Raymond Depardon

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Phnom&Penh
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Raymond Depardon

Message par Phnom&Penh »

Raymond Depardon est né en 1942, de parents paysans. Il monte à Paris très jeune, en 1958 et débute son métier de photographe en couvrant les faits divers et en coursant les vedettes pour une petite agence de presse.

Il commence à voyager en 1960, découvre le désert avec une fascination qui ne le quittera plus et monte l’agence Gamma avec trois collègues en 1967, première agence où les photographes signent leurs clichés et maîtrisent les droits d’auteurs.
Il s’oriente alors vers le grand reportage et couvre notamment le Biafra, le Chili, l’Indochine. En 1979, Raymond Depardon quitte Gamma pour Magnum.

Depuis le début des années 70, Raymond Depardon, tout en continuant à photographier et à publier des livres, réalise de plus en plus de films documentaires et docu-fictions.

Les principaux films de sa filmographie et les liens s'il existe des topics correspondants:
2008 : La vie moderne
2007 : Chacun son cinéma
2005 : Profils paysans, chapitre 2, le quotidien
2004 : 10e chambre, instants d’audience
2002 Un homme sans l'Occident
2001 Profils paysan : l'approche
1999 Muriel Leferle
1998 Paris
1996 Afriques : Comment ça va avec la douleur ?
1994 Délits flagrants
1990 La captive du désert
1988 Urgences
1985 Empty quarter :une femme en Afrique
1983 Faits divers
1981 Reporters
1980 San Clemente
1977 Numéros zéro
1974 50,81% (rebaptisé 1974, une partie de campagne en 2002)
1963 / 1969 : Venezuela, Israël, Biafra, Jan Palach…
Je n’ai pas la liste exacte mais un grand nombre de ses films sont maintenant disponibles en DVD.

Raymond Depardon est un cinéaste austère, tant par sa façon de filmer que dans les sujets étudiés et les propos des films. Mais il a un regard très original sur l’être humain et c’est l’un des plus grands photographes du monde. Le cadrage et la photographie des films ne le font pas oublier.
Dernière modification par Phnom&Penh le 7 mai 09, 11:01, modifié 1 fois.
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Re: Raymond Depardon en DVD

Message par Phnom&Penh »

Attention, (très) gros spoilers !


PARIS, Raymond Depardon, 1998

« Un homme veut faire un film, il est « photographe »il fabrique des images pour les autres.
La lumière de Paris l’a décidé à faire son film.
Son métier lui a permis de côtoyer des actrices célèbres et il préfère défendre l’idée de découvrir un nouveau visage.
Il est persuadé qu’elle se trouve dans la ville et que c’est dans la rue qu’il pourra la repérer.
Il doit se faire assister d’une professionnelle du « casting sauvage » qui trouve des modèles pour les photographies ou les films publicitaires.

Luc Delahaye

La femme distante au début commencera à se livrer tout doucement.
Elle qui travaille toujours seule à chercher constamment de nouveaux modèles d’anonymes, elle ressent une drôle d’impression d’être aujourd’hui accompagnée d’un photographe.
C’est rare pour elle.
Elle aime bien son métier, elle aime les gens, elle aime la foule, ces visages, ces voix. Tout en restant discrète, elle inspire confiance en quelques mots.

Sylvie Peyre »

cité de Les lumières de Paris, Raymond Depardon

Roman photo sur la cruauté des rencontres.
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Un reporter photographe d’une trentaine d’année, Luc Delahaye, lui-même reporter chez Magnum jusqu’en 2004, embauche une jeune femme, Sylvie Peyre, assistante réalisatrice dans la vie.
Le film Paris commence avec des acteurs non professionnels qui en savent peu sur leur rôle, sinon qu’ils vont rechercher ensemble une jeune femme qui devrait être le personnage d’un film ou documentaire auquel réfléchit Luc Delahaye, qui ignore encore vraiment de quoi traitera son projet.
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Ils choisissent d’effectuer leur recherche à l’arrivée des trains de banlieue du matin, gare Saint Lazare. Le photographe, volontairement en retrait, laisse Sylvie face à la foule. Mais comment présenter, même de façon succincte, le projet de Luc qui n’en est pas vraiment un ? Sylvie reste seule, Luc est déçu, le couple s’interroge.
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On parle métier. Sylvie propose des rencontres concrètes avec de jeunes actrices. Pas des professionnelles, non. Luc ne veut pas d’un personnage qui aurait déjà du métier, il veut découvrir, être surpris.
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La première postulante se présente. Elle est vive, fraîche, enjouée, bavarde. Luc ne sait plus quoi dire, la jeune fille ne le regarde pas vraiment, elle parle ; de la vie, de la mort de sa mère, de sa culpabilité perdue…Elle joue déjà la comédie, Luc s’ennuie.
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Les actrices, ce n’était pas une bonne idée. Mais Luc est content finalement. Il sourit à Sylvie, il sait qu’ils vont trouver. Sylvie reprend confiance en elle, elle a trouvé le courage d’aller au devant d’inconnues. Même si le projet de Luc est toujours aussi flou.
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Une première inconnue est sélectionnée. Elle est surprise, un peu confuse. Ce ne sera pas elle, mais Luc est presque heureux. Il parle plus, pose des questions, répond aussi. Le dialogue s’engage, on parle de maris trompés, de trains ratés, d’amants fugaces.
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Luc y prend goût, les inconnues passent, on en oublierait Sylvie. Le projet est toujours flou. Mais il pose moins de question, prend plaisir à écouter. Il raconte ce qu’il fait dans la vie, son idée de film qui n’en est pas vraiment un.
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Celle-ci est vraiment bien : gaie, belle. Elle fait des études, travaille en même temps, sait se débrouiller dans la vie. Elle a une jolie voix, raconte des chose, elle a de l’humour…Elle est moqueuse. Les projets flous de Luc l’ont bien fait rire. Luc est vexé.
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Retour au bistrot avec Sylvie, on se confie, on sent que c’est la fin. Luc laisse tomber le cinéma. Il part en Allemagne, pour un reportage. Sylvie est contente, finalement. Elle en demandait peu, l’expérience était originale, elle a appris à connaître Luc. C’était sympa, voilà.

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Luc fait la gueule et il dit des choses bizarres.
Luc : « Parmi toutes les filles que j’ai vu, il n’y en a pas une seule qui pense encore à moi. Qu’est ce qu’il va
rester de tout ça ?
»
Sylvie : « C’était pas vraiment ça l’enjeu, non ? »
Luc : « C’est difficile d’aimer la solitude et de ne pas aimer être seul, voilà. »
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Dernier plan sur Paris, dehors, il fait beau, Luc et Sylvie quitte la salle.

DVD Zone 2, Arte vidéo, Stéréo, 5.1, format 1.85, 16/9
L’image est parfaite et c’est du Depardon, donc le noir et blanc est somptueux. La bande son est très réussie.

Pas de boni extraordinaires mais les deux entretiens de dix minutes chacun, entre Raymond Depardon et Luc Delahaye, puis Raymond Depardon et Sylvie Peyre, sont intéressants à visionner avant Paris. Ils montrent comment le film a été "monté".

Paris dans tout ça ? Eh bien, il y a la Gare Saint Lazare, des cafés, des parisiennes, la pluie sur le pavé, les passants, les voitures, le soleil à la fin du film, et le son.

Une critique du film :
Spoiler (cliquez pour afficher)
Le Paris gagné de Depardon
par Sophie Grassin, mis à jour le 14/01/2004 - publié le 08/01/1998


Gare Saint-Lazare, un cinéaste cherche la femme qui jouera dans son film. Raymond Depardon révèle l'urgent besoin de parler. Et ouvre une autre voie pour le cinéma
Paris, de Raymond Depardon (La Captive du désert), réfléchit sur le cinéma à mesure qu'il l'accomplit. Né d'un canevas étique (un homme veut tourner un film et cherche la femme qui provoquera le déclic), cette fugue contemporaine et magnétique s'ancre au confluent du documentaire et de la fiction, dessine un portrait de ville et de génération, explore et prolonge la «méthode» Depardon.

Paris suit le chemin qui mène des plans de foule à la parole. Ressuscite l'esprit de Chris Marker. Accumule une tension, des problèmes de boulot et des histoires de c?ur. Saisit les nocturnes inhérents au solstice d'hiver, des bruits de pas, des cafés. Et donne un pendant féminin à Sida Propos, réalisé par Depardon en 1995 pour l'armée.

Le cinéaste choisit comme film maker Luc Delahaye, photographe à Magnum et double silencieux. «Il ne possédait pas la science de l'entretien, explique Raymond. Et restitue l'état second d'un homme contraint de se plier aux déclarations d'intention. De décrire son image avant de la faire.» Il lui adjoint Sylvie Peyre, qui a travaillé avec lui pour Reporters sans frontières.

Elle «jouera» - mais le mot convient mal - la professionnelle du casting chargée de convaincre les jeunes femmes. Improvisera face à Delahaye. «Raymond dictait: ?C'est votre première rencontre. Luc te propose de bosser avec lui. Vous parlez d'argent.?» Ils ne se mettront jamais dans une fausse situation de répétition. Car, plus il va, plus Depardon refuse toute reconstitution.

L'équipe ferre du regard la gare Saint-Lazare, qui, le matin, déverse des bataillons de voyageurs en provenance de banlieues résidentielles. Depardon décide «pour mettre tout le monde à la même hauteur» de filmer en noir et blanc. Adopte la politique du champ-contrechamp. Imagine un dispositif qui le place en retrait (à Luc de se débrouiller seul avec la personne qu'il interroge devant deux caméras).

Paris révèle un besoin de parler. Epargne aux rapports paternalisme et drague. S'écoute comme une marée de sons, de résistances et d'abandons. Ceux, contrôlés, de comédiennes que le cinéaste accepte, au bout du compte, de rencontrer. Ceux, libres, d'anonymes qui n'ont aucun rapport immédiat avec le film et avouent, en toute confidentialité, leur liaison avec un homme marié.

«Le cinéma direct peut sombrer dans l'avidité, reconnaît Depardon. J'essaie donc de laisser aux gens leurs secrets.» Ce n'est pas toujours le cas. Et le malaise gagne. Mais, devant l'impatience, l'arrogance, le narcissisme de Luc Delahaye - il les prend de haut, elles le prennent en grippe - les filles se rebiffent. «La ville fabrique cette agressivité, analyse Depardon. Je suis reconnaissant à Luc de ne pas se donner le beau rôle. Moi, j'aurais peut-être voulu me l'attribuer.»

Le Paris noir de Depardon figure un autoportrait. «Qu'est-ce-que le regard d'un homme d'images? Comment filmer à côté?» Connu pour tourner lorsque les autres coupent, le réalisateur - dont l'?uvre creuse le thème de l'enfermement - se claquemure en amont de sa fiction, à l'intérieur de ses extérieurs: salle des pas perdus, vitrines de cafés.

Paris, et il touche là à son meilleur, montre les hésitations d'un réalisateur. Remplace l'institution chère à Depardon (substitut, commissaire) par le film maker. Marque, malgré l'impossibilité de la fiction - Luc Delahaye renoncera et repartira vers ses reportages - une avancée.

L'humaniste de Flagrants Délits n'utilise pas, cette fois, la clef de la compassion et lui que les femmes «ont toujours sauvé», lui qui n'a jamais cadré qu'elles parvient à suivre un homme tout en restant lui-même. Paris jette les bases humbles et corrosives d'une profession de foi. En une autre voie pour le cinéma.

A savoir

Cris d'enfants, brouhaha d'une gare, Paris est aussi une symphonie de sons. On la doit à Claudine Nougaret - ingénieur son de Depardon depuis dix ans et auteur, avec Sophie Chiabaut, d'un livre, Le Son direct au cinéma (Femis). «A Paris, le son est une bouillasse.» Elle a donc eu l'idée d'utiliser le Nagra D, 4 pistes numériques, qui rend aussi bien l'ambiance de la ville que la confidentialité des entretiens. «Je travaille ainsi, dit-elle modestement, grâce à la confiance qui me lie à Raymond et à [la productrice] Pascale Dauman.»
Professeur et critique, Frédéric Sabouraud a beaucoup travaillé sur et avec Raymond Depardon. Ci-dessous un lien vers un texte de lui qui fait le lien entre Paris et d'autres films:
Paris vu par Raymond Depardon
"pour cet enfant devenu grand, le cinéma et la femme sont restés deux notions absolument inséparables", Chris Marker

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julien
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Re: Raymond Depardon en DVD

Message par julien »

Phnom&Penh a écrit :Raymond Depardon est un cinéaste austère, tant par sa façon de filmer que dans les sujets étudiés et les propos des films.
Cinéaste Austère ? Whaou, comme tu y va. En fait ça dépend des films je pense. Reporters par exemple était un documentaire vraiment cocasse, dans sa manière de révéler le côté absurde des agences photos et du monde des paparazzis. Sinon, c'est vrai qu'il pratique très peu le découpage. Il enregistre tout sur de longs plans séquences qui peuvent effectivement paraître parfois assez longuet. La qualité du son est même parfois très approximative. Ce type n'a même pas de perchman. En même temps ce côté brut, dénué d'effet de montage raccoleur intensifie le réalisme de ses films.

Sinon, ce Paris d'après ce que j'ai compris, c'est uniquement un film constitué de photos ?
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Re: Raymond Depardon en DVD

Message par Phnom&Penh »

julien a écrit :Cinéaste Austère ? Whaou, comme tu y va. En fait ça dépend des films je pense.
Je connais bien Depardon photographe, et, comme cinéaste, seulement, pour l'instant:
- Paris
- Empty Quarter
- Afriques Comment ça va avec la douleur?
Donc ce n'est pas très drôle. :) Mais austère n'est pas péjoratif pour moi, de toute façon.
julien a écrit :Sinon, ce Paris d'après ce que j'ai compris, c'est uniquement un film constitué de photos ?
Non, c'est un film de plan-séquences et de champs / contrechamps. C'est assez curieux en fait. D'un côté, c'est une petite histoire de rien du tout. Les dialogues n'ont rien d'intellectuel, ce sont deux personnes qui bossent ensemble sans se connaître avant.
Mais il y a tout un jeu sur la manipulation (pas méchante, attention!).
J'emploie quelqu'un, je définit mal son travail, je le laisse se débrouiller.
J'interview quelqu'un, je lui donne de la valeur, je le fait parler...mais c'est cruel car je garde la maîtrise.
Je fais parler, du coup je parle aussi, je me livre un peu...dans le dernier interview, la fille prend la maîtrise du dialogue et ça devient cruel pour lui.

J'y vois - c'est mon interprétation - une réflexion sur le cinéma, mais aussi sur le métier de Depardon et Delahaye, reporter photographe. Tu te balades, tu te pointes sous le nez des gens, tu sympathises quelquefois en un clin d'oeil pour mettre les gens à l'aise...et tu te barres avec ton cliché. Depardon fait du cinéma mais Luc Delahaye préfère en rester à la photo. Il est passé à la photo d'art, d'ailleurs, depuis 2004.
Bref, un jeu pas méchant mais un peu cruel quand même.
J'interprète, bien sûr, mais ce genre de film est justement fait pour laisser libre cours à l'interprétation :wink: C'est pour ça que j'ai mis des liens avec des critiques plus "sérieuses".
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Re: Raymond Depardon en DVD

Message par Phnom&Penh »

Empty Quarter, une femme en Afrique

Réalisé en 1984, Empty Quarter est le premier film de fiction de Raymond Depardon. Il y évoque son amour pour l’Afrique, le désert, et Françoise Prenant, avec qui il avait une liaison à l’époque. La fiction se mêle à la vie de l’auteur avec un soupçon de perversité.

Synopsis de présentation par Arte : Dans le hall de son hôtel, au bord de la Mer Rouge, un homme rencontre une jeune femme dans une situation difficile et lui propose de l’aider en l’invitant à s’installer dans sa chambre. L’homme effectue un voyage en Afrique, qu’elle va accepter de mener en sa compagnie. Il tombe rapidement amoureux d’elle, mais leur relation reste distante et l’intimité, qu’elle soit sexuelle ou non, ne parvient jamais vraiment à s’établir…
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Durant une heure et demis, Raymond Depardon filme Françoise Prenant, tout en commentant les images en voix off. L’image, plein écran, est splendide. La photographie et le cadrage, en touts points dignes du talent de l’auteur.
Ce n’est pas une Afrique de carte postale qui défile devant nos yeux. Djibouti, les Grands Lacs, le désert soudanais puis Alexandrie, sont filmés avec réalisme et sans le moindre souci d’esthétisme.
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Le mystère du film est dans la fascination de l’auteur pour cette femme qu’il observe sans pudeur. Une fascination qu’il confond avec un sentiment amoureux. Un être humain qu’il met à sa disposition, qu’il observe durant des semaines, et qui lui échappe au fur et à mesure qu’il cherche à se l’approprier.
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Quand l’auteur révèle ses sentiments au milieu du voyage, le charme tombe, l’ambiguïté s’installe.Mais s’il y a ambiguïté dans les images, le commentaire est en revanche d’une grande naïveté.
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L’homme seul livre ses désirs, ses échecs et enfin le rejet dont il est l’objet une fois la ville d’Alexandrie atteinte.
Serge Daney le résume très bien dans une critique de l’époque :
« Le texte – des notations du genre « journal », un mol journal de dragueur maso et finalement content de lui – ne répond pas au feu qui brûle l’image, à sa sensualité offerte. Comme s’il y avait eu, quand même, un petit mâle vexé qui, effrayé par les images nées de son propre désir, les avait recouvertes par le texte balourd et « littéraire » qui le pose, quand même, en belle âme. Il aurait fallu que le texte du film tente de faire l’amour à l’image, comme l’homme tente de le faire à la femme. Ce n’est pas le cas.
Imaginer donc, somptueuse, la projection de ce film sans la voix « off ». Ou avec des cartons. La passion ne se commande pas. Elle ne se commente pas non plus. »
Serge Daney, Libération, 13 mai 1985
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Séducteur et artiste, on peut douter que Raymond Depardon soit dupe du triste jeu qu’il fait jouer à son personnage. Avec la maladresse d’une première fiction, il livre sans doute un peu trop de lui-même en filmant la femme qu’il aime alors. La femme qu’il craint de perdre, comme l’homme du film perd l’objet de son fantasme en arrivant d’Alexandrie à Venise, grise et froide, comme la réalité qu’il retrouve.
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A défaut d’un portrait de femme, il reste les images d’une femme en Afrique. De Djibouti aux Grands Lacs, Depardon filme la nature comme un long travelling des fenêtres d’un train. Images du désert, ensuite : sec, plat et nu. Il faut noter enfin le réalisme avec lequel il rend la ville d’Alexandrie, incluant un petit hommage à Youssef Chahine au détour d’un extrait d'Alexandrie Pourquoi, des enfants se baignant dans la mer.
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Le titre du film, Empty Quarter, au fait ? En anglais, Empty Quarter, ce sont les zones blanches d’une carte. Mais l’amateur de désert qu’est Raymond Depardon a très probablement voulu rendre hommage à l’un des plus grands écrivains de voyage et connaisseur de la région, Wilfried Thesiger. Mort à 93 ans après avoir vécu une bonne trentaine de ses dernières années au sein d’une tribu Masaï, Wilfried Thesiger est l’auteur d’Across the Empty Quarter où il conte sa traversée du désert de l’Arabie Saoudite.

Une biographie de Wilfried Thesiger, parue dans le Sunday Times à l’occasion de la sortie d’un livre sur l’écrivain :

Wilfried Thesiger, In pursuit of a single ideal, Sunday Times

Empty Quarter, film de Raymond Depardon avec Françoise Prenant, 1985
Montage Françoise Prenant
Son Jean-Paul Andrieu
Long métrage couleur – 1h25mn – format image 1.66 – format vidéo 16/9

Suppléments :
Entretien avec Raymond Depardon et Alain Bergala (30mn)
Commentaires de séquences par Raymond Depardon (20mn)
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Re: Raymond Depardon en DVD

Message par Phnom&Penh »

La Captive du désert, 1989 (sélection officielle pour Cannes en 1990)

Second film de fiction de Raymond Depardon, La Captive du désert est une splendide réussite. Sur un sujet qui lui est très proche, le réalisateur parvient à faire une œuvre qui est une merveille d’équilibre entre une péripétie historique dont il connaît les détails et une fiction artistique de toute beauté, avec un respect total pour la personne qui a inspiré l’histoire.

Bonus Les révolutionnaires du Tchad, 1975

Il est franchement préférable de débuter le visionnage du DVD par celui des bonus, afin de comprendre le contexte historique. Parmi les bonus, surtout, il y a un film de reportage réalisé en 1975, Les révolutionnaires du Tchad (45mn).
Ce petit film retrace comment Raymond Depardon et Gilles Caron (mort à 30 ans au Cambodge en 1970) ont effectués plusieurs reportages sur les rebelles Toubous du Nord Tchad dès le début du conflit en 1965. Cette proximité avec les rebelles a permis à Raymond Depardon, en 1975, de rencontrer et d’interviewer Françoise Claustre, qui à l’âge de 34 ans, en avril 1974, fut prise en otage par les rebelles et resta entre leurs mains pendant 33 mois. Elle a été libérée en janvier 1977.

Les révolutionnaires du Tchad n’est pas vraiment un documentaire, c’est un passionnant film de reportage sur la rebellion Toubou, de 1965 à l’interview de 1975, qui permis à Raymond Depardon d’alerter l’opinion française.
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On y croise, à leurs débuts, le tiers-mondiste et assez romantique Goukouni Weddeye :

Portrait de Goukouni Weddeye, Jeune Afrique, 2007

Et, dans le rôle de l’étudiant lettré et idéologue, le plus sombre Hissein Habré :

Portrait d'Hissein Habré, Jeune Afrique, 2005

Pour ceux qui n’auront pas le courage ou l’envie de lire l’article, j’en extrais ceci :
  • C’est de cette décennie sanglante et échevelée que date l’extraordinaire médiatisation d’Hissein Habré, dont les photos se bousculent à la une des journaux. Hissein en chef de guerre, casquette cubaine, veste de treillis trop large, assis en tailleur sur un petit tapis avec, à portée de main, sa machine à écrire, son attaché-case, sa grosse radio et sa mitraillette chinoise. Hissein mangeant du cabri au manioc dans sa case aux parois de fibres tressées. Hissein négociant sous un arbre en plein midi avec un officiel français couleur écrevisse venu lui apporter, dans une mallette, une partie de la rançon de Françoise Claustre. Hissein haranguant ses troupes dans un paysage lunaire, gris, presque noir, fait de pierres rondes et d’assiettes de basalte empilées. Le Habré d’alors fascine, comme fascinait un Jonas Savimbi. Mais c’est un homme changé, qui dissimule un certain embonpoint sous d’amples boubous, que les Tchadiens regardent s’installer dans une capitale dévastée. Sa silhouette maigre, son faux air de Lumumba, ses gestes de félin traqué se sont enrobés dans la sérénité apparente du sage. Seuls demeurent, inchangés, ses yeux. Des yeux de faucon carnassier pour qui le pouvoir est une proie.
Cela résume très bien le personnage lors de sa prise de pouvoir, quelques années après l’épisode Françoise Claustre. Dans Les révolutionnaires du Tchad, on peut apprécier de près le regard d’Hissein Habré, assez spectaculaire effectivement.

Avant les « otages français au Liban », il y eu Françoise Claustre. Les péripéties de l’affaire sont bien rappelées dans le reportage. Cette femme est restée, seule étrangère, au sein d’une tribu nomade se déplaçant au nord du Sahara pendant 33 mois. Chaque jour, la décision de la mettre à mort pouvait être prise, comme celle de la libérer. Sa captivité était politique, on ne lui demandait rien, elle n’était rien.

La Captive du Désert

Dans son entretien avec Alain Bergala, second bonus du DVD, Raymond Depardon raconte comment cette affaire lui a donné l’envie de créer un film. Il souhaitait présenter le peuple toubou, ces nomades du nord du Tchad qu’il connaît bien. Il voulait aussi faire une fiction sur la captivité de Françoise Claustre, mettre en valeur son courage, son opiniâtreté, tout en respectant son souhait de discrétion. Si le film est inspiré d’un fait réel, aucun épisode ne correspond à des confidences de l’otage.

La Captive du Désert est un film qui contemple le désert, les hommes du désert et une femme étrangère à cet univers. La caméra est toujours immobile, les plans sont souvent très longs. Les dialogues sont réduits au minimum, comme malheureusement, on peut supposer qu’ils l’étaient dans la réalité de la captivité de Françoise Claustre.
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Le film débute sur deux longs plans formant une séquence de cinq minutes, le passage de la caravane, filmée avec la caméra plantée dans un trou creusé dans le sol.
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A l’issue de cette séquence, un très beau champ / contre-champ montre d’abord l’otage, seule, écroulée, hors de son monde, puis un groupe de femmes appartenant à l’univers du désert. Tout est presque dit dans ces deux images : la solitude, l’incompréhension, l’adaptation au milieu, le temps, la chaleur, le groupe humain qui forme une tribu.
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Sandrine Bonnaire trouve ici un très beau rôle, d’une simplicité lumineuse. Les moments de complicité avec les femmes de la tribu sont rares mais très beaux, et se terminent généralement sur des incidents sans gravité soulignant juste le décalage terrible entre cette femme innocente mais représentative du monde occidental et cette tribu qui vit lentement dans un monde qui est le sien, retenant une captive dans un jeu politique qui lui est totalement étranger.
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Durant une longue fuite, Sandrine Bonnaire est seule dans le désert et se retrouve encore plus prisonnière, d’un paysage chaotique dont elle ne peut rien maîtriser. Elle ne peut finalement que retrouver le groupe qui la tient captive, sa seule possibilité de survie.
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La survie est le quotidien de cette femme qui attend une décision sur laquelle elle n’a aucun poids. Le groupe qui vient, à l’issue du film, lui annoncer sa libération, aurait pu aussi bien lui annoncer sa condamnation à mort.

Il ne s’agit pas du tout d’un conte philosophique et le film n’a rien de désespérant. La résistance de l’otage qui parvient encore régulièrement à trouver des raisons de sourire ou de se mettre en colère rythme La Captive du désert, comme les tambours et les chants de cette tribu dont le désert est l’univers. C’est juste, réalisé en 1989 à l’époque de la chute du mur de Berlin et de la fin du rapport de force Est / Ouest, un constat sur le rapport de force Nord / Sud dont on parlait encore peu à l’époque. Les choses ont changées…
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Nestor Almendros
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Re: Notez les films d'avril 2009

Message par Nestor Almendros »

REPORTERS de Raymond Depardon

Un Depardon diffusé à la tv, ça ne se refuse pas. Malheureusement, celui-ci m'a moins marqué que certains autres. J'ai trouvé ce REPORTERS un peu fouilli et pas forcément toujours pertinent.
Le documentaire est très intéressant quand il s'intéresse aux coulisses de l'agence de presse, quand nous sommes témoins des difficultés à monter un planning (étonnante scène du photographe dont la femme ne veut pas qu'il parte en voyage) ou quand on suit la solitude du photographe "en chasse" devant le domicile d'un VIP. A ce propos, le film est déjà le témoin du tournant effectué par une certaine presse vers le "people" avec ces photographes sans scrupules qui harcèlent les personnalités pour quelques clichés. Voir par exemple la fameuse séquence (hallucinante) avec Richard Gere, encerclé dans son taxi et obligé d'en sortir pour faire des photos dans la rue afin de satisfaire la presse avide d'image. Il faut entendre, également, certains de ces photographes sûrs d'eux et moralement pas du tout gênés de ce qu'ils font subir à la star: pour eux tout est dû, les stars l'ont bien cherché. Dialogues étonnants.

Mais, souvent, je trouve que Depardon s'éparpille. Il filme beaucoup d'évènements sans forcément s'occuper du thème du film, les reporters. J'ai souvent senti qu'en présence des VIP Depardon se laissait séduire, préférant prendre sur le vif certaines personnalités ou certains regards, certains évènements. Or, j'aurais plutôt préféré voir le travail des reporters sur ces évènements, justement. On comprend, cependant, pourquoi Depardon se laisse parfois aller, comme attiré, presque hypnotisé, par certaines célébrités. Il y a notamment le cas de Jacques Chirac, alors maire de Paris, qui déborde de sympathie dans un "show" au contact des gens toujours aussi savoureux. Ces scènes montrent aussi, mais à l'état d'ébauche seulement (je trouve), les rapports étroits, les complicités qui se créent imperceptiblement entre politique et journaliste.
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Re: Raymond Depardon

Message par Phnom&Penh »

Un Homme sans l’Occident (2002)

Avec ce film sublime sur le début des temps, il est probable que Raymond Depardon atteigne l’un des sommets de son art (sa filmographie est très variée). Après La Captive du désert, réalisé en couleur, sur l’enfermement d’une occidentale dans l’immensité du désert, Depardon souhaitait rendre hommage à ces peuples du désert pour lesquels cet espace géographique est au contraire garantie de liberté, sans doute la plus rude et la plus ancienne des libertés, celle que l’être humain connaissait à l’aube de l’humanité.
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Tout le monde sait qu’il y a des nomades dans le désert mais l’existence des chasseurs du désert est moins connue, d’autant qu’ils sont au fil du temps, devenu fort peu nombreux. Il ne s’agit pas de tribus à part, on trouve des chasseurs appartenant à de nombreuses tribus sahariennes (même si leurs traditions sont différentes, il y a de la même manière des chasseurs dans les tribus du sud du Sahel). Pour faire rapide et très approximatif, on peut comparer la caste des chasseurs à celle des griots, plus connue. Les chasseurs sont une des castes les plus anciennes de l’humanité, dont certaines traditions peuvent remonter à des temps immémoriaux. De ce fait et aussi parce qu’ils vivent à l’écart des tribus, solitaires ou en petits clans, ils sont souvent doté de pouvoirs surnaturels, généralement craints des populations et relativement méprisés par les guerriers. Méprisés parce qu’ils ne remplissent pas le même office. Comme l’indique Raymond Depardon dans son film, "ici, le mépris est le contraire de la vénération, sûrement pas de l’estime".
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Cette estime est comparable à celle que Diego Brosset éprouva pour les hommes du désert. En 1935, cet officier colonial alors en poste en Mauritanie, écrivît un livre au titre provocateur pour l’époque, Un Homme sans l’Occident. Dans ce récit très précis décrivant la vie d’un chasseur, ses coutumes, ses fréquentations et ses aventures, l’officier français rendait un rare hommage à un peuple colonisé, posait une interrogation claire sur l’intérêt de l’apport des valeurs occidentales (son premier éditeur préférera d’ailleurs utiliser le titre plus consensuel de Sahara et le titre original ne sera repris que plus tard) et, par sa connaissance du sujet, livrait un véritable petit traité ethnographique.
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C’est ce livre que Raymond Depardon a décidé d’utiliser pour faire son film sur le Sahara. Il voulait cette fois une image dure et âpre et privilégia le noir et blanc. Il a tourné le film au Tchad, pays qu’il fréquente plus que la Mauritanie, au sein des mêmes tribus Toubous avec lesquelles il avait tourné La captive du Désert.
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Sa grande chance sur ce film, qui confine presque au miracle, est d’avoir rencontré par hasard à Faya-Largeau, quand il préparait le tournage, un véritable chasseur, Ali, qui allait devenir Alifa, le héros du film. Les seules données de Raymond Depardon sur les chasseurs du désert venaient de l’ouvrage de Diego Brosset. Il avait bien sûr interrogé autour de lui pour chercher à en rencontrer mais les chasseurs sont devenus si peu nombreux et si isolés dans le désert que les nomades eux-mêmes étaient bien en peine pour lui indiquer ou il pourrait encore en trouver.
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Pour avoir conscience de la valeur de cette rencontre, nonobstant le fait que cinématographiquement Ali fut un excellent acteur, il faut comprendre que cette rencontre a permis à Depardon, qu’Ali emmenât dans son clan filmer de vrais scènes de chasse, de mettre en image et son des méthodes de chasse, des salutations, une langue tout simplement car les chasseurs ont leur langue propre, qui remontent près de dix mille ans en arrière, à l’époque où le Sahara était une vaste prairie avec des tribus de chasseurs-cueilleurs.
Les peintures murales qui ont été retrouvées dans des grottes montagneuses sahariennes et qui ont été peintes vers 5000 ans avant notre ère, montrent sans doute des scènes de chasse, des scènes où les femmes mettent la viande à sécher au soleil sur des fils tendus, très proches de celles que Depardon a pu filmer en 2002.
La langue elle-même des chasseurs, que nous pouvons entendre dans Un Homme sans Occident, est probablement celle qu’Hérodote décrivait dans ses écrits il y a 2500 ans environ alors qu’il rencontrait ces mêmes tribus de chasseurs, alors nombreuses, à l’Ouest de l’Egypte.
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Le scénario du film, librement inspiré du livre de Brosset, nous raconte comment les chasseurs se sont réfugiés dans les parties les plus dangereuses et lointaines du désert afin de trouver encore du gibier et se mettre à l’abri des "rezzous", raids de pillage des tribus nomades. Son héros, Alifa, finit par préférer l’aventure et la liberté à l’appartenance à un clan, et il devient guide auprès d’une tribu de nomades. Pour les nomades eux-mêmes, les chasseurs sont d’incroyables pisteurs. Le parcours d’Alifa, qui vient d’un tout petit clan perdu au fond du désert, puis participe à des raids au sein d’une tribu nomade, et finit, blessé et réduit à marcher avec des cannes, recueilli par quelqu’un de sa famille au sein d’une petite cité nous raconte symboliquement les débuts de l’humanité, la perte de la liberté pour la sécurité et le confort et la façon dont l'homme en devient presque handicapé par rapport à la nature.
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Il y a une chose frappante qui est très bien rendue dans ce film car Depardon prend le temps de les filmer à trois reprises intégralement, ce sont les échanges de formules rituelles de salutations. Ils sont particulièrement longs chez ces peuples du désert. On s’y croise rarement, on s’y tue assez facilement et c’est pourquoi dans ce monde sauvage la politesse est une base très importante de la civilisation.

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Ce film remarquable, au montage simple mais impeccable, est servi par une photographie stupéfiante de beauté. La copie DVD 16/9 est superbe.
En bonus, un entretien d’une demi-heure avec Raymond Depardon qui raconte la genèse et le tournage du film. Passionnant pour ceux qui aiment l’aventure. Et des séquences de son film Les révolutionnaires du Tchad, qui montrent ces mêmes hommes menant de véritables raids.

Comme je l’avais fait pour Marker, je profite de cette remontée de topic pour demander à un administrateur de le déplacer hors de la rubrique DVD. Je l’y avais mis avant de savoir exactement à quoi correspondaient les rubriques :) .
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Re: Raymond Depardon

Message par Phnom&Penh »

Nestor Almendros a écrit :A ce propos, le film est déjà le témoin du tournant effectué par une certaine presse vers le "people" avec ces photographes sans scrupules qui harcèlent les personnalités pour quelques clichés. Voir par exemple la fameuse séquence (hallucinante) avec Richard Gere, encerclé dans son taxi et obligé d'en sortir pour faire des photos dans la rue afin de satisfaire la presse avide d'image. Il faut entendre, également, certains de ces photographes sûrs d'eux et moralement pas du tout gênés de ce qu'ils font subir à la star: pour eux tout est dû, les stars l'ont bien cherché. Dialogues étonnants.
Je suis d'accord sur la fascination pour les stars et les débuts de la culture people (encore que je pense que cela a du commencer avant-guerre), ainsi que les connivences reporters / politiques traités peu à peu comme des stars.
Mais peut-être Depardon cherche t-il aussi à montrer le fonctionnement de la machine médiatique avec des reporters qui chassent les images, de toute nature, de la même manière...C'est plus l'image des perversions de notre monde médiatique que de celles des photographes eux-mêmes.
Depuis la mort de Diana, les portables qui prennent des photos, le numérique, nous avons d'ailleurs encore une fois changé de monde.

Sur la culture des photographes de l'époque, qui était plus une culture de l'"actu" (le Paris Match grande époque en étant une excellente illustration), que la culture du people de maintenant, un grand classique:
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Les meilleures photos des conflits de la seconde moitié du XX siècle y côtoient un dernier chapitre avec les grandes photos de l'époque paparazzi, celle des débuts de Depardon à la fin des années soixante qui, s'il a très bien connu cette époque, ne revint jamais à ce type de reportage. J'ajoute que le texte du livre est à la hauteur des photographies, c'est une excellente historique de la photo d'actu de la guerre d'Espagne à...Jacky Kennedy-Onassis nue.
C'est une des meilleures réflexions sur le sujet.
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Re: Raymond Depardon

Message par Abronsius »

Profils paysans : l'approche (2000) Raymond Depardon

Dans le bonus dvd de la trilogie, Depardon en évoque la genèse . D'abord un "noeud", une honte qu'il éprouve après avoir quitté la ferme du Garet et laissé ses parents. Pour des agriculteurs un fils représente quelque chose. Cette honte qui le poursuit et à laquelle il répond avec son travail. Et puis une "colère", pour les oubliés, ces agriculteurs de montagne perdus dans des régions désertiques, au bout des routes.
Le dispositif est le suivant, un cadre fixe, caméra sur pied, aucun ajout lumière, pour mieux capter ces corps et le temps qui les traverse. Objectif réussi comme pour cette scène émouvante, magique et profonde où il filme Paul prendre son petit déjeuner. Paul, célibataire, qu'il connaît depuis dix ans et qui, pour la première fois, laisse le cinéaste franchir le seuil de sa cuisine. Il est là et prend son petit déjeuner, et l'on sent toute cette force issue de longs moments solitaires, et l'on voit les gestes précis répétés, tremper la tartine, racler le fond du bol de sa cuillère parce qu'on ne jette rien et de voir les regards lancés vers la fenêtre, voir le temps qu'il fait, se sentir moins seul...
Moments précieux où l'on négocie le veau à vendre, seule recette du trimestre, la plaisanterie en façade et dessous la détresse, le jeu du marchandage et le besoin vital d'avoir une rentrée d'argent suffisante. Marchander mais pas quémander, garder sa dignité dans une situation terrible. Parce qu'il pose sa caméra, qu'il est accepté, qu'il se fait petit, modeste, Depardon enregistre une réalité précieuse, celle d'un monde difficile où la lutte est d'autant plus belle que les individus gardent leur dignité, leur humanité jusqu'à ce que la mort survienne au détour d'une journée, à peine le temps de dire au revoir à ceux qui comptent. Quelles vies !! Vies rendues admirables par cette captation honnête et sensible.
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Re: Raymond Depardon

Message par Abronsius »

Les Années déclic (1983) Raymond Depardon

1957-1977. De sa voix retenue Depardon commente des photographies qu'il a prises durant cette période, de l'intime au futile en passant par les conflits internationaux... une vocation, celle des images, photographie, du petit labo de développement dans le grenier de sa ferme natale, puis de l'installation d'un studio en ce même lieu, viennent ensuite l'apprentissage dans la ville la plus proche, le départ à Paris, les piges, les coups de chance, le job puis la création de l'agence Gamma qui amènent les photographes à disposer de leurs travaux, à être plus libres mais aussi plus responsables.
Où l'on voit que d'abord il y a l'action, un photographe le devient parce qu'il n'a de cesse de creuser son sillon. Depardon nous montre qu'il a ça dans le sang et s'investit constamment dans son travail. Ce qui est émouvant c'est de voir cet homme qui s'est fait tout seul, pas vraiment d'études mais du terrain, de la réalité. Sa voix hésitante, ses fautes de grammaire ne comptent pas, quelque chose le pousse à vagabonder, à fuir jusqu'à parfois chercher la souffrance, punition, danger qu'il s'inflige, la culpabilité rôdant. Absent à la mort de son père il constate qu'il a manqué une part importante de sa vie. C'est un conflit intérieur qui revient sans cesse et qui donne envie d'aller voir son travail de plus près pour en apercevoir les chemins tortueux qu'il laisse parfois remonter à la surface.
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Re: Raymond Depardon

Message par Phnom&Penh »

Interview de Raymond Depardon dans Libération au sujet de la fin de l'agence Gamma:

Raymond Depardon, "Derrière chaque photo, il y a un être humain", Libération
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Re: Raymond Depardon

Message par hansolo »

Certes un peu extra-cinématographique mais tout de même pleinement dans le sujet du topic :
http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=13953
Spoiler (cliquez pour afficher)
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http://www.lemonde.fr/politique/portfol ... 23448.html
Dernière modification par hansolo le 4 juin 12, 17:47, modifié 1 fois.
- What do you do if the envelope is too big for the slot?
- Well, if you fold 'em, they fire you. I usually throw 'em out.

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Re: Raymond Depardon

Message par Flol »

Pour faire plaisir à jacques2, je dirais qu'il a un petit côté hydrocéphale à la Capitaine Haddock, sur cette photo.
Autant dire que c'est loin d'être une des plus belles oeuvres de sa carrière...
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Re: Raymond Depardon

Message par Demi-Lune »

Ratatouille a écrit :Pour faire plaisir à jacques2, je dirais qu'il a un petit côté hydrocéphale à la Capitaine Haddock, sur cette photo.
:lol:
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