Tree of life (Terrence Malick - 2011)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Wagner
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Wagner »

AtCloseRange a écrit :Et quand bien même, le film ne représente que les pensées/souvenirs de tous les personnages du film. En quoi, ça serait étonnant qu'eux (croyants) voient dieu?
Le film nous impose-t-il une vision indéniablement fausse de la création du monde?
Il y avait déjà eu tout un cirque sur le topic du Nouveau monde, avec tronche de cuir qui ramait pour pointer le fait qu'il fallait distinguer le discours off et ce que montraient les images, mais rien à faire les détracteurs du film ne voyaient qu'une apologie du bon sauvage.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par G.T.O »

Wagner a écrit :
AtCloseRange a écrit :Et quand bien même, le film ne représente que les pensées/souvenirs de tous les personnages du film. En quoi, ça serait étonnant qu'eux (croyants) voient dieu?
Le film nous impose-t-il une vision indéniablement fausse de la création du monde?
Il y avait déjà eu tout un cirque sur le topic du Nouveau monde, avec tronche de cuir qui ramait pour pointer le fait qu'il fallait distinguer le discours off et ce que montraient les images, mais rien à faire les détracteurs du film ne voyaient qu'une apologie du bon sauvage.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Strum »

phylute a écrit :Après, ça ne me dérange pas, mais c'est juste que c'est vraiment trop pour moi.
Ca ne te dérange pas mais en fait, si, ça te dérange ? :wink:

Si j'ai le temps, je posterai quelque chose sur le film aujourd'hui.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par wontolla »

Une intervention ici, prévue pour mes cinitinéraires (désolé donc pour le style propre de mon fil!) et que j'anticipe car je dois encore rendre compte d'autres films avant celui-ci.

Suis allé voir Tree of life mardi à 19h00, en avant-première en Belgique où il sort officiellement aujourd'hui.
Précisons d'emblée que ma culture cinématographique n'est pas encyclopédique et que mon ignorance est abyssale en certains domaines.

Commençons par Terrence Malick dont j'ignorais l'existence jusqu'à ce je commande le BR The Thin red line pour en avoir eu écho sur ce forum même. Je n'ai pas encore vu le film si ce n'est un rapide contrôle du DVD sur mon Imac, question de savoir s'il s'agissait du film ou de bonus.

Et lorsque dimanche dernier, avant de voir Thor (Kenneth Branagh, 2011) j'ai eu droit à une petite minute de bande annonce, je me suis demandé s'il s'agissait bien de 'mon' Terrence Malick. Il s'agissait bien du même et d'un film à l'accouchement retardé.

J'ai lu ici et ailleurs, l'envoûtement de certains, l'agacement d'autres, de la comparaison avec certains spots publicitaires jusqu'à une propagande New-âge crypto-chrétienne. J'ai donc voulu me faire ma "propre religion" (si l'on me permet cette auto-référence !).

Hier donc, une avant-première. On n'entre dans la salle que lorsque les gardiens du Temple vous y autorisent, vous laissant largement le temps d'acheter les boissons, pop-corn et autres aliments (qui paraissent parfois être la marchandise principale de salles de cinéma où finalement la projection du film ne serait que le support pour vous faire consommer de la mal-bouffe).

La séance est prévue à 19h00, sans publicité préalable. La projection tarde. La salle est assez remplie mais pas pleinement. Des gens arrivent encore. La consommation de chips, de pop-corn commence: bruits de paquets, de mâchoires, de manducation m'exaspèrent déjà et je crains pour la vision du film.

19h20. Noir. Lumière. faux départ. 19h25, c'est parti. Comme toujours, les bruits et chuchotements persistent... Mais, miracle :!: , après quelques secondes, plus un bruit, plus de pop-corn, de paquets froissés: silence, hormis la bande-son du film !

Que dire bien du film sans 'spoiler' pour en rendre compte sinon faire écho à des impressions, du ressenti, des questions, des fureurs ?

Il était dit que c'était comme 2001. Probablement, peut-être, du moins en partie pour certaines images même si je songeais plus à celle du télescope Hubble. Hormis ces images, j'ai surtout songé - un peu - à Tarkovski et beaucoup aux deux films d'Andreï Zviaguintsev, Le bannissement ( Izgnanie, 2008) et Le retour (Vozvrashcheniye, 2003). Certain s'étonneront de ce rapprochement; je m'explique. Le traitement des paysages, le rapport à la nature (entendu ici, trivialement, comme l'eau, les plantes, les arbres; en effet, le concept de nature apparaît dès l'entame du film et j'y reviendrai), le jeu et le rôle des enfants, mais aussi de l'homme et de la femme dans le couple ainsi que les relations enfants/parents - parents/enfants; le non-dit, les énigmes laissées sans réponses... tout cela m'a amené à la mémoire les films d'Andreï Zviaguintsev. s'ajoute aussi à cela la bande son, l'utilisation de la musique, tant en accompagnement que dans la trame du film lui-même (le père et deux, au moins, des enfants).

Qu'ai-je vu ? Des images sublimes, spendides, un éclairage et une lumière extraordinaires au service d'un poème élégiaque qui convoque tour à tour le quotidien et le cosmos pour transmettre un cri fondamental: "pourquoi" lorsqu'une mort inattendue frappe à l'heure qui ne convient pas. Il ne s'agit pas ici de convoquer au récit le tiers assassin malgré lui comme dans Rabbit Hole de John Cameron Mitchell (2011) mais bien "Dieu" soi-même par la médiation d'une voix off (mais probablement porte-parole de plusieurs personnes) et par le biais du récit poétique du livre de Job (j'y reviendrai).

Le film m'a semblé long, très long, trop long sur la durée de sa vision. Mais après cette nuit, je me suis souvenir m'être fait la même réflexion à propos du film Le bannissement où je disais aux quelques rares personnes que j'ai invitées à voir le film avec moi: ce film dure deux heures trente et elles sont indispensables !

A côté de liens que j'établis (à titre personnel; aucune compétence cinématographique de ma part pour dire autre chose) avec Tarkovski mais surtout avec Andreï Zviaguintsev, j'ai pensé aussi à des images du Jardin extraordinaire (télévision belge) mais surtout d'Ushuaïa et parfois de Yann Arthus-Bertrand avec aussi certaines analogies avec des clips publicitaires pour des assurances, des boissons ou des huiles alimentaires... Mais cela fait-il tirer le film vers le bas ou ne dit-il pas quelque chose de l'amélioration de certaines publicités qui tirent vers le haut aujourd'hui et emprunte à certains moments à de grandes traditions du cinéma ?

C'est donc un maelström d'images, de musiques, de sons et d'émotion qui m'a emporté durant le film. Une beauté formelle aussi...
Mais, si j'ai parfois failli m'endormir durant le film (admettons que c'était dû au fait que j'avais soupé à 17h45, avant le film et que c'était la digestion qui faisait son office) à plusieurs reprises, je me suis posé la question "mais où veut-il en venir?" et "est-ce que Malick n'est pas en train de se f**tre de ma gueule?".

En sortant de la salle, après avoir regardé le générique tant bien que mal (parce que beaucoup n'en avaient rien à cirer) j'étais empli de jugements/émotions contradictoires: une jubilation et une détestation aussi intenses l'une que l'autre. Impossible de coter, noter ce film (une petite dizaine de spectateur on quitté le film au cours de la séance, les deux premiers après une heure).

En y réfléchissant dans le métro en rentrant à la maison, ensuite une partie de la nuit et ce matin encore, je me rends compte que ce qui m'a exaspéré était l'aspect "religieux". Si j'avais balancé à mes paroissiens un tel discours lors de mes prédications, je pense bien que j'aurai vidé une bonne partie de mon église (entendons de ceux et celles qui se sont acclimatés/habitués et ont apprécié la façon dont je tente de rendre compte du fait religieux aujourd'hui dans un indispensable respect du pluralisme et du coup la prise de conscience de la contingence du discours de ma religion et de sa non opposabilité aux tiers). Il est donc possible que Malick transmette ce qu'il a "reçu" de son éducation (que cette transmission soit volontaire ou se fasse malgré lui parce que cela l'habite est ici second, voire secondaire) mais ce message est inhérent à une bonne part de ses concitoyens/coreligionnaires et donc, pourquoi pas ?

Au-delà de cet aspect qui m'a sensiblement irrité et qui me semblait parfois plus proche de propagande new-Age ou scientologue (non sur le contenu mais sur la forme) il reste deux éléments importants à mes yeux.

Le premier s'exprime dès l'ouverture du film, opposant la grâce et la nature. La grâce étant du côté de "Dieu" (mes guillemets expriment ici une distance critique de la part) et étant un possible pour l'homme; la "nature" égoïste, travaillant pour elle-même à sa propre "survie", reproduction étant ici en tension avec la grâce. On comprendra éventuellement qu'il ne s'agit pas de (se) reproduire mais de transmettre, que s'agissant de transmission cela dépasse la simple reproduction d'un être à travers ses enfants (pour ne voir que l'aspect humain) et que la mort de l'un d'eux ne serait pas la fin de tout. Admettons. Me reste une immense interrogation. Il semble que tout une dimension du film vise à placer/intégrer "Dieu" dans une vision cosmique (éventuellement à la dimension "créative" de "Dieu" - en non 'créationniste' dans le sens donné aujourd'hui par certains courants fondamentalistes). Mais que je sache, le cosmos - sauf à être panthéiste, ce que chacun peut être bien sûr - n'est pas "Dieu" mais est aussi la "nature". Et donc toutes les images présentées: familiales, cosmiques, ludiques, élégiaques, paradisiaques font partie de la "nature" justement opposée à la "grâce". Il y aurait donc, selon ma perception, une faille dans la structure même du récit et c'est probablement cela qui m'a irrité et me paraissait comme de type New-Age (au corps défendant de Malick probablement) et tout particulièrement dans les dix dernières minutes qui se voudraient paradisiaques!

Le deuxième me parait beaucoup plus fondamental: il s'agit de l'appel au poème de Job dans ce que les chrétiens appellent "l'Ancien testament". Connaître ce récit poétique (il ne s'agit pas d'une histoire "vraie" - il n'y a pas eu de 'monsieur Job' ni de 'satan' qui serait venu demander à 'Dieu' de foutre le b*rdel chez Job - mais d'un poème encadré d'un prologue et d'un épilogue en prose et qui a connu plusieurs rédacteurs au fil des années de sa composition) peut apporter un clé de lecture du film de Malick.

Pourquoi le malheur arrive-t-il ? Qu'ai-je fait à "Dieu" pour mériter cela ? J'ai fait tant de bien et je ne suis pas récompensé. Tant d'autres font le mal et vivent dans l'opulence. Pourquoi ? Ce pourquoi tonitrué ou murmuré tout au long du film est à mon sens une des questions qui taraudent le film. Certains y verront une réponse "divine", ou cosmico-divine (les images de début et de fin); d'autres comme moi reprendront à leur compte ce qui est ma signature dans un forum religieux que co-gère avec des croyants et non-croyants:
"- Qui est Dieu?
- Tu sais, quand tu souhaites vraiment quelque chose, que tu fermes les yeux et que tu l'espères très fort. Eh bien, c'est le type qui t'ignore."
(Steve Buscemi, ...du moins son personnage dans le film «The Island» de Michael Bay)
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Wagner
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Wagner »

G.T.O a écrit :
Wagner a écrit : Il y avait déjà eu tout un cirque sur le topic du Nouveau monde, avec tronche de cuir qui ramait pour pointer le fait qu'il fallait distinguer le discours off et ce que montraient les images, mais rien à faire les détracteurs du film ne voyaient qu'une apologie du bon sauvage.
Je m'en souviens encore... :uhuh:
Rebelote, après le bon sauvage, le fou de Dieu possédé par l'esprit des Bogdanof :mrgreen:
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Wagner »

wontolla a écrit :Le premier s'exprime dès l'ouverture du film, opposant la grâce et la nature. La grâce étant du côté de "Dieu" (mes guillemets expriment ici une distance critique de la part) et étant un possible pour l'homme; la "nature" égoïste, travaillant pour elle-même à sa propre "survie", reproduction étant ici en tension avec la grâce. On comprendra éventuellement qu'il ne s'agit pas de (se) reproduire mais de transmettre, que s'agissant de transmission cela dépasse la simple reproduction d'un être à travers ses enfants (pour ne voir que l'aspect humain) et que la mort de l'un d'eux ne serait pas la fin de tout. Admettons. Me reste une immense interrogation. Il semble que tout une dimension du film vise à placer/intégrer "Dieu" dans une vision cosmique (éventuellement à la dimension "créative" de "Dieu" - en non 'créationniste' dans le sens donné aujourd'hui par certains courants fondamentalistes). Mais que je sache, le cosmos - sauf à être panthéiste, ce que chacun peut être bien sûr - n'est pas "Dieu" mais est aussi la "nature". Et donc toutes les images présentées: familiales, cosmiques, ludiques, élégiaques, paradisiaques font partie de la "nature" justement opposée à la "grâce". Il y aurait donc, selon ma perception, une faille dans la structure même du récit et c'est probablement cela qui m'a irrité et me paraissait comme de type New-Age (au corps défendant de Malick probablement) et tout particulièrement dans les dix dernières minutes qui se voudraient paradisiaques!
Je pense que le film vise à fusionner la nature et la grâce, et non à les opposer, sachant que la distinction entre nature et grâce n'est pas faite pas Malick mais par un personnage en off.

Sinon, la comparaison possible avec Le Retour m'apparaît être une évidence dans l'ambition similaire des deux films à véhiculer son message entièrement par l'intermédiaire de la nature.
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Boubakar
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Boubakar »

Critique du film par Eric Neuhoff, qui en parle comme un des plus beaux films au monde :

http://www.lefigaro.fr/festival-de-cann ... -monde.php
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AtCloseRange
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par AtCloseRange »

Boubakar a écrit :Critique du film par Eric Neuhoff, qui en parle comme un des plus beaux films au monde :

http://www.lefigaro.fr/festival-de-cann ... -monde.php
Tu veux faire fuir tout le monde?

Même la façon dont il défend le film (tellement terre à terre) ne donne pas très envie.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par wontolla »

Wagner a écrit :
Je pense que le film vise à fusionner la nature et la grâce, et non à les opposer, sachant que la distinction entre nature et grâce n'est pas faite pas Malick mais par un personnage en off.

Sinon, la comparaison possible avec Le Retour m'apparaît être une évidence dans l'ambition similaire des deux films à véhiculer son message entièrement par l'intermédiaire de la nature.
Bonjour Wagner.
Je suis enclin à rejoindre ton point de vue. Je parle en effet de "tension" et non d'opposition et j'utiliserais aussi le sens de 'tension' en physique (des fluides, par exemple). "Vise à fusionner" est différent de "fusionne" (en tout cas c'est ce que j'entends et lis).

De fait, c'est la voix off qui distingue ce que Malick ne fait pas tout au long de son film.

Dans une certaine mesure le "Dieu" de Malick a des analogies avec le "mien". Le très gros problème que j'ai avec "Dieu" (enfin celui de ma religion) est celui de son "espécisme" (racisme en faveur de l'espèce humaine). Si Dieu existe, c'est bien entendu son droit d'être espéciste mais dans ce cas, je n'ai rien à cirer de lui; en revanche, s'il existe et qu'il sauve non pas l'homme mais le cosmos (reste encore à savoir ce que l'on entendrait par un tel salut mais on sortirait ici du cadre du fil et du forum tout entier) alors je puis dire qu'"il" (ou que "çà") me parle ! Et c'est une telle dimension "cosmique" que j'ai perçue dans Tree of life (mais c'est un ressenti et une lecture personnels).
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par phylute »

Strum a écrit :
phylute a écrit :Après, ça ne me dérange pas, mais c'est juste que c'est vraiment trop pour moi.
Ca ne te dérange pas mais en fait, si, ça te dérange ? :wink:

Si j'ai le temps, je posterai quelque chose sur le film aujourd'hui.
Oui, pardon. Je voulais juste dire que le problème pour moi n'est pas qu'il fasse part de sa foi mais que la manière dont il le fait m'insupporte.
Bon, après j'entends tous les défenseurs du film qui pensent que ceux qui y voient un film sur la foi et Dieu se fourvoient complètement, qu'il y a bien plus que ça dans cette œuvre. Je ne suis pas du tout convaincu - je continue à penser que c'est l'ambition de Malick que de faire une adresse à Dieu - mais même en faisant un effort dans ce sens, tout ce que le film me raconte par ailleurs me semble complètement inintéressant :|
C'était d'ailleurs la même chose pour La Ligne rouge où tout ce que Malick racontait sur la guerre me semblait complètement rebattu. Mais dans le cas de ce film la mise en scène emportait largement le morceau tandis qu'ici je ne vois rien d'original, de nouveau, de puissant... et j'en suis le premier déçu.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Wagner »

wontolla a écrit :Dans une certaine mesure le "Dieu" de Malick a des analogies avec le "mien". Le très gros problème que j'ai avec "Dieu" (enfin celui de ma religion) est celui de son "espécisme" (racisme en faveur de l'espèce humaine). Si Dieu existe, c'est bien entendu son droit d'être espéciste mais dans ce cas, je n'ai rien à cirer de lui; en revanche, s'il existe et qu'il sauve non pas l'homme mais le cosmos (reste encore à savoir ce que l'on entendrait par un tel salut mais on sortirait ici du cadre du fil et du forum tout entier) alors je puis dire qu'"il" (ou que "çà") me parle ! Et c'est une telle dimension "cosmique" que j'ai perçue dans Tree of life (mais c'est un ressenti et une lecture personnels).
J'aime bien te lire car j'ai à chaque fois l'impression que tu ne crois pas en Dieu :mrgreen:

J'ai lu je ne sais plus où récemment qu'il existe une séquence génétique dans l'ensemble des espèces animales destiné à neutraliser le développement du cerveau. Ce morceau d'ADN a soudain "mystérieusement" disparu et on en est arrivé au cerveau humain. Encore un coup des Bogdanof :mrgreen:
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Wagner »

phylute a écrit :C'était d'ailleurs la même chose pour La Ligne rouge où tout ce que Malick racontait sur la guerre me semblait complètement rebattu. Mais dans le cas de ce film la mise en scène emportait largement le morceau tandis qu'ici je ne vois rien d'original, de nouveau, de puissant... et j'en suis le premier déçu.
La mise en scène de Tree of Life est d'une audace autre que celle de la Ligne rouge, ça me fait penser à du Picasso

Et je pense aussi que le religieux t'insupporte, je me souviens d'un de tes posts où tu disais fuir un film qui raconterait la vie de Bouddha ou un truc de ce genre (je reconnais que cela m'avait particulièrement fait tiquer vu que je suis sympatisant bouddhiste, certainement converti prochainement)
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par wontolla »

Wagner a écrit :J'aime bien te lire car j'ai à chaque fois l'impression que tu ne crois pas en Dieu :mrgreen:
C'est un autre et vaste sujet :wink:
Disons que j'ai été athée et anticlérical jusque l'âge de 28/29 ans ! et qu'il m'en reste quelque chose.
Aussi que je suis athée de pas mal d'images de "Dieu" que ma religion et mon église ont véhiculées.
Enfin qu'en ce forum, j'enlève ma casquette professionnelle et que ne reste que l'homme Charles qui a pris conscience depuis pas mal de temps que s'il voulait prendre au sérieux un dialogue avec ses contemporains il fallait faire dès le début "comme si" sa religion, ses convictions n'avaient aucune préséance sur celles des autres voire leur absence (et le prêtre que je suis n'est pas indemne de l'homme :mrgreen: ).
Dernière modification par wontolla le 18 mai 11, 11:59, modifié 1 fois.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par phylute »

Wagner a écrit :Et je pense aussi que le religieux t'insupporte, je me souviens d'un de tes posts où tu disais fuir un film qui raconterait la vie de Bouddha ou un truc de ce genre (je reconnais que cela m'avait particulièrement fait tiquer vu que je suis sympatisant bouddhiste, certainement converti prochainement)
C'est vrai qu'un film "religieux" (je met sciemment les guillemets) ne part pas gagnant avec moi :mrgreen:
Ceci dit, j'aime nombre de films où le cinéaste parle ou questionne sa foi, ce n'est pas forcément rédhibitoire, tout dépend de la manière dont il le fait. J'aime par exemple beaucoup La Dernière tentation du Christ.
J'en profite pour rebondir plusieurs pages plus loin sur Watkinssien qui cite Hadjewich. Le discours de Dumont me semble à l'exact opposé de Malick : pour lui l’homme doit se rapproprier la mystique, refuser qu’elle soit le seul apanage des religions. Il faut reconquérir au religieux la grâce, le sacré, la foi. La mystique peut être - et doit être pour le cinéaste - profane, athée.
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Re: Tree of life (Terrence Malick - 2011) Avis Page 31

Message par Strum »

Quelques réactions, incomplètes sûrement, mais je m'arrête parce que cela fait déjà un post bien long (pour changer).

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Attentions spoilers.

Un film-poème impressionniste, fragmentaire et fragmenté. C’est une prière, notamment, pour le frère perdu, oublié, retrouvé, comme si Malick voulait fixer son souvenir dans l’éternité du cinéma afin qu’il l’accompagne, nous accompagne, "jusqu’à la fin des temps".

D’abord vient le point de vue de la mère, puis celui du père, puis celui de l’enfant. A la mort du frère, la mère élève devant le ciel la plainte jobienne : « Où étais-tu » ? Alors commence une succession de plans inouïs de création de l’univers en guise de réponse. Ainsi un Dieu répondait à la plainte de Job « Et toi où étais-tu quand je créais le monde ?». Mais la voix de la mère continue de se faire entendre au travers du Lacrimosa qui accompagne ces images. A chaque nouvelle image répond la musique des sanglots de la mère, à chaque nouvelle mesure du lacrimosa, répond une nouvelle démesure visuelle de ce Dieu cinématographique qui du fond de son silence répond au mot et à la musique par l’image. Ainsi dialoguent le divin et la mère jusqu’à une apothéose sonore et visuelle qui fait frémir. Ce n’est pas pour moi, qui suis athée, un frémissement spirituel mais un frémissement esthétique. Car Malick, malgré plusieurs plans qui font penser à Tarkovski (le voyage dans le temps figuré par des lumières filantes, le chignon de la mère, la lévitation) ne parvient pas par ces plans à suggérer la présence du divin. Malick semble voir son Dieu au dessus de lui dans l’infiniment grand des nuages stellaires, des poussières d’étoiles et des espaces flamboyants de l’éther indicible. Tarkovski voyait le sien dans l’infiniment petit du limon d’une forêt, des algues mouvantes d’une rivière ou des tableaux de Roublev (dont il tirait une beauté formelle qui reste supérieure aux images de Tree of Life), et je crois parfois, penché sur son épaule, voir fugitivement avec lui son Dieu si humain.

La suite rompt le charme jeté par ces séquences grandioses: une scène aux buts incertains impliquant des dinosaures succède à ce sommet. Les dinosaures souffraient-ils eux aussi ? Je n’ai pas cherché à le savoir : ces dinosaures numériques sont laids et je m'en moque. C’est à cet instant que trois ou quatre personnes, terrassées par le film, quittent la salle.

Elles sont punies par la suite : le meilleur du film réside dans sa partie centrale qui convoque les impressions de Jack enfant en les juxtaposant non pas selon les nécessités d’une narration logique mais au gré des caprices de la mémoire, à la fois libre et arbitraire. Ode aux (en)jeux de l’enfance, très juste restitution de la psychologie enfantine, portrait douloureux mais véridique de ces pères qui voulant le meilleur pour leurs fils les terrorise et les condamne par leur exigence de tous les instants à visser à jamais leur regard en direction d’un plafond (de nombreux plans en contre-plongée ou travellings verticaux soulignent cette direction), d'un but ou d’un sommet inaccessible, cette partie du film, si intime, si émouvante par cette intimité même, est souvent magnifique. Ce père tellement exigeant est lui aussi interrogé comme un succédané du Dieu biblique. Pater familias, il est aussi le dieu du foyer, vers lequel convergent les regards et les interrogations. Lui aussi est terrible et incompréhensible. « Tu me dis de ne pas mettre mes coudes sur la table, tu le fais… tu insultes les gens… pourquoi, pourquoi ne fais-tu pas ce que tu m’imposes ?... menteur… menteur ! » Cette fois, ce n’est plus la mère qui pose la question au Dieu du ciel, c’est l’enfant qui pose la question au dieu terrestre. Ainsi Freud analysait la croyance : comme un "sentiment océanique" trouvant son origine dans l'amour ambivalent que certains enfants peuvent éprouver pour leur père. Plus tard, la question s’est cristallisée pour l’enfant dans le constat de Saint Paul cité par le film « Je ne fais pas ce que j’aime et je fais ce que je hais ». D’ailleurs, ce père, il le hait, mais il l’imite. Victime du père, il devient bourreau de son frère, dans des scènes terribles où il l’électrocute ou lui tire sur le doigt avec une carabine à plomb. Les très bons cinéastes ou les grands cinéastes sont souvent de fins psychologues. Sans suggérer un quelconque paradis originel, le film suggère que l’arrivée de la conscience du mal dans le monde et de qui l’on est coïncide avec les choix et les questionnements liés à la vie.

Dans les scènes avec le père du milieu du film, la caméra toujours mouvante du début se stabilise, s’immobilise un peu. Elle subit telle un satellite le pouvoir d’attraction de ce père-dieu, alors que la caméra du début ou de la fin du film, irrépressible, comme détachée de tout axe autour duquel pivoter ou sculpter des panoramiques, de toutes contingences, ne cesse de bouger, à la recherche du Dieu de toutes choses qu’elle ne parvient pas à situer dans le ciel. Ce ne sont alors que les images de création qui sont en plan fixe. Pour le reste, la caméra procède par séries de touches impressionnistes, comme si elle était pinceau ; elle dessine parfois dans la réalité comme des bribes de spirales ou de volutes, motifs que Malick filme plusieurs fois dans le film (le plafond de l'église, le canyon). Malheureusement, dès que le film s’attarde sur Jack adulte (Sean Penn), il perd de sa force et la caméra devient un oiseau affolé ; les buildings peuvent bien dresser leurs carcasses vers le ciel et Jack monter et descendre les ascenseurs de verre, on reste à quai, désireux de revenir vers les images intimes et éloquentes de la vie de Jack enfant. Jack adulte a fait fuir plus d’un spectateur de ma salle.

Tous les acteurs incarnant les membres de la famille de Jack, cette famille du Mid-West américain, où le religieux fait partie de la vie de tous les jours, sont formidables. Je n’ai jamais vu Brad Pitt si juste. Jessica Chastain est une mère d’une merveilleuse douceur. Les enfants sont comme pris sur le vif, comme si vraiment le cinéma leur avait rendu vie. Il y a plus de joie créatrice je trouve dans ce milieu du film que dans les images de création du début du film. Et je me suis pris à regretter parfois que le film ne se soit pas contenté de n'être qu’une chronique familiale, transcendée par son lyrisme, centrée sur la famille de Jack. Mais ce n'était pas ce que souhaitait Malick.

Un semblant de réconciliation de Jack et de son père amorce la dernière partie qui livre la finalité du film : il s’agit de ressusciter le frère ou de rêver sa résurrection. Le cinéma, grâce aux cercles successifs de la mémoire qui toujours se rapprochent de l’image originelle, l’a d’abord ressuscité durant toutes les séquences du milieu du film se passant dans la famille. Mais le film ne s'achève pas là, alors qu’il aurait pu. Toute la dernière partie du film, du point de vue du rythme (c'est un peu long et j'ai souhaité que cela finisse) et de la signification, est une sorte de suicide commercial qui achève de convaincre une demi-douzaine de personnes dans ma salle que, décidément, ils ont assez souffert pour une soirée. Vient pour commencer cet épilogue, ou cet "après-film", une scène où Malick représente métaphoriquement le cheminement de sa mémoire ou plutôt de la mémoire de Jack : Dans un paysage pierreux, Jack suit l’être qu’il était enfant et arrive sur une plage où il voit, et peut même toucher, son père, sa mère, son frère, ses voisins, tous ceux qu’il connaissait enfant, tous à nouveau jeunes et comme vivants. Selon une perspective proustienne, Jack en revivant des impressions vécues enfant, en suivant de nouveau le chemin tracé par cet enfant qu’il était, a fait revivre le temps perdu de son enfance, et c’est lui le créateur, le père de ces silhouettes sorties d'un temps de son enfance, qui se croisent sur la plage, et non pas Dieu. Mais il ne fait pas de doute que Malick a besoin d’un intercesseur divin pour réaliser son programme : revoir son frère, fut-ce au travers d’un plan de cinéma. Si Malick convoque bien son Dieu à cet instant, les images de la plage pourraient alors être, selon une perspective judéo-chrétienne, des images anticipées de la fin des temps où tous ressusciteront, tous verront l'arbre de vie de l'Apocalypse. Le frère de Jack (peut-être lui aussi mort noyé, comme si la noyade de l'enfant que filme à un moment Malick était une préfiguration) pourrait alors sortir de sa tombe (très beau plan du film qui le voit sortir de cette tombe comme s’il s’agissait d'une chambre d'enfant noyée dans l’océan). Et tout serait révélé, dévoilé (la lumière sur la plage), démasqué (le masque qui, métaphore un peu lourde, coule dans l'eau). Une plage a déjà signifié l'après-monde ou l'après-film dans un certain nombre d'autres films (L'Enfance d'Ivan, Une Question de vie ou de mort, Chien Enragé, Les 400 coups). Un des plans finaux du film montre d'ailleurs la Terre, obscurcie et terreuse, descendre comme un corps mourant dans l'espace.

Si le frère de Jack peut être ressuscité alors se comprend mieux la parole de la mère à son Dieu à la fin du film : « Je te donne mon fils » ; elle le lui dit parce qu’il l'a déjà ressuscité. Et pourtant cette parole, comme elle m’est étrangère ! Comme il m’est incompréhensible que l’on donne son fils à Dieu, et ni les paroles du Curé de campagne de Bernanos dissertant sur ce même sujet de la mort de l’enfant pour consoler une mère, ni toutes les images du monde, ne pourront jamais me convaincre que cela est juste de voir son enfant mourir. Mais dans le cadre du film, ma foi (si j’ose dire), je le comprends ou le ressents comme un fait donné par le film. Malick veut revoir son frère et le seul chemin pour le revoir c’est de se confier à Dieu. Que ce chemin existe ou non, que l’on soit croyant ou non, n’est pas la question : dans un film, on se confie au réalisateur, qui décuple par ses images notre empathie pour ses personnages, jusqu’à pouvoir en certains cas nous convaincre que leurs pensées sont nôtres le temps du film.

Au final, quand on sort de Tree of Life, on emporte avec soi mille impressions prodiguées par les images. Parmi ces impressions on peut choisir de garder celles qui ont rencontré en soi le plus grand écho, et jeter les autres - car il y a des choses que j'ai moins aimées dans ce film. On peut garder ces impressions sans forcément chercher à interroger leur sens jusqu'à l'épuisement ou sans vouloir, et cela me fait bizarre de le dire, à tout prix les éprouver à notre propre vision du monde. On peut opérer ce tri comme sans doute Malick a opéré un tri dans ses souvenirs, au moment de l’écriture, puis du tournage, puis du montage. J’ai lu notamment que c’est la partie avec Sean Penn qui a été la plus réduite dans le montage final. Tant mieux au vu du résultat, car c’est de loin la partie la plus faible. Aurait-il fallu une ossature narrative plus claire, un récit plus linéaire pour porter ce Tree of Life ? Peut-être. Mais y en aurait-il eu un, que le fait même qu'il existe un récit aurait assigné à chaque impression d'enfance, ainsi placée dans le cours du récit, une détermination ou une signification irrémédiable. Peut-être Malick souhaitait-il que chacune des impressions de Jack reste libre et mouvante, comme sa caméra dans ce film. Peut-être la matière du film était-elle trop intime pour Malick pour qu'il puisse se résoudre à la faire répondre aux conventions de la narration traditionnelle (à l'instar du Miroir de Tarkovski peut-être, bien que même dans son Miroir, Tarkovski essayait d'établir entre ses séquences ce qu'il appellait des "liaisons poétiques").

Je crois avoir lu que l’on comparait Tree of Life à certains films de Resnais dans ce topic. A mon avis, cette pure subjectivité du regard dont Malick se prévaut l’éloigne de nombreux films de Resnais des années 60-70 où par le montage, celui-ci tentait de restituer une certaine objectivité, une certaine totalité du monde. Ce n’est pas le cas de Malick qui reste dans la subjectivité la plus pure, celle soumise à la mémoire et à l’espoir d’un « nouveau monde ». L'autre grande différence bien sûr, c'est que Resnais entretient toujours le mystère sur le sens de ses films dans les années 60-70, qui n'est jamais levé. Ici, Malick est dans le dévoilement et la révélation.
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