1. Blue Jasmine (Woody Allen, 2013)
2. Orphée (Jean Cocteau, 1950)
3. Alabama Monroe (Felix Van Groeningen, 2012)
2. Orphée (Jean Cocteau, 1950)
3. Alabama Monroe (Felix Van Groeningen, 2012)
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- Le goût du riz au thé vert (Yasujiro Ozu, 1952)
Une fois encore la caméra d’Ozu est pareille à la pointe d’un sismographe, elle consigne les affinités et les regrets, les joies et les amertumes avec une grande intelligibilité, sans jamais les amplifier. C’est à l’érosion du couple qu’il s’intéresse ici : entre l’indolent Mokichi et l’autoritaire Taeko, usés par les mille contrariétés d’un mariage ronronnant, il y a de l’eau dans le gaz. Il faudra à chacun prendre la mesure de la force invisible acquise par leur relation au fil des ans pour qu’une cuisine improvisée ne rappelle à eux leur amour complice, aussi vivace et évident que le goût du riz au thé vert. Telle une agréable infusion, le film touche sans être parasité par aucun effet (juste quelques parcimonieux travellings avant et arrière), et dialogue avec notre vécu comme le ferait un vieil ami. 5/6
Blanches colombes et vilains messieurs (Joseph L. Mankiewicz, 1955)
Pas sûr que l’univers de la comédie musicale convienne à l’ironie naturelle de Mankiewicz, dont la mise en scène accuse ici une certaine raideur illustrative. Diluant quelques intrigues sentimentales plutôt molles en près de deux heures et demie assez pataudes, il tire une séduction intermittente de ses complications vaudevillesques, de son New York de studio étoilé et chimérique, et de quelques interludes incongrus où enfin la folie s’invite à la fête (le pugilat cubain, en premier lieu). Il peut surtout remercier Jean Simmons, avec sa grâce délicieuse et son ravissant minois bouclé, de rafraîchir les artifices aujourd’hui un peu datés de l’entreprise. 3/6
The world (Jia Zhang-ke, 2004)
Ce parc-univers, qui emblématise le présent chinois et abolit dans un même arc de contrefaçon la fatigue de l’itinéraire et la valeur même de l’Histoire, enregistre la poussée anarchique de la mondialisation, de l’exode rural, de l’appétit de croissance et de consumérisme. Des shows absurdes à l’exotisme pailleté et futuriste y caricaturent en carton-pâte la globalisation qui avale les personnalités, mixe les cultures et broie une jeunesse écartelée entre la dure réalité économique, l’âpre solitude affective et la poudre aux yeux d’une irréelle occidentalisation. Ne reste alors à la génération perdue des années 70-80 que le réconfort d’une amitié (celle entre Tao et la Russe Anna, par-delà la barrière de la langue), et le rêve d’un ailleurs inaccessible qui aurait pour nom Ulan Bator ou Belleville. 5/6
L'extravagant Mr. Deeds (Frank Capra, 1936)
Dans un monde où l'individualisme et la duperie cynique constituent la norme, celui qui s'en remet au bon sens et traite les grands problèmes avec un altruisme désintéressé passe pour un dingo. La placide conviction du héros, qui emporte tout et tout le monde sur son passage, fonctionne dès lors comme un reflet de la méthode miracle de Capra. Elle transcende l'humanisme volontariste du discours et nous vole le cœur avec une facilité désarmante, sans même que nous nous en rendions compte. A la fin, on est comme la journaliste, les banquiers et les juges de New York qui ont connu Longfellow Deeds, ce Cinderella Man du Vermont venu gripper la froide insensibilité de la grande ville : on a emporté un peu de son optimisme et de sa générosité, et on se sent meilleur. 5/6
Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines) (Arnaud Desplechin, 2013)
L'aventure de Desplechin dans les contrées américaines fonctionne tout à la fois comme un mouvement d'extension et comme une conquête d'apaisement. La fièvre et la confusion se sont taries au profit d'une densité plus contenue, qui s'en remet à l'entière puissance du langage et opère une captivante investigation intérieure. Il y a certes moins de puissance brute que par le passé, mais une humanité nouvelle déployant sans forcer, dans le cadre bienveillant de la recherche médicale et interculturelle, l'émouvante évidence d'une amitié sans contrainte, parcourue d'un profond respect mutuel. Avec ses deux acteurs épatants de complémentarité, le film s'offre comme un beau traité d'échange, d'apprentissage et d'ouverture à l'autre. 4/6
Guerre et amour (Woody Allen, 1975)
Doté d'un budget conséquent et d'une excellente équipe technique, Allen affirme une plastique dominée, une impeccable direction d'acteurs, un niveau supérieur du scénario. Sa relecture de Tolstoï, pas si éloignée de l'humour absurde des Monty Pythons, l'impose maître de son langage et de ses ambitions, et laisse filtrer des soucis intellectuels qui anticipent sur ses grands films autobiographiques. Ni solennité ni sérieux pour autant : les clins d'oeil à Bergman (de la Faucheuse – blanche – tout droit sortie du Septième Sceau au jeu de profils féminins à la Persona), les monologues sur la finalité de l'existence et la peur de la mort, les références culturelles ne freinent pas mais nourrissent au contraire l'esprit iconoclaste d'un hilarant festival comique. 5/6
Le caméraman (Buster Keaton & Edward Sedgwick, 1928)
Filmer le monde, c'est déjà le mettre en scène, le diriger, voire le déguiser. Car si le héros se serait bien passé de faire flotter des cuirassés au beau milieu de la 5ème Avenue, c’est bien lui qui, ailleurs, favorise une juteuse bagarre de truands chinois. Portant la lutte contre l'amoncellement des vieux papiers, des corps, des rubans de film à son degré de perfection symphonique, Keaton chante ici la mélodie urbaine de New York, exploite à nouveau toutes les possibilités de l'espace (l'escalier dévalé puis remonté quatre à quatre), et met les vertus du cinéma en abîme. Ainsi, quand bien même la manivelle de la caméra est tournée par un singe farceur, ce sont les images filmées qui révèlent la vérité aux personnages et finissent par les unir : une certaine idée de l'invention poétique comme célébration du septième art. 5/6
Madame Miniver (William Wyler, 1942)
D’un prêche pour la résistance anglaise en l’heure grave de 1942, d’une exaltation des valeurs éternelles du peuple britannique, le cinéaste freine toute emphase héroïque ou effusion spectaculaire, privilégie les instants de creux, de bonheur simple, de quiétude troublée, ne montre du conflit que son contre-champ préoccupé, et filme les tableaux champêtres et chaleureux d’une vie ponctuée par l’angoisse de la perte ou la joie éphémère des retrouvailles. Et voilà comment le discours de propagande fléchit, s’involue, se voit filtré par les vertus d’une expression en sourdine et la sobriété poignante d’une interprétation underplayed emmenée par une très subtile Greer Garson (quant à la petite Teresa, elle n’a pas son pareil pour nous faire fondre et nous tirer des larmes). 4/6
Ma vie avec Liberace (Steven Soderbergh, 2013)
La carrière polymorphe de Soderbergh aurait été incomplète si elle ne s’était pas frottée au biopic. Sans en transgresser les règles, le cinéaste radiographie les aspects exclusifs et contradictoires d’une relation amoureuse vécue comme sous le signe du contrôle et de l’appropriation marchande. La beauté perverse de l’entreprise réside dans ce qu’elle nous suggère d’un monde cosmétique et illusoire où tout s’achète, se modèle puis s’abandonne, y compris le corps et le visage d’un Apollon naïf pris au piège de ses sentiments. Peut-être un peu trop prisonnier du classique schéma grandeur et décadence pour vraiment émouvoir, le film doit beaucoup à son formidable duo de stars, à son éclat de lustre pailleté et à la sourde terreur qui le sous-tend (voir Rob Lowe en chirurgien faustien).
L’homme des vallées perdues (George Stevens, 1953)
L’équivocité qui parcourait Une Place au Soleil semble s’être totalement évaporée. Ne reste désormais, dans ce surwestern rudimentaire, presque squelettique, qu’une sorte de romantisme idéaliste, manichéen, très suranné, qui encroûte le film dans la banalité plus qu’il ne l’élève aux dimensions du mythe. Les intentions de Stevens sont sans doute de s’interroger sur les fondements d’un pays et ses légendes intemporelles, en optant pour le ton du conte, de la fable et de l’initiation (tout est vu par les yeux de l’enfant, qui se cherche un père de substitution). Mais la mollesse de la réalisation et la fadeur du casting, couplées aux grosses ficelles psychanalytiques des enjeux, ne les concrétisent jamais véritablement. Une œuvre pas désagréable mais très en-deçà de sa flatteuse réputation. 3/6
L’adieu aux armes (Frank Borzage, 1932)
Sans renier son romantisme, Borzage freine la déréalisation onirique qui gouvernait ses films précédents et reconstitue l’Italie de la Première guerre mondiale avec une crédibilité sans doute due à la conscience que les risques d’un nouveau conflit allaient s’augmentant. Le fameux roman d’Hemingway lui fournit un matériau apte à exacerber son goût pour les amours à distance, les liaisons impossibles brisées par l’irruption du chaos et la violence de la guerre. Fertile en trouvailles baroques, la mise en scène peine pourtant à déployer pleinement le potentiel émotionnel du récit, peut-être parce que les événements suivent une ligne un peu trop rigide, ou parce que la qualité inégale de l’interprétation n’en restitue pas tout à fait la force et l’unité. 4/6
Le jour où la terre s’arrêta (Robert Wise, 1951)
Un envoyé du Ciel d’inspiration ouvertement messianique se heurte à l’esprit suspicieux et belliciste des hommes, meurt puis renaît pour leur salut. Et pour se montrer un peu plus persuasif, il est accompagné d’un robot de destruction massive aux allures de gros Playmobil-Bibendum en caoutchouc. Ok. Symptomatique d’une époque qui usait de la SF comme métaphore idéologique, pour délivrer un message de coexistence pacifiste, ce classique du genre apparaît essentiellement circonscrit à ce qu’il révèle des angoisses et des doutes de son temps, articulant une suite de symboles autour de l’ovni, du savant, du politique, du militaire, de la famille américaine : notions sommaires mais efficaces, dont la sagesse est parasitée par un simplisme aujourd’hui un brin désuet. 3/6
Orphée (Jean Cocteau, 1950)
Cocteau regarde le monde tel qu’il est et l’appréhende pourtant comme la manifestation d’un univers invisible. Parabole et méditation sur la destinée du poète parmi les hommes, qui "désanachronise" en quelque sorte la légende et fait verser merveilleux et tragique dans le quotidien le plus réel, le film organise un vagabondage au carrefour du mythe, du fantastique et du subconscient, transcendant la promiscuité des relations humaines. Les ruines de Saint-Cyr transformées en royaume des ombres, la marche tâtonnante dans la zone intermédiaire, les faux yeux peints sur les paupières, le franchissement des portes à mercure entraînent dans un ailleurs ensorcelant, dont les sortilèges évoquent autant l’expressionnisme allemand que le Livre des Morts tibétain ou l’hallucination sous insuline. 5/6
Blue Jasmine (Woody Allen, 2013)
Carburant au martini et aux antidépresseurs, fissurée, flippée, à la fois pathétique et déplaisante, la dernière héroïne de l’increvable Woody Allen réfléchit la gueule de bois d’un pays ravagé par la crise de confiance, la ruine des apparences et les combines illégales des puissants. Sa personnalité borderline, son mépris de classe et son culte du paraître butent sur un credo désormais intenable : à toujours détourner les yeux, on échafaude sa propre perte. Avec ce film sans pitié sur la dérive intérieure et la déchéance sociale, le cinéaste affirme l’extrême finesse psychologique de son regard, habille de rire jaune chaque étape d’une chute sans rémission, et compose une savante construction temporelle qui remodèle en permanence toutes les perspectives. Magistralement servi par Cate Blanchett et Sally Hawkins, il signe l’une de ses œuvres les plus noires, abrasives et pénétrantes. 5/6
Mon âme par toi guérie (François Dupeyron, 2013)
On peut s’agacer des afféteries et de la recherche constante de singularité à l’œuvre dans la mise en scène. Mais assez vite l’humanité des personnages emporte, cette espèce de poésie de la détresse accompagnant les parcours d’êtres cabossés par l’existence, dont les solitudes hébétées se croisent comme autant de promesses en devenir. Comment trouver sa place en ce monde, s’accorder aux êtres que l’on aime, accepter la misère des autres quand on souffre de vivre en dehors de soi-même ? Le film brasse cette matière spirituelle à coups d’intuitions téméraires, en osant flirter avec le portrait social, le conte initiatique, voire le surnaturel. Il est inégal, branlant, mais fait naître une force vive et écorchée qui finit par laisser son empreinte. 4/6
Le pauvre amour (David W. Griffith, 1919)
Le cinéaste poursuit dans la veine simple du Lys Brisé et s’en remet à l’entière sincérité d’une pastorale qui oppose la grâce candide d’une amoureuse au cœur pur et les modernes afféteries de sa rivale inconséquente et badine. Une blonde, une brune, un jeune homme attiré et ensorcelé par les artifices de l’une avant de comprendre que les sentiments vrais résident dans l’abnégation et la dévotion de l’autre : la plus vieille histoire du monde, racontée au travers de symboles esquissés, de minces peccadilles, d’une gestion consommée de l’espace. Le sens de la nature de Griffith, ses tableaux vivants, son attachement pour les êtres isolés et en marge de la société, la finesse de sa direction d’acteurs participent à la jolie réussite de cette romance poétique. 4/6
Hantise (George Cukor, 1944)
Un an avant qu’Hitchcock impose l’ambivalence morale d’Ingrid Bergman et en fasse le jouet de forces qui la dépassent, Cukor lui offrait déjà un rôle de victime craquelée, persécutée par un époux charmeur et inquiétant cherchant à lui faire croire qu’elle a de grosses araignées au plafond. L’intrigue de ce suspense victorien ne devance jamais le spectateur (on comprend tout assez vite), mais le cinéaste se montre particulièrement à son affaire pour en optimiser chaque effet. Les clairs-obscurs savamment composés, les frémissantes lueurs des chandelles aux gaz, les rues embrumées de Londres, la perversité équivoque d’une emprise psychologique garantissent une tension entretenue avec cette forme d’élégance consommée et incisive qui est la marque de l’auteur. 4/6
Et aussi :
Tirez la langue, mademoiselle (Axelle Ropert, 2013) - 4/6
Solitude (Paul Féjos, 1928) - 5/6
Gare du Nord (Claire Simon, 2013) - 4/6
Ilo Ilo (Anthony Chen, 2013) - 4/6
Alabama Monroe (Felix Van Groeningen, 2012) - 5/6
La danza de la realidad (Alejandro Jodorowsky, 2013) - 4/6
La bataille de Solférino (Justine Triet, 2013) - 4/6
Elle s'en va (Emmanuelle Bercot, 2013) - 4/6
Lettre à Momo (Hiroyuki Okiura, 2011) - 4/6
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- Août 2013 - La randonnée (Nicolas Roeg, 1971) Top 100
Juillet 2013 - Le monde d'Apu (Satyajit Ray, 1959)
Juin 2013 - Choses secrètes (Jean-Claude Brisseau, 2002)
Mai 2013 - Mud (Jeff Nichols, 2012)
Avril 2013 - Les espions (Fritz Lang, 1928)
Mars 2013 - Chronique d'un été (Jean Rouch & Edgar Morin, 1961)
Février 2013 - Le salon de musique (Satyajit Ray, 1958)
Janvier 2013 - L'heure suprême (Frank Borzage, 1927) Top 100
Décembre 2012 - Tabou (Miguel Gomes, 2012)
Novembre 2012 - Mark Dixon, détective (Otto Preminger, 1950)
Octobre 2012 - Point limite (Sidney Lumet, 1964)
Septembre 2012 - Scènes de la vie conjugale (Ingmar Bergman, 1973)
Août 2012 - Barberousse (Akira Kurosawa, 1965) Top 100
Juillet 2012 - Que le spectacle commence ! (Bob Fosse, 1979)
Juin 2012 - Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir, 1975)
Mai 2012 - Moonrise kingdom (Wes Anderson, 2012)
Avril 2012 - Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks, 1939) Top 100
Mars 2012 - L'intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, 1954)
Février 2012 - L'ombre d'un doute (Alfred Hitchcock, 1943)
Janvier 2012 - Brève rencontre (David Lean, 1945)
Décembre 2011 - Je t'aime, je t'aime (Alain Resnais, 1968)
Novembre 2011 - L'homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) Top 100 & L'incompris (Luigi Comencini, 1966) Top 100
Octobre 2011 - Georgia (Arthur Penn, 1981)
Septembre 2011 - Voyage à Tokyo (Yasujiro Ozu, 1953)
Août 2011 - Super 8 (J.J. Abrams, 2011)
Juillet 2011 - L'ami de mon amie (Éric Rohmer, 1987)
Juin 2011 - Ten (Abbas Kiarostami, 2002)