Pawel Hurvitz

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Metal Rider
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Pawel Hurvitz

Message par Metal Rider »

"Il rêvait de jouer la comédie, il l'a fait dans une centaine de films et peu de personnes savent qui il est." déclarait Sir Alan Parker à ses obsèques, l'un des rares réalisateurs venus rendre un dernier hommage à Pawel Hurwitz, mort à l'hôpital de Los Angeles lundi 17 mars. Il a tourné avec Mankiewicz, Kazan, Hitchcock, Harold Becker, De Palma, etc. Certains des films qu'il a interprété ne furent malheureusement pas toujours à la mesure de son talent, et à plusieurs reprises, il a pêché par un manque de discernement dans ses choix. Mais ce n'est pas une raison pour passer à côté de la carrière de ce brillant artiste...

Pawel Hurwitz
(1928 - 2008)

Ryszard Hurtwitz était fabricant en matières plastiques à Partów, près de Gostynin, Pologne, lorsqu'il rencontra sa future femme d'origine russe, Barbara Katz-Przedborska. De leur union naquit Pawel Hurwitz, le 1er juin 1929 à l'hôpital de Partów. Adolescent, Pawel et sa famille furent contraints de vivre dans le ghetto de Cracovie après l'invasion du territoire par les troupes allemandes en septembre 1939. Échappés du ghetto, ils se réfugièrent à la campagne chez des fermiers, où ils vécurent jusqu'à la fin de la guerre. Les Russes amenèrent avec eux tout l'apparat de pacotille de leur idéologie, bustes de Marx, d'Engels, de Lénine et Staline, ils érigeaient des obélisques surmontés de croix rouge, et bien sûr des films soviétiques. Pour Pawel, le cinématographe fut une révélation. Il rêvait d'être à la place des personnages des films, il se voyait en héroïque soldat de l'Armée Rouge, passant derrière les lignes ennemies, et envoyant des messages en morse à son quartier général. Ce fut une certitude à ce moment-là, Pawel voulait être acteur. En 1946, le jeune Pawel se retrouva au sein d'une troupe de théâtre de rue et entama une tournée. Il y jouait un rôle très court mais important dans l'histoire de la pièce: il incarnait le coursier qui apportait un courrier à un général militaire. La tournée dura six mois, eut son petit succès et consolida l'envie de Pawel de jouer la comédie. Entre 1947 et 1950, Pawel fut recalé de différentes écoles, et malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à faire admettre dans des cours de théâtre.

L'année 1950 fut marquée pour lui par des voyages et la concrétisation du rêve. Le premier de ces voyages fut en France. Le Paris qu’il connaissait était celui de Marcel Carné, d’André Cayatte et de Jacques Becker. Aux yeux des aristocrates et intellectuels polonais, Paris représentait la capitale du monde civilisé. À son arrivée, Pawel fut émerveillé par la magie et la beauté de la ville. Il rencontra une fille qui compta beaucoup dans sa vie, une allemande prénommée Hildegarde qui prenait des notes devant un Matisse au Musée d'Art Moderne. Il l'aborda, apprit qu'elle parcourait l'Europe et, de fil en aiguille, ils sortirent ensemble. Leur entente mutuelle reposait sur le flou linguistique, l'un et l'autre ayant en commun de vagues notions de la langue coréenne. À cette époque, les bars et cafés-restaurants des Halles restaient ouverts toute la nuit, et la plupart des fêtards aimaient y venir manger la soupe à l'oignon. L'un d'eux mit la main aux fesses d'Hildegarde. Pawel lui tomba dessus, lorsque les copains du fêtard vinrent lui prêter main forte... Hildegarde conduisit Pawel, un bras autour de la taille, à un hôtel dans le quartier des prostituées (moins cher). Pawel titubait et retenait son pantalon déchiré, sa lèvre inférieure enflée l'empêchait de parler distinctement. Mais il avait très envie de passer la nuit avec elle. C'est dans une chambre d'une sordidité peu commune que son dépucelage eut lieu. Le lendemain, elle était partie avec son argent. Alors qu'il se rendait à un poste de police, il fut arrêté pour vagabondage. Avec l'aide de sa famille et de ses amis polonais à Paris, Pawel parvint à réunir suffisamment d'argent pour gagner les États-Unis en bateau, et jura de ne plus jamais remettre un pied en France...

Le New York qu’il connaissait était celui de Frank Capra, d'Howard Hawks et de Robert Siodmak. Aux yeux des aristocrates et intellectuels polonais, New York était le type même de la capitale du monde civilisé. À son arrivée, il fit une rencontre décisive en la personne de Reed Hadley, héros de la série télévisée Racket Squad, où il incarnait le capitaine John Braddock. Pawel ne le connaissait pas, mais en voyant cet homme signer des autographes, il savait qu'il fallait absolument aller lui parler. Il lui raconta son rêve de devenir acteur. La star l'écouta et l'invita à le suivre en Californie, sur les plateaux du Hal Roach Studios de Culver City, où se tournait la série. Reed accepta même de lui payer le voyage ainsi qu'à son amie. Grâce à la générosité de l'acteur, Pawel se retrouva enfin pour la première fois devant la caméra sous le pseudonyme d'Alvin Hurwitz, dans l'épisode The Case of the Miracle Mud. Il garda son pseudonyme et tourna un épisode d'une autre série, I Love Lucy, en 1951 et surtout, décrocha son premier rôle au cinéma, aux côtés de Marlon Brando, dans le William Shakespeare's Julius Caesar de Mankiewicz. Il y apparaissait sous les traits d'un citoyen de Rome. Le tournage fut difficile, Mankiewicz ne lui décrocha quasiment pas un mot. Pawel recherchait pourtant un luxe de détails concernant la façon d'aborder son personnage, d'autant qu'il ne connaissait pas grand chose aux modes de vie romaine. Dans la même année, un directeur de casting le remarqua et lui offrit un beau rôle dans Viva Zapata! d'Elia Kazan. Il y incarnait un des soldats révolutionnaires qui meurent vers la vingt-troisième minute, soit vingt secondes après sa première apparition - sa plus longue scène au cinéma. Le tournage au Mexique ne fut pas de tout repos, Pawel cherchait sans cesse à être le plus crédible possible alors que la chaleur l'avait rendu malade. "Les figurants doivent s'accorder ensemble. On adopte le même genre de tempo, c'est comme un orchestre où il faut suivre le mouvement. Au moment où le réalisateur dit 'action', notre rôle c'est de donner vie au décor dans lequel évoluent les acteurs principaux" déclarait Pawel Hurwitz à Cannes en 1977. Sa concentration, sa justesse de jeu, son style à la fois intériorisé et en même temps son goût pour le paroxysme, firent croître le succès de Pawel dans les bureaux des directeurs de castings.

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Il enchaîna les films durant l'année 1952 avec One Minute to Zero (Tay Garnett), The Snows of Kilimanjaro (Henry King) et aussi The World in His Arms (Raoul Walsh) où il joue un soldat caché derrière un pilier. Il se maria avec Josée, une scripte avec qui il vivait une relation épisodique, et bien que leurs relations à cette époque furent houleuses. En effet, il rencontra une autre femme, jeune mannequin, Maria, qui rêvait de devenir figurante. Elle avait le physique et la fraîcheur d'une Louise Brooks, mariée à un podologue. Pawel eut une furtive liaison avec elle, abrégée le lendemain par une crise de jalousie du mari. Cette histoire marqua le début d'une série de maîtresses dans la vie intime de Pawel. Quelques kilomètres plus au sud d'Hollywood, se trouvait une école pour jeunes filles aspirant à devenir remplaçantes de stars. On ne les appelait pas encore "doubleuses", mais ces "body doubles" étaient formées effectivement pour les scènes où les actrices principales ne montraient pas leur visage. Pawel rencontra l'une d'elles: Sandra Bugliosi. Elle avait un don incroyable, elle maîtrisait l'art de se rapprocher le plus possible des actrices qu'elle doublait.
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Sandra Bugliosi doublant Kim Novak dans Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958)
Entre Sandra et Pawel, ce fut le coup de foudre immédiat. En mars 1954, Pawel divorçât de Josée et s'installa chez Sandra, qui vivait encore chez ses parents. La figuration marchait bien et il loua une maison sur Bel Air. Il joua de 1955 à 1960 dans divers films tels que The Night of the Hunter (Charles Laughton, 1955), Oklahoma!(Fred Zinnemann, 1955), The Wrong Man (Alfred Hitchcock, 1956), The Tin Star (Anthony Mann, 1957) ou encore Al Capone (Richard Wilson, 1959), sans oublier son fabuleux rôle aux côtés de Rod Taylor, dans The Time Machine (George Pal, 1960) où il incarne un Morlock plus saisissant que les autres acteurs en costume. Il tourna à cette période dans trois films de Robert Aldrich: The Big Knife en 1955, Ten Seconds to Hell en 1959, et The Last Sunset en 1961.

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Le succès croissait tandis que sa vie intime chavirait. Infatigable coureur de jupons, il lui arrivait souvent de dormir chez ses partenaires. "Quand on est figurant, on peut sortir autant qu'on veut avec ses partenaires, les tabloïds se moquent totalement de vous. C'est un peu vexant. On fait du cinéma aussi, comme les vedettes de nos films. On est aussi à l'écran, et parfois plus de quinze secondes!" (Pawel Hurwitz à Time Magazine, 1992). En mai 1961, il divorçait. Son perfectionnisme devenait de plus en plus important, et il passait énormément de temps à la préparation d'un rôle. Il mettait jusqu'à deux ans parfois pour se préparer et s'identifier pleinement au personnage, et du coup il retardai le tournage. Ainsi entre 1960 et 1970, il joua dans seulement cinq films, dont deux avec Audrey Hepburn: dans My Fair Lady (George Cukor, 1964) où il joue le serveur qui apporte la bouteille d'eau à sa table dans un restaurant, et dans How to Steal a Million (William Wyler, 1966) où il incarne à la perfection le portier d'un hôtel qui ouvre la portière à l'actrice, avec une démarche mesurée exceptionnelle, et un style audacieux toujours très travaillé qui sortait de l'ordinaire. Il n'apparaissait que six secondes dans le dernier, mais quel moment! En 1970, il changea de pseudonyme pour celui de Max Hurwitz (il garda ce prénom jusqu'à la fin de ses jours). Il se décida d'engager John Strabon, un agent, pour l'aider à trouver des rôles plus conséquents. Pawel, enfin Max, était sûr que le premier rôle était à sa portée. En 1972, John Huston lui fit passer une audition pour incarner le méchant du film The Mackintosh Man face à Paul Newman, mais le rôle fut finalement confié à James Mason. Dommage, il venait de refuser de jouer Jeremiah Johnson dans le film éponyme de Sydney Pollack pour pouvoir tourner avec Huston. Alors Pawel continua dans la figuration aux côtés de Steve McQueen et Dustin Hoffman dans Papillon (Franklin J. Schaffner, 1973). Pour la préparation de son rôle de prisonnier, Pawel brisa un bouteille de Jack Daniel's sur la tête d'un policier et passa quelques jours en prison où il se balafra le visage et prit quelques kilos. Mais au final, le réalisateur de seconde équipe avait simplement choisi de le faire passer devant la caméra, de dos. Trop vite pour se rendre compte de sa transformation physique.

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Un matin de juin 1975, la chance lui sourit enfin lorsqu'un jeune réalisateur du nom de Martin Scorsese l'appelât pour lui proposer le premier rôle de son petit film. Enfin! On allait lui confier un rôle conséquent dans un long-métrage. Même s'il jugeait le scénario trop commercial, il était encouragé et décida de se préparer le mieux possible, toujours à la façon Actor's Studio, à ce rôle de chauffeur de taxi new-yorkais. Il apprit à conduire, obtint même un permis de chauffeur, et fit le taxi de nuit pendant plusieurs semaines. Le réalisateur tourna malheureusement le film entre-temps, avec un acteur du nom de Robert De Niro. Heureusement, si le film décrocha la Palme d'Or à Cannes, il ne fut pas un succès au box-office. Il y avait donc une justice et Max 'Pawel' Hurwitz n'eut pas de regrets. Il décrocha un rôle dans The Spy Who Love Me réalisé par Lewis Gilbert, énième aventure de James Bond avec Roger Moore en tête d'affiche. Comme à son habitude, Pawel prépara avec beaucoup de soins son rôle d'agent du KGB. Dans sa scène, son personnage se tenait derrière Barabara Bach, la James Bond girl, et restait immobile. Pawel apprit à parler russe, à marcher à la manière d'un garde, apprit le langage codé de l'armée, à retirer une mine d'un terrain à mains nues, etc. Sa scène n'en demandait pas tant, mais cela montrait une fois de plus le perfectionnisme de ce figurant d'exception.

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Ce fut alors une période de néant à partir de 1977, une période de mauvais choix artistiques accentuée par sa rupture avec son agent et conseiller John Strabon. Après avoir refusé le rôle de Han Solo pour ce qu'il pensait être une mauvaise série B, le cinéma ne lui faisait plus les yeux doux, la télévision le méprisait, personne ne l'appelait et l'alcool s'ajoutait à la liste des problèmes. Le début des années 80 fut une des plus laborieuses périodes de sa vie. Jusqu'en 1987, il ne trouva aucun rôle et fut au bord de la dépression. Une traversée du désert de dix ans qui s'arrêta net avec sa décision d'accepter des rôles qu'en temps normal il refusait. Ainsi, il accepta de jouer dans Sweet Hearts Dance (Robert Greenwald, 1987) où il joue le guichet de la poste où Susan Sarandon apporte son courrier, et surtout, dans Sea of Love (Harold Becker, 1989) le film qui relança accessoirement la carrière d'Al Pacino. Dans ce dernier, Max débordait d'une incroyable imagination et d'un sacré culot, si bien que cette apparition devenue un des sommets de son art, marqua les esprits.

Harold Becker, réalisateur: "Al Pacino pourchasse Ellen Burnstyn sur la 57ème rue, à New York. Ils courent dans une rue bondée, et quand on filme dans une rue de New York, on a un contrôle limité de la situation. On descend la rue sur une dolly."
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"On filme, la prise est excellente. Tout à coup dans le cadre, un figurant -et c'est Max Hurwitz- arrive et bouscule Al ! Il l'a vraiment heurté ! Al a dû faire des pas en arrière... C'est incroyablement bien trouvé et très osé de la part de Max! Ça a permis à Al de montrer l'étendue de son talent et de se rattraper en direct. Alors je l'ai laissé dans le film, vous savez, comme disait Edward Wood: 'dans le cochon tout est bon'..."
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Sa carrière semblait relancée, il enchaîna les apparitions dans Rocky V (John G. Avildsen, 1990), mais c'est son rôle de dragueur ivre dans Carlito's Way (Brian De Palma, 1993) qui confirma sans doute son talent auprès de ses pairs.
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Al Pacino allait le voir avant la prise et lui précisa qu'il le tuerait s'il recommençait à le bousculer.

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Mais Paul avait une autre scène dans laquelle il reproduisit le même schéma que sur Sea of Love.

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Brian De Palma: "Ce n'était pas prévu. D'ailleurs, Pacino sortait son flingue en espérant le buter, mais c'est un flingue de cinéma. Il avait beau presser la gâchette, rien ne sortait..."

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À la fin du tournage, Al Pacino jura qu'il pourrait refuser de tourner un film si on ne lui donnait pas la liste officielle des figurants et que le nom de Max Hurwitz n'y figurait pas. Voilà pourquoi Pacino ne fut pas Schindler dans Schindler's List (Spielberg, 1993), dans lequel Max jouait.

Dans les années 90, il joua également dans de très mauvaises séries B avec Steven Seagal ou Chuck Norris, tels Top Dog (Aaron Norris, 1995) ou The Patriot (Dean Semler, 1998). Ce furent hélas quasiment ses derniers film. En 1997, âgé de 69 ans, il décida de stopper le cinéma. Sa retraite lui permit de se découvrir une passion nouvelle pour le char à voile et de profiter pleinement de la vie. Il vécut en secret à l'abri des regards jusqu'à sa récente maladie... Une infirmière disait que dans son dernier souffle, Pawel Hurwitz aurait murmuré : "Hil... de... Hildegar..." avant de succomber. Un journaliste tente actuellement de déchiffrer le message qu'a voulu faire passer Pawel Hurwitz au monde, mais une chose est sûre, on vient de perdre l'un des plus talentueux figurants de l'histoire du cinéma...
Dernière modification par Metal Rider le 1 avr. 10, 14:59, modifié 4 fois.
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ed
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Re: Pawel Hurvitz

Message par ed »

Joli panorama d'une carrière méconnue ! :D
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sinon...cinq jours d'avance ?
Dernière modification par ed le 26 mars 08, 16:50, modifié 1 fois.
Me, I don't talk much... I just cut the hair
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