente se fait dans un déchainement de violence cruelle. Ici, alors que les gradés, avec femmes et enfants se sont réfugiés dans les sous-sols du château, les salopards vont les faire cramer tandis que certains d’entre eux empêchent les secours, des renforts allemands, d’intervenir.

La séquence étant longue et très découpée (Aldrich a privilégié beaucoup de plans courts pour rythmer cette séquence d’action, amorçant par là, aux cotés d’autres réalisateurs d’action de la même époque, une logique de la frénésie, chaque film jalon étant plus découpé que le précédent, qui culminera dans les années 2000 avec des plans ultracourts, à l’enchainement illisible, mais transmettant, dans le meilleur des cas, le sentiment d’urgence et d’indéchiffrabilité du réel qu’éprouvent les personnages du film), j’éviterai de trop m’attarder sur le découpage pour privilégier le déroulement de l’action.

La séquence commence sur Posey (Clint Walker) et son coéquipier, qui veillent sur les voies d’arrivée au château. Un contrechamp nous révèle qu’arrivent des véhicules, un camion de transport de troupes, et d’autres encore derrière. Un insert sur une main appuyant sur un détonateur, et la route explose sous les véhicules allemands. C’est la débâcle chez l’ennemi, les allemands courent en tous sens en criant, sous la lumière d’une fusée éclairante, tandis que les soldats américains les arrosent de leur fusil mitrailleur…

Ces premiers coups de feu sont un signal pour le Major Reisman (Lee Marvin), qui enjoint ses hommes à agir vite, pendant que Posey les protège. Il incite aussi Franko (John Cassavettes) à chercher un camion qui puisse les faire sortir d’ici. On voit alors les hommes de Reisman jeter des grenades dans les tuyères d’aération de la cave. Reisman précise qu’il ne faut pas les dégoupiller… Ces grenades tombent pour s’accumuler dans les grilles au bout de chaque tuyère, grilles qui donnent sur la cave. Dans la cave, on trouve tous les hauts dignitaires nazis, ainsi que leurs épouses, qui se sont réfugiés là-dessous. Ca va être un massacre.

Notons que cette séquence, tout en restant tendue (les allemands risquent de percer le barrage qui le retient), prend aussi le temps de décrire un carnage absolu. Lorsque Reisman commence à jeter des grenades dans une tuyère d’aération, avant de l’imiter, Jefferson (Jim Brown) regarde dedans, et un contrechamp nous révèle les allemands paniqués dans la cave, en tenue de soirée. Un plan « vu du tuyau » sur le visage de Jefferson souriant nous indique qu’il a parfaitement conscience de ce qu’il fait, puis nous le voyons verser ses grenades « sur nous »…

Reisman va plus loin encore : « Bowren, il nous faut de l’essence.
- De l’essence, vous êtes sur ? Demande le sergent (Richard Jaeckell)
- Demandez à Vladek, demandez à Pinkley, répond Lee Marvin en évoquant les camarades morts au combat. Bowren part vite chercher de l’essence.

Reisman incite un second groupe de protection à les couvrir, tandis que Franko désespère, tout les camions sont verrouillés. Cherchez encore, lui crie Reisman. Il incite également Lever (Stuart Cooper) et Sawyer (Colin Maitland), deux autres soldats chargés de les protéger, de surveiller l’arrivée des troupes. Ceux-ci se mettent donc en place, installant leur fusil mitrailleur en vue du pont à l’entrée du château. Pendant ce temps, la troupe achève de vider son essence sur la population dans la cave.

Aldrich ajoute d’ailleurs des éléments de suspense : tandis que Charles Bronson verse de l’essence, un insert nous révèle qu’un allemand prétend faire le mort, alors qu’il guette l’occasion de sévir. Plus intensément, on retrouve les dignitaires enfermés dans la cave, qui parviennent à briser la porte qui les enfermaient. Ils se précipitent donc dans l’antichambre (une pièce jonchée de cadavres, évoquant sans ambiguité le sort qui attend ceux-ci) pour se heurter à une grille et à une porte plus lourde encore, et encore mieux fermée…

Franko arrive devant un camion tout-terrain qui lui semble non-protégé, grimpe à l’intérieur, essaie de l’allumer en lui intimant à voix basse de démarrer, et miracle ! Le camion démarre. C’est le signal du départ pour Reisman qui finit de vider son essence et dit à tout le monde d’embarquer. C’est Jefferson qui allumera les grenades. Reisman demande à Wladislaw (Charles Bronson) d’évacuer le cadavre de Vladek, pour qu’ils ne roulent pas dessus. Puis il exige de Franko qu’il lui cède la place, ce que fait ce dernier à contre-cœur…

Alors qu’ils s’apprêtent à démarrer, un véhicule allemand (une jeep militaire) force le barrage profitant d’un moment où Posey et son comparse devaient renvoyer une fusée éclairante, et parvient à passer. Heureusement, la deuxième ligne de défense juste posée par Reisman parvient à liquider le véhicule, qui vient s’écraser contre la colonne tenant la grille d’entrée du château. La colonne s’effondre sur la jeep, et le malheureux soldat qui parvient à s’en sortir est cueilli par les mitrailleuses de Reismann et ses hommes. Le camion s’ébroue, mais voici qu’il traine derrière lui un canon d’artillerie. Reismann regarde Franko, qui, après un bref échange de regard (très éloquent), descend décrocher cette charge inutile. Voici qu’il y parvient, le camion se positionne donc près de la sortie, tandis que les serviteurs du château courent se cacher dans les dépendances, en gémissant de peur en français... Alors que Charles Bronson avait déposé le corps de Vladek et pris ses plaques d’identité, sa course vers le véhicule de ses camarades est stoppée net par l’allemand qui faisait mine d’être mort. Sa cible abattue, il est lui-même fauché par les « salopards » du camion, qui ouvrent le feu sur lui. Reisman fait alors signe à Jefferson…

Celui-ci prépare ses dernières grenades, quand un sniper planqué dans le château le rate de peu (dans un très bref plan subjectif, il apparaissait dans le viseur infrarouge du tireur d’élite). Jefferson riposte et abat le tireur d’une vive rafale, puis il entame sa course. L’enjeu est de taille : comme le lui a rappelé Reisman, il n’a que 20 secondes avant que la première grenade n’explose… A ce sujet, notons une information qui n’est pas forcément évidente pour le spectateur de 2010 : Jim Brown, l’acteur afro-américain qui joue Jefferson, était surtout connu en tant qu’immense star de football américain. Néanmoins, alors que le tournage s’étendait et que Brown menaçait de faire défaut au championnat de la NFL 1967-1968, la NFL tenta de faire pression sur lui pour qu’il rejoigne la compétition et quitte le film. Mais mal lui en prit : Brown organisa lui-même une conférence de presse, et annonça sa retraite sportive, alors qu’il était au sommet de la gloire. Autant dire que cette « course de la mort » d’un des plus grands sprinteurs de l’histoire du football américain était un moment sacrément vibrant pour le public américain de 1967, qui venait de perdre un de ses meilleurs sportifs, retrouvé ici le temps d’une course glorieuse.

Jefferson court donc de toutes ses forces, jetant une grenade dans chaque tuyère d’aération, lorsque, sa course accomplie, il est fauché dans les derniers mètres par un allemand venu d’on ne sait où (de temps en temps, on voit des allemands progresser en direction du château). Celui-ci liquidé, le château explose.

Après un dernier plan dans la cave, on voit les tuyères projeter des flammes très haut dans le ciel, puis le château lui-même se désagréger, on voit même un intérieur du château partir en flammes (en réalité, seule la façade est démolie, parce que le château, décor intégralement construit pour le tournage, s’est avéré tellement massif qu’indestructible sans danger. Il a été jugé plus prudent de reconstruire une façade « fragile » qui est celle que l’on voit se désagréger dans l’explosion). La musique marque un temps en suspens, tandis que l’on voit défiler les visages des uns et des autres éberlués, à la fois par l’explosion et par la mort de leur camarade… Un allemand, également, marque un arret dans sa progression couverte, et s’interrompt pour regarder l’explosion. Les « salopards » en profitent pour lui régler son compte.

Il est temps de se remettre en route : le véhicule tout-terrain entame de rouler sur la jeep écrasée devant l’entrée (après quelques efforts, il y parvient), puis l’équipe qui les protégeait décide de prendre un bateau pour les rejoindre de l’autre coté de la pièce d’eau du château. Un dernier plan de grue en un élégant travelling vertical nous montre le camion s’éloignant en traversant le pont, la fuite à proprement parler ferait l’objet d’une autre séquence…

Evidemment, acmé de l’action du film, réalisation d’un plan élaboré et préparé pendant tout le temps qui l’a précédée, cette séquence est la clé de ce très grand film de guerre : elle déroule l’action, et pousse encore plus loin la gêne du public, qui s’est déjà laissé happé en vibrant pour des criminels, mais va ici vibrer en les voyant massacrer des gens désarmés.
La légende raconte d’ailleurs qu’on a annoncé à Aldrich que son film lui ferait probablement gagner l’oscar du meilleur réalisateur s’il retirait la course mortifère de Jefferson. Aldrich aurait refusé, voulant selon lui démontrer par ce film que « War is hell ! » (la guerre, c’est l’enfer). Il est certain que la notion d’héroïsme est mise à mal par le film : les héros sont des criminels de guerre épouvantables, et leur mission est une boucherie cruelle. En même temps, on sympathise avec eux, et on vibre en les voyant accomplir ce pour quoi ils ont été recrutés, puis formés…
Dans notre séquence, Aldrich insiste ainsi à plusieurs reprises sur l’air satisfait de nos héros : Jefferson glousse quand il commence à déverser ses grenades sur les hauts dignitaires allemands, Lever et Sawyer ricanent d’avoir liquidé la jeep militaire, même Bronson sourit une fois la dernière goutte de carburant versée dans la cave… C’est aussi pour signaler l’horreur de cette action qu’il fait répondre à Bowren « Vous êtes sur ? » quand Reisman exige qu’on asperge d’essence les allemands dans la cave (alors qu’il est déjà évident qu’ils sont condamnés). Par ailleurs, plusieurs plans nous font partager la situation des victimes qui essaient vainement de repousser les grenades qui s’amassent dans les grilles d’aération, qui tentent vainement de forcer leur passage via de lourdes portes fermées dans des salles jonchées de cadavres, on ne peut qu’être partagé entre les victimes et les bourreaux…

Mais à aucun moment le film ne cesse d’être prenant pour devenir didactique : l’esprit de troupe est toujours présent (on tue « pour venger les camarades morts », on évacue le cadavre de Vladek, chaque « salopard » tué est immédiatement vengé par ses frères de combat…), et l’urgence est de tous les plans. L’action est montée en plans courts, aux raccords souvent mal ajustés, pour précipiter l’action, on est pris dans l’action.

Au final, les 12 salopards inspirera une floppée d’autres films de guerre, avec plus ou moins de bonheur, parmi lesquels on peut compter les Inglorious Basterds de Quentin Tarantino, sans parler de 3 suites à la télévision, et d'un remake annoncé pour 2012. Le film fut donc un immense succès, le plus gros de l'année pour la MGM, qui permettra à Aldrich de se produire lui-même par la suite. Mais, au-delà de cette postérité glorieuse et de son immense succès commercial, Les 12 salopards est surtout devenu un incontournable, un classique du film de guerre, une référence du genre, qu'on ne se lasse pas de revoir.
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par Demi-Lune »

Aldrich a peut-être tenu bon face aux pressions avec cette fameuse scène de massacre, mais j'ai toujours trouvé qu'il trahissait presque le message désespéré de son film quelques minutes plus tard avec son épilogue à l'hôpital, à la tonalité rigolarde extrêmement pataude et hors-sujet.
Peut-être une concession au studio pour conserver intacte la séquence de la cave, d'ailleurs.
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

Peut-être, oui... Pour tout dire, j'avais oublié ce final (alors que je pensais bien connaître le film). Mais il faut dire qu'Aldrich n'en est pas à son premier conflit avec un producteur (Bronco Apache, Garment Jungle, et autres...), et qu'il s'est fait déja débarquer de tournages, donc on peut effectivement penser qu'il aie cédé pour le final à condition de garder le massacre, ça parait un compromis acceptable. Je revois ça ce soir (mon souvenir en est trop flou), et on en reparle. :wink:
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par Demi-Lune »

cinephage a écrit :Je revois ça ce soir (mon souvenir en est trop flou), et on en reparle. :wink:
Avec plaisir. :wink: :D Je suis curieux de voir ce que tu vas en penser, de ce fameux épilogue. Moi, il me fait grincer des dents à chaque fois.
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

Demi-Lune a écrit :
cinephage a écrit :Je revois ça ce soir (mon souvenir en est trop flou), et on en reparle. :wink:
Avec plaisir. :wink: :D Je suis curieux de voir ce que tu vas en penser, de ce fameux épilogue. Moi, il me fait grincer des dents à chaque fois.
Bon, je l'ai revu, et je vois pourquoi je l'avais oublié : il dure une trentaine de secondes, et n'a rien de vraiment notable. D'abord, une voix off nous annonce qu'on a réhabilité les soldats morts au combat, puis on enquille dans l'hopital, où les huiles félicitent les "héros" alités (en fait, Lee Marvin et Bronson sont alités, mais le sergent Bowren, avec des béquilles, est là aussi). Pendant qu'ils débitent leurs félicitations creuses, les salopards échangent un regard entendu prouvant combien ces honneurs les laissent indifférents.
Une fois ceux-ci partis, Bronson prend son journal, et lache une blague dans le genre 'je pourrais m'y faire, à tuer des généraux' (notons qu'il avait été condamné à mort pour avoir exécuté un officier)... Et ça se finit là-dessus.

Bref, pour moi, si ce n'est pas le meilleur moment du film, Aldrich maintient son discours antiguerrier (tous les honneurs apparaissent comme des simagrées ridicules, les héros se vautrant dans le confort, et prêtant une oreille indifférente aux félicitations des gradés), ce n'est tout de même pas une pantalonnade, ou du comique troupier. C'est une conclusion qui en vaut bien une autre, en somme.

EDIT : un blog anglo-saxon décrit mieux que moi ces derniers moments du film :
http://panggilanpertiwi.forumotion.net/ ... n-t266.htm
The film concludes in a hospital room where Sgt Bowren on crutches is shown visiting Reisman and Wladislaw who are bedridden with broken bones and other serious wounds received in the battle. They are visited by the general officers, their former tormentors who sent them on this suicide mission who now have nothing but smiles and praise for the survivors. Wladislaw is heard to mutter "Oh boy... killing generals could get to be a habit with me".
Qu'est-ce qui te gênait exactement dans cette dernière scène ?? En quoi annulerait-elle ce qui a précédé ?
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par Demi-Lune »

cinephage a écrit :Qu'est-ce qui te gênait exactement dans cette dernière scène ?? En quoi annulerait-elle ce qui a précédé ?
C'est vraiment cette réplique de Bronson sur fond de mélodie militaire parodique que je n'aime pas. J'ai l'impression d'y voir Papa Schultz. Les salopards ont été presque tous décimés, si l'opération a été un succès stratégique, ce n'est pas un succès humainement parlant. J'aurais préféré à la limite que la scène s'achève sur le regard entendu et las de Marvin et Bronson, qui montre bien que les récompenses et les honneurs leur passent au-dessus de la tête. C'est pour moi une touche d'humour dédramatisante qui n'a pas sa place, qui sonne faux, coincée entre le massacre final et le recueillement qu'inspire le défilé des visages des Salopards "tous tombés au champ d'honneur". Même si cette réplique est cynique, je la trouve inutile, donnant au public de quoi sourire une dernière fois... mais après le carnage qu'Aldrich a tourné, il n'y a plus vraiment d'humour possible.
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Re: Quelques séquences - flaneries cinéphagiques (index p.1)

Message par cinephage »

Cette dernière réplique est tout de même ambigue : le général que Bronson dit qu'il tuerait volontiers, c'est le sien, celui qui vient de le féliciter... Bref, pour moi, c'est une conclusion qui atténue l'effet de réussite sur laquelle on quittait le raid, les héros étant toujours aussi immoraux, et leurs supérieurs hiérarchiques aussi cyniques et faux-culs.

Mais je comprends qu'un final sur une note humoristique puisse te gêner. Pour moi, c'est de l'humour noir, sacrément noir.
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