L'enfance et la musique
Dernier né de quatre enfants, John Christopher Depp II naît le 9 juin 1963, dans une famille aux origines à la fois irlandaises, allemandes, et indiennes, installée dans le Kentucky. Le père exerce la profession d'ingénieur et la mère de serveuse. Ils vivent dans un quartier calme d'une petite ville qui rappelle l'Amérique des années 50. De son enfance, Johnny se souvient de sa relation privilégiée qu'il entretien avec son grand-père Cherokee ; en son hommage, il porte un tatouage d'un indien sur le bras. La disparition du grand-père à ses 7 ans marque de nombreux changements dans la vie de la famille ; les Depp partent en Floride, où ils emménagent successivement dans une vingtaine de maisons. Il a gardé cette habitude de voyager, de s'installer nulle part. Il s'ennuie à l'école, ne s'intègre à aucun groupe, traîne avec ses copains et expérimente les drogues. Ses parents se séparent lorsqu'il a 15 ans, et il abandonne l'école un an plus tard.
Johnny est habité par la musique. Il a appris à jouer seul sur une guitare d'occasion, et se consacre à la musique de façon obsessionnelle. En dehors des petits boulots qu'il fait pour gagner sa vie, il joue dans des groupes le reste de son temps. Devenu guitariste d'un groupe nommé The Flame, puis The Kids, il fait la première partie de Talking Heads, des Pretenders, des Ramones, et d'Iggy Pop. Pour décrocher un contrat, le groupe se rend à Los Angeles en 1983, mais à l'époque il y a déjà une abondance excessive de groupes et les contrats tardent à venir. Pour gagner sa vie, Depp vend des stylos par téléphone. Il se marie avec la sœur d'un de ses amis musiciens, Lori Allison, maquilleuse de son état. Leur union bat de l'aile, et ils divorcent 2 ans comblées de difficultés financières plus tard. C'est par l'intermédiaire de Lori que Depp rencontre un acteur débutant, Nicolas Cage, qui se prend de sympathie pour lui et lui propose son agent afin de trouver du travail dans le cinéma.
De la musique au cinéma...
Johnny Depp entre ainsi dans le milieu du cinéma, avec une complète désinvolture et sans y penser sérieusement. Il n'a en tête que la musique et veut juste gagner un peu d'argent. Il repéré à un casting par la fille du réalisateur, Jessica Craven, qui le choisit pour être son petit ami dans Freddy: Les Griffes de la Nuit, dans lequel il se fait dévorer par son lit. Il enchaîne sur des petits rôles dans des films, TVfilms et apparitions dans des séries, tous oubliables pour la plupart. Pour lui, le cinéma n'est qu'un moyen de subsistance en attendant de pouvoir faire de la musique. Mais lorsque les membres des Kids se dispersent pour diverses raisons, l'idée de recommencer à chercher des membres pour reformer un groupe l'ennuie tellement qu'il décide de s'orienter de façon plus sérieuse dans le cinéma. Mécontent de ses performances dans ses premiers films, il s'inscrit au Loft Studio, à LA, pour prendre des cours de comédie. Il décroche ensuite un rôle dans Platoon d'Oliver Stone, en 1986. Une grande partie de son rôle est coupé au montage: Oliver Stone pense qu'il désamorce le rôle tenu par Charlie Sheen.
Le producteur de télévision Patrick Hasburgh propose à Johnny le rôle principal d'une série sur des policiers infiltrant des établissements scolaires. Depp refuse d'abord, préférant jouer avec un groupe, les Rock City Angels, mais ne voyant pas de proposition venir, ni au cinéma ni dans la musique, il reconsidère le rôle dans cette série, 21 Jump Street. On lui dit que la série ne durera pas plus d'un an, mais c'est un succès phénoménal. Depp se sent prisonnier de son engagement dans la série (qui dure finalement 4 saisons), et d'une image fabriquée qui ne lui ressemble guère. Il n'a aucun contrôle sur ce que la publicité fait de lui et se sent comme un produit de consommation. D'autant que les Rock City Angels finissent par décrocher un contrat mirifique à côté. De son expérience télévisuelle il déclare: "En ce qui concerne la caméra, l'éclairage et les marques au sol, la télévision est un excellent moyen d'apprendre..." Il promet de ne plus jamais s'impliquer dans un projet auquel il ne croit pas à fond. La conséquence d'être devenu une idole des adolescents: sa vie privée est étalé dans la presse. Ses fiançailles avec Jennifer Grey (Dirty Dancing), avec Sherilyn Fenn ou Winona Rider, ses accès de rage contre les paparazzi ou des gens indiscrets... Pour le public, il reste le personnage de bellâtre un peu rebelle que les publicitaires ont créé. Cry Baby va lui permettre de transformer son image...
CRY-BABY
À Baltimore dans les années 50, deux bandes rivales s'affrontent: les Drapes (des Rockers) et les Squares (des fils de bonnes familles). Les choses se compliquent lorsque le chef des Drapes, Wade (Johnny Depp), surnommé Cry-Baby parce qu'il a très facilement la larme à l'œil, s'éprend d'Allison (Amy Locane), la fiancée du chef de l'autre bande... Parmi tous les scénarios qu'il reçoit, il choisit de faire ce film parce qu'il sait que son réalisateur, John Waters, le prince du mauvais goût, va l'aider à prendre un tournant décisif dans sa carrière. Chacun avait besoin de l'autre: Depp avait donc besoin de casser son image, tandis que pour Waters la présence de Depp au générique motive les investisseurs frileux. Le rôle de loubard mélomane tenu par Depp est une parodie de lui-même, et il s'en donne visiblement à cœur joie dans ce film où le kitsch et l'exagération sont de rigueur. On trouve également dans la distribution Iggy Pop (dont Depp est fan et qui devient un ami), Traci Lord (star du porno des années 80), et Willem Dafoe dans un petit rôle. On y retrouve tous les clichés des films d'adolescents des années 50 détournés, des références (La Fureur de Vivre, le Rock du Bagne) parodiées, accentuées à l'extrême (courses de voitures, scènes de prison), avec la Waters' touch (le grattage de couilles de Cry-Baby devant la maison de la famille d'Allison, les patins toute langue dehors durant une fête...). Ce n'est pas Depp qui chante, mais la bande sonore mélangeant les mélodies style variétés des gentils bourgeois au Rock des années 50 fait plaisir à entendre.
Ma note: 4,5/6
EDWARD AUX MAINS D'ARGENT
(Je reprends à peu près ce que je disais dans le topic sur Tim Burton) Pourvu de gigantesques lames de ciseaux en guise de doigts, Edward (Johnny Depp) vit reclus dans un gigantesque château gothique, jusqu'au jour où il découvre le monde extérieur et l'amour pour devenir pendant un bref moment la coqueluche de toute la ville, avant d'être rejeté par tous et de retourner seul dans son immense demeure. Edward Scissorhands est, sans conteste, un des meilleurs films de son auteur tout juste auréolé pour Batman. Johnny Depp y est formidablement émouvant dans le rôle-titre (il eut d'ailleurs une nomination aux Golden Globes). Servi par une distribution parfaite (Winona Rider, alors sa fiancée, joue sa bien-aimée, et Vincent Price l'inventeur digne de Frankeinstein qui a créé Edward), ce film poétique et maîtrisé a confirmé le génie visionnaire de Tim Burton, et fut un succès commercial. Pendant le tournage, Burton ne parle pas du tout à Depp. Il le tient même à l'écart de l'équipe. Le réalisateur veut lui faire ressentir la solitude du personnage, et il y parvient. Il y parvient tellement bien que Depp a déclaré s'être identifié à ce personnage ("Je me sens plus proche de ce personnage que de tous ceux que j'ai joués. Comme moi c'était un marginal."), et en avoir essuyé une larme à l'idée d'abandonner la peau d'Edward à la fin du tournage...
Ma note: 6/6
Un marginal au cinéma...
La presse est toujours à l'affût, parlant beaucoup de lui en enfant terrible, relatant sa rupture avec Winona Rider et sa liaison tumultueuse avec Kate Moss. Il mène une vie vagabonde, loge à l'hôtel, passe des nuits arrosées au Viper room, une boîte qu'il a achetée et décorée en bar clandestin des années 30. Il s'y produit avec son groupe, P (lequel sort un album en 1995). En 93, River Phoenix trouve la mort en sortant de sa boîte, d'une overdose, et la presse ne tarde pas à lier le nom de Johnny Depp aux causes de la mort... Johnny aspire pourtant à la tranquillité, Il partage son temps entre Los Angeles, New York, et la France, dont il apprécie la culture, la langue et la nourriture. Il accumule les rencontres et se lie d'amitiés avec des figures de légendes comme Marlon Brando, Iggy Pop, Robert Mitchum, Vincent Price, le poète Alan Ginsberg, le romancier Hunter S. Thompson. Lorsqu'il ne peut pas rencontrer les gens qu'il admire, Johnny s'arrange pour croiser leur chemin d'une autre façon: il dort dans la chambre de l'écrivain Oscar Wilde, et achète le manoir de Bela Lugosi (qui avait fini par se prendre pour le comte Dracula).
Avec Kate Moss
Côté professionnel, il s'implique toujours avec des cinéastes aux univers particuliers, ne craignant pas de prendre des risques. Peu importe le succès commercial, il faut que le scénario, le réalisateur, les acteurs lui plaisent. Le travail de comédien pour lui se fonde sur l'observation et l'envie de faire partager. C'est pourquoi il s'attache à jouer des le type de personnages qu'il admire dans la vie, les précurseurs, les marginaux qui vont jusqu'au bout de leur destin, qui assument ce qu'ils sont et leurs convictions. Il se sent "plus à l'aise devant la caméra que dans la vie", parce que sa célébrité est moins embarrassante sur un plateau. Après une participation dans le film La Fin de Freddy, l'Ultime Cauchemar (1991) de Wes Craven, il tourne sous la direction d'Emir Kusturica, pour un film à l'univers fantasmagorique, Arizona Dream.
ARIZONA DREAM
À New York, Axel (Johnny Depp), un rêveur qui se laisse entraîner dans son monde onirique, est chargé de recenser les poissons qui vivent dans les bassins entourant la ville. Son cousin Paul (Vincent Gallo) l'emmène en Arizona, chez son oncle Léo (Jerry Lewis) pour son mariage. Quand il arrive, il aide son oncle à vendre des cadillac. C'est là qu'il rencontre Elaine (Faye Dunaway), et sa belle fille (Lili Taylor)... Difficile de résumer ce film. Chaque personnage ne vit que par ses rêves ; ils sont prisonniers de leurs songes et n'arrivent pas à communiquer entre eux de manière sereine, ce qui donne un véritable délire visuel et onirique. Arizona Dream est bourré de références cinématographiques, notamment avec la géniale scène où Vincent Gallo rejoue la scène de l'attaque de l'avion dans le désert de La Mort Aux Trousses d'Hitchcock, plus des citations de Coppola (Le Parrain 2), Martin Scorsese (Ragging Bull), et certaines scènes avec Faye Dunaway semblent autant d'allusions à Bonnie And Clyde, etc. Sur le tournage, Depp est emballé par la grande liberté accordée aux acteurs par Kusturica qui n'hésite pas à essayer toutes les idées proposées, voire à proposer lui-même des idées plus délirantes. La B.O., entre chœurs slaves et guitare saturée, est de toute beauté, avec aussi Iggy Pop (croisant donc à nouveau le chemin de Johnny) qui compose la chanson principale du film (devenue un tube): "In The Death Car".
Ma note: 5,5/6
Sa palette d'acteur s'enrichit au fil des années, et il force le respect d'Hollywood en acceptant des rôles dans des films personnels intéressants, en se fichant du résultat au box-office. Il est nominé à nouveau deux fois aux Golden Globes, pour Benny and Joon, et pour Ed Wood de Tim Burton qui sort en 1994 (c'est d'ailleurs pendant le tournage de celui-ci que l'acteur stoppe l'alcool et compense avec des litres de café).
ED WOOD
(Encore une fois, je reprends à peu près mes mots du topic sur Burton) Hollywood, dans les années 50. Ed Wood (Johnny Depp) veut devenir réalisateur de films. Un jour il rencontre Bela Lugosi (Martin Landau), qui a plus de 70 ans et vit d'une pension de misère. Ed entend parler d'un tournage sur les transsexuels, et se met sur les rangs pour le réaliser. Le film est un four complet, mais Ed enchaîne ensuite Bride Of The Atom où son ami Bela joue un savant fou... Rejeté par le système hollywoodien, par la critique et par le public, il correspond parfaitement au prototype du marginal à la fois naïf et pathétique qui apparaît dans la plupart des films de Burton. Ed Wood est l'auteur d'une flopée de nanars incroyables dont le célèbre Plan 9 From Outter Space avec Bela Lugosi (enfin, ses 30 secondes quoi). Cette bio filmée qui aurait pu tomber facilement dans la caricature lourdingue est une œuvre quelque peu idéalisée (la fin a un côté volontairement positif alors qu'Ed Wood est mort ruiné et alcoolique à 54 ans) qui porte un regard plein de sympathie et de tendresse sur un personnage doté d'un optimisme à toute épreuve et qui, contre vents et marées, tenta de mener à bien ses rêves les plus fous. Ed Wood est un bel hommage, sous un magnifique noir & blanc, à tout un cinéma de genre aujourd'hui disparu et dont la pauvreté et la ringardise confinent au rang d'objets cultes... Oublié à Cannes en 1995 et boudé par le public, le film est pourtant une vraie et belle réussite artistique.
Ma note: 5/6
DON JUAN DeMARCO
Jack Mickler (Marlon Brando), un psychiatre au bord de la retraite, empêche un jeune homme (Johnny Depp) de se suicider. Ce dernier porte des vêtements espagnols du XIXème siècle, une cape, un loup, et se prend pour Don Juan, le plus grand amant du monde. Il l'interne. Le docteur qui dirige l'établissement exige de Jack Mickler qu'il ait traité le cas de "Don Juan" avant son départ en retraite dix jours plus tard. Malgré quelques jolies scènes (la fin) et un scénario qui, retravaillé, et réalisé par Terry Gilliam, aurait pu donner quelque chose de très bon, c'est un film chiant... Il ne vaut que pour Depp et Brando (c'est d'ailleurs Depp qui suggère de sortir Brando de sa semi-retraite ; les deux hommes sont devenus amis sur ce tournage). Pour ce rôle de personnage chevaleresque désuet, Depp s'inspire d'Errol Flynn ainsi que de stars du cinéma muet spécialisés dans les rôles de latin lovers, Ricardo Montalban, Fernando Lamas.
Ma note: 2,5/6
DEAD MAN
Après avoir traversé l'Amérique en train, William Blake (Johnny Depp) se retrouve dans la ville de Machine, pour y prendre un emploi de comptable, mais le patron de la mine, John Dickinson (Robert Mitchum) le met dehors, en annonçant qu'il n'a pas besoin de lui. Plus tard, il rencontre Thel (Mili Avital) et devient son amant. Ils sont surpris par Charles Dickinson (Gabriel Byrne), le fils du patron de la mine et l'amant en titre de la jeune fille, qui se venge en la tuant. William, blessé par la même balle qui a tué Thel, abat l'homme à son tour et prend la fuite. Tourné en noir et blanc, le film permet à Depp de créer un parallèle entre son personnage de William Blake (prisonnier d'une image qui n'est pas la sienne, avec son visage placardé sur les avis de recherche), avec ses débuts d'acteur, où il s'est retrouvé dans les magazines, piégé par une popularité qu'il ne contrôlait plus. Jarmush en parle ainsi: "Le personnage de Johnny est un peu comme une page blanche, et chacun projette sur lui une identité qu'il ne comprend pas forcément. Ce n'est pas un hors-la-loi, un type violent, mais on fait de lui un criminel recherché et pourchassé." Comme il a écouté l'album Crazy Horse de Neil Young pendant toute la production du film, Jarmush choisit Young pour composer la musique. Elle aide à créer une ambiance étrange à ce bon western contemplatif dont le héros, qui n'a d'ailleurs rien d'un héros, est tenaillé par la peur et reste à moitié mort tout le film durant.
Ma note: 4,5/6
MEURTRE EN SUSPENS
Gene (Johnny Depp), jeune père veuf, accompagné de sa fille, descend d'un train à Los Angeles. À la gare, il se fait aborder par deux personnes (dont Christopher Walken) qui prétendent être de la police, mais qui enlèvent la jeune fille, en menaçant de la tuer s'il n'assassine pas un gouverneur dans les prochaines 90 minutes. À l'instar de La Corde d'Hitchcock et du Train Sifflera Trois Fois, le film se déroule approximativement en temps réel. Le déroulement de l'histoire en devient un compte à rebours. C'est un procédé efficace mais qui a ses revers: le "truc" peut vite devenir plus important que l'histoire, le scénario ou la mise en scène. Dans ma période fan du réalisateur de La Manière Forte et du Dracula 79, j'aimais plutôt ce film qui manque quand même de rebondissements, mais qui maintient une certaine tension. Depp s'est avéré aussi crédible dans un rôle "héroïque" (mais avec quand même un héroïsme fragile) que dans celui d'un marginal.
Ma note: 4/6