Cinéma de Chine continentale

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par Best »

Dam Street (Li Yu)

Cette chronique sociale axée sur le drame personnel d'une jeune femme bénéficie de nombreuses qualités, aussi bien sur le fond que dans la forme. Réalisation élégante, mise en scène discrète et plans soignés d'un côté. Qualité de l'interprétation, sensibilité évidente et souffrance teintée d'espoir de l'autre. Le tout associé à une histoire simple mais bien menée, située dans un contexte historique difficile et pesant à bien des égards. La part belle est également donnée aux relations entre les personnages, pour finir de classer Dam Street parmi les réussites du genre.

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Mama Grande!
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Message par Mama Grande! »

Nuits d'ivresse printanière

Lou Ye cite ouvertement Wong Kar-wai lors d'une scène. Pas Happy Together comme on pourrait penser, mais Nos Années Sauvages. Wong Kar-wai est-il la référence obligée de tout cinéaste urbain asiatique contemporain? Pour Lou Ye apparemment oui. Mais contrairement à son maître hongkongais, Lou Ye délaisse le goût du glamour et le par terre de stars locales pour une approche plus crue de la réalité sociale dans laquelle se déroulent ses histoires. L'ennui, c'est que contrairement à son maître, il délaisse aussi la science de la narration à fleur de peau, un chef op et un monteur compétents, le sens de l'improvisation, et tout ce qui fait la saveur de ses oeuvres références, pour...rien. L'histoire de ces nuits d'ivresse printanières est simple: un triangle amoureux ivre de désir à Nankin, de nos jours. Mais c'est la première fois que je vois une histoire aussi simple devenir aussi confuse. Loin de se laisser happer par la confusion des sentiments et des sens dans laquelle sont plongées les personnages, on est plutôt à se demander qui couche avec qui et où est passé le monteur. Lou Ye ne répétera-t-il donc jamais le coup d'éclat de Suzhou River? Même son Une jeunesse chinoise qui était loin d'être un grand film arrivait à captiver et à émouvoir. Là, que ça soit au niveau technique ou narratif, on atteint un niveau d'amateurisme irritant quand on connait les capacités du réalisateur. C'est pas parce qu'on tourne clandestinement une histoire qui trouble les apparatchiks du bureau de la censure du Parti Communiste chinois qu'on peut se dispenser de faire son travail de réalisateur. C'est d'autant plus frustrant qu'il y avait du potentiel. Mais ces nuits d'ivresse printanière sont désespérément froides, mornes, et filmées avec les pieds. J'espère très fort que Lou Ye se ressaisira, car malgré tout j'aime l'univers de ce cinéaste.
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Message par bruce randylan »

Big up ! :o


Mercredi soir a commencé un cycle à la cinémathèque autour du nouveau cinéma chinois : carte blanche à Jia Zhang-ke, intégrale Jiang Wen et beaucoup de films indépendants, la plupart inédits chez non.
http://www.cinematheque.fr/cycle/nouvel ... s-366.html

Le film d'ouverture était justement Des jours éblouissants / In the heat of the sun (Jiang Wien - 1994) que je rêvais de voir depuis des années.

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Et c'est en effet un film éblouissant à tout point de vue, à commencer par une sublime photographie lumineuse.
Le traitement du film l'est tout autant en s'attaquant à la seconde révolution culturelle par son envers, c'est à dire des adolescents dont les parents sont envoyés au loin pour diverses raisons. Ils se trouvent le plus souvent livrés à eux-mêmes, avec l'opportunité de faire un peu ce qu'ils veulent, d'où un petit côté Hope and glory de Boorman.
Et cette approche ludique est fabuleusement reprise par la réalisation de Jiang Wien qui adopte complètement à l'état d'esprit de ces personnages. Certains moments en deviennent presque euphorisants tant on ressent physiquement cette absence de pesanteur pour une liberté quasi aérienne : suivre les enfants courir pour le plaisir de courir, une escapade sur des toits, la dimension grisante de pénétrer dans des endroits interdits et de jouer avec les objets qui s'y trouvent, se moquer de la propagande etc... C'est encore plus palpable dans les nombreuses séquences où interviennent les 2 personnages féminins qui apportent une incroyable tension érotique pour des séquences de séductions où la provocation et l'assurance se mêlent à la maladresse et la timidité.

Ca donne beaucoup de petites scénettes, parfois indépendantes et souvent interchangeables, pour une narration fragmentée qui se justifie pleinement par le procédé narratif où un homme raconte ses souvenirs en voix-off.
Hors ceux-ci peuvent être inexacts, romancées, fantasmés, réarrangés pour se donner le beau rôle ouqui sont tout simplement sélectifs ou empruntés à certains de ses amis. J'ai beaucoup aimé cette approche qui donne lieu à ainsi à beaucoup de situations irréelles, presque surréalistes comme le chapeau du professeur rempli de charbon, la chute dans la cheminée, l'apparition de la photo dans la chambre, Mi Lan et ses lunettes bleues et plein d'autres moments qui peuvent sembler exagérés (un face à face gigantesque entre deux clans sous un pont).
Quand le cinéaste (et le narrateur) ne l'explicite(nt) pas trop, Des jours éblouissants possèdent un élan irrésistible. Cependant lors de la dernière demi-heure, ces interrogations mémorielles virent un peu à l'artifice démonstratif comme si Jiang Wien trouvait qu'un simple film sur la jeunesse manquait de profondeur et qu'il fallait absolument lui adjoindre un "discours". Or comme cetet remise en cause se limite au dernier acte, tout en reposant beaucoup trop sur la voix-off, le film trébuche dans ce virement qui apparaît forcé et un peu laborieux. Cela dit Des jours éblouissants a la malchance d'arriver peu après ma découverte de Raoul Ruiz et d'un film d'amour (Istvan Szabo) qui sont beaucoup plus élaborés et réussis dans leurs confrontations du passé, du fantasme et d'un perception faussée.
Chez Jiang Wien, réduit à son dernier acte, cette réflexion peine à trouver son rythme naturel et son épanouissement. C'est dommage car il y a encore plusieurs scènes admirables durant le dernier acte comme la cruauté de la seconde scène à la piscine, un rêve parodiant les figures de style des œuvres de propagande et une scène dans laquelle la frustration accumulée déboule sur une pulsion sauvage où la furtive nudité se dévoile dans une tristesse banalité (accidentelle) une fois l’excitation retombée, loin de l'érotisation qui imprégnait le reste du film.

Ces errements réflexifs inaboutis m'ont un peu fait sortir de la narration et des personnages malgré moi (comme l'épilogue sorti de nulle part) et viennent malheureusement nuancer un premier film qui s'annonçait comme un fabuleux coup de cœurs jusque là. Ca reste quoiqu'il en soit un titre majeur du cinéma chinois pour film injustement invisible et confidentiel.
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cinephage
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par cinephage »

N'ayant pas vu le Ruiz ni le Szabo, je reste encore plus enthousiaste que toi. Si le recours à certains procédés distanciateurs interviennent sur la fin et j'admets qu'en conséquent ces procédés qui viennent relativiser le discours et en atténuer la force sont un peu désagréable pour le spectateur, ils me semble trouver leur place dans un récit de cristallisation amoureuse, précisément parce que le souvenir d'une certaine phase est très net, tandis que le pourquoi-comment de la perte de cet amour reste plus confus, le souvenir en est moins net, on se dit que peut-être ça ne s'est pas passé comme ça...
En tout cas, c'est définitivement un film à voir, hautement recommandable. J'espère qu'au vu de la très récente restauration, le film a une chance de sortir en vidéo un jour.
I love movies from the creation of cinema—from single-shot silent films, to serialized films in the teens, Fritz Lang, and a million others through the twenties—basically, I have a love for cinema through all the decades, from all over the world, from the highbrow to the lowbrow. - David Robert Mitchell
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-Kaonashi-
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par -Kaonashi- »

bruce randylan a écrit :Mercredi soir a commencé un cycle à la cinémathèque autour du nouveau cinéma chinois : carte blanche à Jia Zhang-ke, intégrale Jiang Wen et beaucoup de films indépendants, la plupart inédits chez non.
http://www.cinematheque.fr/cycle/nouvel ... s-366.html

Le film d'ouverture était justement Des jours éblouissants / In the heat of the sun (Jiang Wien - 1994) que je rêvais de voir depuis des années.

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Et c'est en effet un film éblouissant à tout point de vue, à commencer par une sublime photographie lumineuse. [...]
:o Je ne me rappelais plus que Jiang Wen avait réalisé autre chose avant ses extraordinaires Démons à ma porte en 2000 ([HS] l'une des seuls choses que Rogue One m'a inspiré : l'envie très forte de revoir ce film... [/HS]). Il faut que je note (et n'oublie pas) la seconde projo le 08/02. Ton avis donne très envie.
Pas vu ses films suivants non plus, je me demande ce qu'ils valent. Je note les dates de projos... même si je ne pourrai certainement pas y aller malheureusement.
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bruce randylan
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

-Kaonashi Yupa- a écrit : Je ne me rappelais plus que Jiang Wen avait réalisé autre chose avant ses extraordinaires Démons à ma porte en 2000 ([HS] l'une des seuls choses que Rogue One m'a inspiré : l'envie très forte de revoir ce film... [/HS]). Il faut que je note (et n'oublie pas) la seconde projo le 08/02.
Des jours éblouissants est son premier est unique film avant les Démons à ma porte. :wink:
Pas revu Le soleil se lève aussi depuis sa sortie salle mais il avait beaucoup divisé et déstabilisé lors de sa sortie. J'avais ouvert un topic
http://www.dvdclassik.com/forum/viewtop ... 3#p1784613

Hier, j'ai justement découvert son dernier opus Gone with the bullets (Jiang Wen - 2014)

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Une nouvelle fois, la cinémathèque a peu foiré sa programmation en le diffusant avant Let the bullets fly(2010) puisque Gone with the bullets en serait une suite non directe (une sorte de prolongation de l'esprit et du style visuel semble-t-il).
Les critiques ont été assez sévères lors de sa présentation au Festival de Berlin en lui reprochant une approche trop commerciale et clinquante.
Et c'est évident qu'on est bien loin du noir et blanc des démons à ma porte avec une mise en scène qui rappelle plutôt celle d'un Baz Luhrmann. Et j'ai beau exécré le "style" Luhrmann (et c'est encore un euphémisme) , je me suis amusé quand un petit fou devant Gone with the bullets qui est une véritable explosion de couleurs, de mouvements de caméra, de montage nerveux pour une réalisation inventive et imprévisible. C'est surtout vrai durant la première heure qui m'a délivré là aussi un rare sentiment d'euphorie visuelle.

Jiang Wen se contrefiche ainsi des anachronismes, les assumant même, utilisant ainsi "Summertime" de Gershwin 10 ans avant sa composition ! :mrgreen:
Le gala du concours de beauté est totalement fou dans cette optique : numéro de claquette, clip façon MTV, référence à Edward Hopper ou Busby Berkeley, couleurs explosives, mouvements de grues incessants, montage incroyablement dynamique, idées délirante (la bulle géante dans laquelle se trouve les deux compères qui explosera dans leur solo de trompette).
Contrairement à Luhrmann qui confond vitesse et précipitation, opulence et bling-bling, frénésie et hystérie, Jiang Wen canalise beaucoup mieux sa réalisation. On sent une vrai désir d'expérimentations pour une approche ludique qui semble sans cesse chercher à se réinventer. Plusieurs scènes ont clairement été tournés en plan-séquences avant d'être totalement remaniées et dynamisées au montage. Ainsi on sent souvent une continuité à l'intérieur des plans même avec plusieurs coupes. Il parvient ainsi à contourner les problèmes de reconstitution ou de (re)créations numériques et les transforme en moments de poésie comme la longue séquence en voiture où tout l'environnement est entièrement en image de synthèse. Le montage à l'intérieur de ce plan-séquence le transforme en joli moment mélancolique et intimiste tout en enrichissant la thématique même du film (un amour anticonformiste incompris de la société) et la psychologie des personnages (ils viennent de consommer de l'opium).
Toutes les séquences entre Jiang Wen (l'acteur) et Shu Qi possèdent un romantisme chevronné, fou, hors-norme et iconoclaste que j'ai trouvé irrésistible. Shu Qi y est sublimée et rayonnante comme jamais (alors que je la trouve souvent un peu trop froide d'habitude).

Il était évident que le rythme du film comme son style ne pouvait tenir de bout en bout cette frénésie permanente, c'est pourquoi Jiang Wen calme le jeu après la fin du premier acte dont la conclusion tragique appelait aussi à un changement d'approche. La suite est ainsi plus conventionnel mais possède toujours quelques séquences déjantés, étranges et décalés comme la punition qu'un général veut infliger à son fils et un escroc (la saillie d'un étalon :lol: ), la reconstitution filmée du drame principal ou un mariage qui vire à l'opéra et qui relance la folie initiale pour un dernier acte sous forme de poursuite en voiture assez drôle avec une chouette astuce pour continuer les dialogues sans perdre en vitesse et mouvement.

Alors bien-sûr, Gone with the bullets demeure inégal, tape à l'œil, surchargée avec des problèmes de rythme et des idées formidables pas toujours bien exploités (l'aspect mise en abîme où le personnage, condamné, doit rejouer un moment de sa vie devant la caméra avec le risque de voir sa réelle exécution se faire sous les mêmes caméra). Mais le film est aussi bien plus personnel que ce qu'on a bien pu en dire, tant dans sa description de la relation amoureuse, que sa déclaration d'amour aux artistes et affabulateurs tout en s'imposant comme une satire caustique de l'arrivisme et la superficialité des nouveaux riches chinois qui culmine dans le final avec le moulin pris d'assaut par des dizaines et dizaines de jeunes couples mariés.
Dans le même ordre, sa réalisation a toutes les raisons d'agacer un bon nombres de spectateurs. Pour ma part, j'ai été conquis par la générosité du cinéaste qui qui se livre à un étourdissant exercice de style, cherchant à fusionner le style hollywoodien ancien (glamour des années 30's ; les dialogues survoltées et omniprésent de Howard Hawks) avec la modernité d'un Scorsese ou d'un Luhrmann tout en s'inscrivant dans une identité chinoise très précise. Le film s'inspire d'ailleurs d'un célèbre fais divers qui défraya la chronique a l'époque et inspira à ce titre le premier long métrage chinois en 1921.



En tout cas, pour les curieux, je ne peux que vous encourager à le découvrir lors de son second passage en salle Jean Epstein :? ) car Sony qui a coproduit le film ne veut pas distribuer le film à l'international et ne voulait même pas autoriser la cinémathèque à le diffuser. Il a fallut que Jiang Wen intervienne en personne pour autoriser sa diffusion dans ce cycle. Cela dit, on récupère le DCP projeté à Berlin (avec sous-titres anglais et allemand incrusté à l'image) qui a l'air d'être le montage prévu pour l'international, plus court de 20 minutes et uniquement en 2D alors que le film a été tourné en 3D (imax). Et à mon avis, ça fait partie des films vraiment conçu pour la 3D vu l'énorme travail fait sur la photographie et la composition des cadres.
Bref fuck Sony (qui font pire que pour The mermaid) : le film n'a l'air dispo uniquement en DVD dans quelques pays et dans la version courte à chaque fois. :cry:
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Rockatansky
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Aura t'on un jour la chance de voir The Last Supper de Lu Chuan
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

Rockatansky a écrit :Aura t'on un jour la chance de voir The Last Supper de Lu Chuan
Oulah ! Découvert en 2013 à l'Etrange Festival et c'est vraiment pénible tellement c'est ennuyeux. Le scénario et la réalisation font tous les choix possibles et imaginable pour rendre le film le plus frustrant possible. Zéro scène d'action et beaucoup de mecs qui parlent autour de différentes tables.
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

Paon (Gu Changwei - 2005)

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A la fin des années 70, une jeune fille d'une famille de 3 enfants a du mal à supporter sa vie provinciale où il ne se passe pas grand chose si ce n'est des emlois sans intérêt. Un jour, un parachutiste militaire en exercice atterrit devant elle et lui donne envie de rentrer dans l'armée.

La figure de Jiang Wen n'est pas si éloignée puisqu'il s'agit du premier film de l'ancien directeur de la photographie des jours éblouissants et des démons à ma porte (mais aussi adieu ma concubine, le sorgho rouge et même des américains The gingerbread man et un autumn à New-York).

Il s'agit d'une très jolie chronique familiale (à tendance sociale) avec une narration assez originale où la même période est montrée tour à tour depuis le points de vus des 3 enfants (sans que les faits ne se recoupent vraiment) : la jeune fille qui rêve d'évasion, le grand frère obèse et retardé mental et le jeune frère chétif et timide. Cela dit la structure est assez déséquilibrée puisque le 3ème segment (sur le cadet) dure une dizaine de minutes. Il fut sans doute victime d'un gros travail de remontage puisque la première version durait 4h et "seulement" 2h10 dans la copie définitive. La dernière partie souffre aussi d'une approche un peu précipitée et accélérée, ce qui lui empêche de fonctionner aussi bien qu'on aurait aimé l'espérer.

En revanche le procédé narratif marche plutôt bien et permet de s'attacher aux différents personnages qu'on apprend à connaître doucement. Sans chercher à émouvoir, le film demeure touchant avec quelques très jolis moment, surtout dans la partie centrée sur la jeune fille (dont une séquence fort poétique avec le parachute accroché au vélo et quelques jolis échanges avec un vieux joueur d'accordéon).
Il ressort tout de même un certain sentiment d'emprisonnement, d'enlisement avec des personnages qui arrivent difficilement à s'affranchir à la fois de cette ville, des mentalités conservatrices et du poids des traditions familiales (malgré les révolutions culturelles). Il y a ainsi plus de scènes graves que légères et l'amertume domine, teinté parfois de cruauté telle la douloureuse séquence d'empoisonnement d'une oie.

La réalisation est sobre, engluée dans la grisaille quotidienne, loin du style visuel qu'on peut trouver dans les films que Gu Changwei à photographié. Ca n'empêche pas quelques mouvements de caméra et de grues assez amples mais qui demeurent toujours discrets. C'est peut-même un peu trop académique, heureusement contrebalancé par une jolie direction d'acteurs, tous naturels et crédibles.

Un ami chinois compare ça aux premiers Hou Hsia-hsien (celui d'un temps pour vivre, un temps pour mourir). Je suis pas assez expert pour y voir des parallèles évidents mais ce Paon m'a bien plus plu que son modèle taïwanais. Ce même ami avait d'ailleurs peur que le film ne soit pas compris par un public occidental tant il parvient à décrire et capter le sentiment d'une génération et la vie dans ces petites villes. Qu'il soit rassuré, c'est parfaitement universel. :)
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Message par Rockatansky »

bruce randylan a écrit :
Rockatansky a écrit :Aura t'on un jour la chance de voir The Last Supper de Lu Chuan
Oulah ! Découvert en 2013 à l'Etrange Festival et c'est vraiment pénible tellement c'est ennuyeux. Le scénario et la réalisation font tous les choix possibles et imaginable pour rendre le film le plus frustrant possible. Zéro scène d'action et beaucoup de mecs qui parlent autour de différentes tables.
Il n'empêche j'aime beaucoup ses deux premiers films et je voudrais bien le voir, visiblement il est bloqué en chine
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

Rockatansky a écrit :Il n'empêche j'aime beaucoup ses deux premiers films et je voudrais bien le voir, visiblement il est bloqué en chine
C'est le seul que j'ai vu de lui (mais j'ai City of life & Death et la patrouille sauvage dans mon stock) :oops:
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

Plus de Jiang Wen pour le moment avec un petit double programme constitué autour de la figure farouchement indépendante Liang Ying avec un court et un long-métrage

Condolences (2009), lauréat d'un Prix au festival de Rotterdam, est un plan-séquence fixe d'une vingtaine de minutes (à part quelques coupures de presse au début) qui s'inspire d'un tragique accident de bus pour décrire l'effervescence médiatique autour d'une vieille femme ayant perdu son mari et son fils. Le maire, les journalistes, un prête, voisins et autres membres associatifs s'activent en tout sens mais oublie le principal, à savoir le facteur humain. Seul compte les chiffres, la communication, des réactions à chaud pour l'actualité...
La dimension satirique est assez bien vu sans trop en faire avec des comédiens naturels et une bonne gestion du mouvement et de la circulation. Reste le problème de la forme avec un dispositif trop théâtral (la scène pourrait tout à fait tenir sur les planches), mal aidé par une image numérique d'un autre siècle, trop peu défini pour qu'on profite de la profondeur de champ.


The other half
(2006)
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Au chômage, une jeune femme accepte le poste de secrétaire dans un cabinet d'avocat d'une ville industrielle qui connaît des problèmes de pollution. Pendant ce temps, son copain traîne à la maison et des tensions apparaissent bientôt.

Un long-métrage qui souffre des même lacunes visuelles que le précédent avec son image DV « brute » (zéro éclairage ou étalonnage, définition médiocre) qui lui donne une dimension amatrice, renchérie par des acteurs non professionnels pas toujours convaincants.
Le manque de budget ne pourrait pas être un problème à la rigueur mais la tournure du scénario du dernier acte plutôt audacieux est affaiblie par cette absence d'ampleur même si quelques plans larges des rues désertes fonctionnent bien.
Le grand perdant est ainsi le script assez bancal qui ne peut de la sorte explorer toutes ses différentes pistes et thèmatiques. Il y a avait pourtant plein de choses intéressantes pour ne pas dire passionnantes dans cette vision à la limite du post-apocalypse suite aux accidents industriels.
En tout cas, le fait d'ancrer l'histoire dans un bureau d'avocats/conseils permet d'aborder plusieurs sujets de société encore délicat en Chine (divorce, consumérisme, économie de marché immoral, individualisme, voyeurisme, refus des traditions). Un certain début de décadence qui se traduit symboliquement par l'arrivée du premier tueur en série de la région, signe d'une société malade dans tous les sens du termes.
Les séquences dans le cabinet sont les plus réussis avec une réalisation qui reproduit le cadre de « confessionnal » des télé-réalité pour des dialogues proche d'un certain absurde, là aussi fort satirique.

Pour le moment, Ying Liang semble très attaché à son indépendance et ne veut pas tout de suite passer à des plus gros budgets. Il perdrait forcément en liberté mais gagnerait sans doute une rigueur qui lui permettrait de mieux développer et mettre en valeur sa vision de la société. A voir comment évolue son cinéma, pour le moment en tout cas, je demeure moyennement emballé.
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

Memories Look at Me (Song Fang - 2011)

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Song Fang retourne voir ses parents.

Song Fang retourne voir ses parents. Ou plus précisément Song Fang retourne voir ses parents et enregistre leurs conversations avec caméra..
C'est tout.
Rien de de plus.

Si vous allez rendre visite à vos parents et grands-parents, vous avez une idée des échanges que ça peut donner : "J'ai l'impression que tu as perdu du poids, tu te nourris bien ma fille ?" ; "tu sais, madame Truc du deuxième étage, et bien son mari est mort d'un cancer" ; "ce soir, je t'ai préparé ton plat préféré", "ohlala, tu sais avec mes rhumatismes..." Etc... etc...
Alors certes, on sent une certaine tendresse de la jeune cinéaste (qui était aussi l'actrice de ballon rouge de Hou Hsia-Hsien) envers ses parents mais c'est à peu près tout. La réalisation est claustrophobique à souhait en ne sortant jamais (ou presque) des 3 pièces de l'appartement familiale, sans la moindre idée de réalisation et ça ne cherche aucune ouverture ou élargissement sur un sujet/thème plus large.
C'est pas que j'ai quelques chose comme Song Fang et sa famille, c'est juste que ça me passionne autant que si un inconnu d'un certain âge venait me parler de ses problèmes de famille durant 90 minutes. Et bien, au bout de 5 minutes, j'essaierais de trouver un moyen de m'éclipser la conversation. C'est un peu le ressenti que j'ai eu devant le film : être le témoin prisonnier d'une conversation qui m'est on ne peut plus extérieur.

Après, faut croire que tout le monde n'a pas réagi comme moi puisque le film (produit par Jia Zhang-ke) a gagné le prix du premier film au Festival de Locarno mais dans l'ensemble, à part les fans de Chantal Akerman, mes connaissances de la cinémathèque étaient tout autant perplexe que moi sur l'intérêt de ce documentaire que j'ai trouvé bien trop autocentré (bien que je ne doute pas de la sincérité de sa démarche).
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Message par bruce randylan »

The master aka The final master (Haofeng Xu - 2015)

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Au début des années 1930, un maître du Wing Chun originaire de Canton arrive à Tianjin pour ouvrir une école d'art-martiaux. Mais le monde des arts-martiaux est très codifié et il doit avant cela vaincre 8 écoles locales sans pour autant provoquer la susceptibilité de ses adversaires. Le début d'un délicat stratège.

Après avoir été romancier et scénariste (Grandmaster de Wong Kar-wai), Haofeng Xu est passé à la réalisation pour deux films que je ne connais pas encore. Pour son troisième, il adapte l'un de ses livres et nanti d'un budget confortable se lance dans un projet ambitieux qui dépoussière totalement le genre avec un brio insoupçonné.

Si les grandes lignes sont connues (combats entre différentes écoles ; trouver un disciple ; un mort qu'il faudra venger), Haofeng Xu transcende les conventions avec un travail scénaristique incroyablement riche qui ancre totalement son histoire dans une période bien définie : crise financière internationale qui a encore épargnée la ville avec la présence de nombreux occidents et japonais, jeux de pouvoirs autour de l'influence politique que peuvent avoir les écoles d'art-martiaux. Ca devient presque une œuvre sociologique dans son portrait de la place de la femme dans la société, des ramifications particulièrement sinueuses dans ses associations et autres codes d'honneurs entre écoles, sans oublier les différentes classes sociales aux statuts bien définis (on pourrait parler de castes pratiquement).
Les complots et autres jeux d'influences sont par moment tellement complexes que ça en devient abstraits et c'est justement volontaire. Les écoles d'art-martiaux deviennent rapidement une sorte de menaces tentaculaires omniprésentes, génialement traduit visuellement par le combat final qui se déroule dans une longue ruelle interminable, remplie de personnages mutiques et fantomatiques. Là aussi, on pense forcément au génial Martial Club de Liu Chia et son héros pacifique et respectueux (avec en plus étalage de différentes armes de combats) et plus qu'un simple hommage, Haofeng Xu recompose cette scène mythique dans une approche froide, désincarnée, irréelle et cérébrale et même décalée (l'arrivée en vélo) qui est l'aboutissement thématique, philosophique et formel de son traitement.

On pourrait croire que cette approche intellectualisée prendrait le pas sur les combats ou les chorégraphies, pourtant The master est un vrai film d'art-martiaux, avec de nombreux affrontements tous spectaculaires et redoutables. Sauf que ceux-ci ne reposent pas sur la surenchère mais au contraire sur l'efficacité la plus immédiate. C'est à dire la recherche d'une vraie authenticité où le but est de vaincre son opposant avec un minimum de geste. Deux-trois mouvements suffisent donc soit à désarmer son ennemi soit à viser ses points vitaux. Il y a dans ce film, tant dans sa structure narrative que dans ses chorégraphies, un approche ludique qui doit plus au échec qu'aux acrobaties d'un Jackie Chan ou la hargne d'un Bruce Lee. De plus, les combats se font tous à l'arme blanches pour des scènes d'actions d'une intensité et d'une fulgurance inhabituelles, tout en étant particulièrement techniques et rapides. Même s'il a un chorégraphe, Haofeng Xu réalise lui-même les séquences de combats qui sont là aussi d'une grande réussite technique et formelle.
Et quitte à multiplier les casquettes, il est également le co-auteur du montage, lui aussi formidable, bourré d'ellipses, d'accélérations narratives, de ruptures sans jamais tomber dans l'exercice de style ou la précipitation. Au niveau du rythme, c'est un régal.

De plus, le film possède plusieurs ruptures de ton réjouissantes entre musique/leitmotiv anachronique et touches d'humour savoureuses (comme l'un des premiers combats contre une adversaire en robe ou la scène sur un banc contre un gang).

Cerise sur le gâteau, les acteurs sont d'un classe folle et impériale avec dans le rôle principale Fan Liao (l'interprète de Black Coal) pour un paquet de personnages iconiques (et même l'histoire d'amour, tout en retenu non-dit parvient à émouvoir).

Immense révélation donc et comme je le disais ailleurs, The master est autant un pur film de cinéaste, un pur film de scénariste, un pur film de chorégraphe, un pur film de monteur voire d'historien. Un pur film de cinéma tout simplement :D
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Re: Cinéma de Chine continentale

Message par bruce randylan »

Conjugaison (Emily Tang - 2001)
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Durant l'année 1989, un jeune couple et leurs amis font face à un hivers particulièrement rude. Un ami disparu revient souvent au centre de leur conversation.

Bien que profondément chinois dans son équipe technique, ses comédiens, son sujet et sa sensibilité, le film fut produit à Hong-Kong. La raison est assez simple, il s'agit du premier film "chinois" à évoquer les événements de la Place Tian'anmen en 1989. Censure oblige, les références sont très métaphoriques et fluettes dira-t-on. On sait juste que l'histoire se déroule en 1989, que les personnages se sont retrouvés à une place, que le calme est revenu et qu'il y a donc un ami disparu qui laisse un grand vide (que les autorités semble prendre à la légère). Ca sera tout.

Autant dire que s'il l'on est pas vraiment au courant du contenu en rentrant dans la salle, on peut échapper au cœur du film. Et même en étant prévenu, le film a de forte chance de laisser sur le carreau. Ce qui fut mon cas. Conjugaison m'est passé totalement au dessus de la tête. :?
La raison vient bel et bien de sa narration vaporeuse et ses nombreux non-dits. Pour le coup, j'ai senti un univers culturel trop ciblé pour que je possède les clés de compréhension. Je comprends qu'il y a des symboles à l'écran mais je ne peux les décrypter. Ou alors tout cela fait échos à des situations très personnelles qu'on connut la grande majorité des adolescents chinois (s'introduire dans des bus pour faire l'amour, squatter des appartements illégaux car on vit en couple sans être marié, apprendre une langue étrangère...).
Certains passages me sont plus évidents comme cet espèce de fable que l'héroïne raconte à ses clients/touristes où il est question d'une femme ayant assassiné son mari et qui ne sait quoi faire de son cadavre car sa narratrice elle-même ne sait pas comment conclure son histoire (qui finira dans le cannibalisme et où la référence au pouvoir ayant massacré son peuple est plutôt clair). De la même manière, durant le dernier tiers, les personnages semblent constamment buter contre des sortes de murs là aussi souvent métaphoriques (de vrais barrière physiques mais aussi un lac gelé où le couple trouve un poisson mort prisonnier de la glace).

Une œuvre terriblement frustrante qui m'a douloureusement laissé sur le bord de la route. Les spécialistes sinophiles trouvent le film bouleversant et incroyablement fort. Je les envies profondément (d'autant que le livre Beijing Coma reste l'un de mes grands coup de cœur de ses dernières années mais son approche était autrement plus frontale et direct). :cry:
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