Serguei Paradjanov (1924-1990)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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julien
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par julien »

Federico a écrit :Le seul hic, c'est qu'après avoir vu ses films, on peut trouver la majeure partie de la production cinématographique universelle d'une banalité, d'une pauvreté et d'un manque d'imagination flagrants...
Oui. Il y a d'autres cinéastes quand même qui ont cultivé cet esprit là, même si c'était fait de manière différente. Cet art de la débauche visuelle, allié à un lyrisme musical puissant et à une mise en scène flamboyante et paroxystique. L'art total. On retrouve ça par exemple chez Fellini, Ken Russell, Kusturica, Juraj Jakubisko ou encore Peter Greenaway ; mais bon c'est un cinéma qui ne se pratique plus aujourd'hui. Ça coûte trop cher maintenant à mettre en oeuvre, et c'est plus tellement à la mode. Ces films là, ils ont maintenant leur place dans les musées d'histoire.
Federico a écrit :Les autres sont effectivement d'un symbolisme si exacerbé avec un travail de marqueterie sur chaque plan qu'ils demandent de s'immerger totalement dans leur flux poétique. Mais quand on y parvient, c'est sans équivalent ailleurs. Je ne connais qu'un film qui ait tenté d'approcher cette maîtrise d'estampe ou de peintre d'icônes : L'annonce faite à Marie d'Alain Cuny (je veux bien avaler feuille par feuille l'édition Pléiade de Claudel si il n'a pas été inspiré par Paradjanov).
Par contre le film de Cuny est ruiné par une partition musicale de François-Bernard Mâche relativement faible j'ai trouvé. Ce qui est fort chez Paradjanov c'est que la musique est en totale cohérence avec l'image. Ça forme vraiment un tout.
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Bcar »

Les chevaux de feu - Serguei Paradjanov

J’ai toujours pensé qu’un grand film devait contenir des visions, vous savez ce genre de plan, de séquence ou d’idée qui vous mettent sur le cul et vous font dire « Alors ça, ce n’est pas banal », Les chevaux de feu en sont remplis. Je pense notamment à un plan, Ivan et Maritchka se sépare sous une pluie ensoleillée, elle lui dit au revoir, la caméra se rapproche, se fixe pendant quelques secondes sur son sublime visage qu’elle prend entre ses mains, elle sourit, ça paraît simple mais le résultat est prodigieux, au moment ou je vois ça je sais que ce plan va m’accompagner toute ma vie. C’est définitif, au bout de 20 minutes de film je suis déjà conquis.
Paradjanov construit chacun de ses plans comme un tableau et pas un tableau genre « arrêt sur image » à la Barry Lyndon, mais un tableau en mouvement, qui donne l’impression que l’on contemple une toile dans laquelle on aurait sauté, on la sent vivre et c’est une sensation assez fascinante. On passe du surréalisme au réalisme, de vision onirique folle à des choses plus terre à terre, le film de Paradjanov n’arrête pas les va et viens. La vie, la mort, l’amour, la haine… Il faut dire que ce film ressemble fortement aux grandes tragédies, il a donc ça dose de sentiment antithétique et d’affrontement ce qui se traduit à l’écran par l’absence ou non de la couleur. Son absence étant presque suicidaire vu le brio avec laquelle Paradjanov l’utilise, mais elle est on ne peut plus significative, sa réapparition étant un moment de grâce quasi-divin. Je pourrais sans doute m’attarder sur le pourquoi du comment c’est un hallucinant chef d’œuvre, mais je me suis dézingué un doigt ce matin au boulot et ça me fait mal, donc je dis stop. Au plaisir.
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Federico »

Bcar a écrit :Paradjanov construit chacun de ses plans comme un tableau et pas un tableau genre « arrêt sur image » à la Barry Lyndon, mais un tableau en mouvement, qui donne l’impression que l’on contemple une toile dans laquelle on aurait sauté, on la sent vivre et c’est une sensation assez fascinante.
Barry Lyndon, aussi splendide soit-il, est une succession de tableaux très froids. Ceux de Paradjanov sont brûlants et d'une incroyable sensualité. Et encore, Les chevaux de feu n'est pas son film le plus pictural...
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par julien »

On peut à ce propos remercier le cameraman (qui plus tard passera réalisateur) Iouri Ilienko, qui apporte beaucoup de vie et d'énergie aux images, avec ces cadrages agités et tourbillonnants. Autrement je pense que le film aurait était beaucoup plus statique. et emmerdifiant.
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Federico »

julien a écrit :On peut à ce propos remercier le cameraman (qui plus tard passera réalisateur) Iouri Ilienko, qui apporte beaucoup de vie et d'énergie aux images, avec ces cadrages agités et tourbillonnants. Autrement je pense que le film aurait était beaucoup plus statique. et emmerdifiant.
Alors tu dois avoir beaucoup plus de mal avec les Paradjanov composés de (sublimes) tableaux en plans fixes... :?
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par julien »

Oui j'accroche beaucoup moins à Sayat Nova et à ses films suivants. Ça reste un peu trop abstrait et contemplatif pour ma petite caboche de spectateur, biberonnée au rythme et à la narration conventionnelle du cinéma américain. Faut reconnaître de toute façon que ça reste assez particulier comme cinéma.
Dernière modification par julien le 6 sept. 13, 16:19, modifié 1 fois.
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Federico »

julien a écrit :Oui j'accroche beaucoup moins à Sayat Nova et à ses films suivants. Ça reste un peu trop abstrait et contemplatif pour ma petite caboche de spectateur, biberonné au rythme rassurant du cinéma américain. Faut reconnaître de toute façon que ça reste assez particulier comme cinéma.
Tu peux même carrément parler d'"unique". Mais quand on parvient à se laisser immerger, quelle magie !!
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par julien »

Oui sans doute que ça doit mieux passer au cinéma qu'à la télévision. C'est comme Playtime de Tati. Sur un petit écran c'est assez ennuyeux à regarder alors qu'en grand c'est absolument renversant. On voit tout les détails de l'image et la méticulosité des cadrages. C'est très impressionnant.
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

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Federico a écrit :
Bcar a écrit :Paradjanov construit chacun de ses plans comme un tableau et pas un tableau genre « arrêt sur image » à la Barry Lyndon, mais un tableau en mouvement, qui donne l’impression que l’on contemple une toile dans laquelle on aurait sauté, on la sent vivre et c’est une sensation assez fascinante.
Barry Lyndon, aussi splendide soit-il, est une succession de tableaux très froids. Ceux de Paradjanov sont brûlants et d'une incroyable sensualité. Et encore, Les chevaux de feu n'est pas son film le plus pictural...
J'aime autant Barry Lyndon mais c'est sur que la manière de former le cadre n'a pas grand chose à voir, pour ce qui est de ses autres films, j'ai le coffret Montparnasse. Donc je vais les découvrir bientôt !
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par ATP »

Ce réalisateur m'intrigue mais j'ai peur de ne pas accrocher... Si je suis fan de Tarkovski j'ai des chances d'aimer? (même si je suppose que c'est pas tout à fait pareil)
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Watkinssien »

ATP a écrit :Ce réalisateur m'intrigue mais j'ai peur de ne pas accrocher... Si je suis fan de Tarkovski j'ai des chances d'aimer? (même si je suppose que c'est pas tout à fait pareil)
Oui, on va dire ! :wink:
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Strum »

ATP a écrit :Ce réalisateur m'intrigue mais j'ai peur de ne pas accrocher... Si je suis fan de Tarkovski j'ai des chances d'aimer? (même si je suppose que c'est pas tout à fait pareil)
Pour ceux que j'ai pu voir (Les Chevaux de Feu, Sayat Nova), c'est assez différent de Tarkovski. Chez Tarkovski, le rythme est à l'intérieur du plan, souvent long, le rythme du film vient du plan lui-même, qui est d'ailleurs assez souvent fixe dans les derniers films de Tarkovski (moins dans ses premiers). Il s'en explique dans son livre Le temps scellé : le temps est capturé et ressenti dans sa durée par le plan, et non par le montage. Mais en même temps ses films portent un sens. On ressent certes quelque chose, mais on entend aussi Tarkovski nous dire quelque chose sur le monde. Il sollicite nos sens mais également, dans un second temps, notre intellect. Ses films sont des poèmes méditatifs.

Chez Paradjanov, les plans sont au contraire des instants et non des durées, et le rythme (le sentiment du temps) procède du montage. C'est un peu l'école d'Ensenstein, dont on pourrait dire que Paradjanov fut un héritier, à cette différence près : dans les Chevaux de Feu, le plan est en mouvement, la caméra est en liberté, il y a une impression de tourbillon d'images et de couleurs, qui a été reprise plus tard par un Kusturica. Sayat Nova relève toujours d'un cinéma sensuel de l'instant et de la couleur, mais cette fois, de mémoire, la caméra est davantage fixe. Le cinéma de Paradjanov est sensualiste, comme si Paradjanov était davantage concerné par la capture d'un instant, d'un fragment de temps et d'histoire, et moins par le sens de ses films.

J'ai trouvé Les Chevaux de Feu très beau. Il y a de superbes visions de peintres dans Sayat Nova. Mais je me sens plus proche de l'approche de Tarkovski.

Mais trève de bavardage, il faut que tu ailles y voir par toi-même pour te faire ta propre opinion. :)
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Demi-Lune »

Je viens de voir La couleur de la grenade et je dois dire que j'ai trouvé ça absolument incroyable (coucou Thaddeus :mrgreen: ).
Entendons-nous bien, c'est du cinéma-essai très exigeant et dont les visions pourront, de manière compréhensible, susciter tout à la fois le rejet, l'agacement, la consternation peut-être. Paradjanov formalise en effet les épisodes de la vie du poète Sayat-Nova en un dédale de tableaux humains cryptiques sinon abscons, disons-le carrément. Un préalable sans doute : exterminate all rational thought. Pour qui s'abandonne dans cette myriade, dans ce cortège d'images insensées, le voyage promet d'être inoubliable. Une image, une idée. Une image, une idée. Une image, une idée. Tel est le credo de ce tour de force artistique, poème visuel d'une force indicible (il n'y a pas un seul plan qui soit plus "facile" que les autres sur une heure vingt de film, c'est dingue). Les couleurs, les symboles, les étoffes, les architectures internes au plan, les maquillages, tout exsude le vertige intimidant d'une culture, d'une Histoire, que le montage fait accéder à l'éternité. C'est... beau et mystique à la fois. C'est un film qui fait se sentir insignifiant devant les forces du spirituel et du temporel.

Comme Anahide Ter Minassian le dit bien mieux que ce que je pourrais jamais écrire en hommage au film, « Sayat Nova peut se feuilleter comme un livre d'images, surgies de la mémoire collective arménienne. Le rythme statique et la frontalité de la composition, l'écran divisé en plans verticaux et horizontaux, l'éclat des couleurs, ces mouvements comme suspendus, ces yeux immenses où affleure l'âme des acteurs, renvoient aux enluminures et aux fresques des églises arméniennes, rappellent les hauts-reliefs du monastère d'Aghtamar dont les saints et les anges, aux paumes larges ouvertes, vous suivent de leur regard de pierre. »
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Thaddeus »

Mais comment savais-tu que j'avais trouvé ça absolument imbuvable ? Je ne me rappelle pas avoir écrit un seul mot sur ce film. Comme tu le dis, c'est de toute manière une "expérience" dans laquelle on rentre totalement (j'imagine...) ou devant laquelle on se retrouve comme une vache qui regarderait passer un train. C'est peu dire que pour moi la porte est restée fermée - que dis-je, verrouillée, cadenassée, doublée d'une armature de plomb. Et j'envie les admirateurs...
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Re: Serguei Paradjanov (1924 - 1990)

Message par Demi-Lune »

Thaddeus a écrit :Mais comment savais-tu que j'avais trouvé ça absolument imbuvable ? Je ne me rappelle pas avoir écrit un seul mot sur ce film.
Effectivement, mais je me souviens que tu ne lui avais pas mis une bonne note dans tes films du mois, il n'y a pas longtemps. :wink:
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