Bien entendu, le premier (le Spielberg) reste un monument essentiel, un chef-d'oeuvre absolu de cohésion et d'atmosphère (photographie, focales, réalisation, musique, acteurs... tout est parfait, jusqu'aux dialogues, mythiques). Le deuxième m'a toujours beaucoup plu par sa nature volontairement très différente du premier. C'est un vrai film d'aventure et d'action, avec moins de suspense, mais plus d'effets. Partant de cela, l'ensemble est très réussi, faisant du film dans on ensemble une belle suite, aussi cohérente (la continuation avec certains personnages, la reprise du lieu -l'île d'Amity-, les traces d'indices laissées par les attaques du requin...) que parfois même passionnante (Roy Scheider creuse encore son personnage, et il convient d'avouer que sa présence joue énormément dans la réussite du film, mélange de charisme et de jeu très subtil). Le film possède un charme et une efficacité qu'il serait bien temps de reconnaître.
La re-vision du film, cette fois-ci en 3D grâce au blu-ray, ne me tentait pas plus que cela. Grave erreur. L'expérience constitue une sacrée redécouverte ! Et attention, à la base, je ne suis pas du tout sensible à l'expérience 3D (je trouve que cela reste un gadget qui se situe bien loin de ce que j'appelle du cinéma... mais cela n'engage que moi). Bien sûr, le scénario reste décevant et la distribution inégale (certains acteurs sont très bien choisis, tandis que d'autres beaucoup moins), mais c'était sans compter l'incroyable "expérience de foire" que propose le film.
J'ai compris deux choses essentielles en le revoyant dans ces conditions :
1) Que son exploitation 2D relève du misérabilisme absolu. En effet, tourné à l'aide du procédé ArriVision 3-D, il s'agit là d'un film absolument pensé / composé / tourné / monté dans un esprit 3D (sans doute encore davantage que pas mal de films tournés en 3D aujourd'hui, mais qui peuvent être projetés en 2D sans que l'on ne soit trop circonspect). De fait, sa photo délavée en 2D, ses effets ringards, ses plans banals (les focales apparaissent très quelconques, la profondeur de champ absente...) et son grain trop présent (dû, entre autres, à une refonte 2D effectuée en catastrophe pour les salles non équipées et la sortie VHS/DVD) en font un film globalement primaire et mal conçu. Les effets spéciaux optiques sont nettement plus visibles et grossiers, quand beaucoup d'autres plans "live" paraissent inutiles. Les Dents de la Mer 3 n'a jamais été conçu pour être distribué en 2D, et encore moins durant le tournage, où chaque plan faisait l'objet d'une préparation précise.
2) On n'a beau pas être fan du procédé 3D, force est de reconnaître que Les Dents de la Mer 3 ne m'a jamais paru aussi bon ! On pourrait arguer que l'aspect "foire" gomme un peu les défauts, mais ce serait sans compter tout ce que l'on n'attendait pas au préalable en visionnant cette version 3D. Il ne subsiste pas une seule séquence qui ne profite au procédé, et à ce niveau-là on pourrait même affirmer que c'est carrément hystérique. Les effets 3D pullulent, et pas seulement dans les séquences d'effets optiques. Les scènes aquatiques sont très impressionnantes, avec une spatialisation que je ne leur soupçonnais pas du tout. De fait, Alves a remarquablement ficelé sa réalisation (moi qui, il y a encore peu de temps, pensais que c'était un très médiocre travail de réalisateur), techniquement s'entend. Son cadre est conçu pour le détail, et l'essentiel de son travail apparaît alors au grand jour : Alves a concentré ses effort sur le pur sentiment d'immersion. Les algues, les bulles, le squelette dans le galion, les séquences "dauphins vs requin", les mouvements de panique de la foule dans la structure sous la mer (ceux qui en 2D paraissent cheap et austères, mais qui en 3D donnent une impression de vertige constant et d'immersion foisonnante), le travail des ouvriers au chalumeau (attention aux étincelles sur les genoux du spectateur !), le titre d'ouverture qui vient littéralement mordre le spectateur... L'immersion est totale et même parfois trop présente pour les non initiés. En résulte une expérience épuisante qui finalement ne dépasse heureusement pas les 99 minutes. Expérience rehaussée par les très nombreux surgissements (la murène, le serpent, les "plans requin", les perches...) qui viennent presque à ras-le visage. Le film retrouve alors une stature de spectacle total, divertissant et non-stop (même les scènes calmes utilisent la 3D en permanence, souvent d'une façon audacieuse, afin de nous coller au centre de l'action).
De là à dire que cela gomme ses défauts, non. Mais l'on comprend désormais pourquoi le film fut conçu de cette façon là, et l'on se prend au jeu. Dans cette optique, Alves a remarquablement réussi son travail. Il faudrait peut-être réévaluer les efforts qu'il a fourni et qui ont été gâché par 30 années de visions sans 3D, car le film possède un vrai sens de l'espace et de la gestion des reliefs. C'est même, et je terminerais là-dessus, très agressif comme style (les surgissements sont très nombreux et très dynamiques, et les effets gores beaucoup plus impressionnants -car littéralement jetés en pâture sur le nez du spectateur-), et très intense. Tant et si bien que les yeux ne parviennent plus forcément à suivre à un certain niveau. Car de fait, Les Dents de la Mer 3 gagne ainsi un petit côté roller coaster que l'on ne lui soupçonnait pas... Quand on parle de film impossible à concevoir sans la 3D, celui-ci en fait partie. Hitchcock avait eu l'intelligence d'extraire son Crime était presque parfait de ces écueils (afin de pérenniser son film au-delà d'une technologie qui ne ferait qu'un temps), de même que André De Toth avec House of wax... A l'inverse, Alves a jeté son film dans les bras du procédé pour en extraire un film entièrement dépendant. Il faut le savoir et le garder à l'esprit quand on regarde le film aujourd'hui, car à défaut d'être un excellent film (fondamentalement parlant), Les Dents de la Mer 3 redevient ce qu'il était sans doute au moment de sa sortie : un grand bouillonnement immersif et trépidant, très soigné (j'en suis le premier surpris) et solidement réalisé si l'on songe au fait que le cinéaste brode en permanence ses plans autour d'une expérience visuelle parfois quasi-expérimentale. Dans tous les cas, le film va encore plus loin dans le procédé que de nombreux autres films aujourd'hui (et je ne parle même pas des films gonflés en 3D...).
Le blu-ray est solide. La version 2D est visuellement meilleure que ce que l'on a pu voir jusqu'à aujourd'hui, mais reste entravée par une tenue générale qui n'est pas faite pour le film. Le grain est omniprésent, et la photo terne. Avec ce désagréable sentiment de halo dans certaines séquences. La version 3D est bien meilleure, signant de fait le retour du film à une forme de cohérence technique, de poésie technologique certes datée mais enthousiasmante, ainsi qu'à une raison d'être désormais plus compréhensible.