Le Décalogue (Krzysztof Kieslowski - 1989/90)

[Vic Vega]

Tu ne Tueras Point: A coté d'une certaine tendance du cinéma qui utilise le "message" qu'il voudrait faire passer -personnellement j'ai toujours trouvé que ce genre de terme mettait le cinéaste au niveau du postier- comme excuse à sa lourdeur démonstrative -Sympathy for Mr Vengeance, Dogville, Assassins- ou à symbolisme à gros sabots appuyé -Kurosawa Kiyoshi, le second sketch de Amours Chiennes- , il est rafraichissant de revoir ce Kieslowski qui évite tout ce qui pourrait faire trop directement de son film un réquisitoire contre la peine de mort notamment en faisant l'impasse sur le discours de l'avocat au proçès. Pour le meme genre de raisons, il est remarquable que, si la construction de la première partie fait se croiser de façon virtuose tous les protagonistes du drame, elle ne donne jamais l'impression de faire des personnages des pantins du scénariste, elle souligne juste un hasard des croisements, des rencontres entre des etres qui peut déboucher sur du tragique, hasard d'autant plus terrible quand on y repense dans la suite du film. Bien loin de désorienter ou de frustrer, l'aspect acte gratuit revendiqué du crime commis le rend d'autant plus universel, incarnant la part de mal de tout individu qui peut surgir à n'importe quel moment au grand jour. Kieslowski prend également soin de ne jamais diaboliser son tueur. Remarquables sont aussi une photographie faisant un usage pertinent des clairs-obscurs, un score qui donne au film une partie de son intensité qui ne faiblit pas d'un bout à l'autre, une mise en scène qui prend quasi-physiquement le spectateur. Et la violence de la scène du meurtre réussit à etre bien plus malaisante -parce que l'on ressent par le découpage, les cadrages toute la souffrance du tué- que le gore de certains films polémiques récents. 9.5/10

[-Kaonashi-]

Cette série de moyens métrages réalisés par Krzysztof Kieslowski est ma grande découverte de l'été.

Le Décalogue , comme son nom l'indique, regroupe dix films de 50 à 60 minutes chacun, produit pour la télévision polonaise en 1988. Inspiré des dix Commandements (pour les deux du fond qui ne suivent pas, il ne s'agit pas le film de De Mille, hein), les scénarios n'abordent pas des histoires bibliques ou antiques ; Kieslowski et son scénariste Pieciewicz (avocat de formation) abordent des sujets plus ou moins inspirés d'affaires judiciaires réels, et ancrés dans notre époque en choisissant de raconter l'histoire d'un petit groupe de personnes vivant tous dans le même immeuble (type HLM), à Varsovie. Chaque épisode est une histoire à part entière, ce qui n'empêche pas quelques croisements et références à un épisode antérieur ou ultérieur. Le seul personnage en commun, présent dans tous les films (me semble-t-il), est celui appelé "l'observateur muet" dans les suppléments du coffret DVD.

Ce qui est fantastique c'est que chaque épisode a sa personnalité propre. Le ton est pour ainsi dire toujours le même, mais la réalisation, sobre, est toujours légèrement différente, aidée en cela par le changement quasi systématique de directeur de la photo (9 en tout) d'un film à l'autre.

Si certains épisodes sont légèrement inférieurs aux autres, il faut vraiment attendre d'avoir vu tous les films pour apprécier pleinement l'ensemble de l'oeuvre, et surtout l'oeuvre dans son ensemble. Du coup Le Décalogue semble vraiment un tout parfaitement cohérent, passionnant, et jamais plombant (comme je le craignais, j'avoue, avant d'aborder ce "gros morceau"). La construction permet une rapidité de narration vraiment efficace, sans flashback mais avec par moments des ellipses temporelles.
Et surtout, Kieslowski évite à chaque fois le piège du film moralisateur, et donne beaucoup plus à réflechir.

A noter aussi qu'à aucun moment dans les films les lois ne sont évoquées ; le titre de chacun des épisodes omet volontairement de mentionner les dix Commandements. Je les rajoute ici pour plus de clareté.

Décalogue, 1 (Un seul dieu tu adoreras)****
Un excellent début. J'aime beaucoup comment la question de la croyance quelle qu'elle soit est abordée, la relation père/fils est très touchante.

Décalogue, 2 (Tu ne commettras point de parjure)***
J'ai eu un peu de mal à comprendre de quoi ça parlait au début, le scénario jouant habilement sur la nature exacte de l'angoisse de la femme et la réaction du vieux docteur.

Décalogue, 3 (Tu respecteras le jour du seigneur)**
Un peu d'ennui au début. L'histoire ne m'a pas passionné, malgrè une narration intéressante (jouant comme souvent sur des ellipses temporelles plus ou moins courtes).

Décalogue, 4 (Tu honoreras ton père et ta mère)***
Le rapport trouble entre le père et sa fille, et le mystère autour de leur lien de parenté véritable, symbolisé par cette lettre de la mère défunte, donne une histoire vraiment touchante.

Décalogue, 5 (Tu ne tueras point)****
Le meilleur de la série, pour moi. Le jeu sur la photo, jaunâtre au début, installe directement le sentiment de malaise. Plus encore, le montage parallèle entre le taxi, le paumé et l'avocat renforce l'idée d'inéluctabilité de l'action, de ce meurtre sans mobil. Il n'y a aucune ambiguïté quant à la dénonciation violente de la peine de mort ; la mise en scène de l'éxécution est vraiment choquante (mais pas aussi poussée est manipulatrice que celle de Dancer in the Dark, par exemple).
Je suis curieux de voir la version longue.

Décalogue, 6 (Tu ne seras pas luxurieux)****
Existe en version longue (sous le titre Brève histoire d'amour). Encore une fois je trouve ça vraiment écrit à la perfection, et l'intensité est renforcée par un montage maniant avec habileté le champ sans contre-champ dans les scènes de voyeurisme (plans larges vers l'appartement de Magda), puis une série de plans rapprochés sur Magda et le jeune homme dans leur scène "d'amour".

Décalogue, 7 (Tu ne voleras pas)****
Une histoire d'abord assez étrange, qui sème le trouble chez le spectateur. La volonté d'être reconnue comme mère est le principal sentiment circulant entre la mère et la grand-mère, et cette déchirure est le noyau thèmatique du film. D'autant plus qu'elle cache une véritable haine entre les deux femmes, une haine dans laquelle les hommes n'ont même plus leur place.

Décalogue, 8 (Tu ne mentiras pas)**
Un épisode un peu décevant. Le point de départ est intéressant, tout comme le rapport qui se (re)noue entre les deux femmes, mais le rythme un peu lent et l'absence de véritable émotion m'ont un peu fait décrocher.

Décalogue, 9 (Tu ne convoiteras pas la femme d'autrui)****
Un épisode très réussi, très riche au niveau de sa mise en scène, qui retranscrit avec force symboles la détresse du mari, impuissant depuis peu. Un magnfique plan peu après le début du film signale déjà que les époux sont ensemble sans vraiment l'être : tous deux dans un ascenseur, la lumière passe sur eux au fur et à mesure des étages ; une fois sur eux deux ensemble, puis sur lui uniquement, puis sur elle seulement... Plus tard, le mari épie sa femme, voulant la surprendre avec son amant ; filmé en vue subjective à travers l'entrebaillement d'une porte, avec quelques mouvements latéraux, le plan-séquence restitue la tension du moment.
Mon préféré avec le 5.

Décalogue, 10 (Tu ne convoiteras pas les biens d'autrui)****
Le dernier épisode prend d'abord un visage légèrement comique, en décrivant le changement d'attitude de deux frères, plein de rancune envers leur père récemment décédé, qui découvrent subitement la passion du défunt paternel, la philatélie, et surtout la valeur de la collection. L'évolution de cette histoire débouche sur du tragi-comique, assez drôle, mais c'est finalement terrifiant et violent contre le matérialisme à outrance.

[Holly Golightly]

C'est inspiré des Dix Commandements de De Mille ?

[kayman]

j'en avais déja parlé lors de la sortie du Coffret, mais je suis fan complet et le considère comme un sommet du 7ieme Art. Ca se voit, se revoit...
A signaler la musique de Preisner, et ses petits airs qui ne décollent plus de la tete. WKW a réutilisé le theme de Tu ne tueras point dans son 2046.

A ce propos je te conseille la version longue de Tu ne tueras point, différente de la courte.

[-Kaonashi-]

C'est inspiré des Dix Commandements de De Mille ?

Voilà, et d'une...

[-Kaonashi-]

Voilà j'ai donné mon avis sur tous les films du Décalogue.

D'autres avis ?


Comme tu dis, kayman, Le Décalogue doit beaucoup gagner à être revu, ne serait-ce que pour les resonnances d'un épisode à l'autre, les personnages et les histoires qui se croisent (le couple du 2 qui se font envoyer balader par le taxi dans 5, le père philateliste mort du 10 est celui que l'ancienne résistante croise à deux reprises dans 8, etc...).

[kayman]

Comme tu dis, kayman, Le Décalogue doit beaucoup gagner à être revu, ne serait-ce que pour les resonnances d'un épisode à l'autre, les personnages et les histoires qui se croisent (le couple du 2 qui se font envoyer balader par le taxi dans 5, le prèe philateliste mort du 10 est celui que l'ancienne résistante croise à deux reprises dans 8, etc...).

arrête veux tu ca me donne envie de m'y replonger !!!

[La mouche savante]

Pfff

Encore un topic qui me donne des envies de dépenser des sous.
Je savais pas qu'il y avait un coffret.

[Boubakar]

Pfff

Encore un topic qui me donne des envies de dépenser des sous.
Je savais pas qu'il y avait un coffret.

Coffret 4 dvd édité par Montparnasse

[Cucumber]

J'ai craqué et pris le coffret Z1 chez soon lors des -25% de la glorieuse époque.

Je n'ai jusqu'à présent regardé que les deux premiers épisodes (beaucoup aimé le premier, pas vraiment cerné/apprécié le deuxième) par manque de temps. Je voudrais recommencer et m'y consacrer pendant quelques soirées mais ce n'est pas facile. Fin du mois, ça devrait être jouable !

[Nicolas Mag]

attention dans le coffret vous ne trouverez pas les versions cinema de Breve histoire d'amour et Tu ne tueras point

[Jordan White]

SPOILER

Je ne l'ai vu qu'une fois, mais Tu ne tueras point m'a fait le plus gros effet. Le visage du taximan agonisant.
Le décalogue était passé sur Arte juste deux ans après sa création en 1994 en VO polonaise, c'est comme ça que je l'ai découvert, j'aimerais beaucoup le revoir et me faire tous les épisodes.

[Montag]

Le deuxième m'a empêché de voir le reste. A part Tu ne tueras point qui ne pas convaincu non plus.

Mais bon Kieslowsky j'aime les premiers films dans lesquels ils ne se prend trop au sérieux, après...

[Le Samouraï]

Difficile de ne choisir qu'un épisode pour la simple raison que l'ensemble rend chaque film encore plus exceptionnel et cohérent (pour les raisons évoqués plus haut, notamment les correspondances, relectures possibles et interractions entre les persos et le personnage muet - conscience morale - qui apparaît dans chaque film).

Mais j'ai quand même voté pour le 6 parce que si le 1 m'a beaucoup ému, le 4 perturbé et le 5 traumatisé, c'est vraiment celui-ci qui m'a bouleversé et plu le plus.

Rien que de voir ce topic me donne envie de me replonger dans toute l'oeuvre de K.K, malheureusement il me faudrait pour cela du temps que je n'ai pas (:idea: peut-être que si j'arrêtais de errer sur le forum je le trouverai... mouais...).

[Cololi]

En septembre, le Décalogue de Kieślowski sort en BR chez Criterion ... aux US.
Peut-on espérer un jour avoir ce coffret en France ?