Nicolas Brulebois a écrit :Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça: je me souviens par exemple avoir dévoré le scénario de Stardust Memories avant de voir le film, en me disant que ça devait être une merveille...
Finalement, la réalisation d'Allen ne rendait pas du tout justice à l'écriture, et le film m'a paru vraiment pénible.
Harry Dans Tous Ses Etats m'a fait un peu le même effet: sur le papier, ça avait l'air génial, mais à l'écran j'ai trouvé ça repoussant.
Quant à prétendre qu'Allen est très éloigné du théâtre filmé... il faut le dire vite !
Venant du music hall, il me semble au contraire que cet aspect est fondateur de son "système" cinématographique.
Parfois, également, il me semble assez proche de certaines séries TV américaines: Anything Else ou Tout Le Monde Dit I Love You, ça pourrait être de très bons épisodes de Friends ou d'Ally McBeal...
Tu sembles avoir des idées très arrêtées sur les cinéastes que tu n'aimes pas (les Coen, Truffaut, Allen), qui ne correspondent pas à la réalité, et il parait impossible de te faire changer d'avis mais je vais te répondre une dernière fois :
1. Depuis le début de la discussion, tu n'as cité aucun des grands films de Woody Allen (soit en vrac, Crimes et Délits, Annie Hall, Manhattan, Hannah et ses soeurs, La Rose pourpre du Caire, Maris et Femmes, Guerre et Amour, Zelig). Curieux de prétendre cataloguer et analyser un cinéaste, sans citer ses oeuvres majeures, celles qui l'ont rendu célèbres et ont défini son style.
2. Curieux aussi cette façon d'aborder un cinéaste en lisant ses scénarios avant de voir les films. Si sa sensibilité visuelle ne s'accorde pas à la tienne, ce sera une manière de le condamner par avance. S'agissant du cas particulier de Stardust Memories, en revanche, je veux bien reconnaitre que c'est un Woody Allen assez raté et complaisant, où le plaisir est absent. Cela ne lui va sans doute pas de lorgner du côté de Fellini.
3. Si j'ai bien compris ton argumentation pour dire que Woody Allen fait du théatre filmé, elle consiste en ceci : (i) Woody vient du music hall, (ii) Ses films pourraient être transposés en épisodes télés, donc (iii) Allen fait du théatre filmé. Bref, tu te contentes d'affirmer quelque chose sans aucune analyse, et tu confonds de surcroît la cause et l'effet.
a. Le théatre, c'est une unité de lieu, une unité de temps, une scène avec un plan large unique. Le théatre filmé c'est également une unité de lieu, une unité de temps, un cadrage statique, les personnages se mouvant dans le cadre. Le cinéma de Woody Allen se distingue dans sa période classique par (i) un découpage rapide de séquences vives (le très rapide débit des comédiens aidant), avec une très grande variété dans les lieux et décors (pas d'unité de lieu), (ii) une approche très libre de la notion de temps, avec des allez-retours et des sauts temporels, des flashbacks avec personnages d'époques différentes se mélangeant, etc... (pas d'unité de temps), (iii) des mouvements de caméra simples certes, mais une caméra assez mobile, qui suit les personnages dans leurs mouvements (pas de cadrage statique). Ne rentrant dans aucun des critères de la définition, Woody Allen ne fait pas de théatre filmé.
b. Friends c'est deux lieux (la cafétéria et l'appartement), un cadrage statique et d'ensemble de manière à saisir tous les personnages. On pourrait peut-être dire que c'est du théatre filmé effectivement. Allen n'en faisant pas (voir a.), les films d'Allen, d'un point de vue visuel et du point de vue du découpage, restent bien différents des épisodes de Friends & co.
c. J'en viens maintenant à la raison pour laquelle tu confonds la cause (les films d'Allen) et l'effet (certaines séries américaines). A la fin des années 70, l'humour d'Allen et le ton de ses films étaient quelque chose de nouveau au cinéma. On n'avait jamais vu ça. Et ses films n'étaient de plus pas très chers à monter par rapport à d'autres. Toute une génération a été élevée avec ces films. 25 ans plus tard, une nouvelle génération de série télé est arrivée, qui s'inspirait dans le ton et l'humour de certains films d'Allen, tout en les formatant, les recadrant, les simplifiant, les débarrassant de cette inventivité narrative, de cette imagination, de ce côté grinçant qui les rendaient si uniques et intéressants. Le cinéma américain étant de plus en plus un cinéma d'effets spéciaux numériques, elle est peut-être à la télé cette postérité qu'Allen cherche en vain chez les jeunes cinéastes. D'autant que dans le même temps, les studios réduisaient de plus en plus les budgets des films d'Allen coupables de n'être pas assez rentables. Mais dire qu'Allen, c'est comme une série télé, c'est raisonner par l'absurde en confondant la cause et l'effet, sans aucun recul historique, sans compter la désagréable pointe de condescendance que l'on devine dans une telle accusation.
Sur ce, au boulot !